1.2.4. Des impératifs minimalistes à l'efficacité de fonctionnement

Les impératifs minimalistes requièrent des réseaux composés par un ou plusieurs maîtres E, maîtres G et psychologues scolaires. Or, les RASEDne réunissent pas forcément les trois types de professionnels, ainsi que le montre le choix des interviewés 447 . La circulaire d'avril 2002 offre depuis peu la possibilité d'y remédier. Elle définit la composition minimale des RASED en garantissant " la présence des trois types de personnels 448 afin de pouvoir procéder à l’analyse des besoins particuliers de chaque élève et proposer les aides spécialisées adaptées". Mais cette affirmation n'est pas sans soulever d'inquiétude. Elle pourrait, par le biais d'une pirouette administrative répéter l'économie effectuée par la transformation du GAPP au réseau. Il s'agirait cette fois-ci de passer des multiples "mini RASED" d'une circonscription, souvent incomplets, à l'unique RASED constitué de tous les précédents et comprenant à coup sûr tous les types de professionnels. Pour ce faire, il suffit de rattacher les postes de réseau non à une école comme ce qui existe actuellement 449 mais à l'unité d'administration pédagogique locale que constitue la circonscription. Dans cette perspective les effectifs pourraient même être réduits sans porter atteinte à la réglementation. Cependant, le nombre de postes de RASED n'est toujours pas défini au plan national et il n'existe pas de possibilité pour les gérer de façon inter-académique sur la totalité du territoire.

Le fonctionnement en réseau ne peut se satisfaire d'un engagement de l'Etat à assurer l'existence des trois spécialisations par RASED tant que persistent des politiques académiques disparates. La possibilité d'un tel fonctionnement reste tributaire de facteurs spatio-temporels et humains pesant lourdement sur l'efficacité souhaitée. Les uns recouvrent les déplacements nécessités par le secteur géographique. Matériellement, tout n'est pas réalisable et les limites inhérentes à cette contingence sont à prendre en compte lors de l'établissement des postes et de leur territoire. La circulaire d'avril 2002 en prend acte et régularise d'ailleurs les choix obligés : "Le secteur d’intervention des personnels est déterminé de telle façon qu’il garantisse une véritable efficacité pédagogique, en évitant une dispersion préjudiciable" 450 . Cette précision fait néanmoins écho aux inquiétudes évoquées précédemment. Les autres facteurs à prendre en compte sont relatifs à la population d'élèves dont les caractéristiques ne peuvent être passées sous silence. L'équité en matière d'implantation de postes demande une pondération des chiffres existants par des indicateurs jusqu'alors ignorés. Les quotas par exemple de "un maître E pour 1800 élèves" n'a pas la même signification en terme de travail s'il s'agit d'enfants scolarisés en zones d'éducation prioritaire, réseau d'éducation prioritaire, en secteur urbain de centre ville ou en secteur rural.

Le fonctionnement en réseau demande in fine l'engagement de tous : les conditions matérielles des RASED devraient devenir une préoccupation collective. Chaque professionnel a le devoir de faire entendre et de concilier les trois logiques : syndicaliste ou éducative, gestionnaire et éthique. C'est l'accord entre ces positions qui permet de déterminer les conditions vitales à l'existence d'un fonctionnement en réseau. L'accroissement des moyens, la planification et la créativité au service de l'accomplissement de chacun sont des axes aux intérêts divergents, mais qui doivent tous être prises en considération. La logique syndicaliste ou éducative est mue par la notion de développement de l'enfant. Elle vise à multiplier les mesures : études dirigées, ateliers de besoins, décloisonnements, aides dans la classe… Elle s'oppose à la logique gestionnaire qui, elle, analyse les besoins et définit les réponses à apporter en termes de coût et de budget dans un souci de rendement et d'efficacité. La logique éthique donne un cadre aux pratiques et sert discrètement de guide dans les situations où l'autre, en difficulté, risque d'être nié. Le mieux-être psychique, de l'enfant mais aussi de l'enseignant, est l'objectif recherché, avec notamment la mise en place d'aides spécialisées.

