Annexe 4. Entretiens

Entretien E01 Thomas

50 ans

Profession : IEN depuis 9 ans

Diplômes : maîtrise de maths, CAPES, licence d'allemand.

Thomas : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):

Lieu de l'entretien : bureau de l'IEN

Durée : 1h35

Si on aborde votre formation, quel a été le volume horaire de formation concernant anciennement les GAPP avant votre entrée en fonction ? Est-ce que vous vous souvenez ?

Là c'est difficile, la formation c'était deux années, ça a changé un ou deux ans après ma sortie... On avait une année à Paris (...) avec deux ou trois retours de l'ordre de quinze jours à trois semaines sur le terrain auprès de notre tuteur (...) et la deuxième année, là c'était l'inverse, on était sur le terrain dans une mini circonscription avec des passages à Paris ou au centre de Macon, où on avait des regroupements avec d'autres tuteurs.

Et comment estimez-vous votre formation par rapport au système d'aide organisé en RASED ?

Quasi inexistante.

Avez-vous eu de la formation continue dans ce secteur-là ?

On n'a pas de formation, on n'a que des informations lors de conseils d'inspecteurs, lorsqu'on a connaissance des modifications de modalités de recrutement, des modalités de formation.

Et en volume horaire annuel ça représente quoi ?

Quelques heures...

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté " ?

Enfants en difficulté ? J'ai du mal à réfléchir vite... comme ça... l'écriture automatique, très peu pour moi... Contexte familial... Cinq mots ?... Séparation, handicap, aide parce qu'on va apporter de l'aide et puis notre présence.

Pouvez-vous développer un peu ?

Le plus important, le terme d'aide. C'est-à-dire savoir, c'est l'IEN que vous interrogez là, savoir comment, quel regard je porte là-dessus, c'est un regard... c'est un souci rapidement dans notre entrée en fonction... D'abord on a ces gamins là, au delà de l'obligation qu'on a à travers la loi de 75 d'intégrer l'enfant handicapé ou... même de s'occuper des enfants en difficulté, au delà de cette obligation... c'est vrai qu'on a ces gosses-là... il faut d'abord, il a d'abord fallu, c'était vrai il y a quelques années, faire accepter, notamment dans les écoles, l'idée d'intégration parce que ça on a eu un gros, gros effort à faire et dans ce domaine on a été, enfin moi j'ai été bien aidé par les secrétaires de CCPE parce que ce sont des personnes qui ont beaucoup fait évoluer leur fonction, depuis sept/huit ans, c'est vraiment une fonction qu'on a vu évoluer en termes de charge de travail (...) donc le terme d'aide c'est quand on a ces gamins là, quand on a connaissance des difficultés, du nombre d'enfants en difficulté, de la nature de ces difficultés, qu'est-ce qu'on peut apporter ? Alors comment solliciter un réseau, comment motiver un réseau ? Comment faire prendre conscience aux enseignants que tout ne peut pas venir d'abord du réseau... Le premier soutien, ce n'est pas moi qui le dit c'est écrit, c'est d'abord l'enseignant et puis au bout d'un moment l'enseignant trouve ses limites donc comment faire intervenir le réseau d'aides... voilà ce terme d'aide...

Cherchez le visage d'un enfant en grave échec scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Citez les émotions qui vous animaient face à lui...

Hum... Il y a plusieurs visages...

Choisissez en un pour répondre...Celui que vous voulez...

Bien oui... celui là... C'est un enfant dont peut-être vous avez entendu parlé parce que... il a fait l'objet d'un fait divers connu au plan national, c'était un incendie dans une maison à Grenoble et les enfants ont été sauvés je ne sais plus si c'est par une sœur ou par une voisine de 15 ans qui est entrée dans le brasier et qui les a sortis... Cet enfant a été horriblement brûlé... Il est actuellement à l'école Jean Jaurès, là à côté, je l'ai vu l'autre jour en inspectant l'institutrice dans sa classe... Quand on voit ce gosse qui est parfaitement admis dans la classe - il lui manque beaucoup de cheveux, des plaques de cheveux... il a le visage ravagé complètement - un grand brûlé, c'est dur...

Est-ce que vous pouvez mettre des mots sur vos émotions...

Les émotions... quand son image m'est revenue, j'en ai eu la chair de poule et puis une grande peine de se dire qu'un gosse comme ça depuis l'âge de trois ans il traîne son martyr, il va le traîner vraisemblablement toute sa vie même s'il va subir quelques opérations maintenant... mais oui... c'est aussi se dire... ça pourrait être mon gamin... et puis en même temps ne pas accepter ça... ne pas accepter que le sort ait pu frapper un gamin comme ça... mais en même temps il y a un sentiment d'impuissance devant ce qui lui est arrivé... la seule aide qu'on peut lui apporter à l'école c'est le regard de son institutrice... arriver à... pas à conditionner mais ni à fabriquer, le mot ne me vient pas mais... à éduquer le regard de ses camarades...

