1.2.3.2. Des connexions endommagées

La qualité des contacts, formels 330 ou informels 331 , peut également être touchée. Une première détérioration peut se lire dans la stéréotypie ou la passivité de l'un ou l'autre pôle appelé à communiquer. Quand les situations, pourtant toutes singulières, sont présentées ou traitées au moyen de recettes, les connexions existent mais elles sont pétrifiées. Lorsqu'elles appellent des comportements d'attente apathique, les relations sont prises dans un carcan d'inertie. Ainsi les actions spécialisées restent-elles en surface, tel un vernis ou un décorum.

E11 Rosine A1 p. 171

‘"Je pense qu'il n'y a pas une intégration réelle de leurs actions dans le système éducatif. (…) La demande c'est un cheminement, c'est un accompagnement, c'est une aide apportée aux personnes pour que la demande puisse émerger. Quand on se met dans une position où l'on attend que la demande soit formulée d'elle-même, je pense qu'on n'est pas dans une position d'aide."’

Une seconde dégradation fréquente résulte de la discorde initiale régnant dans une école. Le RASED est happé dans le conflit, contaminé par une situation qu'il est parfois impuissant à faire évoluer.

E52 Murielle A2 p. 682

‘Ça ne circule pas déjà entre maternelle et élémentaire donc nous on est aussi pris dans cette situation de non-circulation des échanges... Quand ça ne circule pas, c'est que ça circule déjà mal dans l'école, entre eux. Je pense que c'est un problème de personnalité de directrice… deux directrices qui n'ont peut-être pas envie de travailler en équipe, je pense.’

Une autre atteinte peut provenir de l'intérieur même du RASED, du fait d'une collaboration hasardeuse ou insuffisante. Les connexions s'établissent alors selon des schémas préétablis, sans s'appuyer véritablement sur une nécessité analysée en équipe. Un enseignant spécialisé par exemple peut se désolidariser de ses collègues et prendre des initiatives que ceux-ci n'auraient pas approuvées.

E50 Marguerite A2 p. 658

‘J'ai vu que [la maîtresse E] a refait ça ces jours, elle a bien repris des enfants sans qu'on en ait discuté en synthèse, suite à des discussions entre deux portes.’

E58 Anne-Marie A2 p. 751

‘Il faut qu'il y ait vraiment collaboration entre les trois collègues, je dis trois en pensant aux fonctions, on peut être cinq personnes… On l'a touché du doigt cette fin d'année, il faut que le cas d'un enfant soit vraiment étudié par le réseau et après que ce soit le réseau qui décide de qui doit faire quoi. Sur le secteur dans lequel je travaille, il y a une pratique d'enseignants – qui peut-être étaient habitués au GAPP – qui disent en début d'année : "ça c'est pour Damien, ça c'est pour Isabelle". On le regrette beaucoup en cette fin d'année, ça ce n'est pas un travail de collaboration.’ ‘- Si j'ai bien compris, les indications sont imposées par les enseignants et non pas par l'équipe de réseau ?’ ‘- Voilà. Et c'est une chose à laquelle on doit être très vigilant. Il y a effectivement un gamin dont on vient de parler, le maître E dit, et maintenant il s'en rend bien compte, il dit "ce gamin-là n'est pas pour moi", mais l'enseignante n'en a jamais parlé au maître G. En cours d'année, le maître E s'est retrouvé avec ce gamin, ça n'a pas été analysé correctement entre nous et puis voilà.’

Quand le RASED n'existe pas comme dispositif partenarial, les généralistes sont alors susceptibles de peser lourdement sur les décisions de prise en charge, au point d'imposer leurs vues.

E56 Marie-Rose A2 p. 731

‘Les aides se mettent en place à partir des indications des enseignants. (…) Là, j'avoue… c'est quand même les enseignants qui décident.’

Au-delà du difficile travail d'indication, la mise en place et le déroulement ultérieur de l'aide tuent souvent toute réelle possibilité de collaboration. L'enseignant peut être totalement ignoré après la phase de signalement et tenu en dehors du travail effectué avec l'élève et sa famille. Les seules connexions se limitent alors essentiellement aux contacts de début et de fin de prise en charge.

