3.3. Le RASED

Les représentations liées au RASED, émergeant lors d'anecdotes vécues sur le terrain ou de réflexions plus générales, ont également été suscitées par la question Q2 "Quels sont les cinq mots ou expressions qu'évoque pour vous le sigle RASED ?"

Le tableau lexical des résultats Q2b montre l'emploi de 264 formes graphiques distinctes pour 379 réponses. C'est une des dispersions les plus réduites de toutes les séries de réponses ; elle est cependant encore trop importante pour que les données obtenues avec les procédures statistiques présentées soient significatives. Dans la recherche de mots caractéristiques d'un groupe donné, appliquée aux réponses Q2b et à la variable spécialisation en AIS, un seul résultat mérite attention. Le groupe des professionnels spécialisés évoque de façon privilégiée le mot "équipe" (valeur-test à 1,8) tandis que les non spécialisés ont tendance à l'éviter (valeur-test à – 1,8).

La procédure de codage permet de réduire les formes graphiques initiales Q2b en Q2c, dont les éléments se répartissent alors selon 15 formes codées distinctes 304 .

Le tableau des catégories et codages Q2c 305 classe ces évocations en sept pôles.

Apparaissent par ordre décroissant : "jugement, valeurs concernant le RASED" (39,1 %), "travail en partenariat, mise en relation" (20,9 %),"identification du dispositif et de son personnel" (15,6 %), "identification, définition des aides" (11,9 %), "identification du public aidé, représentations de l'enfant en difficulté" (10,2 %), "contexte de travail spécificités locales" (2%), "reste à classer" (0,3 %).

Le pôle majoritaire regroupe tous les codages en lien avec le jugement contenant la lettre J : zzJap appréciation, évaluation des pratiques ou du dispositif d'aide, ressentis (22,2 %) et zzJcp, valeurs, conception générale de l'aide (16,9 %). Le sigle RASED appelle en premier lieu, pour deux réponses sur cinq, un débat sur sa validité, autrement dit le bien-fondé de son fonctionnement et des pratiques d'aides proposées. Le second pôle important réunit les codages liés au partenariat, contenant la lettre P : zzPgl, notion globale de partenariat (7,7 %) ; zzPin liens internes au sein du RASED (2,6 %) ; zzPex liens "externes" entre RASED, enseignants, familles etc. (10,6 %). La collaboration, sous une forme limitée au dispositif RASED ou étendue en réseau est évoquée une fois sur cinq. Ce résultat est nettement plus important que celui observé pour chacune des fonctions d'aide. Mais il apparaît d'emblée comme peu élevé étant donné qu'il s'agit de la nature et de l'intérêt même du dispositif. Vient ensuite en troisième pôle l'identification du dispositif et de son personnel, marqué par la lettre I : zzIsp, identification du personnel, des spécialisations (8,5 %) ; zzIor, identification du dispositif, de son appellation, de son organisation (7,1 %). L'importance de la reconnaissance des nœuds et de leur organisation est affirmée une fois sur six. L'identification et la définition des aides, de même que l'identification du public aidé rejoignent le point précédent. Le réseau est aussi identifié par la mission qui lui est confiée (11,9 %, soit environ une fois sur dix) et par la population aidée (10,2 % soit environ une fois sur dix). Les pôles suivants perdent nettement en importance. Le contexte de travail, les spécificités locales évoquant des moyens matériels, des effectifs ou le secteur géographique à couvrir sont peu marqués (2 %) et n'apparaissent pas de ce fait au centre des préoccupations. Un reste, de quantité négligeable (0,3 %), pose néanmoins un problème de fond important. L'expression maître_classe est inclassable. L'enseignant de la classe fait-il partie du RASED ? Non, à proprement parler, il n'est pas spécialisé et donc hors réseau selon l'expression courante.

Si ces résultats donnent un premier aperçu des centres d'intérêt et leur importance à l'échelle de la totalité des données, la recherche peut se poursuivre avec l'étude du tableau de contingence Q2c 306 . Le rejet de l'hypothèse d'homogénéité conduit à affirmer que les évocations obtenues sont dépendantes des variables professionnelles.