Est-ce que vous pouvez citer une action particulière conduite pour tenter de remédier à la difficulté scolaire de cet enfant ?

Enfin de mon fait non... parce que...

Une action conduite par d'autres dans l'école...

...Pour l'instant ce n'est pas un enfant qui m'a été présenté en CCPE ou autre... il est pris par le réseau... moi c'est un enfant que j'ai vu, vous m'avez posé la question... Je crois que les actions dans l'école c'est d'avoir fait en sorte qu'on ne le regarde pas comme une bête curieuse mais... c'est un gosse comme les autres... c'est vrai... (…) Si je pense échec scolaire dans ma circonscription... tout à l'heure vous me demandiez un visage, maintenant je vais translater votre question... si on me demande une zone, une école, un quartier, je pense à l'école Jean Jaurès un peu plus loin... Cette école... je n'ai jamais eu autant d'enfants difficiles, non seulement en difficulté mais difficiles... on a énormément de mal à gérer les relations avec les parents cette année et l'une des difficultés, c'est évident, c'est de communiquer vraiment, ils disent "oui, oui" ou ne viennent même pas, on sent une démission des parents sur le plan éducatif... Ah ça, je crois... je pense... les problèmes de violence dont on a parlé dans les lycées , on voit ce qui se passe actuellement, les meurtres qui ont lieu, d'abord 18 ans, maintenant avec des gosses de 14/15 ans, on a eu des gosses qui se tiraient à coup de pistolet à plomb, avec des petits plombs qui laissaient des impacts dans les jambes, enfin sur la peau... et alors... ces gosses là sont totalement livrés à eux-mêmes, totalement abandonnés à la rue... la directrice de cette école m'a téléphoné l'autre jour, elle m'a dit "j'ai une gosse qui vient de se plaindre subitement, elle ne voit plus, j'ai appelé son père, je ne peux pas le joindre, y'a pas de maman..."

Et alors à votre avis comment peut-on remédier à ces situations ?

Alors ça c'est un travail qu'on a déjà commencé avec cette école... d'abord de réflexion, parfois de prise de conscience, de communication un peu difficile avec les parents notamment par le biais d'employés... suite à des cambriolages, à des dégradations dans l'école, où il a fallu qu'on rappelle la loi, enfin qu'on rappelle non pas la loi, ce n'est pas notre rôle, mais qu'on rappelle les règles... et ce que nous on pensait des attitudes d'enfants, découlant vraisemblablement de l'attitude des parents derrière, c'est-à-dire de toute la démission qu'il pouvait y avoir... Maintenant les causes de l'échec scolaire... là c'est quelque chose de très général... je ne vais pas parler de la télé et de tout ça... sur un autre plan, je vais peut-être complètement changer... quitter l'aspect social, l'aspect éducatif pour aller plus vers le pédagogique... Je crois... alors ou est la cause, où est l'oeuf, où est la poule, je n'en sais fichtre rien... mais dans les écoles on écrit de moins en moins... on parle sans arrêt de déficit de la langue chez les enfants, de l'incapacité à parler, à écrire... et j'entends de plus en plus d'enseignants qui disent "je ne les fais pas écrire, ils ne savent pas écrire" donc je dis "vous ne leur faites pas faire de ski parce qu'ils ne savent pas faire de ski, vous ne pouvez pas accepter qu'ils tombent pendant deux, trois, quatre, cinq séances... dans mes rapports d'inspection, je suis en train d'en rédiger un... je l'ai encore dit hier... vous voyez c'est un autre volet là... mais on a des classes, on a des cahiers... qui traduisent un travail réel, effectif, surtout de la part des enseignants, là n'est pas la question... mais alors des cahiers qui sont des compilations de collage de photocopies... On n'écrit plus, on n'écrit plus, on n'éprouve plus le besoin d'écrire, on bouche des cases, alors on a des connaissances qu'on ne sait plus exprimer... mais là il faut m'arrêter parce que je vais partir là... On fait de la grammaire pour de la grammaire, mais on oublie que pour faire de la grammaire, il faut déjà maîtriser la langue...

On va partir sur une autre piste maintenant ... Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Eh bien Réseau, Aides, Spécialisées, Enfant, Difficultés... (rires)

Bien... (rires) Vous pouvez préciser ?

Je retiendrais surtout spécialisé, personnel spécialisé - Ils sont normalement experts dans le domaine de l'aide - et difficultés parce que leur travail est difficile...

