Aux demandes complexes, et pas toujours très claires, correspondent des réponses qui aggravent encore parfois les atteintes à la reliance. Le refus ou l'absence d'intervention en est une forme généralement mal acceptée, source de tensions, surtout si la raison invoquée ne semble pas valide aux yeux du généraliste.
E63 Madeleine A2 p. 805
‘"On nous dit « dès qu'un enfant est suivi à l'extérieur, on ne peut pas le prendre ». J'ai le cas d'un enfant caractériel dans ma classe, il a complètement empêché la constitution du groupe classe, c'était affreux, affreux. Il m'a plus embêté que la gamine pour laquelle il y avait un contrat d'intégration. Ils m'ont dit : « on ne peut pas le prendre parce qu'il est suivi par ailleurs". J'ai dit "moi, je m'en fous. Je veux que vous veniez voir dans la classe comment ça se passe et faire quelque chose dans la classe ». Eh bien ça, il n'y a pas moyen…"’E66 Pauline A2 p. 830
‘J'avais un enfant en difficulté et là au niveau de l'aide, je n'ai pas du tout été aidée. (...) J'ai fait appel à la psychologue, en début d'année, au mois d'octobre. Elle est venue au mois de décembre, elle l'a vu, ça m'a fait deux mois où j'étais encore toute seule. Elle est revenue lui faire passer des tests en janvier. (…) La psychologue a amené les résultats des tests au mois de juin, je l'appelais déjà depuis un bon moment parce que j'étais déboussolée. (…) Je n'ai pas eu l'aide de la psychologue que j'attendais en fait. Je l'ai eue trop tard.’En plus des délais inacceptables, les réponses peuvent être inappropriées. Le décalage entre ce qu'il conviendrait de faire et la réalisation proposée trouve sa source dans de multiples facteurs.
Un premier élément tient à la difficulté de résister aux demandes vigoureuses, imprégnées d'émotions. L'impossibilité de dire non à l'immédiateté de la requête, à son caractère envahissant, supprime le temps de la réflexion. Elle conduit à ne pas pouvoir se décoller des situations "d'urgence". L'intervention se fait au coup par coup sans analyse des besoins réels et sans projet adapté. La brèche est alors colmatée en dépit du bon sens. Différer la réponse permettrait au contraire de pouvoir dire véritablement oui ou non à toute sollicitation.
E08 Claude A1 p. 142
‘"Tu me le prends, je ne peux plus". Et donc avec "tu me le prends, je ne peux plus", c’est celui qui est là qui va prendre et une analyse de la situation n’est pas possible. Il y a des crises, il y a des urgences, je ne sais pas. Sur le terrain ce n’est pas si simple.’Au-delà de la question d'une aide à l'élève, les sollicitations alimentent le jeu des relations entre généralistes et spécialisés. Elles suscitent des alliances ou des ruptures d'alliance. Or le personnel de réseau n'est pas toujours à même de choisir son camp, celui de la minorité. Soutenir une position d'équipe de RASED revient fréquemment à se heurter aux maîtres de l'école, au moins dans un premier temps. A l'opposé, se rallier à eux semble être une solution pour éviter les conflits quotidiens. Le dilemme est pour certains difficile. Pour tenir, il faut tout d'abord être intimement persuadé que l'indication à défendre est bonne pour l'élève. Il faut être ensuite capable de faire abnégation de son confort relationnel. Savoir dire non, oser maintenir et argumenter une position apparaissent comme des capacités de première importance.
E50 Marguerite A2 p. 656
‘Quand, pour certains enfants, on a fait tout un travail pour arriver à une orientation CMP - et qu'absolument il faut que tout soit arrêté, l'aide rééducative etc., pour que les parents, qui commencent à être mûrs ou à élaborer, entament une démarche de soins – et que le maître de CLAD prend les enfants parce qu'il n'ose pas dire non à l'enseignant, pour lui faire plaisir, pour s'intégrer dans l'équipe, quelquefois ça casse tout le processus qui se mettait en route.’Les réponses sont parfois plus ou moins adaptées, selon la répartition du secteur géographique entre professionnels et les habitudes qui en découlent. Les indications sont alors liées non à l'intérêt de l'élève mais à la présence du personnel en place. Les projets ne sont pas réellement bâtis pour l'élève mais orientés selon la dominante du professionnel qui le conçoit. Selon une parodie trop fréquente, le spécialisé est au centre du système.
