Conclusion

Les RASED ont pour principale finalité l'adaptation et l'intégration scolaire de tous. L'aide est centrale aussi bien pour les enfants dits "en difficulté" que pour leurs maîtres. Définie comme un étaiement fait de présence active, elle permet au sujet d'advenir et s'efface au bon moment. A l'école primaire, elle répond à une division des tâches et se décline en aides généralistes ou spécialisées. Ces aides ne sont pas conçues comme une juxtaposition de recours supplétifs possibles. Elles impliquent une réflexion commune entre enseignants spécialisés et généralistes, un accord sur les finalités à poursuivre, une négociation des actions conduites par chacun des intéressés etc. ce qui représente la mise en œuvre d'une collaboration effective.

Actuellement, les aides spécialisées au sein des RASED se développent trop fréquemment en parallèle ou à distance du système ordinaire. Elles répondent ainsi partiellement à la demande institutionnelle de collaboration. L'étude quantitative des représentations des divers professionnels concernés, corroborée par leur analyse qualitative, le montre abondamment. La méconnaissance importante des pratiques d'aide entraîne idées préconçues et déliance. Le partenariat apparaît par ailleurs comme un thème marginal et conflictuel.

Les textes officiels relatifs à cette dimension demandent pourtant avec fermeté que des liens se tissent entre le secteur primaire ordinaire et celui de l'Adaptation et de l'Intégration Scolaire, traditionnellement séparés. Ils recommandent des pratiques en prolongement de la politique des cycles et visent à supprimer toute tendance à l'individualité. Les interventions du RASED doivent être incluses dans le projet d'école qui, garantissant la cohérence des démarches éducatives, les articule étroitement aux autres actions scolaires. Cette exigence réclame une communication de qualité entre enseignants. Pour ce faire, le texte indique plusieurs pistes à suivre : attribuer un rôle de médiateur RASED/Ecole au directeur d'école, nommer un "correspondant RASED" par groupe scolaire, établir des protocoles d'échanges etc. Ces propositions, de nature organisationnelle, portent essentiellement sur des procédures. En aucun cas, elles ne peuvent agir sur la motivation, le désir de rencontre ou les phénomènes à l'œuvre dans toute relation.

Or, les circulaires ministérielles ne représentent qu'un aspect de la demande institutionnelle. Les attentes au moment de la certification écrite des CAPSAIS par exemple font peu de cas de la collaboration. Autant le discours officiel l'impose comme une nécessité, autant le contrôle de son assimilation théorique et de sa mise en application durant la période de formation semblent négligés. L'écart repérable entre ces deux demandes montre l'ambiguïté institutionnelle à propos du partenariat et du fonctionnement en réseau. Cette contradiction est renforcée par le déficit d'évaluation qui touche le travail en RASED. Les différents rapports de l'Inspection générale pointent les insuffisances de la hiérarchie en ce domaine et en montrent les conséquences négatives.

Ce contexte se révèle propice à des liens professionnels très diversifiés, allant de l'absence de contact à des échanges denses et productifs. Les dysfonctionnements de la coopération enseignants spécialisés/ enseignants dessinent en creux l'attention nécessaire à sa mise en place. Les fonctionnements satisfaisants, concrets ou conceptualisés, parachèvent les éléments esquissés. Eclairés tour à tour par les concepts de réseau, reliance et parole, ces aspects permettent de modéliser les conditions requises à l'existence d'un travail d'équipe fructueux.

Les premières conditions indispensables à la collaboration s'assemblent en une dominante d'ordre matériel regroupant la faisabilité des échanges et une connaissance minimale du dispositif et des aides proposées.

La faisabilité des échanges s'impose comme l'élément fondamental sans lequel rien n'est possible. Les insuffisances en matière de nœuds et de connexions vont jusqu'à remettre en question l'existence même de la mise en réseau. L'écart de dotation pour 10000 élèves varie considérablement selon les fonctions et les implantations géographiques. La composition des RASED en est très contrastée. Subissant la préférence donnée à l'une ou l'autre des spécialisations, le dispositif ne regroupe pas toujours au moins un représentant de chaque spécialité : maître E, rééducateur et psychologue scolaire. Les personnels exerçant dans des secteurs au ratio très faible (nombre de professionnel pour 10000 élèves) déplorent tous une surcharge de travail impossible à honorer. Un nombre trop élevé de demandes potentielles, ajouté parfois aux contraintes territoriales, met en péril la gestion des connexions. Le manque endémique de professionnel spécialisé gêne par conséquent la connaissance des pratiques d'aides spécialisées, et la prise en considération des fonctions qui leur sont attachées. Comme le texte institutionnel en date du 30 avril 2002 le prévoit, le dispositif RASED devrait regrouper à l'avenir les trois types de professionnels. Avec des pôles spécialisés consistants, c'est-à-dire des postes effectivement pourvus et identifiés dans leurs spécificités, le nombre de connexions pourrait devenir humainement gérable. Ce choix éminemment politique résulte de la conciliation de logiques qui tendent à se limiter mutuellement. C'est pourtant l'accord entre l'accroissement des moyens, la recherche d'efficacité à moindre coût et l'attention prioritaire portée aux personnes - élèves et enseignants – qui doit permettre d'obtenir les conditions vitales à l'organisation en réseau.