Souvenez-vous d'un enseignant (d'un collègue) en difficulté face à un enfant difficile dans sa classe lors d'une inspection. Quels sentiments s'éveillaient en lui ? Et comment réagissait-il ?

Ecoutez là, les enseignants en général font en sorte de ne pas trop solliciter ces enfants-là lors d'une inspection... sauf à ce que... j'ai vu des enseignants en difficulté, je ne les ai pas vus en situation de classe... En difficulté, c'est-à-dire vraiment un enseignant qui perd pied... devant des questionnements...

Oui par exemple...

Oui, c'est ce qu'on voit de temps à autre, c'est l'enfant qui va poser une question qui va sortir l'enseignant de son schéma, de sa ligne droite et on a souvent des enseignants qui éludent : "Bon écoute, ça on verra plus tard ou tu en parleras à la rééducatrice". Ils éludent sur une autre personne ou sur un autre moment... on en parlera plus tard...

Quand je dis maître E, quels sont les 5 mots qui vous viennent à l'esprit ?

(rires)... Cycle 2, soutien pédagogique, petit groupe, classe ouverte.

Est-ce que vous pouvez développer ces associations d'idées ?

Le maître E... j'aurais peut-être pu ajouter aussi itinérant, parce que cela concerne la circonscription, moi je fais fonctionner le poste en classe ouverte... parce que tous les postes E que j'ai eu dans mes différents postes d'inspecteur, celui-ci c'est le troisième, j'ai toujours fait fonctionner les postes en ouvert et essentiellement dans le secteur rural et j'ai toujours privilégié complètement ce mode de fonctionnement plutôt qu'une classe fermée... Parce qu'une classe fermée en secteur rural, ça veut dire qu'il faut amener les gamins et là il fallait que l'enseignant aille vers eux... Aide... Comme l'enseignant est itinérant, il y a du temps passé sur la route, donc il faut rentabiliser le temps, il faut rentabiliser ces postes, donc il ne faut pas que l'enseignant se déplace pour prendre un groupe de un ou deux gamins ... Contrairement à mon prédécesseur qui disait "il faut des groupes de douze" - on ne va pas recréer des classes...- je dis aux maîtres E qu'ils peuvent quand-même prendre des groupes de 5 ou 6 gamins.. Et... également, on va encore faire une espèce de translation, ce qu'on demande à un enseignant ordinaire en classe, c'est de gérer l'hétérogénéité, c'est dans la loi de 89, je crois qu'on peut demander la même chose à un maître E, il doit pouvoir aussi, c'est peut-être moins vrai pour un maître G... ça, ça se discute, il a quatre ou cinq gamins, il peut prendre des gamins avec des problèmes différents à régler, voire des différences d'âge...

En vous appuyant sur des exemples concrets vus en inspection pouvez-vous définir le travail du maître E ?

... Je réfléchis parce que je n'ai pas inspecté de maître E là depuis... au moins quatre, cinq ans, parce que je n'ai pas eu à le faire... j'ai eu de gros retards d'inspection à résorber, mais pas sur ces postes là... Je dois vous dire que votre question c'est un peu une colle, je dois rassembler mes souvenirs (…) Si... J'ai fait passer un CAPSAIS E avec Robert Domenac... Je dois vous dire que j'ai envie de couper le magnétophone parce que Robert Domenac et moi avons beaucoup parlé pendant le CAPSAIS et que j'avais le sentiment, d'ailleurs pas du tout scandaleux, que cette dame était déjà reçue avant parce que de toute façon, elle le méritait, je la connaissais bien et je ne peux absolument pas dire de façon honnête et objective qu'on a fait une analyse critériée de ce qui allait ou de ce qui n'allait pas pour la recevoir. Elle était... c'était évident qu'elle allait l'avoir parce c'était une bonne enseignante de toute façon...

Quelles sont les différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E?

Le maître généraliste, il est généraliste, il est censé enseigner un ensemble de disciplines, le maître E... le maître généraliste lui aura, j'espère, fait part des difficultés de l'enfant, donc au maître E de voir quelle est la nature, la réalité des difficultés de l'enfant dans les domaines qui lui ont été signalés et puis de focaliser, de cibler son action dans un domaine disciplinaire puisque qu'on est sur le maître où on est plus sur le disciplinaire que sur le relationnel... donc de cibler ça autour des difficultés...

Quelles sont les ressemblances entre généraliste et maître E ?

Entre généraliste et maître E ?

Oui, en tant qu'ils font du pédagogique tous les deux...

