1.3.2. Des pratiques d'encadrement significatives

Le repérage des pratiques d'encadrement témoigne de la difficulté réelle du pilotage des RASED. En préalable, les IEN critiquent le dénuement dans lequel les laisse eux-mêmes l'Institution. Qu'ils aient bénéficié d'une préparation à l'inspectorat avant la création des réseaux ou après, ils dénoncent d'une part le manque de formation concernant les dispositifs d'aide et leur pilotage et d'autre part le peu d'outils conceptuels et concrets mis à leur disposition.

E01 Thomas A1 pp. 45-46

‘- "Comment estimez-vous votre formation par rapport au système d'aide organisé en RASED ?’ ‘- Quasi inexistante.’ ‘- Avez-vous eu de la formation continue dans ce secteur-là ?’ ‘- On n'a pas de formation, on n'a que des informations lors de conseils d'inspecteurs, lorsqu'on a connaissance des modifications de modalités de recrutement, des modalités de formation..."’

E06 Jean-Luc A1 p. 111

‘"On n'a pas de prise sur les réseaux. (…) Mais c'est un problème qui nous incombe aussi puisque c'est nous qui avons le pilotage... Or piloter sans commande et sans instrument c'est toujours une difficulté".’

De ce fait, l'insuffisance, voire l'absence de pilotage est souvent reconnue par l'ensemble des professionnels : inspecteurs, formateurs ou enseignants.

E30 Serge A1 p. 422

‘"Ils sont dans le flou les enseignants des réseaux actuellement... ne sachant plus très bien ce que l'Institution attend d'eux. (…) Je crois qu'il y aurait vraiment une nécessité de cadrer, d'expliciter, de donner des éléments qui permettraient à ces gens de se diriger... Une boussole peut-être."’

E31 Christelle A1 p. 438

‘"[Les enseignants spécialisés] ne savaient pas ce que ça voulait dire [fonctionner en réseau] et on n'a pas fait de travail dans ce sens, c'est nous qui sommes en cause là. (…) On n'a jamais parlé d'option de fonctionnement. L'option a été choisie par l'inspecteur sans réelle étude de besoins, ça s'est fait comme ça de façon intuitive sans base réfléchie."’

E55 Albert A2 p. 722

‘L'animateur du RASED c'est normalement l'inspecteur de l'Education Nationale. J'ai connu quatre inspecteurs. Aucun n'a eu une ébauche de ce rôle.’

Ce laisser-aller s'explique par la difficulté de la tâche et le changement de mentalité demandé implicitement aux inspecteurs. Il s'agit pour eux d'élargir leur équipe de personnes ressources et d'y intégrer les RASED.

E21 Patricia A1 p. 288

‘[L'IEN] a un groupe de personnes ressources un peu particulières qui sont les gens qui travaillent dans le réseau d'aide et auxquelles il doit faire appel dans l'analyse de la situation, dans les actions à mettre en œuvre, dans les choix prioritaires et les choix philosophiques d'une certaine façon... Est-ce qu'on intervient ? Est-ce qu'on n'intervient pas ? Voilà l'idée de réseau. (…) Je crois que c'est un peu ça qu'on a raté dans la mise en place des réseaux, par manque de sollicitations et d'accompagnement.’

Le peu d'investissement dans cette mission est dû également au poids des habitudes, à la résistance au changement du personnel en place parfois impossible à lever.

E01 Thomas A1 p. 53

‘On est depuis un certain nombre d'années sur un mode de fonctionnement entériné. (…) Nous, nous sommes aussi responsables de ça. Moi, je revendique la responsabilité je ne vais pas dire d'un laisser-aller mais du fait qu'on ne pose plus les exigences. Au niveau par exemple des journées pédagogiques (...) il est clair que tous les gens du RASED ne sont pas concernés. Mais moi, je ne peux pas, en plus, organiser des journées spécifiquement AIS. On ne s'en sort plus... ça veut dire que c'est encore un avantage acquis.’

E31 Christelle A1 p. 438

‘Une année on avait dit "ce rééducateur qui travaille toujours ici, il ira travailler là-bas". En retour, il y a eu l'opposition de rééducateurs qui n'ont pas voulu. Quand on a vu que ça ne marchait pas, on les a laissé se déterminer pour des zones. (…) On a pu changer les choses quand plusieurs sont partis à la retraite. C'était tellement fort... elles avaient une attache forte avec les écoles même si les équipes bougeaient un peu, c'était le lien du temps avec les écoles finalement, elles arrivaient à retrouver les enfants des personnes qu'elles avaient connues, c'était vraiment quelque chose de très lourd."’

