1.2.2. Des spécificités difficiles à définir

Quand la qualification est reconnue en tant que telle, elle ne fait pas forcément l'objet d'une approche élaborée. C'est le cas aussi bien de l'aide à dominante pédagogique que de la rééducation. Pour nombre d'acteurs, ces aides restent souvent difficiles à appréhender et à expliquer. La première barrière est langagière. L'usage de lettres, réservées à un diplôme et n'ayant aucune signification intrinsèque, apparaît dangereux. Il tend à vider de son contenu tout type d'aide et à nécessiter des explications perpétuelles.

E31 Christelle (formatrice E) A1 p. 443

‘[ E et G]c'est une drôle de dénomination... [les enseignants] ne savent pas ce que ça recouvre exactement. Souvent ils m'ont demandé qu'est-ce que c'est E ? Qu'est-ce que c'est G ? Je crois qu'il faudrait une information beaucoup plus précise."’

La difficulté à comprendre en quoi consistent précisément les actions spécialisées émerge à plusieurs reprises à la fois à propos du RASED et des aides à dominante pédagogique ou rééducative. Trois catégories de professionnels proposent ce type de réponse : certains formateurs trop centrés sur leur spécialité, des enseignants spécialisés exerçant sur des postes de RASED et peu sensibilisés aux aides pratiquées par leurs collègues, des enseignants généralistes n'ayant jamais eu l'occasion de collaborer avec soit le maître E, soit le maître G, alors même qu'un RASED intervient dans l'école.

La difficulté des formateurs à expliciter l'option voisine à la leur est surprenante. Elle trahit l'incompatibilité de leurs valeurs respectives et dessine deux camps idéologiques en opposition.

E24 Liliane (formatrice G à propos de l'aide de type E) A1 p. 337

‘[A propos de l'aide de type E] "C'est... c'est... aide pédagogique, école. Je connais mal... Dans ce que j'en imagine ? (…) A mon avis c'est plus compliqué que rééducateur. Je n'y crois pas bien, c'est bâtard."’

Elle souligne aussi leur manque d'accoutumance à un travail d'équipe, entre eux et entre leurs groupes d'élèves-maîtres. L'étanchéité des formations peut alors se lire comme un indicateur des pratiques de terrain. Façonnées par ce passage initial, celles-ci reproduisent avec facilité le clivage déjà expérimenté.

E33 Gaël (formateur E) A1 p. 466

‘[A propos de l'aide rééducative] "Je ne sais pas trop, je ne sais pas comment répondre parce que je n'ai pas travaillé avec des formateurs de l'option G. Je n'ai pas une véritable connaissance de leur spécificité. Les maîtres G que j'ai rencontrés et connus étaient très variés."’

Les enseignants spécialisés eux-mêmes, appelés à travailler dans une équipe de RASED, témoignent aussi de l'insuffisance de leurs savoirs.

E39 Monique (maître E) A2 p. 522

‘[A propos de l'aide rééducative] "Je ne sais pas... parce que je ne connais pas leur travail... ’ ‘Je pense qu'ils s'attachent plus au comportement de l'élève que moi... Moi, franchement, je ne pourrais pas être maître G... (rires)"’

E57 Myriam (psychologue scolaire) A2 p. 743

‘[A propos de l'aide rééducative] "Maître G, je suis très déçue parce que je ne les connais pas les maîtres G en fait. Ce sont des personnages un peu mystérieux bien que j'en aie côtoyé à Firminy pendant presque dix ans, donc je ne peux pas dire que je ne connais pas…"’

Les enseignants généralistes ont une véritable propension à ignorer la nature précise des actions spécialisées. La moitié d'entre eux (10 interviewés sur 18) 322 affirment leur difficulté à parler de l'aide E, un quart seulement en ce qui concerne l'aide G 323 .

E63 Madeleine (enseignante MS/GS) A2 p. 800

‘[A propos de l'aide de type E] "Moi, je ne vois pas bien quel est le travail du maître E finalement."’

