2.1.2. Des positionnements d'aide discordants

Les opinions concernant l'ensemble des aides proposées à l'école témoignent de nombreux désaccords idéologiques ou conceptuels. Elles séparent les professionnels selon leurs valeurs : pour ou contre la différenciation pédagogique, pour ou contre les cycles, pour ou contre une centration sur l'enfant, pour ou contre l'intégration, pour ou contre le RASED etc. Trois familles d'oppositions apparaissent fondamentales. Leur formulation en couple contradictoire saisit la force du conflit :

  • Toute aide est bonne à prendre/ tout soutien n'est pas obligatoirement bénéfique ;
  • Le dispositif RASED remplit sa mission d'aide / il alimente l'exclusion ;
  • Les aides E ou G sont utiles et fructueuses / elles sont contestables.

La première opposition est relative à l'aide en général, concrétisée dans l'ensemble des mesures mises en place dans la lutte contre l'échec scolaire. Actuellement elle cristallise et justifie des pratiques très différentes. Ce foisonnement, où tout se mêle souvent dans l'improvisation, contente les uns et alarme les autres. Pour les généralistes par exemple, le soutien d'adultes tels les aides-éducateurs, les "zépiens", les intervenants en langues, sport, musique etc. est le bienvenu. Il favorise la diversité des situations d'apprentissage, la différenciation pédagogique et allège une polyvalence lourde à assumer. Pour les inspecteurs ou les enseignants spécialisés, la multiplication des délégations est à considérer avec prudence. Plus une situation devient complexe, plus elle est difficile à gérer dans une cohésion et cohérence d'ensemble. Le danger de l'éparpillement ou de la confusion risque de réduire à néant les bénéfices escomptés.

E46 Olga A2 p. 608

‘Souvent il y a beaucoup d'aides – des ateliers, des échanges entre classe, les aides éducateurs - mais elles sont mal articulées, elles partent trop tous les sens. Il y a une mauvaise coordination, je pense que c'est dû aussi au manque de temps pour se concerter, un manque de temps disponible, un temps qui n'est pas donné par l'administration et que les gens ne prennent pas forcément".’

E50 Marguerite A2 p. 664

‘Si c'est l'aide éducatrice, sans formation, qui vient prendre à la demande de l'instit un enfant en difficulté dans la classe – et il ne faut pas faire l'autruche, ça arrive fréquemment - je ne considère pas que c'est une aide. Ça s'appelle une aide pour l'enseignant mais on aide qui là ? On aide l'enseignant à respirer mieux ou à faire avancer les meilleurs dans la classe mais l'enfant en difficulté n'est pas aidé. (…) Quand on est en ZEP, il y a une multiplicité des interventions qu'on pourrait appeler des aides puisque les instituteurs disent souvent : "Ah oui, il nous aide bien !". A un moment, je me dis : "Quand est-ce que cet enfant est dans sa classe ?" Ce type de reproche on va le faire à nous réseau alors qu'on est quand même des enseignants mais on ne va pas se poser la question de l'aide éducateur, du Zépien, de l'ATSEM qui va aussi faire tourner la classe, du contrat emploi solidarité ou de l'intervenant de gymnastique qui je vois sont encore aidés par de jeunes animateurs. Alors de quelles aides on parle…’

La multiplication des formes d'aides dans l'enceinte scolaire rend plus difficile l'harmonisation entre chacune d'elle. Les exigences de travail partenarial avec le RASED risquent de se surajouter à une orchestration déjà très compliquée. Par conséquent elles sont en position d'être réduites à néant.

De façon plus restreinte, l'aide spécialisée peut s'appliquer globalement à tous ou peut être sélective, c'est-à-dire conçue exclusivement en direction des élèves. Les partisans d'une action ciblée sur les enfants se dressent contre ceux qui estiment nécessaire le soutien des enseignants par le même personnel.

E42 Paul A2 p. 745

‘"On dit que l'enseignant est le premier acteur de la mise en place d'une aide en direction de l'enfant en difficulté. Comment percevez-vous cet impératif sur le terrain ?’ ‘- Dans la mesure de ses moyens… parce que ce n'est pas au réseau de le guider dans cette voie. On n'est pas conseiller pédagogique, il ne faut pas l'oublier… ce qui est central pour nous, c'est l'enfant, pas le collègue qui se trouve débordé."’