Pour la variable spécialisation en AIS, la recherche de mots caractéristiques 307 permet d'isoler deux groupes dont les évocations sont représentatives. Les non spécialisés privilégient l'identification du dispositif et de son personnel (zzIsp : valeur-test à 2) qui couvre aussi bien la négation de la spécialisation, l'absence de formation, que la reconnaissance de compétences spécifiques. Les professionnels AIS par contre évitent cette dimension (zzIsp : valeur-test à -2). Ils se centrent à la fois sur le partenariat (zzPgl : valeur-test à 3 ; zzPex : valeur-test à 2) et la conception de pratiques liées au RASED (zzJcp : valeur-test à 2,2) tandis que leurs collègues négligent ces deux aspects (les valeur-test sont semblables en négatif). La spécialisation apparaît, de façon redondante, comme un critère de sensibilisation au travail en équipe. La complexité des éléments à traiter vaut qu'ils soient appréhendés à plusieurs. La collaboration apparaît ainsi comme un gage de soutien mutuel, d'encouragement à la persévérance et à la créativité.

En ce qui concerne la variable corps de métier, la recherche de mots caractéristiques, met en évidence quatre groupes aux évocations représentatives. 308

Les IEN portent principalement un regard évaluatif et critique sur le RASED (zzJap: valeur-test à 2,9), sans expliciter les objets de travail et les activités de ce dispositif (zzAob : valeur-test à –2,3). L'observation plus fine de ces données 309 montre que les inspecteurs généralistes s'écartent de cette tendance et privilégient l'identification de la spécialisation liée au RASED tandis que les inspecteurs AIS ou ayant des postes à responsabilité élevée la renforcent.

Les formateurs, au contraire, sont sensibles aux pratiques mises en œuvre (zzAob : valeur-test à 3,2). Ils ne mettent pas en avant le caractère spécialisé de ce dispositif (zzIsp: valeur-test à –2,2). Parmi eux les professionnels exerçant en IUFM privilégient les aspects conceptuels.

Les enseignants spécialisés font bloc dans leur intérêt pour le partenariat (zzPgl : valeur-test à 2,6 et zzPex : valeur-test à 2,3). C'est le seul point qui caractérise leur corps de métier. Ce résultat éclaire celui obtenu précédemment : ce sont les professionnels de RASED qui orientent la position globale du groupe des spécialisés en faveur de la collaboration. Ils affichent avec force l'importance et la nécessité de cette dimension au cœur de leurs pratiques. En contrepartie, ils évoquent peu l'objet de leur travail, leurs activités ou démarches (zzAob : valeur-test à –2,4). Or l'étude plus fine permise par la variable fonction professionnelle montre que les maîtres E sont nettement moins concernés par le partenariat. Pour eux, la valeur-test la plus élevée dans ce domaine ne dépasse pas 0,9, c'est-à-dire qu'elle n'est pas représentative de leur groupe. Cumulée avec les autres, celle des rééducateurs (zzPgl valeur-test à 4 ; zzPex valeur-test à 1,7) et des psychologues (zzPex valeur-test à 1,8) elle le devient artificiellement. Aucun autre résultat d'ailleurs ne caractérise les maîtres chargés d'aide à dominante pédagogique, les réponses étant par trop dispersées. Ceux-ci apparaissent de ce fait avec des préoccupations peu homogènes, témoignant ainsi d'une reliance relâchée voire inexistante.

Les enseignants généralistes se centrent quant à eux sur les aspects généraux ou visibles des RASED (zzAmi : valeur-test à 2,6 ; zzAin : valeur-test à 2). Les missions institutionnelles ou les modalités d'intervention constituent les aspects les plus immédiats et ne témoignent pas d'une connaissance approfondie des activités déployées en synergie avec les leurs. La conception des pratiques qui représente le point le moins souvent évoqué (zzJcp : valeur-test à –2,7) va d'ailleurs dans le sens d'une approche superficielle des aides spécialisées.

Ces résultats peuvent être visualisés page suivante sous forme de nuage.

