2.1.2. L'implication : de marginale à managériale

Le mot implication apparaît en français au XIXème siècle. Il est issu du latin plectere, plexus, entrelacer auquel se rattache implicare plier dans, envelopper. Etymologiquement, il signifie l'action d'impliquer, c'est-à-dire le fait de se plier dans, de se mêler à, de s'engager dans une affaire. Si la motivation donne l'impulsion nécessaire à une mise en mouvement, l'implication en traduit concrètement la vitalité.

Là encore, le recours à la théorie des organisations peut être élucidant. Dans toute entreprise ou institution, l'implication du personnel peut être estimée et rapportée à des pourcentages de population. Statistiquement, les constats pour l'industrie varient peu. Marcus Buckingham et Curt Coffman 474 présentent par exemple des résultats proches de "¼ ; ½ ; ¼". Pour eux, environ 26 % des collaborateurs sont loyaux et impliqués, 55 % sont peu impliqués et se contentent de faire le minimum, 19 % sont mécontents ou indifférents. Cette dernière catégorie regroupe ceux qui vont à contre-courant de l'idéologie générale et qui développent une implication soit trop envahissante voire "délinquante", soit nettement insuffisante pour donner vie à une véritable forme de collaboration.

Quels sont les enseignants et IEN vraiment "pris" dans des liens entre RASED et Ecoles ? Comment les reconnaître ? A travers les entretiens se dégagent quatre modalités d'investissement : marginale, consultative, participative, managériale.

L'implication marginale, qui concerne la plupart des indifférents, est souvent formalisée et va parfois jusqu'au rituel. Elle se traduit par des activités de type administratif – affichage des coordonnées – ou informatif - présentation du RASED en conseil d'école – avec quelquefois des demandes de rencontres ponctuelles. Les enseignants généralistes dans ce cas par exemple semblent considérer le dispositif d'aides pratiquement inexistant et inopérant. Certains hésitent à poser des questions, à se plaindre ou à faire des demandes, même s'ils ne sont pas d'accord avec les secteurs d'intervention prioritaires. Estimant le RASED inaccessible, ils s'en désintéressent par manque de connaissance ou divergence de valeurs et ne provoquent pratiquement jamais de conflit.

L'implication consultative est le fait de la majorité. L'équipe d'école fait alors régulièrement appel au RASED, dans un rapport de "soumission". Les entrevues sont plus fréquentes et plus diverses, avec une forte proportion de rencontres informelles. Les spécialisés ont un rôle prépondérant. Ils décident des prises en charges et assurent l'élaboration des projets, l'examen des progrès réalisés et l'organisation des activités futures. Prenant toute la place, laissée vacante par leurs collègues ou gommée par leur conception du travail coopératif, ils étouffent toute symétrie dans les rapports professionnels.

E52 Murielle A2 p. 684

‘Les objectifs sont élaborés en synthèse de réseau. Ensuite on les propose à l'enseignant et on voit avec lui ce qu'il peut faire dans sa classe. Ce n'est pas toujours évident d'ailleurs. Et l'inspecteur voudrait qu'on prenne un enfant en aide seulement quand l'enseignant a, lui, mis des choses en place dans sa classe avant d'en venir à une aide E ou G. (…) Il pousse à trouver des solutions en classe, pour que le réseau ne soit pas là pour tout faire.’

L'implication participative répond à l'idéal souhaitable. Elle désigne un bon degré d'investissement dans les actions de collaboration qui permettent aux enseignants spécialisés comme aux généralistes de mieux aider les enfants dont ils partagent la responsabilité. Dans cette perspective, l'équipe d'école et le RASED travaillent comme partenaires "à pouvoir égal" au profit de l'ensemble des élèves de l'école et pas seulement des élèves pour lesquels les difficultés sont déjà avérées. Cette position souligne la réciprocité des échanges entre enseignants. Chaque sous-groupe professionnel reconnaît qu'il a beaucoup à apprendre de l'autre et dans le même temps apporte ses compétences en matière de conduite de réunion, d'analyse de situation, d'élaboration de projet etc. De ce fait, toutes les ressources existantes sont mobilisées en vue de l'action. Il en résulte une satisfaction partagée, où chacun se sent utile et important.