... J'ai envie de dire que le maître E devrait faire du pédagogique mais essayer peut-être de trouver une entrée différente, de se poser la question de savoir et là de voir avec l'enseignant comment l'enseignant a présenté telle ou telle notion pour peut-être le maître E de par sa technicité de voir, d'essayer de trouver un autre angle d'attaque... avec l'enfant... soit dans un domaine purement didactique, soit par une entrée ludique, avec tous les outils censés être à sa disposition... mais le maître E sera toujours à mon sens dans un travail de nature pédagogique avec à mon sens une autre entrée...

Quand je dis maître G, quels sont les 5 mots qui vous viennent spontanément ?

Rééducateur, aide psychologique... précisément parce que c'est là qu'il peut y avoir problème... travail d'ordre affectif, relationnel, confiance, donner confiance...

Pouvez-vous développer ces associations d'idées ?

Quand je disrelationnel, on peut penser que les gamins qui sont traités, je n'ai pas... on a plus l'idée d'un travail plus précoce au niveau de l'âge des enfants... Les enfants qui ont été signalés, voir un peu quelle est la nature de leurs difficultés, d'ordre social, d'ordre comportemental et puis essayer de voir avec ces enfants la hauteur, la réalité de leurs difficultés et puis redonner confiance, (incompréhensible)... les problèmes de mal être, apporter peut-être derrière une présence qui va faire que l'enfant va se situer mieux dans sa classe pour bénéficier au mieux des apprentissages...

En vous appuyant sur des exemples concrets vus en inspection pouvez-vous définir le travail du maître G ?

Là c'est pareil, il m'est difficile de répondre...

Lors de la passation de la partie pratique du CAPSAIS G, quels sont les critères d'évaluation des candidats ?

Je vais faire la même réponse que pour le CAPSAIS E, on a beaucoup parlé l'autre jour, c'est vrai que c'est pareil que pour Mme David, on n'avait pas eu l'occasion d'en discuter avant mais je n'ai pas eu le sentiment qu'il y avait à priori de problème... On était là en présence d'une personne qui ne pouvait pas nous apporter un danger quelconque donc il y avait manifestement un relâchement dans le jury, enfin dans les deux membres masculins du jury...

Quelles sont les différences de "clientèle" entre maîtres E et maîtres G ?

Je dirais pour l'instant... tout restera peut-être à redéfinir si tant est qu'il y aura une redéfinition dans l'avenir... Pour l'instant c'est davantage maître G : cycle 1 avec parfois débordement cycle 2 si ça se justifie, grande section, pourquoi pas CP si vraiment un maître G estime avoir à apporter quelque chose de différent de son collègue E et puis les maîtres E cycle2, grande section, CP, CE1 avec quelques exceptions parfois en cycle 3, quand elles sont justifiées moi je les accepte, à condition que ça reste des exceptions...

Quelles sont les différences de pratiques entre maîtres E et maîtres G ?

... Oui, déjà en termes quantitatifs, les maîtres G prennent beaucoup moins d'enfants que les maîtres E... ça me pose un problème, il ne faut pas être un malade de la rentabilité mais on est bien obligé parfois de s'étonner quand on voit un rééducateur qui a moins de 20 enfants par semaine... Un maître E tourne... parfois il y a des excès, de 30 à 90... 90 c'est trop, ça ne sert plus à rien... 45 à 50 enfants c'est assez... en termes quantitatifs... En terme d'idée qu'on s'en fait, je pense qu'il y a une approche plus ludique... on est loin des apprentissages disciplinaires... par le fait peut-être que le rééducateur va taper davantage dans le cycle 1, on est davantage dans un travail où le jeu est un moyen adapté aux possibilités de cette tranche d'âge (incompréhensible)...

Quels sont les points de ressemblance entre pratique E et pratique G ?

Le fait qu'ils prennent des petits groupes, encore que la taille des groupes soit différente... mais on a des petits groupes, on n'a plus une classe ordinaire... les ressemblances, c'est un emploi du temps qui n'est pas le même que celui des maîtres ordinaires puisqu'on est sur 24 heures plus les heures de concertations, là, je crois qu'à ce niveau, il y aura aussi des choses qu'il va falloir revoir parce qu'on est un peu dans le flou... Il y a des traditions qui perdurent... qui sont à mon avis pas toujours très saines parce que les enseignants ordinaires le perçoivent parfois...mal.

Si un jeune intéressé par un poste en RASED vous demandait de parler des métiers de maître E et G, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais qu'on a besoin de ces fonctions dans les RASED... c'est tellement vrai que j'ai insisté l'an dernier beaucoup pour avoir des créations de postes, essentiellement des postes de maître E... et je lui dirais parce que vous me posez la question maintenant que la fonction est en train d'évoluer, qu'il y aura peut-être des changements... et s'il me questionnait sur la différence E et G je lui répondrais qu'à terme on ira peut-être vers une réunification comme en Allemagne et que ce n'est pas forcément un mal...

