3.1.2. Les représentations liées à la réussite
Les représentations liées à la réussite, disséminées tout au long des entretiens, sont plus particulièrement associées à la question Q5 "Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?"
Le tableau de distribution des fréquences des formes graphiques Q5b montre l'emploi de 259 formes graphiques distinctes pour 363 mots ce qui limite l'intérêt de l'étude statistique sur ces données. Seules les réponses Q5b sont dépendantes de la variable spécialisation en AIS. La procédure VOSPEC fait apparaître deux groupes, dont l'un emploie des mots caractéristiques 280 . Pour les professionnels non spécialisés, le terme préférentiel et significatif (valeur-test à 1,98) accroché à l'idée de réussite scolaire, est celui de savoirs. Un second mérite d'être mentionné, celui de citoyenneté (valeur-test à 1,5). Les personnels spécialisés quant à eux offrent des réponses diversifiées, qui évitent paradoxalement ces deux termes, et dont aucune ne peut être considérée comme représentative du groupe.
Le codage permet de réduire Q5b en 7 formes différentes dont l'ensemble constitue Q5c 281 . Le tableau des catégories et codages Q5c 282 permet de classer les réponses :
Trois pôles distincts apparaissent : "Identification de ceux qui réussissent et de leur réussite à l'école" (73,3 %), "Jugements, valeurs" (25,9 %), "Reste" ne rentrant pas dans les catégories établies (0,8 %).
La notion de réussite à l'école appelle majoritairement, pour trois quarts des réponses, des observations concrètes utiles à la reconnaissance des signes de réussite chez l'élève. Ce premier pôle regroupe les manifestations et indicateurs de réussite chez l'élève (zzRmr 46 %), la signification, les conséquences de cette réussite et les projections dans l'avenir (zzRsi 15,4 %), les facteurs favorisant la réussite chez l'élève (zzRfr 10,5 %), les réactions de l'entourage (zzRre 1,4 %). Cette centration massive sur l'élève s'effectue dans une optique essentiellement individuelle, même si elle évoque parfois une dimension de groupe familial et plus largement social.
Le fonctionnement professionnel en lien avec la réussite à l'école, occupant un quart des préoccupations, apparaît essentiellement avec le deuxième pôle qui comprend l'appréciation des pratiques scolaires, les ressentis (zzJap 9,6 %) de même que les valeurs, la conception générale du succès à l'école (zzJcp 16,3 %).
L'exigence de réussite, tout comme celle de lutte contre les difficultés, suscite un "vrai casse-tête". Mais la recherche de solutions 283 s'écarte nettement d'un cheminement en équipe et d'un travail partenarial. Le nombre d'expressions faisant strictement appel à cette préoccupation est inférieur à dix ; il peut aller tout au plus à une vingtaine en comptabilisant les évocations implicites. Le pourcentage obtenu, sur la totalité des réponses, est dans tous les cas largement inférieur à 1 %. La réussite à l'école apparaît comme une affaire personnelle. La collectivité, le groupe, la coopération sont des notions secondaires, qui s'effacent au profit de l'individualité, la compétitivité et l'isolement.
L'étude du tableau de contingence Q5c 284 montre que l'emploi des mots n'est pas homogène. Les réponses Q5c sont dépendantes des trois variables professionnelles.
Pour la variable spécialisation en AIS, les résultats obtenus avec VOSPEC 285 permettent d'isoler deux groupes dont les évocations sont représentatives. Les non spécialisés sont sensibles aux manifestations de la réussite chez l'élève (zzRmr : valeur-test à 2,9) ; les spécialisés par contre s'attachent à critiquer cette notion (zzJap : valeur-test à 2,8) et manifestent une disposition à en exposer leur conception (zzJcp : valeur-test à 1,4).
E53 Brigitte A2 p. 697
‘Ça veut dire quoi réussir ? Ça n'a pas tellement de sens, ça veut dire être adapté à un système, être rôdé à ce système qui veut que les enfants soient tous les mêmes, dans une visée de normalité.’Pour la variable corps de métier, la recherche de mots caractéristiques montre trois groupes ayant des évocations représentatives d'une profession 286 .Les IEN sont attentifs à la signification de la réussite et à ses conséquences (zzRsi : valeur-test à 2,2).