L'implication managériale marque l'engagement le plus actif. Elle est du ressort de l'IEN et du directeur d'école, à condition que chacun occupe respectivement la place désignée par l'institution. Elle consiste à établir un cadre organisationnel et à insuffler le dynamisme nécessaire à l'engagement de tous sur un mode participatif. "Créer la motivation, l'adhésion, l'enthousiasme, la mobilisation, est devenu l'un des pôles essentiels du manager en général, du chef d'établissement scolaire en particulier. A travers l'élan obtenu, certes, il ne provoquera pas (ou rarement ) les changements d'esprit mais il les favorisera. Les promoteurs de la démarche de projet attendent du management participatif que tout le monde mouille sa chemise" 475 . En cas de défaillance d'animation par l'un et/ou l'autre de ces professionnels, n'importe quel membre du RASED ou d'une école peut déborder de ses prérogatives et s'aventurer sur un versant à composante totalitaire ou marginal. Parfois, la dissidence peut être contenue par une partie de l'équipe qui fixe des règles de fonctionnement et les fait respecter. C'est alors un fonctionnement collégial démocratique qui prévaut.

E59 Charlotte A2 p. 768

‘Quelqu'un n'a pas voulu faire passer les bilans de grande section maternelle en début d'année alors que jusqu'à maintenant ça se faisait. Chaque instituteur de grande section le demande chaque année parce qu'ils trouvent ça très intéressant. Cette personne a refusé de les faire donc les maîtres E des autres écoles ont dû venir aider le collègue qui était sur l'école de base à faire passer ces bilans et on s'est dit après coup : "Ce n'est pas possible. Si une personne n'est pas d'accord avec quelque chose qui a été décidé en commun, où est-ce qu'on va aller ?". On a mis tout ça à plat et on a décidé que la loi de la majorité l'emportait au niveau des décisions de fonctionnement de RASED. C'est un exemple… C'est le gros truc qui a mobilisé les gens, qui ont eu des heures à faire en plus, sur leur temps à eux, sur leurs écoles pour aller faire ces passations qui sont toujours un peu longues.’

Parfois, la prise de pouvoir abusive de l'un des protagonistes suscite des heurts entraînant la rupture de toute collaboration et la suppression de toute intervention. Certains enseignants par exemple peuvent s'associer pour lutter contre la forme de travail "réglementaire" du RASED. Leur solidarité n'existe que dans une perspective de résistance : ils forment alors "la communauté délinquante" 476 - décrite par Michel Crozier – qui cherche à protéger le professionnel individualiste et à stériliser le groupe. Ce choix rejoint finalement l'implication marginale, à un degré zéro.

E59 Charlotte A2 p. 769

‘Dans les années antérieures, on a eu un problème avec une école qui n'a pas du tout voulu que le réseau intervienne comme nous on l'entendait, qui demandait en fait uniquement des maîtres supplémentaires pour animer des ateliers avec lesquels ils fonctionnaient, des ateliers purement pédagogiques, qui n'avaient rien à voir avec autre chose. Donc, ç'était très difficile de fonctionner avec eux, ce qui a fait que la dernière année des trois ans, les rééducateurs et maîtres E n'y sont plus allés sur cette école, d'un commun accord. On a mis à plat avec l'équipe des enseignants ce qui se passait et qui n'allait pas. Chaque fois qu'un rééducateur ou un maître E allait chercher un enfant, c'était des soupirs de la part de l'enseignant ou "encore", "ça dérange, tu vois bien qu'on est en train de faire une activité"... Ce n'était plus possible de fonctionner comme ça.’

L'engagement souhaitable pour tous est de type participatif, avec un aspect managérial pour l'IEN et, dans une proportion moindre, pour le directeur d'école. L'accroissement du nombre de professionnels convenablement impliqués nécessite quelques réajustements. Aussi allons-nous proposer quelques suggestions en ce sens.

Notes
474.

BUCKINGHAM Marcus, COFFMAN Curt(2001) Manager contre vents et marées (First, Break all the rules) Ed Village mondial

475.

BOUVIER A. (1994) Management et projet, Paris, Hachette éducation, p. 85

476.

CROZIER M. (1971) Le phénomène bureaucratique, Paris, Le seuil, Points, p. 268