E05 Simon A1 p. 101

‘[Les maîtres E] ont cette capacité à observer, à évaluer, à remédier et par-là s'ils ont une mission première de suivi direct auprès d'enfants, ils peuvent aussi jouer le rôle de conseiller, d'aide aux enseignants, dans justement le suivi des élèves qui pourraient avoir quelques difficultés dans les apprentissages.’

E49 Pierre-Yves A2 p. 652

‘Les aides sont sans doute à axer un peu moins sur les enfants et plus sur les enseignants…’

La deuxième opposition repérable concerne le RASED dans son ensemble. Les valeurs et les conceptions liées au sigle sont très présentes dans les réponses à la question Q2 (17 %). Un assemblage de vertus bigarrées habille le RASED de tout et son contraire. Il est considéré essentiellement soit comme un dispositif positif assurant la mission qui lui est confiée, soit comme un instrument de détournement inefficace voire pervers.

Les avis favorables peuvent être sans ombre : le RASED est une "bonne idée", "un plus" qui apporte une "dynamique", constitue des "ressources" etc.

E04 Marc A1 p. 90

‘"C'est vraiment un plus de l'institution scolaire".’

Selon cette vision positive, le dispositif d'aide est perçu comme un recours plus ou moins ponctuel. Les généralistes font appel à "l'expertise" de leurs collègues spécialisés qui peuvent conduire des actions de prévention ou de remédiation, ciblées, appropriées et spécifiques.

E78 Jean-Noël A2 p. 932

‘Ce sont des gens qui tournent sur l'école, sur le quartier et sur les écoles voisines depuis longtemps, ce qui fait qu'ils (…) peuvent effectivement nous apporter de façon plus précise des éléments, nous mettre en garde contre certaines attitudes éventuelles. (…) Ils peuvent aider les enfants (…) parce qu'ils ont toute une batterie d'exercices plus structurés [que les nôtres] et puis ils ont des salles adaptées pour des exercices qui seraient plus difficiles à établir dans une classe normale avec tous les enfants. Ils ont une possibilité d'aide pédagogique beaucoup plus précise que ce qu'on peut faire nous et puis ils ont beaucoup plus de temps aussi, un seul enfant à la fois... c'est plus facile de s'investir.’

Le réseau a une fonction tacite d'accompagnement, non seulement auprès des élèves mais auprès des équipes enseignantes. Il favorise l'entrée dans une dynamique. Refusant les réponses immédiates de prêt-à-porter, il nourrit des interactions à la recherche de solutions communes.

E22 Anne-Lise A1 p. 301

‘"Recherche parce que malgré tout le réseau a des pratiques qui amènent les gens à réfléchir à autre chose et ça donne une impulsion peut-être... ça permettra d'innover, de trouver des pratiques innovantes du fait que ça crée de nouvelles interactions dans le système".’

Il a également une fonction d'aide à l'intégration. Par le travail sur lui-même auquel il convie l'enfant et l'éducation du regard sur autrui, il relance les processus qui permettent le maximum d'interactions entre élèves, dits en difficulté ou non.

E53 Brigitte A2 p. 696

‘On nous reproche souvent de sortir les enfants, de nuire à leur intégration. C'est absurde... L'enfant n'est pas mis sur la touche quand il quitte la classe, il l'est au contraire quand il y est et que rien ne le sort de ses difficultés. Moi, je n'exclus pas un enfant quand je le sors de sa classe, il a besoin de changer son image justement pour pouvoir devenir lui-même, pour pouvoir enfin participer et profiter de la classe, pas comme suiveur... mais comme élève intégré ayant envie d'apprendre.’

Les expressions qui désignent le réseau comportent néanmoins, comme une restriction, une connotation conditionnelle qui suggère les difficultés de concrétisation au quotidien.

E13 Guy A1 p. 192

‘"[C'est] un dispositif qui peut donner des résultats positifs fort intéressants."’

E18 Gabriel A1 p. 249

‘Là, on possède un potentiel formidable de ressources, des personnes qualifiées, compétentes et qui ont une bonne disponibilité. Si tout cela est utilisé à meilleur escient dans un projet plus étayé, plus suivi, ça peut devenir un outil excellent dont ne disposent pas d'autres pays européens. ’

E13 Guy A1 p. 192

‘"Quand on a affaire à des membres des réseaux qui sont bien pénétrés de l'intérêt qu'il y a à fonctionner en réseau, tous les obstacles tombent et à ce moment-là on a une dynamique nouvelle qui s'exprime."’