L'axe 1 désigne les démarches collectives de réseau, plus ou moins élaborées, mises au service de la mission d'aide particulièrement dévolue au RASED. Il dépeint le partenariat comme thème d'affrontement plus ou moins marqué entre ceux qui y sont indifférents et ceux qui cherchent à le mettre en place. Cette ligne de partage est déterminée par les positions des enseignants généralistes opposées à celles des spécialisés d'une part et les mots codés zzAmi et zzPgl. Ces deux éléments ont tendance, dans ce cas, sinon à se superposer, tout du moins à être convergents. Cet axe présente d'un côté une focalisation sur des finalités globales aux moyens indéterminés et de l'autre une priorité donnée à des formes générales de travail en commun.

L'axe 2 apparaît comme celui de la connaissance des pratiques en général, allant d'une subjectivité débridée à une objectivité contenue par un cadre éthique et théorique. Il met en opposition le corps des inspecteurs et celui des formateurs. Les premiers portent un regard critique, peu étayé sur des éléments objectifs, vis à vis de pratiques mises en place par le RASED tandis que les formateurs présentent de façon plus distanciée la nature des activités proposées.Les mots codés appuyant cette différence vont de zzJap à zzAob et dessinent deux approches dissonantes. Les jugements suscités par l'évocation du sigle témoignent d'affects peu contrôlés, d'infiltrations émotives prépondérantes marquées par la suspicion. Ils s'élèvent contre des observations confiantes décrivant des pratiques ou ce qu'elles sont supposées être.

L'axe 3, non représenté mais apportant un éclairage complémentaire, introduit une dimension partenariale fine, à l'interne du RASED, allant de son affirmation à sa critique. Il place en effet d'une part les IEN à l'opposé des enseignants spécialisés et d'autre part zzJap à zzPin.

Le bilan de ce repérage statistique revêt une apparence plutôt sombre. L'analyse des représentations recueillies chez l'ensemble des professionnels concernés par les aides à l'école et leur organisation en RASED fait apparaître deux préoccupations fondamentales liées au travail en réseau. L'une a trait à la connaissance des aides et des fonctions spécialisées ; l'autre au partenariat.

La connaissance des aides et des fonctions spécialisées draine un nombre important de représentations. Elle tend à mettre en opposition des acteurs qui possèdent un savoir à la fois concret et conceptualisé à d'autres qui avouent leur ignorance parfois quasi totale en ce domaine. Ce déficit rend difficile l'identification des partenaires potentiels et alimente des opinions non fondées ou des positions idéalisées.

Comme le montre le graphique récapitulatif précédent, le travail en réseau appelle principalement soit des représentations défavorables liées à des conceptions controversées ou des pratiques insatisfaisantes, soit des définitions théoriques reflétant des aspirations loin d'être atteintes.

Chez les supérieurs hiérarchiques, la tendance est à l'orage. Leurs réactions, peu nuancées, peuvent traduire un manque de professionnalisme notoire des aidants, des a priori défavorables à leur égard ou un panachage de ces deux suppositions. En posant comme postulat que les maîtres E et G ne sont pas des professionnels plus mauvais que le commun des enseignants généralistes - simplement humains, ni parfaits, ni exécrables - la défiance à leur égard pourrait être l'écho d'un malaise à explorer. Par ailleurs, chez les enseignants généralistes, le manque de présence effective du RASED introduit un biais certain. Les aides susceptibles d'être apportées sont soit idéalisées, soit rejetées. L'image archétypale qui s'en dégage est celle d'un jugement extrême : ange ou démon, la position médiane étant rarement suggérée. Elle nuit inéluctablement à la qualité du travail commun.

Le thème du partenariat fait l'objet, en creux, d'une autre préoccupation tout aussi conséquente. Le peu d'importance accordé au thème de la collaboration et du partenariat montre plus précisément des réseaux en mal de sève. Les connexions établies entre personnel de RASED et maîtres d'école sont en souffrance : elles ne font l'objet ni d'un intérêt professionnel spontané, ni de préoccupations liées intrinsèquement à la difficulté ou à la réussite des élèves.

