2.1.3. La place des acteurs à préciser

Tout projet d'aide, dans l'esprit de la Loi d'orientation de 89, fait naître un pôle central : l'élève. Autour de lui, des personnes satellites associent leurs efforts pour lui assurer le meilleur développement possible. Elles concourent à cet objectif commun par l'organisation ou l'accompagnement d'apprentissages, chacune selon leur qualité, dans un partenariat institutionnellement supposé à défaut de pouvoir être imposé 462 . Les différents acteurs : parents, intervenants extérieurs à l'école, maîtres généralistes et spécialisés, supérieurs hiérarchiques, occupent tous une place socioprofessionnelle qu'il convient de déterminer avec précision.

La place des enseignants est décisive : Comment se situent le titulaire de la classe ainsi que les professionnels de RASED par rapport à l'élaboration et à la conduite du projet pour l'élève ? Quel est le rôle de chacun dans un travail collectif au service des progrès de l'enfant ? Le questionnement lié au positionnement de chacun est vital. Actuellement, les réticences à se considérer non seulement dans l'équipe de maîtres d'une école ou dans l'équipe de RASED mais aussi dans l'autre, comme membre d'un réseau élargi, sont massives. Très peu d'interviewés l'évoquent :

E46 Olga A2 p 602

‘[Le RASED évoque le] travail en équipe,essentiellement avec les trois pôles, psychologues, maîtres E et maîtres G et bien sûr les partenaires extérieurs et l'équipe pédagogique, dont on fait partie finalement…’

De même, les entités "RASED" ou "Ecole" sont plus facilement identifiées dans leurs spécificités que dans leur capacité à nouer des relations et à résoudre des difficultés ensemble.

E59 Charlotte A2 p. 762

‘Chacun a bien sa place ce qui fait que quand les parents ont affaire à l'un ou à l'autre membre de l'équipe, ils savent quoi attendre et ils savent ce que chacun, avec sa spécificité, peut proposer – rééducateur, maître E, psychologue. C'est pour ça que le mot explications est très important au niveau du RASED. Vraiment, il ne faut jamais hésiter à redire comment fonctionne un RASED, ce que chacun peut faire et quel type de réponse on peut apporter. Là aussi, c'est la base. Si les gens n'ont pas compris à quoi on sert, ils vont être soit déçus par rapport à des demandes où ils n'auront pas ce qu'ils souhaitaient, soit seuls parce qu'ils ne vont pas forcément s'adresser à un membre du RASED dans l'école au moment où il se passe tel ou tel problème pour un enfant.’

La place à tenir ne peut se fonder uniquement sur l'opposition spécialisé / non spécialisé. Cette catégorisation induit en effet facilement l'image d'un personnage dispensant "la bonne parole" et d'un autre la recevant, tout comme l'enseignant nourrit l'enseigné. La place à occuper doit aussi tenir compte d'une similitude : tout maître est aidant, qu'il soit spécialiste de l'aide en classe ou d'une aide spécifique. C'est, in fine, dans la tension entre ces deux directions où chacun peut expérimenter une complémentarité non feinte que s'enracine une véritable vie d'équipe. Mais cet équilibre entre la distance, comme spécialiste possédant un savoir et des compétences spécifiques, et la proximité, comme collègue aux prises avec la difficulté, est en réalité rarement mis en valeur dans le discours recueilli. La définition de la place des différents acteurs ne peut pourtant faire l'impasse de la position dynamique à tenir par chacun.

La place de l'inspecteur par rapport au RASED est également très importante à délimiter. Elle nécessite une explicitation et une régulation constante. A la fois distante et proche des équipes éducatives, elle présente une tension naturelle analogue à celle des spécialisés. L'équilibre entre les deux extrêmes relève d'une stratégie de management qui conjugue direction ferme et prise en compte réelle des besoins et attentes du personnel. Par exemple, Régis en illustre les deux composantes 463 :

E14 Régis A1 p. 209

‘Comment considérez-vous votre rôle au sein du RASED ?’ ‘Je vais être cru : c'est moi le patron... parce que je ne veux pas que le RASED soit autonome, je ne veux pas qu'il soit coupé des écoles. Je ne veux pas qu'il se sente seul non plus. (…) C'est plutôt moi qui défends le réseau parce que... comment dire... certains membres du réseau ont été carrément agressés par certains enseignants. (…) Je tiens aussi à ce que les enseignants sachent que je suis derrière le réseau d'aides.’

Le soutien approprié permet d'établir un climat de confiance mutuelle. Les demandes, de part et d'autre, débouchent sur des dialogues constructifs et ont toute chance de donner lieu à des actions auxquelles chacun adhère.

E59 Charlotte A2 p. 764

‘On a une réunion avec [l'inspecteur] prochainement pour savoir ce qu'il attend du réseau et voir comment on pourra négocier les diverses interventions possibles d'un réseau d'aide. On a préparé un peu les choses en se mettant d'accord sur ce qu'on acceptera de faire ou de ne pas faire.’

Comme le laisse entendre la détermination sous jacente à cet exemple, la qualité du partenariat se construit sur le fil du rasoir. Fruit d'une considération et d'un respect réciproques, elle répond aussi à un leadership délibérément démocratique 464 .

E60 Clémence A2 p.782

‘[L'IEN]est toujours disponible pour nous rencontrer, soit un, soit deux, soit tous. Elle n'a pas peur de se mouiller avec nous, ça on apprécie beaucoup et elle met des réponses dans la possibilité de ses moyens, soit elle dit non parce que ça ne lui va pas mais en général on trouve des choses possibles. (…) En ce moment, sur une école, il y a un problème d'effectifs d'enfants très en difficulté, on est en train d'imaginer une nouvelle façon de fonctionner, de créer une classe passerelle. Le réseau a posé les problèmes, elle nous a reçus. On a eu un temps de travail commun pour essayer de mettre les choses en place et après les directeurs sont venus pour travailler cette idée qui pourrait naître…’

La place de l'IEN au sein des RASED ne peut se réduire à un poste de gestion administrative. Elle se définit au contraire au carrefour du contrôle et de l'animation, dans l'arbitrage de conflits et la dynamisation d'une collaboration à différents niveaux toujours à réactiver.

Notes
462.

Actuellement aucune mesure ne permet d'imposer véritablement un partenariat. On pourrait imaginer des règles incitatrices (cf. la bientraitance du personnel enseignant pp. 412-415), voire coercitives en cas de non-respect de cette forme de travail, telle par exemple une diminution de salaire.

463.

Replacés dans l'ensemble de l'entretien, ses propos à l'emporte-pièce relèvent plus du souci d'être entendu que d'une position fantasmatique de père tout puissant.

464.

LEWIN K. (1971) Psychologie dynamique, Paris, PUF. Lewin dégage trois ambiances possibles : anarchique, autocratique et démocratique. Seule la dernière est suffisamment contenante et ouverte pour permettre une réelle collaboration.