Les positionnements négatifs sont fréquemment sans concession. La création des RASED n'est qu'un artifice politique supplémentaire pour calmer et endormir l'opinion publique. C'est un pansement provisoire qui ne traite pas mais camoufle une réalité inavouable : la société a besoin de personnes en difficultés et l'école les désigne.

E22 Anne-Lise A1 p. 301

‘Camouflage parce que je ne pense pas que ce soit en créant de nouvelles structures, confiées à des spécialistes, qu'on puisse résoudre le fond du problème... Donc ça permet certaines fois de suffisamment rassurer tout le monde pour qu'on continue à ne pas voir les vraies raisons des difficultés d'un trop grand nombre d'élèves...’

Dans cette perspective, le réseau apparaît comme un artefact signalant son incongruité. Il vit comme une organisation saprophyte à l'affût de "cas". Sans être pathogène, il se développe aux dépens du système scolaire, "décomposant" ou "digérant les difficultés" à l'insu plus ou moins délibéré de ceux qui l'accueillent.

E63 Madeleine A2 p. 799

‘En fait au lieu d'un travail en équipe j'ai l'impression au contraire qu'il y a une scission et qu'à la limite – ça va être dur ce que je vais dire – on s'emparerait enfin d'un cas qui justifierait leur présence. (…) Quand on fait appel à eux ils peuvent dire "enfin on nous fournit du travail". C'est comme une justification de leur présence. Ça devient leur cas, séparé du travail de la classe.’

Selon une vision moins extrémiste, les effets négatifs du RASED peuvent provenir de l'usage détourné qu'en font les professionnels. Initialement service d'aide effective à l'élève, il se retourne alors contre lui, dans un mensonge politiquement correct. Le dispositif d'aide peut ainsi être assimilé à un débarrasoù l'on "jette", où l'on évacue ceux qui dérangent. C'est imaginairement le WC de l'institution.

E10 Edouard A1 p. 163

‘"Joker, c'est la carte qui peut permettre à l'enseignant de se défausser dans les cas difficiles... ou de jouer gagnant sans perdre la face".’

E 63 Madeleine A2 p. 800

‘"Bon débarras, c'est du style ça débarrassera toujours la maîtresse un petit moment d'un groupe d'enfants qui ont des difficultés et pour lequel il faudrait que la maîtresse s'investisse énormément ce qui n'est pas toujours facile – on a quand même des classes très chargées".’

E50 Marguerite A2 p. 655

‘" [RASED] ça a quelque chose à voir avec les transports, mais pas forcément les transports amoureux. Si j'associe là-dessus, dans réseau on a quand même le sentiment que c'est un paquet qu'on va poser ailleurs".’

Le réseau est conçu comme un encart dans le territoire scolaire. Il est hors la classe, dans un entre-deux ou un interstice. La zone qu'il occupe est à la fois étrange et inconnue, ni tout à fait l'école, ni autre que l'école.

E30 Serge A1 p. 422

‘"C'est une zone intermédiaire, leur champ d'intervention, entre l'enfant et l'élève, entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'école et la classe, donc ils mettent peut-être à mal le confort intellectuel dans lequel on est, lorsqu'on est professionnel de l'éducation ou de l'enseignement".’

Le RASED n'est pas seulement appréhendé comme un lieu à part mais comme une entité culturelle marginale. Il fait partie du système scolaire tout en étant d'emblée l'objet non intégré. Son existence objective est fondée prioritairement par des rapports frappés d'étrangeté maintenant les protagonistes étrangers les uns aux autres.

E19 Florence A1 p. 264

‘"Marginal, ça renvoie à cette idée qu'ils sont porteurs sans doute de connaissances et d'une culture qui n'est pas rentrée dans l'école. (…) Au fond je ne suis pas sûre qu'on sache bien ce qui fait leur identité professionnelle. Ils sont à la marge."’

E31 Christelle A1 p. 438

‘J'ai dit aussi marginalité parce que beaucoup d'enseignants considèrent que les personnes du réseau ne sont pas des enseignants. (…) Avant on disait "les rééducateurs" ou "RPP" ou "RPM", mais on ne savait pas trop quelle formation était la leur. Donc c'était des gens à côté, d'abord à côté parce qu'ils ne faisaient pas le même nombre d'heures, à côté parce qu'ils n'avaient pas les mêmes contraintes vis-à-vis des enfants, à côté parce qu'ils ne tenaient pas le même langage.’