Alors en quoi la différenciation actuelle E/G vous semble-t-elle pertinente ?

Votre question m'embarrasse parce que je me sens un peu en contradiction avec moi-même, avec d'abord ce que je viens de répondre très consciemment là tout de suite... et puis avec le fait que dans ma circonscription j'ai constaté... ou on m'a fait constaté le manque d'un poste au nord et qui me conduira ultérieurement à demander une création d'un poste G. Là je suis en contradiction... dans ce métier, des couleuvres on en avale parfois... ça ne me gêne pas plus que ça... je sens quand même le besoin d'un poste de cette nature auprès des plus jeunes... Maintenant est-ce qu'on ne pourrait pas former des gens qui soient capables... d'avoir tantôt un rôle de E, tantôt un rôle de G... à mon avis, ça ne doit pas être une chose incompatible, une chose impossible.

S'il y avait une fonction unique comment pourriez-vous la concevoir plus précisément?

Il faudrait d'abord une formation telle que... qui n'embarque pas les ex rééducateurs ou les gens qui se destineraient à cette ancienne spécialisation, on va dire G ou rééducateur vers un travail d'ordre psychologique mais une formation qui leur permette de prendre à la fois en charge des gosses du cycle 1 avec les difficultés que j'ai signalées, davantage ciblées comportementales, sociales, relationnelles et un soutien d'ordre pédagogique comme on le demande pour l'instant aux maîtres E... Parce que j'ai quand-même envie de vous dire qu'un enseignant ordinaire dans une classe, il a les deux à traiter...

Est-ce qu'il existe déjà des glissements de pratiques entre E et G qui annoncent cette perspective là ?

Dans ma circonscription, à ma connaissance non. Le réseau... Bon, j'ai fait un choix, je ne le suis pas de très près... J'ai une réunion de réseau en début d'année, j'en ai mis une en milieu d'année que je n'avais pas prévue parce qu'il y a des retours de personnes en congé, ça m'a obligé de restructurer les interventions mais ce n'est peut-être pas assez, maintenant j'ai essayé d'instaurer ici, parce que n'ayant plus de conseiller pédagogique, j'avais des choix à faire, j'ai fait le choix de dire aux psychologues, qui ne sont pas les chefs de réseau mais enfin qui centralisent et qui dispatchent, qui répartissent un peu les prises en charge, je leur ai dit, vous gérez ça en sous secteur et puis quand il y a une difficulté on verra ça en réunion de milieu ou de fin d'année...

Vous consacrez combien d'heures en totalité au RASED ?

Le RASED proprement dit ?... ça dépend... une dizaine d'heures... pas plus. Je dois être honnête...

Pour revenir aux fonctions E et G, y a-t-il une fonction qui joue un plus grand rôle? Pourquoi ?

Je reviens à ma contradiction, je vais vous dire... E. Pour moi, j'ai le sentiment que les postes E sont les plus importants. Si j'essaie d'analyser ma réponse... je me dis est-ce que c'est parce qu'à mon corps défendant, implicitement, j'aurais dans la tête l'idée que la maternelle c'est moins important que l'élémentaire, j'espère que non. Mais entre l'explicite et l'implicite, il y a peut-être là des choses qui ne sont pas d'une totale clarté... comme autre contradiction il y a que... plus tôt on prend les difficultés des enfants et mieux ça vaut... Maintenant est-ce qu'un maître E ne pourrait pas aussi les prendre en cycle 1?... (rires)...

A votre avis le système d'aide actuel est-il efficace ?

On arrive à l'aspect difficile de l'évaluation qui est la croix et la bannière... Le système efficace ? C'est toute la question de comment mesurer l'efficacité et comment se contenter de, comment affirmer ou... oui... comment se contenter de l'efficacité présumée d'une action autre que l'action ordinaire en classe ? J'aurais tendance à dire qu'entre l'énergie dépensée... en termes d'heures, de coût pour la société, de postes mis, de frais de déplacement, mais de toute façon ce n'est pas ça qui grève beaucoup les budgets de l'Education Nationale, mais imaginons que ce soit à la hauteur de ce que ça devrait être... on engagerait beaucoup d'argent... Un responsable, un gestionnaire est obligé d'en parler... Il y aura beaucoup d'argent engagé, je pense qu'à l'arrivée, entre ce qui sera mis et les attentes qu'on pouvait avoir et la réalité du bénéfice... Je crois qu'il y aura une distorsion énorme... Pour autant est-ce que l'on doit dire : "Comme ça fonctionne mal on supprime ça" ?... Bien sûr la question sera : "Comment mieux le faire fonctionner ?"