Une deuxième série de conditions nécessaires à l'établissement d'une collaboration entre enseignants spécialisés et généralistes forme une dominante de nature fonctionnelle. Elle s'attache essentiellement, comme l'indique l'usage du terme fonctionnel en linguistique, aux éléments pertinents pour la communication. Elle recouvre ici les facteurs permettant aux connexions de s'établir avec congruence et efficience : la clarification des conceptions éducatives et des positions partenariales, le soutien de l'engagement participatif de chacun et le développement d'une culture commune.

Les positions partenariales demandent tout d'abord à être précisées relativement aux buts poursuivis. L'établissement de principes communs tels le droit de l'enfant à une éducation suffisamment bonne, le devoir de chaque professionnel pour sa mise en oeuvre, permet d'aboutir à des consensus en matière de valeurs éducatives. Dans cette perspective, la division du travail, autrement dit la fragmentation des aides, mérite d'être explicitée selon les dernières précisions ministérielles. Acceptée, elle se doit également d'être appliquée dans le respect des procédures de travail préconisées. Il en va de la clarté des places à tenir par chacun. Par ailleurs, l'engagement des acteurs dans un travail d'équipe doit être régulièrement nourri. Les motivations individuelles gagnent à s'intégrer dans une dimension collective. Elles se manifestent alors, chez les enseignants, sous forme d'implication participative dans les actions partenariales. Pour les inspecteurs, cet aspect correspond à une implication managériale se traduisant dans la mise en oeuvre d'un pilotage équilibré qui allie cadre contenant et autonomie. L'étayage de l'ensemble des personnels passe par de la bientraitance, c'est-à-dire des marques de reconnaissance, telles la considération, l'évaluation des actions conduites, la rétribution psychique et pécuniaire des résultats obtenus. De plus, le développement d'une culture commune s'avère indispensable. Elle se rapporte essentiellement aux pratiques de travail en équipe et à l'intégration. La notion d'équipe à l'école fait intervenir de nombreux éléments organisationnels : planification, conduite de réunion, conception et suivi de projets, méthodes utilisées, évaluation etc. Elle met aussi en jeu des choix d'ordre éthique liés au contenu des échanges et au savoir à déployer. L'intégration apparaît comme une autre dimension culturelle à façonner, non au bénéfice des seuls élèves porteurs de handicap mais au profit de tous ceux qui connaissent des difficultés. Elle implique de concilier réponses particulières et apport pour tous afin que chacun soit "un parmi d'autres". Cette posture bouscule l'image mythique de l'enfant placé au centre du système et introduit une nouvelle schématisation où l'élève, tout comme les maîtres, reprennent une place en reliance.

Enfin, un dernier ensemble de conditions indispensables à la mise en place de toute collaboration constitue une dominante de nature symbolique, typique de toute humanité. Elle comprend les facteurs autorisant une véritable rencontre. Ceux-ci relèvent de la reconnaissance de l'altérité, et de l'introduction d'une dimension de parole vis à vis d'un imaginaire totalitaire.

La nécessité de la prise en compte d'autrui comme radicalement autre apparaît de façon récurrente. La difficulté, objet du travail commun RASED/Ecole, fait signe dans la mesure où elle invite chacun à reconnaître l'autre dans son irréductible altérité. Le dispositif d'aides lui-même, comme lieu des conflits, redouble cet appel. La place particulière des personnels spécialisés peut être l'occasion de réintroduire du symbolique dans des relations grippées par un imaginaire envahissant. Le RASED, dans son rôle de "porte-croyance" ou de "porte-question", déplace inlassablement les interrogations et désigne l'unique voie d'un changement possible : le "faire ensemble". Les professionnels de RASED ont pour finir la mission de réunir les conditions favorables à cette coopération. Par leur présence, ils rappellent l'urgence de l'écoute et de l'expression de tous et de chacun. Médiateurs, accompagnateurs, ils sont chargés de préparer et de guider au mieux le travail d'équipe dans l'espérance d'une parole échangée et de ses effets de créativité.