La troisième opposition touche plus précisément les aides spécialisées elles-mêmes. La question de l'utilité des aides E et G ainsi que leur efficacité divise profondément les acteurs. A leur remise en cause respective s'ajoute la contestation de leur séparation en deux dominantes.

L'aide à dominante pédagogique fait l'objet de dispute conceptuelle. Elle est considérée comme éminemment bonne pour les uns, dangereuse pour les autres. Pour les IEN par exemple, l'évidence est telle qu'elle se passe de commentaire.

E21 Patricia A1 p. 290

‘"Aide, je n'ai pas besoin de préciser".’

Très proche des pratiques du maître généraliste, l'intervention E soulève pourtant des polémiques. N'est-elle pas dans la duplication de ce que fait l'enseignant de la classe? Au contraire, apporte-t-elle des actions pédagogiques en différence, pour que l'enfant puisse agir en élève ? Ces deux tendances sont appréhendées comme des alternatives incompatibles alors que le dilemme entre "adapter l'élève aux pratiques de son maître" ou "favoriser l'émergence du sujet chez l'enfant" devrait se poser avec acuité 358 .

E20 Frédéric A1 p. 276

‘"Ils ont à faire de la pédagogie auprès des élèves, apporter un soutien, être en soutien de ce que fait le maître et ne pas faire des choses autres que ce que fait le maître, sauf cas particulier".’

E46 Olga A2 p. 603

‘"Le soutien, c'est refaire ce que l'enfant a fait en classe, donc surtout pas. (L'aide E), c'est plus une aide à l'enfant, enfin à l'élève, qu'un soutien."’

Ce désaccord conceptuel ne touche cependant pas au résultat jugé bénéfique par les deux partis pris. L'aide à dominante pédagogique est décrite comme une "oreille" "inventive" pour les enfants et les enseignants, favorisant "l'adaptation", les "interactions entre élèves", la "dynamique de groupe" par un "regard autre" 359 . Dans l'un et l'autre cas, elle se distingue de l'aide généraliste par une plus grande efficience.

E05 Simon A1 p. 101

‘"Les maîtres E ont des compétences d'enseignant ordinaire, mais des compétences d'enseignant très développées, reconnues."’

E17 Lionel A1 p. 240

‘"La qualité d'un maître E, mais c'est la qualité d'un instituteur tout venant quoi, c'est tenir compte du déroulement et du descriptif de la démarche d'apprentissagede l'enfant. Et pas seulement en tenir compte mais aussi la connaître et la faire connaître à l'enfant (…) La seule chose particulière c'est que l'enfant un peu en difficulté a une démarche contraire à ce qu'on peut espérer mais il a une raison et une démarche, il faut les découvrir et lui en faire prendre conscience."’

E19 Florence A1 p. 263

‘"Ce n'est pas toujours, mais ça devrait être des experts de la pédagogie au sens où elle travaille sur une relation avec une personne qui apprend."’

La différence qualitative entre "expert de la classe" et "super expert" n'étant pas toujours remarquable, la seule particularité de la fonction E réside dans la distance par rapport au groupe classe et la facilitation du travail pédagogique consécutive au petit nombre d'élèves.

Marina E 69 p. 854

‘[La différence], c'est le nombre d'élèves ! (Rires) c'est le nombre d'élèves ! Ça se résume à ça. ’ ‘C'est le nombre d'élèves qui fait toute la différence.’

Cette aide jugée globalement satisfaisante par l'ensemble de la hiérarchie éveille parfois des réactions vives chez les autres professionnels. Elle est décrite comme "ersatz", "bâtard" faisant figure de colmatage inconsistant et mensonger, collant à la demande de l'enseignant et au symptôme de l'enfant.

E50 Marguerite A2 p. 656

‘[Les maîtres E] ont une visée immédiatement pédagogique. Ils vont travailler sur le court ou le moyen terme. Ça va être réinvesti normalement plus rapidement. Dans l'ensemble des gens que je connais, ils ont une vue de l'enfant qui n'est pas globalisante comme celle du psychologue ou du rééducateur. Je dirais qu'ils sont plus linéaires. Je repère telle difficulté sur le temps donc je vais travailler directement sur le temps c'est-à-dire sur l'objet disciplinaire, sans chemin de détour.’

Ce collage vise au "rattrapage" du "retard". Le temps étant compté, il faut "donner plus". L'exigence se fait vite logique qui, loin de se solder seulement par des "résultats incertains" ou "inefficaces", s'avère pernicieuse et pleine "d'ambiguïté" 360 . Elle laisse entendre que le comblement du besoin va répondre à celui du désir. La confusion entre les deux est dommageable pour l'élève - dont le symptôme est renforcé - et pour le professionnel qui participe sans le savoir à la cristallisation de la difficulté.