E71 Bérangère (enseignante CE1/CE2 à propos de l'aide de type E) A2 p. 871

‘[A propos de l'aide de type E] "Ici on n'a pas de maître E. Donc c'est un peu difficile de répondre quand on n'a pas cette expérience-là."’

E 77 Martin (directeur d'école élémentaire) A2 p. 925

‘[A propos de l'aide rééducative] Maître G, je n'ai jamais eu l'occasion d'avoir affaire avec eux. Je ne les connais pas bien.’

E78 Jean Noël (directeur d'école élémentaire) A2 p. 933

‘[A propos de l'aide de type E] Alors là, maître E je ne sais pas exactement ce que ça veut dire...’

Les explications proposées pour justifier ce substrat d'ignorance sont multiples. Elles reposent à la fois sur des éléments conjoncturels, dépendants de l'histoire ou du territoire, et sur des éléments structurels liés à l'attitude des professionnels, à l'encadrement institutionnel, au profil des postes et plus gravement à la nature même des aides. Le manque de connaissance résulte tout d'abord de facteurs conjoncturels repérables dans le temps ou l'espace. Le premier fait indéniable découle de l'évolution historique des diplômes, comme le souligne une psychologue scolaire :

E57 Myriam A2 p. 743

‘Mais à l'époque ils n'ont pas toujours eu l'appellation maître G. C'était des rééducateurs en psychomotricité et des rééducateurs en psychopédagogie. Le rééducateur en psychopédagogie était très centré sur le pédagogique et faisait en fait office de maître E si j'ai bien identifié son action. En revanche, la rééducatrice en psychomotricité était plus du côté du maître G."’

Le second fait non moins important a trait à la répartition des différents postes constituant les RASED sur l'ensemble du territoire. Comme leur nombre est resté sensiblement identique à celui des postes en GAPP, la transformation du dispositif a entraîné une modification profonde des lieux d'exercice, la totalité des écoles étant alors théoriquement couverte. Concrètement les réseaux ont pu fonctionner soit avec la totalité des différentes fonctions (psychologue, maître E, rééducateur) soit avec seulement deux d'entre elles, soit même une seule. Cette insuffisance de professionnels sur le terrain concourt à la méconnaissance institutionnelle du dispositif tel qu'il devrait exister.

E60 Clémence A2 p. 776

‘Les différentes aides, ça je crois que les enseignants ne comprennent pas trop. Si le psychologue est ciblé, même trop ciblé, après quand on leur parle adaptation, rééducation, là ils ne savent plus et je crois que c'est à juste titre. Comme c'est fait, c'est quand même un bon mélange de tout puisque dans certaines écoles il n'y a qu'une adaptation, dans d'autres, il n'y a que la rééducatrice, dans d'autres il n'y a que le psychologue, c'est vrai qu'après ils nagent. Leur seul repère, c'est le lieu d'aide, ils savent qu'on va les écouter, les entendre et arriver à voir quelque chose par rapport à l'enfant ou la famille.’

Le comportement des enseignants spécialisés est sévèrement critiqué. Si leur travail est mal connu, c'est qu'ils n'ont pas cherché suffisamment à le présenter et à l'expliquer. Les échanges restent problématiques, entretenant de ce fait un manque de connaissance des pratiques de réseau. Le déficit en matière de clarté et de lisibilité est un constat fréquent, surtout chez le personnel d'encadrement.

E02 Louis A2 p. 63

‘"Opacité parce que le fonctionnement en réseau est un fonctionnement qui n'est pas facile à lire de l'extérieur. (…) Pour les parents, même pour les enseignants, le réseau c'est quelque chose d'assez vague, d'assez flou. Certains ne savent même pas ce que c'est, les jeunes sortant de l'IUFM ne savent même pas ce que c'est que les réseaux d'aides... Le temps qu'ils comprennent le rôle des différents personnels qui le composent, il peut se passer plusieurs années. De l'extérieur, même pour certains partenaires, il y a quelques difficultés à comprendre ce que c'est qu'un réseau d'aides et à quoi ça sert."’