E50 Marguerite A2 p. 657
‘Dans une école par exemple, les rééducatrices ne vont pas du tout en élémentaire. (…) C'est Véronique, la maîtresse E, qui vient dans cette école. Si les enseignants de l'élémentaire ont besoin d'une aide, nous, rééducatrices, y compris la psychologue, on se fait jeter c'est-à-dire les enseignants ne veulent pas discuter avec nous. Ce qui fait qu'on ne change pas de manière de faire… comme on se fait jeter, on ne peut pas proposer un autre type d'aide. "C'est Véronique, c'est notre maîtresse de CLAD 366 , elle est à nous etc." Donc les indications ne s'élaborent pas. C'est elle ou rien. (…) Ici c'est le contraire, elle ne vient pas. C'est vite vu. On est amené de temps en temps à suivre des enfants qui seraient peut-être une bonne indication de CLAD."’E06 Jean-Luc A1 p. 115-116
‘"Quand il y a un rééducateur dans une école, il prend les enfants de l'école indistinctement. Et quand il y a un maître E qui est dans un autre secteur c'est lui qui prend les enfants. Dans les projets on retrouve toujours un recentrage du travail de manière à faire en sorte que l'enfant y corresponde. Ça c'est une observation toute simple : j'ai une école où il y a un maître E et il y a 27 % des enfants qui sont pris en charge par le réseau d'aides. Ils vont tous chez le maître E. Il y a une école où il y a un rééducateur, il y a 16 % des enfants qui sont pris en charge par le rééducateur... parce qu'il est là, il a une salle... il a un confort de travail".’Réagir aux appels des généralistes et entretenir un climat convivial peut, de façon plus pernicieuse, masquer la superficialité des échanges. Le décalage entre besoins présentés et solutions proposées est alors noyé dans une situation mensongère où chacun ferme les yeux en faisant "comme si" tout allait bien. Les apparences sont sauves mais le travail est reconnu fondamentalement insatisfaisant. Les heures s'effectuent de part et d'autre dans le respect de la réglementation, comme pour meubler un temps mort où il ne se passe "rien", où "ça" ne parle pas pour personne.
E57 Myriam A2 p. 744
‘A Firminy, on avait des relations très amicales mais professionnellement, c'était nul. (…) Il y a une surface de convivialité mais aussi une sorte d'indifférence. J'avais l'impression que la plupart des écoles pensaient qu'on bricolait. Ils étaient contents de nous voir mais on ne leur apportait pas grand-chose, on ne faisait pas avancer le "schmilblick", on ne participait pas à la construction de l'école du XXIème siècle, non. (…) Il me semble que ce qui manquait, c'est l'esprit de recherche, l'interrogation. Quand il n'y a pas d'interrogation, on ne cherche rien, on ne fait rien, on n'a pas à communiquer. Il n'y avait rien qui fédérait. Si, de temps en temps on échangeait sur des enfants mais ce n'était pas vivant voilà… (rires)’Les multiples malentendus, brouillant la communication entre les protagonistes sont loin d'être pris en compte par les supérieurs hiérarchiques. Laissés en l'état, ils évoluent rarement favorablement. Les oppositions ou les phénomènes de déliance perdurent alors sous le poids d'un destin qui semble inéluctable.
Les dysfonctionnements liés aux divergences de valeurs et aux contacts difficiles à établir ou maintenir se doublent d'autres défectuosités. Celles-ci, parfois moins évidentes, entachent pourtant profondément toute tentative de travail partenarial au sein de l'école. Nous allons le découvrir à l'aide du concept de parole utilisé à partir des obstacles qui se dressent contre elle.
En résumé
Les connexions à établir sur un mode réticulaire demandent que les conditions nécessaires à leur établissement puissent être effectives. Si l'organisation concrète et matérielle est primordiale, la reliance qui autorise un accord entre acteurs l'est tout autant.
Le RASED, par les valeurs qu'il véhicule ou qu'il heurte, fait ressortir les divergences de conceptions éducatives à l'œuvre au sein du système éducatif. La base idéologique - foi en l'éducabilité de tous, adhésion à la politique des cycles, intérêt pour le travail d'équipe etc. - est disparate. Les pratiques d'aide, généralistes ou spécialisées en témoignent et provoquent des dissensions entre acteurs. Plusieurs familles d'oppositions sont repérables approuvant ou rejetant les affirmations suivantes : "toute aide est bonne à prendre", "le RASED remplit sa mission d'aide", " les aides E et G sont utiles et fructueuses".
Au-delà des valeurs éclatées, le moteur de rencontre souffre de ratés. De nombreuses inadéquations entre demandes et réponses sont perceptibles.Les appels adressés au RASED présentent des caractères circonstanciels : urgence, malaise ou souffrance sans issue, simple existence du dispositif etc. Les objets de demande peuvent être de plus explicites ou implicites. Les réponses proposées par les maîtres E et G sont également sujettes à analyse et peuvent se révéler contestées et contestables. L'écart, souvent mal compris, entre les attentes des généralistes et leur traitement par les spécialisés alimente de multiples malentendus qui parasitent fréquemment leurs liens professionnels.
Maîtresse de classe d'adaptation semi-ouverte, ne fonctionnant que dans un groupe scolaire, titulaire de l'option E.