E37 Florian A1 p. 498

‘Quand on dit "la maîtresse ça ne suffit pas, on va te donner en plus", on confirme cette idée que les parents doivent pouvoir tout donner ce dont l'enfant a besoin et on ne le confronte pas à ses difficultés qui est le propre de n'importe quel enfant d'avoir à faire le deuil de ses parents imaginaires et d'accepter les parents réels qu'il a. (…) C'est pour ça qu'il me semble intéressant de réfléchir avec [ces professionnels], parce qu'ils existent de fait. Il ne faut pas rêver, on ne va pas les annuler du jour au lendemain, mais il me semble intéressant de réfléchir avec les gens qui sont, à cet endroit là, conviés à donner un plus à l'enfant pour leur faire repérer leur faim, dans quel enjeu les enfants, de fait, sont pris avec eux et comment il faut qu'ils évitent, bien qu'en donnant de l'aide, de se prendre les pieds dans cet enjeu imaginaire toxique pour l'enfant.’

L'aide à dominante rééducative soulève également des positions contraires. Elle a, elle aussi, ses défenseurs et ses détracteurs qui la jugent souvent avec flamme ou emportement. Sa définition, multiforme, converge vers un consensus. Présentée en creux, elle laisse deviner la complexité et la difficulté à dire ce qu'elle est vraiment. Moins dans la pédagogie "qu'on ne peut pas oublier", "qu'il ne faut pas renier", l'aide rééducative demande plus de disponibilité que dans le travail d'enseignant généraliste ou E : "il faut savoir attendre que l'enfant fasse son chemin, on est plus en retrait" 361 . Elle a pour objet "le relationnel", concernant non seulement l'enfant mais les adultes, dont les équipes de maîtres.

E50 Marguerite A2 p. 659

‘On n'est pas centré sur la pédagogie mais elle fait pourtant partie intégrante de notre système de pensée – enfin du mien, de mon système de pensée. Quand je travaille avec un enfant, (…) je me réfère à ce qu'on attend d'un enfant à cet âge là. Donc j'aime bien savoir sur le plan scolaire où il en est, s'il sait lire ou pas etc. De temps en temps je fais une évaluation pour moi, strictement scolaire. Mais quand je travaille avec l'enfant, d'une manière générale, je ne suis pas dans des apprentissages scolaires, sauf si vraiment il me le demandait.’

E22 Anne-Lise A1 p. 304

‘"Relationnel parce que je pense que c'est une fonction qui touche beaucoup plus à la relation aussi bien de l'enfant à l'école, de l'enfant à ses enseignants que des maîtres G à leurs collègues et à l'équipe enseignante".’

Les règles proposées et le lieu en rupture avec celui de la classe constituent une opportunité pour l'élève de (re)trouver une place de sujet. L'aide consiste à lui faire expérimenter cette place, par l'écoute de sa parole, l'accompagnement de ses découvertes, le nouage d'une relation où il est "autre", où il est le seul à pouvoir identifier son désir et le réaliser.

E50 Marguerite (rééducatrice) A2 p. 659

‘D'emblée j'ai d'abord un entretien avec [l'enfant] pour parler de ses difficultés, lui demander pourquoi il vient me rencontrer (…) ce qu'il en pense, ce qu'a dit la maîtresse et en général lors du premier entretien, je le reçois avec sa famille. (…)En rééducation, on n'est pas dans un entretien psychologique, on passe par un intermédiaire, par une médiation. On va utiliser les médiations motrices, psychomotrices ou psychomotricité fine, les jeux cognitifs et les jeux symboliques. Au cours d'une rééducation, je vais m'efforcer d'avoir proposé tout ça au même enfant. (…) [Ce qui permet à l'enfant de sortir de ses difficultés], c'est difficile à dire. C'est un peu tout, essayer des choses nouvelles, risquer de ne pas savoir faire quelque chose et y arriver, ça peut être se tromper et voir que ce n'est pas inutile puisque ça permet de faire autrement, c'est prendre des initiatives, oser se lancer… c'est des choses comme ça qui font déclic. Dans tous les cas, ce qui compte c'est que l'enfant puisse transférer son envie de quelque chose et son envie d'aller plus loin, cette attitude-là, sur les apprentissages.’