Les jalons qui viennent d'être posés montrent que la demande institutionnelle est pour l'instant insuffisante à susciter une collaboration satisfaisante entre les différents partenaires du système éducatif. Les conditions nécessaires à sa mise en place ne relèvent pas uniquement d'une dimension organisationnelle 522 . Elles réclament la prise en compte de facteurs multiples, modélisés à partir des dominantes précédemment dégagées.

L'hypothèse de départ, axée sur la dominante symbolique, s'en trouve confirmée. Elle ne peut cependant être suffisante. La parole vient du réel et s'inscrit dans les repérages donnés par l'imaginaire. C'est son articulation aux autres éléments, matériels et fonctionnels, qui fonde la cohérence du modèle. Chaque dominante appartient à un même ensemble structural. Le jeu consiste à les associer "en réseau" pour une lutte commune contre les difficultés. Cette modélisation rend intelligible une situation confuse et complexe, entravée par des intentions institutionnelles mal élucidées et des injonctions hiérarchiques contradictoires. Elle ne peut dicter de solutions mais seulement éclairer des choix personnels et politiques, à la lumière de l'éthique qui devrait traverser chaque dominante tour à tour. Au niveau individuel, la compréhension des phénomènes relationnels donne la possibilité de développer avec profit la dominante symbolique. Au niveau collectif, l'attention à chaque pôle ouvre à l'espérance d'un traitement plus humain des difficultés de chacun.

La mise en lumière des conditions indispensables à la collaboration ouvre des prolongements possibles. Plusieurs pistes de transformation ou de recherche complémentaire se dessinent d'ores et déjà.

Pour améliorer la connaissance effective des aides, il serait tout d'abord utile de modifier l'image de marque des RASED par des actions de médiatisation et de marketing. Les appellations par exemple gagneraient à être changées au profit de dénominations signifiantes. Le sigle RASED tant contesté pourrait disparaître au profit d'un intitulé directement accessible, par exemple Centre de ressources, qui aurait l'avantaged'attribuer le fonctionnement en réseau aux connexions établies entre ce dispositif et les multiples équipes de maîtres. Dans cette lignée, les expressions maître E et maître G pourraient être transformées respectivement en médiateur des apprentissages et médiateur de l'intégration.

L'attribution et la répartition du nombre de postes en RASED gagneraient à être repensées à l'échelle du territoire tout entier. Ceux-ci pourraient par exemple être isolés au sein de l'enveloppe totale des postes AIS et répondre à des critères nationaux. Pour l'établissement des ratios par exemple, des indicateurs pourraient pondérer le nombre total d'élèves avec le nombre de projets éducatifs individualisés (PEI), de projets d'accueil individualisés (PAI), de programmes ou projets personnalisés d'aide et de progrès (PPAP), les signalements en CCPE et leur nature, les résultats aux évaluations nationales, les classements ZEP, REP, zone rurale, urbaine etc.

Le développement d'une culture commune, concernant essentiellement les pratiques d'aide, le travail en équipe, l'intégration voire l'inclusion… pourrait faire l'objet de programmes de formation, initiale et continue. Notre participation par exemple au groupe de travail ministériel sur la réforme des CAPSAIS, portant sur les contenus de formation et le mode de certification, en constitue une application directe. La dominante symbolique à charge essentiellement des personnels de RASED implique pour eux l'obtention de compétences spécifiques. Il serait utile de poursuivre l'investigation dans cette direction, en approfondissant par exemple l'étude des parcours à proposer en direction des IEN et des professeurs d'école généralistes. Il serait également opportun de prévoir un travail de recherche à propos de l'évaluation des RASED et de concevoir un code de déontologie destiné aux enseignants et à leurs supérieurs hiérarchiques.

Cette recherche en appelle d'autres. Sur quelle figure alors boucler un ensemble indéfiniment ouvert ? Une image insiste à travers cette thèse, celle du symbole. Repéré comme ce qui fait limite et rapport, celui-ci permet à la fois de distinguer les acteurs dans leurs fonctions, leurs actions et surtout dans leur radicale altérité, pour les lier par l'énoncé d'une parole. Ainsi ouvre-t-il indéfectiblement à l'humanité…

Notes
522.

Les prescriptions institutionnelles, qui visent à améliorer l’organisation du travail et la communication entre spécialisés et généralistes représentent quelques aspects de la dominante fonctionnelle mise en évidence.