Oui, alors à quelles conditions ça fonctionnerait mieux ?

Je peux être polémique ?... On s'interroge, quand je dis "on", c'est les inspecteurs, quand on en parle on fait allusion aux postes G, j'ai quelques collègues qui ricanent ou qui ont des propos très clairs sur l'idée qu'ils se font de ces postes et des gens qui les occupent... Et c'est vrai qu'il n'y a pas une très bonne perception parmi nous de ces postes... C'est pourquoi certains de nos collègues les transforment systématiquement en postes G (lapsus dit d'une voix forte et affirmative)... Moi, je n'en suis pas là... Je m'interroge... Je pense quand même qu'on ne peut pas ne pas voir la rentabilité, le nombre d'enfants qui sont pris, ce qu'on apporte réellement et puis l'investissement réel qui est donné par les rééducateurs. Il y a les problèmes des emplois du temps... Evidemment quand vous avez... La plupart des emplois du temps sont donnés sur quatre jours... le samedi, on annonce des rencontres avec les parents mais ce n'est pas effectif tout le temps... Et pour rester dans un discours matériel et syndicaliste... pour tout travailleur en France, qu'il soit fonctionnaire ou pas, c'est trente neuf heures... Y'a-t-il réellement trente neuf heures de travail chez un maître E ou G... voire chez un psychologue ? On peut se poser la question... On va me dire qu'un psychologue rédige ses rapports chez lui... On peut se poser la question aussi d'un ... rééducateur. Bon on l'a vu l'autre jour... une personne qui a présenté des dossiers que moi, j'ai trouvés intéressants... Le collègue avait l'air de trouver aussi et c'est lui le spécialiste... On peut penser que ça demande des heures de travail en dehors du temps de présence auprès des enfants... Je ne suis pas certain que ce soit le lot de tous les rééducateurs... Pareil pour les maîtres E... Parfois on peut avoir le sentiment que ça peut être une fonction confortable. On n'a pas beaucoup d'enfants, on n'a pas une responsabilité l'année entière. La responsabilité, c'est quand-même l'instituteur qui l'a... On a deux gamins par heure, on en a vu huit... dix... douze à la fin de la journée... Donc la fatigue physique n'est pas la même, le stress n'est pas le même... C'est un peu pessimiste...

Et si on revenait à ce qu'on disait tout à l'heure, c'est-à-dire concevoir une fonction unique, comment dans cette perspective vous envisagez le recrutement de ces gens là?

(incompréhensible) ... forcément chez les instituteurs... On peut difficilement ne pas recruter chez les enseignants... des gens qui n'auraient pas connu la vie avec les élèves... Mais par contre, je me demande si l'institution ne devrait pas poser d'autres conditions... tout simplement de statut, de droit et de devoir parce que... Est-ce que c'est un problème spécifiquement fonction publique française je n'en sais rien mais... On a le sentiment qu'on met davantage en avant les droits que les devoirs... (...)

Quels seraient ces devoirs par exemple ?

Le premier devoir serait d'assurer la réalité d'un temps de travail... (...) on ne peut pas, face à des parents qui sont des interlocuteurs obligés, on ne peut pas donner une image sérieuse des fonctions où les gens prennent des petits groupes sur un temps qui ne fait pas 35 heures... en supposant qu'on y arrive un jour ou l'autre... Donc il faudrait revoir les conditions, les exigences du travail... Or on est depuis un certain nombre d'années sur un mode de fonctionnement entériné avec... probablement... l'impression donnée par les gens qui exercent cette fonction qu'il y a des avantages acquis... à savoir un emploi du temps chez les psychologues un emploi du temps sur trois jours et demi, quatre jours... là on peut voir les choses différemment, il y a un certain nombre de cas à voir... on est à la tâche, on n'est pas à l'horaire... (...) mais ce n'est pas tout à fait la même chose pour les postes E et G... là il y a bien une contrainte, il faut travailler quand les enfants sont là. Déjà on travaille... au moins les quatre jours... mais puisque les instituteurs travaillent le samedi, on pourrait dire aux rééducateurs, vous travaillez le mercredi matin...

