3.3.1. L'ignorance ignorée

Les connaissances extra-individuelles en matière d'aide à l'école, reconnues valables et légitimées par le groupe social, représentent actuellement un capital considérable. Elles réclament des voies de formation, initiale ou continue, pour se diffuser chez tous les professionnels concernés. Proposées à la réflexion, elles requièrent une activité mentale suivie, un apprentissage, une interprétation et une actualisation dans diverses situations et pratiques, un enrichissement à l'occasion de mise en œuvre etc. Devenues par ce cheminement connaissances individuelles, elles peuvent être mises à distance, analysées et formalisées pour devenir à leur tour extra-individuelles.

Ce processus, vital pour l'éducation de sujets autonomes et responsables, semble relever uniquement de personnalités isolées et atypiques, non d'une volonté administrative en matière de formation. Les entretiens relatent un déficit alarmant en ce domaine, touchant l'ensemble des enseignants. Or le non-savoir a souvent un effet marginalisant et réducteur. Les généralistes tout d'abord, font fréquemment preuve de limitation par rapport aux matières à enseigner, aux méthodes à utiliser, à l'aisance relationnelle… tout ce qui constitue la culture professionnelle enseignante.

E56 Marie-Rose (psychologue scolaire) A2 p. 735

‘Je crois qu'il y a un défaut de formation des enseignants qui est fantastique. (…) Ils enseignent au ras de leurs connaissances et il leur manque cette culture pour maîtriser ce qu'ils apportent aux élèves, pour être plus serein et ne pas avoir cette attitude crispée face à leurs collègues, face aux groupes d'enfants et face aux familles…’

Honteux ou culpabilisés par un savoir qu'ils jugent d'eux-mêmes insuffisant, ils ont de la peine à sortir de cette situation. L'institution prend peu en compte leur ignorance: la formation initiale oublie des pans entiers du métier, tel le travail en équipe ; la formation continue, rare, ne répond pas toujours aux préoccupations les plus nécessaires.

E57 Myriam (psychologue scolaire) A2 p. 748

‘Il y a un complexe profond chez les enseignants. Ils me disent : "Tu sais, nous on ne sait pas", ils se présentent comme des êtres ignorants et ils sont là pour enseigner le savoir ! Ils ont un rapport au savoir perverti par le mépris que leur balance l'institution.’

E28 Pierrette (formatric IUFM) A1 p. 395

‘La nécessité de travailler en équipe alors qu'on n'est pas formé pour le faire [apparaît vouée à l'échec] et en plus... quand on regarde la loi d'orientation, et qu'on voit ce qui est demandé à l'enseignant tout venant, à tout le monde - savoir animer des groupes, savoir parler aux parents, savoir travailler avec d'autres professionnels dans l'école, hors école, on ne leur apprend pas à faire tout ça et c'est énorme…’

Les enseignants spécialisés sont eux aussi trop souvent livrés à eux-mêmes. Exercer convenablement son métier demande une expertise complexe, longue à acquérir, exigeant une démarche personnelle complémentaire dans la mesure où ce que propose l'institution reste insuffisant.

E57 Myriam A2 p. 747

‘…" Tu travailles à l'école, d'accord tu as été instit, tu as fait des expériences dans ta classe mais maintenant, il faut les intellectualiser, les comprendre pour avoir des arguments, pour te repérer et pour donner les conseils ad hoc. On est là pour une relation d'aide mais pour aider quelqu'un encore faut-il comprendre le problème. C'est regrettable mais si tu ne fais pas une démarche volontaire en plus de la formation institutionnelle, tu surfes sur les difficultés sans apporter grand chose d'utile…"’

La responsabilité d'apprendre, d'actualiser ses connaissances, de les parfaire pour une éducation plus appropriée, ne peut être laissée à la seule initiative des professionnels. L'insuffisance de formation a des répercussions notables en matière de compétence du personnel et de résultats scolaires. Chacun a tout intérêt à ce que ces lacunes, sources de désarroi, de dysfonctionnements et de récriminations, ne restent pas ignorées.