La rééducation favorise l'accession à une position de sujet mise en péril par une éducation défaillante ou inopérante. A ce titre, elle présente un caractère éducatif "soignant" au sens de "prendre soin de", qui ne signe aucunement un caractère médical. Si la démarche est clinique, c'est-à-dire basée sur l'observation fine des symptômes de difficulté, elle n'est pas thérapeutique au sens strict.

E22 Anne-Lise (formateur IUFM option E) A1 p. 304

‘[Dans l'option G], il y a une approche beaucoup plus centrée sur la psychologie clinique que dans l'option E, bien que je ne pense pas du tout que ce soit une aide thérapeutique.’

Cette aide, même mal connue, éveille un accueil plutôt favorable chez les différents professionnels. C'est un "appui", un "soutien" pour le "moral" des enseignants et qui a pour fonction de "rassurer". La "technicité" des rééducateurs, leurs qualités "d'investissement" et "d'écoute", leur approche permet de "penser autrement" et de "changer le regard" des acteurs scolaires.

E25 Emmanuel(formateur IUFM option G) A1 p. 347

‘[La fonction d'aide rééducative permet] d'introduire un autre regard par rapport à la question de l'apprentissage, c'est-à-dire plus centré sur les dimensions symboliques de l'apprentissage. Quels sont les enjeux symboliques d'apprendre sur le plan affectif, sur le plan relationnel ? Comment l'enfant se construit-il personnellement dans son parcours scolaire, avec des phases parfois de difficulté, de régression, de conflit qui peuvent se manifester ? La fonction du maître G c'est de reconnaître le singulier, la singularité de chaque enfant dans ce processus d'adaptation à l'école et de construction de la pensée… C'est penser aussi le développement intellectuel sur une activité de pensée qui n'est pas seulement cognitive, qui est aussi d'ordre imaginaire, fantasmatique, émotionnelle… qui est aussi de l'ordre de l'identité. L'aide rééducative permet de voir et de prendre en compte, si l'école veut construire de la réussite, la manière dont chaque enfant se développe, se construit une identité à travers les apprentissages et s'approprie le scolaire.’

En revanche, les inspecteurs la rejettent majoritairement. Ainsi, leur appréciation rassemble-t-elle une palette de remarques peu élogieuses. Les maîtres G sont présentés comme un personnel "anti-pédagogique", "pas scolaire", manquant de "sens institutionnel". Ils ne rentrent pas dans le rang, se comportent comme de mauvais élèves en cultivant "la singularité", "l'isolement", "l'enfermement". "Mal perçus", ils s'enferment en "chapelle", usant de "conduites suicidaires", abusant de "pratiques exotiques" ou proches de la "thérapie". Ce dernier reproche revient fréquemment (chez un tiers des IEN) avec par exemple les expressions de "psychanalyse de Paris-Match", "psychothérapeute", "thérapeute", "statut médical", pratiques en "libéral" etc.

E06 Jean-Luc (IEN) A1 p. 114

‘"Ça évoque des pratiques qui peuvent être des pratiques pédagogiques, mais qui peuvent être aussi exotiques par rapport à la pédagogie. La rééducation a un statut. Elle s'intègre dans un ensemble de prises en charge thérapeutiques. Autant je vois quel statut elle peut avoir dans des structures médicales ou psychiatriques, autant la rééducation dans l'école est un concept un peu bizarre.’

E18 Gabriel (IA/IG) A1 p. 251

‘Psychothérapeute, ça rejoint l'attrait pour le modèle médical et puis il est vrai que ça a été confirmé, réaffirmé, reconfirmé que les maîtres G définissent leur identité professionnelle en opposition à ce qui est le référent scolaire. Ils cherchent une spécificité en empruntant des modèles dans un autre modèle qui est le modèle psy, le modèle médical... parce que la rééducation, c'est un concept qui est créé de toutes pièces, qui n'a pas existé, qu'on a créé et qui existe de manière extrêmement artificielle et qu'on étaie par des écrits. Les écrits ne sont qu'un effort de définition de cet acte qui n'est pas naturel, enfin qui n'a pas un sens obligé. Alors les maîtres G se situent un peu comme ça, dans la recherche permanente de la définition d'un modèle qui n'existe pas.’

Aux dire de ceux qui les encadrent, l'aide à dominante rééducative pâtit de l'image donnée par les professionnels qui l'exercent. C'est même "l'horreur" 362 , suscitée par la confusion possible entre éducation et soin.