Dans la mesure où les parents accompagnent leur enfant (me coupe)

Maintenant, si vous le permettez, je voudrais continuer aussi... nous, nous sommes aussi responsables de ça... Moi, je revendique la responsabilité je ne vais pas dire d'un laisser aller mais du fait qu'on ne pose plus les exigences... Au niveau par exemple des journées pédagogiques (...) il est clair que tous les gens du RASED ne sont pas concernés... Mais moi, je ne peux pas, en plus, organiser des journées spécifiquement AIS... On ne s'en sort plus... ça veut dire que c'est encore un avantage acquis... Si je disais, cette année je me consacre à vous, ça serait sûrement mal ressenti... Alors je ne veux pas dire qu'on fait ça par faiblesse parce que pour le reste, il n'y avait pas non plus de journées pédagogiques avant que j'arrive, moi je les ai instaurées. (…)

Si on revient au RASED, quelle est la typologie des tâches effectuées par l'équipe ?

D'abord on passe, même si ça a été contesté par l'Inspecteur Général qui nous a réunis, on a eu du mal à lui faire comprendre, quand il nous dit de faire de la prévention, faire de la prévention, ça passe par un dépistage donc nous on a des évaluations, des tests systématiques passés en début d'année, mis en oeuvre par le psychologue et ses collègues de manière à ce que, la passation une fois déroulée, ils puissent se répartir le travail de façon à gagner du temps... Ensuite passage et observation plus approfondie dans les écoles pour voir la réalité des problèmes... Moi, je ne suis pas hostile à ce dépistage... enfin ce n'est pas le mot, cette évaluation plutôt... ces tests... J'ai quand-même mis en garde de manière générale les réseaux devant les demandes insistantes qu'il pouvait y avoir de la part de telle ou telle école... Parce qu'on a aussi des réactions d'enseignants ordinaires, vous comprendrez bien sûr à chaque fois ce que je mets derrière ce mot, ce n'est sûrement pas péjoratif... comme eux, je suis un IEN ordinaire, je ne suis pas un IEN AIS... Les signalements parfois relèvent du médicament de confort ou de l'inquiétude. On est inquiet devant ce qui arrive à tel ou tel enfant, donc forcément il faut qu'on fasse appel à quelqu'un d'autre. Parfois aussi les signalements relèvent d'un sentiment d'injustice ou de jalousie. Des enseignants sachant que le réseau intervient chez des collègues réclament une sorte de dû. "Pourquoi n'interviendrait-il pas chez nous alors qu'on a vingt élèves de moyenne par classe ?" Ce n'est pas une priorité mais on demande pour que école ait droit aussi à l'intervention du RASED, surtout quand on sait qu'un poste a été créé... Bon alors ça, il faut que je mette le holà... Pour revenir à votre question des tâches, il y a les évaluations et puis ensuite les signalements nous sont faits, on envoie, par le biais des sous réseaux, un certain nombre de documents à l'école qui nous les font remonter lorsqu'ils ont un certain nombre de signalements à nous faire passer... Les enseignants les envoient en double exemplaire, moi j'ai demandé à ce qu'ils en envoient un directement au réseau, qu'ils n'attendent pas que j'ai signé pour qu'on ne perde pas de temps... Je suis informé... En synthèse ils définissent entre eux qui fait quoi. Je leur laisse là une relative autonomie parce que ce sont des gens que je connais, à qui je peux faire confiance...

Y a-t-il des évaluations de résultats pour le maître généraliste, pour le maître E ou G ? Si oui, sur quels critères ? si non, pourquoi ?

C'est la grosse difficulté et je ne vais pas raconter n'importe quoi. On ne trouve pas, on a un mal énorme à trouver des outils pour évaluer les réseaux, enfin... On va dire que la première évaluation du fonctionnement d'un réseau, c'est d'abord l'évacuation, l'évacuation (rires)... ce n'est pas un lapsus révélateur ça j'espère… mais l'évaluation des enfants eux-mêmes, c'est-à-dire au moment où ils l'ont pris et à la fin. Ce que je demande, c'est que ça au moins, ça soit fait. Je crois que la première évaluation du RASED est là. Une évaluation plus générale, c'est plus une évaluation quantitative quand, à la fin de l'année, je leur demande un rapport d'activité. Oui, ça on peut quand-même le noter comme un élément d'évaluation qui peut me conduire à dire à la réunion de rentrée : " j'ai fait tel constat, il va falloir resserrer, notamment dire aux rééducateurs, il faudra prendre un peu plus d'enfants que ce que j'ai vu". Donc, c'est une évaluation quantitative. Maintenant une évaluation qualitative, je crois qu'elle doit être exercée avant tout par les gens sur le terrain parce que c'est avant tout l'évaluation des enfants.

Et est-ce que vous en avez des traces ?

Je n'en demande pas, non, je n'en fais pas remonter...

Pouvez-vous vous souvenir d'une action exemplaire soit positive, soit négative, conduite par le RASED. Que pouvez-vous en dire ?

