1.1.2. De la péjoration à la condamnation

Presque un quart des évocations à propos du RASED 315 font état de ressentis, d'appréciations ou d'évaluations nettement péjoratives. Sur 84 expressions recensées, seulement 17 réponses positives viennent à la suite d'une longue litanie défavorable 316 . Les difficultés multiples sont référées au contexte mais surtout aux pratiques elles-mêmes. Un reproche majeur porte sur l'autonomie des personnels qui échappent au contrôle direct des inspecteurs et vont jusqu'à mettre en défaut leur autorité.

E06 Jean-Luc A1 p. 111

‘Ce sont desélectrons libres. J'ai beaucoup travaillé dans des secteurs ruraux, c'est vrai que sans généraliser, il y a du personnel on ne sait pas trop où ils sont ni ce qu'ils font. Quand on veut les voir, il faut trois jours, quatre jours, ils n'ont pas laissé d'adresse, alors évidemment... et savoir ce qu'ils font..."’

L'indépendance des professionnels est par nature équivoque. Elle se paie d'une suspicion d'absentéisme, de déresponsabilisation ou d'incompétence. Elle alimente toute une série de ressentis, d'opinions, d'émotions à peine contenues, allant du scepticisme à la condamnation à peine voilée.

E11 Rosine A1 p. 171

‘"Après avoir fonctionné dix ans en réseau et après avoir vu fonctionner mon réseau je suis assez sceptique en ce qui concerne l'aide que peuvent apporter les réseaux d'aide."’

E17 Lionel A1 p. 238

‘Une occasion ratée,oui. (…) Si on avait pu vraiment bien connaître et bien travailler sur leur formation, bien les mettre en place, ça pouvait être des éléments de médiation intéressants entre les différents acteurs qui gravitent autour d'un enfant dans l'école.’

Le pire va jusqu'à l'aveu d'échec cuisant : le dispositif est condamnable, non dans son esprit, mais dans son application.

E18 Gabriel A1 p. 248

‘"[Le] RASED, [c'est] quelque chose qui échappe, qui brouille au lieu de clarifier... qui sécrète une dynamique en rupture avec la mission qui est donnée... C'est d'une certaine manière quelque chose qui relèverait non pas de l'inutilité mais dugâchis par rapport au produit".’

Le reproche de confusion fonctionne comme un signal d'alarme. Ce n'est pas le dispositif de réseau en lui-même qui suscite de fâcheuses appréciations mais bien ce qu'en ont fait tous les personnels concernés, de l'enseignant de base au responsable politique. Les enseignants généralistes ne se remettent pas toujours suffisamment en question. Ils sollicitent à tort le RASED et sèment le trouble au niveau des indications d'aide et des critères de prise en charge.

E22 Anne-Lise (formatrice IUFM option E ) A1 p. 305

‘" Je pense qu'il y a un tiers des pratiques de maîtres spécialisés, des réseaux qui est utile. Et deux tiers qui sont là uniquement par défaut pour se substituer aux défauts du système... […]’ ‘- Est-ce que vous pourriez préciser, identifier, caractériser les défauts du système ?’ ‘- Eh bien, l'incapacité à véritablement prendre en compte la vérité des élèves, de leur situation, de leur difficulté d'apprentissage et de s'intéresser à ça... Si [les généralistes] étaient capables de vraiment s'intéresser aux élèves en tant que sujets apprenants et de les accompagner à la fois dans l'enseignement et dans l'aide en classe, il y aurait beaucoup moins besoin du réseau et des enseignants spécialisés (rires)...’

Les professionnels spécialisés ainsi que les enseignants généralistes privilégient parfois une logique d'isolement située aux antipodes d'une logique de réseau. La notion de logique mérite attention. Jean-Marie Gillig en propose la définition suivante : "ensemble de principes et d'action visant à constituer les conduites en systèmes" 317 . Dans une logique de réseau, le maître quitte les sentiers de l'enfermement pour nouer des alliances flexibles. Celles-ci peuvent se modéliser en un tout organisé d'après la distribution des places, la nature des échanges et le type de fonctionnement adopté. Le modèle obtenu s'enracine dans une dimension éthique où l'autre est reconnu comme tel. Il implique des pôles professionnels clairement identifiés et des connexions organisées, suffisantes en nombre et en qualité. Tout déterminisme laisse alors place à des solutions souples et inventives. Au contraire, dans une logique d'isolement, le maître développe des pratiques closes sur elles-mêmes.