E63 Madeleine A2 p. 801

‘Je signale les enfants au début d'année. J'attends souvent les vacances de la Toussaint. Immédiatement une fiche est faite. Un rendez-vous est donné aux parents qui rencontrent aussi le psychologue. Il y a un planning qui est fait. Voilà on viendra chercher l'enfant.’ ‘- Est-ce qu'il y a quelqu'un du réseau qui vient discuter avec vous, observer l'enfant dans la classe ?’ ‘- Non, jamais.’ ‘- Est-ce que vous faites le point régulièrement sur ce qui se passe en rééducation ?’ ‘- Jamais.’ ‘- En classe ?’ ‘- Jamais.’ ‘- Est-ce qu'il y a un contrat bâti ensemble avec des objectifs à poursuivre en rééducation et d'autres à poursuivre conjointement en classe par exemple ?’ ‘- Jamais. J'ai l'impression que c'est plus une affaire avec les parents. Voilà on rencontre les parents, on voit avec eux et ce que le maître peut signaler à la limite on s'en moque.’

De façon moins excessive, les spécialisés peuvent porter atteinte à la vitalité des échanges. Parfois, ne respectant pas les directives officielles, ils conduisent leurs actions dans une approximation qui économise fréquence des rencontres, matière à débattre et rigueur dans le suivi des aides.

E53 Brigitte A2 p. 691

‘- Y avait-il eu un projet établi en commun ? ’ ‘- Un projet non, mais je parlais [avec l'enseignant] du travail conduit en rééducation.’

E50 Marguerite A2 pp. 846-847

‘- Etablissez-vous un projet écrit avec l'enseignant pour les enfants que vous suivez ?’ ‘- Ecrit, non. Le projet c'est d'abord oral, c'est au niveau des synthèses.’

E48 Gregory A2 p. 632

‘Le projet n'est pas toujours écrit parce que c'est une contrainte importante autant pour le réseau que pour l'instit.’

Les contacts, après la décision de prise en charge et pendant la mise en œuvre de l'aide spécialisée, ne sont pas pensés comme indispensables : ils apparaissent comme accidentels, peu organisés et peu formalisés.

E53 Brigitte A2 p. 692

‘- Organisez-vous des rencontres avec l'enseignante de la classe ou avec le conseil de cycle, par exemple à propos de cet enfant [que vous aidez] ?’ ‘- Non, c'est assez fortuit, entre deux portes par exemple. Encore que parfois on a fait des synthèses à trois, avec le psychologue et l'enseignante, où on a parlé de ça. Mais c'est irrégulier et ça dépend des enfants.’

E70 Marion A2 p. 860

‘"C'est arrivé, sur le pas de la porte, que je montre un exercice et que Bernadette me dise "tu vois nous on a fait ça"... mais on ne se tient pas régulièrement au courant. Elle les emmène, elle les prend et c'est un petit peu chacun fait son travail.’

En dehors de ces lacunes marquées, les professionnels de réseau s'octroient fréquemment la maîtrise des actions en définissant eux-mêmes les projets des élèves à partir des signalements, bilans, observations etc. Ces projets sont ceux du RASED avant d'être le produit d'une élaboration conjointe comprenant deux volets complémentaires : l'un spécialisé, à charge du réseau, et l'autre généraliste, à mettre en œuvre par l'équipe de maîtres dans l'école.

E39 Monique A2 p. 525

‘"Comment et par qui ces projets sont-ils élaborés ?’ ‘Pour les enfants que je vais prendre, je regarde les bilans, j'écris les objectifs, ce que je pense faire, et puis je le montre à l'enseignant pour savoir s'il est d'accord."’

E41 Yvette A2 p. 548

‘"Quand ils font un signalement, moi, je fais un contrat de prise en charge où j'explique ce que je vais faire. Après ils le lisent et ils le signent. ’ ‘- C'est vous qui élaborez ce contrat-là ? ’ ‘- Oui, enfin c'est une feuille que je remplis. Je pars du signalement de l'instit et puis après je marque ce que le réseau peut faire, la fréquence, les matières, le contenu pédagogique et puis c'est signé, par le directeur aussi."’

E46 Olga A2 p. 605

‘Je fais le projet, ensuite j'en discute en réseau avec le maître E et le psychologue, je l'écris, ensuite je vois l'instit, je lui propose, elle dit oui ou non ou précise certaines choses, ensuite le directeur le signe et ensuite je vois les parents en disant : "voilà ce qui a été décidé et les parents disent oui ou non".’

La plupart du temps, les enseignants sont mis en demeure d'approuver ce qui a été pensé sans eux. De telles pratiques, muselant la créativité des généralistes, sont fondamentalement contraires à un fonctionnement réticulaire.

Si les connexions internes au RASED sont indispensables, elles ne peuvent s'établir sans leurs homologues externes. Leur totalité donne une indication de la vitalité du réseau formé par les enseignants spécialisés et généralistes.

Notes
330.

c'est-à-dire institutionnalisés sous forme de conseils, de synthèses ou de réunions programmées

331.

relevant de rencontres fortuites : dans la cour de récréation, dans le couloir, sur le pas d'une porte, autour d'un café etc.