1.2.3. La logique éthique : une attention prioritaire portée aux personnes

La notion d'efficacité relève également d'une exigence éthique essentielle qui, dépassant un impératif moral, nécessite tout d'abord d'être précisée. Etymologiquement, le terme d'éthique se confond avec celui de morale puisque tous deux renvoient à ce qui concerne les mœurs, les comportements humains sociétaux. En philosophie, il s'est distancé de son homologue pour désigner "la science morale et la réponse à la question du fondement de la morale et de ses concepts essentiels" 442 .

La morale est marquée par les morales relatives à une société donnée, définies par un ensemble de règles, d'idéologies qui varient dans le temps et dans l'espace. Elle renvoie à un système de normes qui s'impose à un groupe donné ou aux membres d'une collectivité et incarne les valeurs implicites de ce groupe ou de cette société. La particularité de la morale, c'est qu'elle "réfère la conduite de chaque individu non pas directement aux autres êtres du même groupe mais aux valeurs qui s'imposent à l'ensemble" 443 . Ce qui pourrait être schématisé ainsi, par un maillage de type pyramidal :

Cette référence à quelque chose d'extérieur aux individus délimite des convenances ou des inconvenances, assigne un jugement de valeur à des réactions classées bonnes ou mauvaises et trace en conséquence un code de conduite. Les attitudes et les comportements voient leur marge d'expression acceptable enfermée dans des possibles préétablis. Le concept de morale, par cet aspect, évoque une dimension "statique". Le choix de comportements moraux n'en est pas un véritablement. Les valeurs de référence qui l'autorisent reflètent l'idéal, l'idéologie sous-jacente du groupe, situés dans l'imaginaire, au sens lacanien du terme. Aucun manque, aucune ouverture ne permet de rejoindre le réel, d'instituer la rencontre avec l'Autre. De plus, l'idéal donne la préférence non au "fait immédiat", à l'instant présent mais au "but à atteindre" à la finalité dernière. Le présent est évincé pour un au-delà hypothétique lourd d'espérance.

L'éthique désigne "une attitude moralement dynamique". "Elle n'est référée qu'à une notion, celle de l'homme comme être parlant dans un corps" 444 , situation que l'on pourrait représenter ainsi, par un maillage horizontal dont la densité témoigne du lien social :

Comparativement à l'autre perspective, toute réponse gagne en souplesse, en nuance, en responsabilité, et en adéquation à la situation. En revanche toute certitude, fomentée par l'idéologie, disparaît. Chaque protagoniste se trouve simplement en position de sujet, de "parlêtre". Parce qu'il y a relation, échange d'être à être, parole (pas seulement langage), peut surgir alors de l'humain."La référence éthique n'est donc plus dans un imaginaire, pour un temps figé, de croyances, valeurs codifiées dans des écrits ou non, mais dans ce qui d'un homme à un autre lui permet de se reconnaître et de reconnaître l'autre comme Sujet" 445 .

Comme le propose aussi Paul Ricoeur, l'éthique est plus importante que la morale. Elle s'écarte de cette dernière, système rigide appelant résultat et jugement. Elle est de l'ordre de la visée, de l'intention. La visée éthique est d'abord désir d'accomplissement de soi-même. "Je", estimé, valorisé, veut exister. Le vouloir n'y suffit pas. Il y faut les conditions possibles d'une réalisation. La visée éthique englobe aussi le pouvoir être soi-même, le pouvoir être Sujet, du "je peux" jusqu'à sa mise en acte dans une histoire concrète. Etre sujet tout seul n'a pas de sens. Le devenir implique l'autre, que je reconnais et qui me reconnaît dans le même mouvement. C'est là où naît la "sollicitude" à l'égard d'autrui. "Toutefois cette sollicitude n'est pas laissée à l'arbitraire des élans du cœur. Elle s'inscrit dans un monde commun, le monde de tous, dont l'institution est le garant, garant de ce que chacun a valeur d'autrui pour soi et vice versa" 446 .

Morale et éthique étant définies, peut-on les repérer dans la logique qui préside à l'établissement des conditions matérielles des RASED ? La nécessité d'une éthique se justifie-t-elle ? Dans une optique morale, l'existence des RASED répond à un système de normes rigide et statique. La quantité de postes spécialisés est en rapport avec un quota global d'élèves ; le fonctionnement qui en découle, référé à ce calcul, est par conséquent estimé "normal". L'éthique au contraire dynamise l'attitude morale. Ouvrant à la reconnaissance du sujet, elle permet d'aller au-delà de l'arbitraire ou des règles comptables. Rien n'autorise la disparité actuelle des ressources sur le territoire. Dans les zones pauvrement desservies, c'est l'avenir d'une population en risque d'exclusion qui est en jeu. Négliger des élèves ou des enseignants en souffrance revient à laisser se dégrader une situation déjà difficile. L'exigence éthique naît de l'arbitraire et lutte contre les obstacles qui entravent l'advenue de "l'humain" chez toute personne : élèves, enseignants, personnel d'encadrement…, et à tout niveau : RASED, écoles, institution etc.

Notes
442.

GONIN D. et DALIGAND L.Le médecin, l'éthique et la loi in Médecine et Hygiène N° 1433, Genève, août 1981 page 2621

443.

Ibid. p. 2622

444.

Ibid. p. 2623

445.

Ibid. p. 2624

446.

RICOEUR P. (1990) Soi-même comme un autre,Paris, Seuil, p. 112