E19 Florence A1 p. 261

‘"Introuvable parce que j'ai l'impression que ça n'existe pas, c'est-à-dire qu'il y a des personnes, il n'y a pas de réseau."’

E40 Stanislas A2 p. 533

‘"Je n'aime pas trop le terme de réseau parce que je n'ai pas trop l'impression que c'en est un. Je ne trouve pas que les enseignants s'investissent suffisamment pour que le terme de réseau soit justifié, réseau sous-entend échange... "’

Le fonctionnement particulier que devrait imposer le dispositif RASED semble peu mis en oeuvre par le personnel lui-même.

E31 Christelle A1 p. 437

‘" GAPP, J'ai vécu la transformation de GAPP en RASED et je n'ai rien vu de changé alors... c'est ce qui m'a le plus frappé. (…) On s'est rendu compte qu'il n'y avait que l'appellation qui avait changé même après quelques années, et pas la formule, enfin le fonctionnement. ’

Si la logique de réseau, prônée dans les textes officiels, est difficile à repérer sur le terrain, force est de reconnaître que les pouvoirs politiques ne créent pas les moyens nécessaires à sa mise en place. De ce fait, le sigle RASED évoque à nouveau une discordance entre le projet initial et sa concrétisation.

E02 Louis A1 p. 63

‘"Pour moi le RASED doit constituer véritablement un réseau. (…) Avec des difficultés quand ils ne sont pas suffisamment nombreux pour assurer la totalité des écoles".’

E50 Marguerite A2 p. 656

‘"Je trouve que (réseau) c'est un mot plus ambitieux (que GAPP), qui recouvre des ambitions qui ne sont pas à la hauteur des réalités. Réseau, on a l'impression qu'il va y avoir beaucoup de gens, que ça va toucher beaucoup de gens, il y a beaucoup de choses qui vont se mettre en place. Dans la réalité, on est peu nombreux, on se court un peu après, (…) les ambitions ne sont pas à la hauteur des moyens, en particulier dans une ZEP comme celle-là, où il y a beaucoup de difficultés."’

Notes
315.

Voir le tableau statistique de distribution des fréquences des formes graphiques Q2c p. 973

316.

"pas_réseau, GAPP, difficultés (x6), difficulté_concrétiser, difficulté_aide, problème, manque_formation, certitudes, emmerdeurs, pas_efficace, inefficacité (x2), distorsions, dysfonctionnements, pseudo_psychanalyse, dispersion, place_ambiguë, électron_libre, marginalité, isolement, pas_intégration, coupure_école, décalage, manque_complémentarité, définition_rôles, confusion, incompréhension, évaluation, opacité, énigmatique, mystère, ne_sais_pas, lisibilité, flou, pas_assez_échanges, difficulté_rencontre, communication, affoler_parents, difficulté_reconnaissance, échec_personnel, conflit, frustrant, malaise, malaise_identitaire, mal_perçu, fuite, planqués, solitude, introuvable, loupé, gâchis, dommage, scepticisme, futur, momentanéïté, ambivalence, tentative, quête_réseau, bonne_idée, bonne_occasion, potentiel, ambitions, reconnaissance, rôles_bien_définis, identité_forte, professionnalisme, désir_écoute, engagement_sincère, mission_aide, envie_aider, amour, résultats_positifs, utile, utilité, générosité, efficacité, aide, nouvelles_méthodes, solutions." (Classement des mots Q2 à partir des codages A2 pp. 971-972)

317.

GILLIG J.M. (1996) Intégrer l'enfant handicapé à l'école, Paris, Dunod, p. 87