E07 Julien (EIN AIS) A1 p. 125

‘"On est sur une limite, une bordure, on ne sait plus de quel côté on est de la limite... et c'est ce qui me fait penser à l'horreur parce que j'ai l'impression qu'ils vont tomber du mauvais côté, dans le thérapeutique alors qu'on ne doit pas faire du thérapeutique. D'ailleurs on n'est pas stricto sensu en rééducation, on est en éducation, on n'est pas dans le thérapeutique on n'a pas à soigner mais à éduquer un gamin avec d'autres outils que le maître E."’

Le dernier point conflictuel concernant les aides porte sur leur différenciation. Elles peuvent être affirmées comme très catégorisées ou non, strictement dissemblables ou se chevauchant parfois.

La distinction tranchée entre les deux aides relève tout d'abord des textes officiels.

E06 Jean-Luc (IEN) A1 p. 115

‘"La distinction se fonde sur les textes qui définissent les missions, l'un ayant comme outils de médiation les apprentissages et l'autre ayant davantage comme outil de médiation la personnalité de l'enfant - puisqu'il s'agit de restaurer un certain nombre de fonctions, d'apprentissages… par le biais de ce qu'est l'enfant, de l'image de soi etc."’

Pour certains, elle repose sur deux "théories" 363 distinctes. La dominante pédagogique se focalise sur le processus d'apprentissage, avec un intérêt éventuel ou secondaire pour la personne. La dominante rééducative ne peut dissocier apprentissage, pris comme une entité rationnelle, et individu, perçu en particulier dans son comportement. Par conséquent les interventions ne sont pas de même nature. L'une évoque exercices et programmes scolaires, l'autre s'en écarte.

E14 Régis (IEN AIS) A1 p. 207

‘Il y a une rupture entre le E et le G. (…)L'acte de rééducation, c'est un acte spécifique, ce n'est quand-même pas la même chose qu'une intervention de type scolaire.’

La bipolarité E/G présente des avantages. Délimitant un cadrage, un champ d'action pour chaque spécialité, l'institution nourrit la diversité des réponses possibles tout en évitant la confusion.

E13 Guy (IEN AIS) A1 p. 195

‘" Deux spécialités en dehors de celle de psychologue… [permettent de] garantir un minimum de diversité au niveau des stratégies à mettre en oeuvre. C'est le seul intérêt que je vois au maintien de deux spécificités. Un niveau qui est très proche de la classe, un niveau d'intervention qui se préoccupe de l'élève, hors de ce qui peut se passer en classe, mais avec l'obligation de l'y ramener le plus rapidement possible.’

Les partisans de cette conception revendiquent fortement la notion d'identité professionnelle et fédèrent des alliances dans l'opposition à toute autre conviction.

E08 Claude (IEN) A1 p. 142

‘"Je vois des G qui font du soutien, des G qui vont en groupe maternelle faire du langage et je suis profondément en désaccord avec ça, parce que je pars de l’identité professionnelle, pour moi c’est la base."’

Pour d'autres, l'existence de ces deux fonctions présente un caractère artificiel. Une mise en application trop stricte divise arbitrairement la difficulté de l'enfant en deux types de manifestations à traiter séparément dans le temps et dans l'espace. Cette idée va à l'encontre d'une prise en charge globale de la personne. Elle a pour conséquence de rendre improbable les apprentissages et ainsi de dénaturer la mission première de l'école.

E11 Rosine (IEN AIS) A1 p. 173

‘[L'école] a des missions d'éducation et d'enseignement. Donc il faut, tout en restaurant la personne humaine, en la revalorisant, en lui redonnant une identité personnelle, une plus grande confiance en elle, il faut que [les maîtres spécialisés] rabibochent [les élèves]avec ce qui est de l'ordre des apprentissages. Je trouve qu'on a fait une grave erreur de trop spécialiser les gens, ça va à l'encontre d'une prise en charge globale. (…) Cette différenciation entre maître E, maître G, je la trouve inadaptée. Si on a une mission claire sur les deux versants à la fois (insiste), restauration de la personne et restauration scolaire, on a compris pour moi les missions essentielles, et des maîtres d'adaptation, et des rééducateurs.’

Les deux types de difficultés, relevant soit de E, soit de G, sont délicats à apprécier. La frontière entre les deux est ténue. La subjectivité de cette catégorisation est manifeste.