Si cet indispensable jeu de logiques est mal arbitré, il devient une source supplémentaire de dysfonctionnements, chaque parti s'identifiant à l'une de ces logiques, pour en arriver au déni de la position des autres. Le conflit premier de l'élève en difficulté se trouve alors savamment orchestré, dans une partition où l'autre, différent, n'a pas de place reconnue. Au contraire, un équilibrage entre chaque positionnement est à concevoir. Ce type de challenge n'est pas réservé à l'Education nationale. Nombre d'organisations y sont soumises et il est intéressant d'analyser la tendance actuelle qui se dessine en matière de solutions. Selon A. Lafrance, "l’entreprise peut gagner en efficacité et en harmonie si des actions programmées sont mises en œuvre pour faciliter la communication interne" 451 .Il importe donc de mettre en place les conditions d'une communication entre chaque strate institutionnelle et de confier ce rôle à des "communicateurs" 452 . En fait,il ne s’agit pas seulement de transférer des informations, il s’agit de solliciter les échanges qui sont considérés comme le "système sanguin de l’organisation" 453 .  La circulation du langage et de la parole permet non seulement d'apporter des éléments vitaux mais également d'exporter les scories et les déchets produits par l'exercice quotidien. Dans cette perspective, rendre l'institution communicante implique l'instauration de liens entre les professionnels de base et l'encadrement (immédiat et à haut niveau) dépassant le rapport hiérarchique. Le fonctionnement par connexions, organisées et suivies, ne se limite pas alors aux professionnels de l'enseignement, généralistes ou spécialisés, mais englobe tous les membres du système. La configuration en réseau, si elle est effective, marque la fin des systèmes clos qui enferment dans leur déterminisme irréductible. Intégrant potentiellement tous les éléments juxtaposés, elle offre la possibilité de multiples solutions sans mettre en cause son équilibre. Elle est de ce fait parfaitement appropriée à une organisation établie sur la déconcentration décentralisée, à un travail reposant sur la flexibilité et l'adaptabilité, à un système politique conçu pour répondre rapidement à des demandes changeantes, à une organisation sociale visant à la négation de l'espace et à l'annihilation du temps.

Le RASED ne peut être pensé isolément : il n'est qu'un maillon dans l'ensemble plus complexe de la "société en réseaux" 454 qui se profile à l'aube du nouveau millénaire. "Ce dispositif doit être à la fois assez solide pour résister afin d'être investi comme un "créé" suffisamment malléable, souple pour que chacun puisse l'habiter – sans le détruire - à sa manière" 455 . La présence ou l'absence des autres acteurs scolaires dans ce réseau, comme la dynamique des autres réseaux par rapport à celui-ci, déterminent ainsi les sources essentielles des changements à venir.

Après avoir mis en lumière les conditions matérielles d'un fonctionnement en réseau, nous allons nous attacher à déterminer les dispositions indispensables à l'instauration d'un partenariat entre les différents acteurs responsables de l'aide à l'école.

En résumé

La recherche des conditions nécessaires et suffisantes pour l'établissement d'une collaboration effective, dépassant l'analyse des dysfonctionnements, s'attache à dégager les éléments indispensables à sa mise en place, à partir tout d'abord du concept de réseau.

Matériellement, l'organisation en réseau des aides à l'école réclame des pôles repérables et reconnus, dont le potentiel de connexions présente nécessairement une dimension humaine.

L'analyse de la carte scolaire en matière de postes de RASED montre de fortes disparités nationales. Elle permet de mettre en lumière les trois logiques qui déterminent cet état des lieux. La première, syndicaliste ou éducative, vise un accroissement quantitatif et qualitatif des moyens octroyés. La seconde, gestionnaire, se centre sur l'adaptation coût / rentabilité. La dernière, éthique, pointe la nécessité d'une attention prioritaire portée aux personnes. Quand le seul souci économique l'emporte le nombre de postes a tendance à fondre quelles que soient les difficultés des élèves et des enseignants. L'absence de critères institutionnels présidant à l'implantation des postes, le manque de dialogue entre décideurs et acteurs à ce sujet entretiennent alors des situations où le fonctionnement des RASED est lourdement entravé.

C'est la conciliation des logiques syndicaliste ou éducative, gestionnaire et éthique qui assure la possibilité d'une véritable organisation réticulaire. La collaboration souhaitée passe par cet impératif essentiel.

Notes
447.

Aucune étude statistique ne nous permet d'apprécier la constitution des réseaux, à petite échelle, sur l'ensemble du territoire.

448.

en rouge dans la circulaire

449.

Le rattachement des postes de RASED à un groupe scolaire a des conséquences pratiques en terme de présence obligée dans ce groupe pour réceptionner le courrier administratif par exemple. Cette particularité favorise de fait le fonctionnement en mini réseau des personnels exerçant dans des écoles identiques ou géographiquement proches.

450.

Circulaire n° 2002-113 du 30.04.2002

451.

LAFRANCE A. (1996) Réseaux et Programmes de communication interne,Paris,Les presses du management, page 11

452.

ce qui correspond à une fonction nouvelle, apparentée à celle du médiateur, chargé de faciliter les relations et la communication entre différents protagonistes en désaccord

453.

HENRIET B. (1990) Audit de la communication interne, Paris, Editions d’organisation, p. 9

454.

CASTELLS M. (1996) La société en réseaux, l'ère de l'information, Fayard, Tome 1

455.

BONJOUR P. LAPEYRE M. (1998) L'intégration des enfants à besoins spécifiques, entre impossible et nécessaire, Thèse de Doctorat, Université Lumière Lyon 2, p. 371