Dans l'imaginaire collectif, le RASED souffre d'un manque de reliance interne. Il a tendance à être perçu comme un dispositif parallèle non intégré aux équipes d'enseignants. Il semble aussi non intégratif, autrement dit cultivant son identité, tout comme le font aussi nombre de généralistes. Les professionnels non spécialisés et notamment les enseignants généralistes se situent spontanément en dehors de "l'équipe de réseau" quand ils parlent de leur travail avec le RASED. Certains revendiquent pourtant une place dans ce groupe, en se positionnant comme partie-prenante d'un fonctionnement réticulaire, à égalité avec les spécialisés. La collaboration avec le personnel spécialisé apparaît ainsi comme un thème privilégié opposant de façon plus ou moins marquée ceux qui s'en désintéressent et ceux qui cherchent à le mettre en place. Une autre image archétypale, guère plus nuancée que la précédente, surgit de ce constat : le spécialisé oscille de l'acteur solitaire au partenaire solidaire.

En contrepoint, apparaît une dimension éthique. La manière de considérer autrui et de parler de lui, qu'il soit professionnel, parent ou élève, détermine la qualité relationnelle des échanges. Elle engage ainsi la portée éducative des pratiques et l'efficacité de l'ensemble du système scolaire. La posture adoptée détermine la qualité des échanges professionnels et laisse entrevoir la question de la parole au cœur du partenariat.

La partie suivante est l'occasion d'approfondir, par une étude qualitative de la totalité des entretiens, les deux principales préoccupations mises à jour. Nous allons ainsi étudier à la lumière successive des concepts de réseau, reliance et parole les dysfonctionnements liés à la connaissance des pratiques d'aide et au partenariat entre acteurs.

En résumé

L'étude statistique des représentations suscitées par les expressions constitutives de l'existence du RASED - "enfants en difficulté", "réussite à l'école","maître E", "maître G", "RASED" – conduit à dégager les réponses significatives par groupes de professionnels interviewés.

La notion de difficulté appelle des remarques tournées majoritairement vers l'élève, accompagnées de jugement de valeur sur la situation. Spontanément, elle suscite peu d'actions permettant d'endiguer ou de lutter contre les manifestations décrites. Parmi elles, le partenariat est presque inexistant. Les réponses recueillies s'organisent selon deux axes identiques d'analyse des situations oscillant chacun d'une centration soit sur l'élève, soit sur le professionnel.

La notion de réussite est déconnectée de toute évocation ayant plus ou moins trait à celle d'équipe. Elle est abordée dans une perspective individuelle principalement liée à l'élève. Deux axes se dégagent : l'un positionne les interviewés selon leur analyse de la réussite, l'autre selon leur mode d'engagement.

La fonction de maître E, tout comme celle de maître G, occasionne peu de représentations liées à la collaboration. Les réponses obtenues sont symétriques pour les deux dominantes. Elles se répartissent en premier lieu sur l'axe de la connaissance concrète de l'aide considérée et en second lieu sur celui de sa conceptualisation.

Le sigle RASED déclenche pour sa part le total le plus conséquent d'évocations liées au partenariat (1/5). Mais, ce résultat apparaît modeste étant donné qu'il s'agit de la nature et de l'intérêt même du dispositif. Les expressions recueillies se ventilent selon l'axe du partenariat qui oppose partisans et indifférents, et celui de la connaissance des pratiques allant d'une subjectivité débridée à une objectivité cadrée.

Les traits dominants qui résultent de cette étude mettent en lumière deux préoccupations fondamentales source de conflit : la connaissance des pratiques mettant en contraste initiés et ignorants, le déficit de représentation liée au partenariatcréant un antagonisme entre ceux qui le souhaitent et ceux qui le tiennent pour superflu.

Notes
304.

Voir la liste des mots Q2c par ordre de fréquence A2 p. 974

305.

Voir le classement des mots Q2 à partir des codages A2 pp. 971-972 et le tableau statistique de distribution des fréquences des formes graphiques Q2c p. 973

306.

Voir A2 p. 974

307.

Se reporter aux tableaux VOSPEC Q2c variable AIS A2 p. 978

308.

Se reporter aux tableaux VOSPEC Q2c variable corps de métier A2 pp. 979-980

309.

Se reporter aux tableaux VOSPEC Q2c variable fonctions professionnelles A2 pp 981-984