E04 Marc (IEN) A1 p. 173

‘"Il y a deux types (...) Une fois déclinées, les choses ne sont pas tranchées comme ça. C'est-à-dire que bien souvent celui qui a des problèmes de comportement, ça rejaillit sur les acquisitions scolaires et il n'a pas trop envie d'entrer dans les apprentissages et inversement, soit ça va être la résignation complète dans une certaine forme de mutisme, soit ça va se dégrader et le gentil qui reste sans rien dire va devenir plus ou moins troublion dans la classe."’

Les pratiques E et G, aux limites moins faciles à fixer en situation qu'en théorie, présentent souvent des points communs. Les glissements d'une aide à l'autre sont fréquents. Une rééducatrice "ex maître E" en donne un exemple précis.

E46 Olga A2 p. 606

‘[Il m'arrive de faire des glissements de pratique]. Surtout en maths. Par exemple quand un enfant n'arrive pas à dénombrer. On reprend, on recompte, on rejoue avec un dé, le gros dé en mousse par exemple, on refait des petits jeux que je glisse dans le jeu, quand on fait un jeu de société par exemple. J'essaie d'introduire des éléments qui vont accélérer une acquisition... Je pense que c'est un plus d'avoir été maître E avant.’

Le flou entre E et G provient aussi d'une adaptation aux moyens réels sur le terrain. L'atténuation de la distinction résulte d'une pénurie fréquente de postes ou de personnels.

E64 Dorothée (enseignante MS/GS) A2 p. 813

‘Nous, [avec la maîtresse E] on globalise. (…) Je me souviens, il y a deux ans, il y avait un enfant qui avait de gros problèmes de comportement, il n'écoutait rien, il était instable. (…) Elle le prenait comme ça par petite tranche d'un quart d'heure ou vingt minutes… elle jouait sans doute le rôle d'un maître G.’

E50 Marguerite (rééducatrice) A2 p. 658

‘On peut être amené à ce que [la maîtresse E] voit un enfant sachant que dans l'absolu ce n'est pas un cas d'école mais on va le faire parce que s'il y a du travail, il faut aussi relever les manches et le faire. (…) C'est ce qu'on appelle l'adaptation au terrain.’

E57 Myriam (psychologue scolaire) A2 p. 742

‘"Dans les textes, un maître E s'occupe uniquement du pédagogique. (…) Mais avec mon maître E, je discute de tout et je la fais intervenir aussi comme maître G parce qu'on gère la pénurie en quelque sorte. (…) C'est un choix et on se pose beaucoup de questions. Parfois, elle se sent limitée, elle n'a pas eu la formation G, elle se sent mal à l'aise pour engager certaines approches plus psychologiques. Alors, on en discute et on fait à la mesure de nos moyens. Ceci dit, c'est impensable de laisser de côté des élèves sous prétexte qu'on n'a pas de maître G sous la main."’

Le chevauchement des aides, fortement lié au contexte local, a aussi ses partisans inconditionnels. Les démarches G et E, respectivement clinique et cognitive, sont fondamentalement connexes. Il est nécessaire de concilier les deux dans une approche moins morcelée. La complexité de l'acte d'aider impose une interaction entre "disponibilité affective" et "technicité".

E05 Simon (IEN) A1 p. 103

‘Aujourd'hui dans tous les métiers il y a une relative complexité qui fait qu'on a dépassé depuis longtemps la spécificité même qui avait fondé la mise en place d'un métier particulier. Il y a ce qu'on doit faire et ce qu'on fait. Et ce qu'on fait dépasse largement ce qu'on devrait faire de façon stricte. (…) [Les maîtres de RASED] devraient avoir un éclairage théorique qui est celui des deux formations, pour que dans la pratique ils puissent en permanence faire interagir la motivation, la disponibilité affective et l'engagement dans un apprentissage avec tous les problèmes techniques que ça peut poser.’

Si les divergences de valeurs créent des antagonismes entre acteurs, les malentendus qui résultent des connexions entre généralistes et spécialisés tendent à les cristalliser.

Notes
358.

Les acteurs interviewés refusent de les traiter comme un dilemme. C'est pourtant dans la tension entre "impossible et nécessaire" que le travail gagnerait à être conçu.

359.

Voir zzJap et zzJcp dans le classement des mots Q3c A2 p. 57

360.

Voir zzJap et zzJcp dans classement des mots Q3c A2 p. 57

361.

E46 Olga A2 p. 530

362.

Voir zzJap dans le classement des mots Q4c, A2 p. 82

363.

Voir E08 Claude A2 pp. 137-147