E08 Claude A1 p.146
‘"Un des gros soucis, c’est que "échec à l’école" ça veut dire exclusion et non insertion professionnelle. Donc, s’il y a une réussite à l’école, ça veut dire que l'avenir n'est pas noir, qu’on a beaucoup plus d’ouverture, on n'est pas figé sur un objectif qui est l’insertion professionnelle.’Les formateurs forment un groupe très homogène dans leurs réponses, soucieux d'exposer leurs conceptions de la réussite (zzJcp : valeur-test à 3,6), leurs appréciations en ce qui concerne les opinions courantes (zzJap : valeur-test à 2,8), les réactions de l'entourage (zzRre : valeur-test à 1,5), les facteurs favorisant cette réussite (zzRfr : valeur-test à 1,4). Leurs non-réponses les caractérisent également fortement : ils n'évoquent presque jamais la réussite dans ses manifestations repérables (zzRmr : valeur-test à –5,4).
E22 Anne-Lise (Formatrice IUFM option E) A1 p. 312
‘Pour qu'il y ait réussite scolaire, il faut que ce soit la réussite du sujet et non pas de l'élève en tant qu'objet, donc ça nécessite un certain type d'interaction dans lequel l'enfant puisse agir.’Les enseignants généralistes sont presque exclusivement préoccupés des manifestations de la réussite chez l'élève (zzRmr : valeur-test à 4,8) en termes de résultats scolaires ou de comportement. Ils négligent fortement d'appréhender la réussite dans sa dimension conceptuelle (zzRfr : valeur-test à – 3,7).
Contrairement à ces groupes qui font preuve de reliance interne forte, les enseignants spécialisés présentent des réponses très éclatées. Cette particularité permet d'affiner le résultat observé avec le groupe des professionnels AIS. La critique prépondérante des opinions communes de réussite se révèle être le fait pour une grande partie des formateurs spécialisés.
La recherche de mots caractéristiques appliquée à la variable fonction professionnelle 287 apporte un éclairage complémentaire sur le groupe des enseignants spécialisés. Les préoccupations des rééducateurs sont identiques à celles du groupe des personnels AIS et rejoignent donc celles des formateurs spécialisés : ils critiquent la notion de réussite (zzJap : valeur-test à 2,1). Le groupe des maîtres E se réunit autour de l'absence conceptuelle de la notion de réussite (zzJcp : valeur-test à – 1,8) et rejoint sur ce point la position des enseignants généralistes. Les psychologues scolaires se rallient aussi dans ce domaine aux enseignants généralistes adjoints et directeurs par une attention particulière accordée aux manifestations de réussite (zzRmr : valeur-test à 1,4).
Ces résultats sont transcrits graphiquement sous forme de nuage, présenté page suivante.
Les facteurs qui participent le plus à donner forme au nuage sont représentés par l'axe 1 et l'axe 2. L'axe 1 est celui de l'analyse de la réussite, allant d'une observation concrète à une interrogation existentielle. Il oppose les attitudes professionnelles des formateurs et celles des enseignants généralistes à l'égard de la réussite à l'école. Les premiers remettent en question cette notion, l'interrogent et la replacent dans une perspective plus globale, à l'échelle de la vie. Les seconds se concentrent sur ses signes visibles à l'école.
Les mots codés vont plus précisément de zzJcp à zzRmr, avec d'un côté une ouverture sur des questions existentielles et le sens de la réussite, de l'autre une focalisation sur le signe rapporté à la norme imposée par l'école.
L'axe 2 schématise la responsabilité professionnelle. Il reflète l'engagement de chacun, tourné préférentiellement vers une approche individuelle ou collective. Il met en opposition la vision des IEN et celle des enseignants généralistes. Les premiers sont très attentifs à la signification de la réussite et ses conséquences dans l'avenir, les seconds donnent la priorité à l'immédiateté et au présent scolaire.
Les mots codés vont de zzRsi à zzJap, avec d'un côté une centration sur l'avenir, avec notamment la gestion des non-réussites ponctuelles et de l'autre une attention à la qualité des pratiques scolaires, susceptibles d'entraîner le succès de tous.
L'axe 3, non représenté mais encore représentatif, est celui de l'explication de la réussite, allant de la simple affirmation à l'analyse des mécanismes en jeu. Il met en contraste zzJap et zzRfr. L'évaluation qualitative et les ressentis à propos des pratiques éducatives se heurtent aux facteurs favorisant cette réussite.