E17 Lionel A2 p. 238

‘L'incompréhension [est pour une part] causée par eux-mêmes, ils n'ont peut-être pas tellement cherchés à ce qu'on les comprenne au départ... ils n'ont pas été communicants. Un des grands défauts des réseaux d'aide comme auparavant d'ailleurs des groupes d'aide psychopédagogiques, a été de commettre une erreur quant à l'absence de visibilité de leur fonction et de leur charges... et pour beaucoup, c'était des gens payés à se balader de classe en classe, qu'on contrôlait peu, leurs propres collègues ne savaient déjà pas trop ce qu'ils faisaient.’

L'obstacle à la compréhension provient non seulement de la complexité du travail mais aussi de la pauvreté des confrontations avec les différents interlocuteurs. Cette carence préoccupante se découvre dans la difficulté des professionnels spécialisés à exposer et à argumenter leurs pratiques avec précision et intelligibilité.

E15 Roger A1 p. 214

‘"[Manque de] lisibilité. Le côté négatif des choses, c'est l'extrême confusion dont font preuve les personnels du réseau lorsqu'ils doivent expliquer et justifier leurs papiers, c'est-à-dire présenter par exemple un emploi du temps qui soit explicite, et revenir précisément sur leur activité pour légitimer avec un peu de rigueur leurs choix. Ils ne savent pas rendre compte de leur activité, ils se sentent mis en cause quand on les questionne."’

Au déficit de restitution attribué aux professionnels de terrain s'ajoute aussi un défaut d'analyse et d'anticipation institutionnelle à plus haut niveau, notamment en terme d'encadrement et de formation des personnels de RASED.

E17 Lionel A1 p. 238

‘"[L']incompréhension provient aussi du loupé de l'institution vis à vis des réseaux qui n'a pas toujours été très claire avec eux".’

E31 Christelle A1 p. 438

‘[Les professionnels de RASED] n'ont pas senti la différence qu'il pourrait y avoir entre ce qu'ils faisaient avant [en GAPP] et ce qu'on leur demandait de faire maintenant..."’

La responsabilité de l'Institution est aussi évoquée dans l'addition successive de mesures qui manquent de cohérence préalable. La situation devient de plus en plus complexe, l'analyse de l'ensemble laborieuse et la maîtrise impossible. Les niveaux d'aide s'empilent à la manière d'un millefeuille, sans concertation et sans pilotage.

E50 Marguerite A2 p. 657

‘[La maîtresse E qui a un très vaste territoire à couvrir] a eu envie de prendre un peu d'air par rapport à l'équipe parce qu'elle était amenée à faire du décloisonnement, elle était vécue comme un maître supplémentaire, comme l'est un zépien etc. (…) [un zépien] est un maître supplémentaire qui est affecté sur le poste ZEP, un instit, un adjoint. Toutes les écoles n'en ont pas. Un zépien a un secteur. Là, il fait deux groupes scolaires. Lui, ne fait pas de pédagogie spécialisée mais il a des groupes etc.’

Mais de façon plus inquiétante, la nature des aides elle-même est contestée. Si la lisibilité et la compréhension des actions conduites s'égarent dans un dédale obscur, c'est qu'elles relèvent peut-être d'une mission impossible.

E19 Florence A1 p. 264

‘"Mystère(...) Il y a des activités dites de rééducation dont j'ai toujours pensé qu'on ne savait pas trop en quoi elles consistaient et ça m'évoque ce mot de Cocteau mais je ne vais pas savoir vous le dire exactement, ce n'est pas une citation exacte mais quelque chose comme : "puisque ces mystères nous échappent, feignons de les organiser"... En gros on ne sait pas ce sur quoi on travaille mais si ça s'arrange, on dira qu'on y a participé... Et je ne suis pas sûre qu'il n'y ait pas de ça assez souvent."’

De tels propos, brossant un climat général de flou et de malaise, esquissent à l'évidence les difficultés de communication, entre les pôles du RASED d'une part, et entre spécialisés et généralistes titulaires de classe ordinaire.

Notes
322.

Voir les résultats du codage zzJap dans le classement des mots Q3 à partir des codages A2 p. 998

323.

Voir les résultats du codage zzJap dans le classement des mots Q4 à partir des codages A2 p. 1026