A l'autre extrême, apparaît le durcissement du pilotage, à la limite du contrôle totalitaire. La part d'autonomie laissée au réseau est dans ce cas pratiquement inexistante. L'IEN affirme alors ses compétences de gestionnaire et son pouvoir hiérarchique. Prônant une conception centralisatrice, il peut exiger du RASED le détail de toutes les situations à traiter et prendre lui-même ou avec son conseiller pédagogique les décisions qu'il juge opportunes. Son bureau ressemble à une "gare de triage" d'où émane toute décision.

E06 Jean-Luc A1 p. 112

‘"J'essaie de modifier les choses en demandant d'une part que les demandes d'aide n'aillent plus directement au personnel des réseaux mais qu'elles remontent d'abord à l'inspection de manière à ce qu'ensuite - et j'ai délégué mon conseiller pédagogique coordonnateur - pour que ces aides soient traitées, qu'on regarde ensemble quelles sont les aides qui sont demandées, que l'aide soit analysée et qu'ensuite la commande redescende de celui qui a le pilotage et arrive au réseau : "Voilà il y a tel enfant qui a besoin de ça comme ci, comme ça, donc vous allez le prendre en charge et vous allez faire un projet etc., et nous évaluerons à terme, c'est-à-dire que là, je suis en train de court-circuiter toutes les ramifications directes qui s'étaient établies entre les écoles et les réseaux pour recentrer le dispositif. (…) C'est une tentative de recentrage et d'analyse. Dans le même temps j'essaie de mettre en place des dossiers de suivi pour chaque situation d'enfant qui est pris en compte. Ensuite on renvoie vers les écoles, vers le directeur, vers le réseau, l'analyse de ce qui a été fait en terme quantitatif, qualitatif."’

Un tel positionnement présente le risque de tuer totalement la logique de réseau, autrement dit le système réticulaire organisé en pôles pouvant se connecter librement selon les besoins. L'usage d'une autorité non participative et par trop infantilisante déresponsabilise les professionnels ou les pousse dans des attitudes d'opposition ou de sabotage.

E06 Jean-Luc A2 p. 112

‘Ce n'est pas facile, il y a toutes les résistances... les psychologues, les rééducateurs passent dans les écoles en disant : "Surtout, puisque c'est comme ça maintenant, faites la grève du zèle... ", il y a tout ce jeu qui se met en place".’

La difficulté inhérente au pilotage des réseaux renforce encore les risques de dysfonctionnement. Ceux-ci oscillent d'un abandon total à un contrôle dictatorial et trouvent avec peine l'équilibre nécessaire à l'adaptabilité, la souplesse et l'efficience des RASED. Le travail en réseau n'est pourtant pas incompatible avec une structure hiérarchique. Il est possible et profitable dans le cadre des RASED à condition que l'administration laisse suffisamment d'autonomie au dispositif d'une part et l'étaye avec attention pour l'intégrer à l'ensemble des forces disponibles.

Après avoir approché le dispositif RASED à la lumière du concept de réseau, nous allons nous attacher à repérer le dynamisme qui l'anime de l'intérieur. Les connexions nécessaires entre enseignants, au-delà d'aspects mécaniques, relèvent d'une d'une adhésion à des valeurs communes et à un travail d'équipe.

En résumé

Le fonctionnement en réseau implique des pôles professionnels clairement identifiés et des liens entre enseignants quantitativement et qualitativement satisfaisants.

Le RASED, étudié dans ses configurations à l'aide du concept de réseau, montre des zones d'insuffisance au niveau du repérage des nœuds et des connexions qui le constituent.

Globalement ce dispositif est méconnu et mal considéré. Sa désignation par un sigle inadéquat est fortement incriminée. De plus le mot réseau, appliqué aux seules aides spécialisées, tend à déconnecter celles-ci des aides généralistes par le sens restrictif qu'il véhicule. L'écart constaté entre le fonctionnement théorique et son application sur le terrain provoque de multiples jugements négatifs.

Les pôles d'aides E et G sont controversés en raison de la notion même de spécialisation et des spécificités difficiles à définir. Les connexions établies apparaissent souvent limitées en nombre, défaillantes ou endommagées, par défaut d'investissement de l'une ou l'autre des deux parties concernées.

Par ailleurs, le pilotage des RASED peut contribuer à d'autres dysfonctionnements. L'IEN doit maintenir en tension à la fois une autonomie de fonctionnement, inhérente à tout mode d'organisation en réseau, et un encadrement hiérarchique directif, veillant par définition à l'application de la politique éducative institutionnelle. Le choix prioritaire d'un seul de ces deux aspects conduit soit à laisser les RASED livrés à eux-mêmes, soit à faire disparaître la logique réticulaire.