Une action, oui... quelque chose qui me vient à l'esprit... J'ai trois CLIS dans ma circonscription, deux sur Le Coteau et une que j'ai eu énormément de mal à implanter... Je peux le dire, les mots ne sont pas trop forts... ça a été une lutte, un combat avec les élus... Mme Gaspard avait très vite accepté de mettre le poste, sur le plan Education Nationale les moyens étaient mis, la structure à St Savin existait, il y avait une classe de perfectionnement qui avait disparu, mais le local existait... (...) Mais lorsque la municipalité a été informée de l'ouverture d'un poste, ça a été...(...) articles dans le journal du style "pas de fous chez nous" (...) Bon finalement la classe a été implantée... (...) Mais la CLIS, ce qui veut dire classe d'intégration scolaire, risquait d'être fort mal intégrée... Or l'école a connu l'historique de la création de cette classe et la directrice a pris ça à bras le corps avec le réseau, avec la psychologue qui s'est beaucoup investie de façon à ce que la classe soit intégrée... Y'a des décloisonnements, les enfants participent à un travail spécifique avec les autres classes... Ils participent complètement à la vie de l'école, ils sont suivis tous de près par la psychologue mais aussi par le maître E... Donc pour moi, c'est une action qui devait contribuer à casser l'idée que les élus se faisaient de ce que serait cette classe : ce serait forcément une classe de délinquants et de criminels... C'était ça, je vous assure que c'était ce que j'ai entendu...(...)

En ce qui concerne les départs en stage de préparation au CAPSAIS, quels sont les critères de sélection des candidats ?

Ce n'est pas à nous qu'il faut poser la question, il faut la poser à l'Inspection académique, aux commissions paritaires...

Vous n'avez pas votre mot à dire ?

Oui, si effectivement des gens postulent... moi, c'est vrai que je n'ai pas de souvenirs récents, de gens dans ma circonscription qui auraient postulé. Par le passé si... Le critère pour moi, c'est que ce soit d'abord un bon enseignant, un enseignant qu'on aura connu, que l'on saura dynamique, aimer les enfants et avoir des qualités relationnelles et pédagogiques évidentes... Donc on aura un bon enseignant... C'est un peu trivial mais...

Pouvez-vous citer les 3 livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Non.

Même question pour les G ?

Non, parce qu'on a... peut-être des livres de Meirieu ou d'autres auteurs mais on n'a pas connaissance de ces formations. Là vous allez mettre le doigt sur une lacune parce qu'elle est impensable... J'ai peut-être des collègues AIS j'imagine ou d'autres collègues qui sont plus branchés, c'est clair qu'à ce niveau-là on a une lacune.

Existe-t-il une différence professionnelle perceptible entre enseignants E et G formés en stage et candidats libres ? Laquelle ?

Incapable de répondre.

Que pensez-vous de la qualité actuelle de la formation E ?

Je ne peux pas parler de la formation mais je peux parler de ses effets... Moi, je n'ai pas en m'en plaindre. Je trouve qu'au niveau de la formation E, j'ai des gens - ça tient peut-être aussi aux personnes - qui sont disponibles, qui ont envie de donner, qui ne comptent pas leurs déplacements, je pense au secteur de campagne tout là-haut... non, pas de critiques particulières à faire.

Que pensez-vous de la qualité actuelle de la formation G ?

Formation G, on s'interroge parfois sur les dérives d'ordre psychologique qu'il peut y avoir... Alors est-ce que c'est le résultat de la formation ou le résultat d'une mauvaise perception que les titulaires ont de leur rôle ? Là, je ne me prononcerai pas parce que ne connaissant pas la formation... Mais on peut se poser la question... dérive psychologisante.

Est-ce que vous pouvez préciser, mettre des anecdotes là-dessus par exemple ?

Oui, c'est sur mon deuxième poste à Montbrison, donc pas ici... Une dame qui venait régulièrement à l'inspection, on peut se poser des questions sur ses motivations mais enfin... Un jour elle est venue pour défaire en catimini, entre quatre's'yeux dans mon bureau, tout ce qui avait été fait lors d'une commission au cours de laquelle siègeaient plusieurs personnes à propos du cas d'un enfant... Commission au cours de laquelle elle n'a rien dit mais après elle a dit non, il ne faut surtout pas proposer ça, c'est mauvais, cet enfant il a tel problème psychologique, la dérive elle était là, elle avait fait une analyse qui n'était pas pertinente et en plus elle intervenait complètement dans le dos de toutes les personnes qui entre elles étaient arrivées à une décision élaborée en commun, prise en commun. Moi, ça me paraît être une dérive assez grave, je vous dis que j'ai peu apprécié sa démarche...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

La réussite à l'école pour un enfant ?... Compétences maîtrisées, qualité des apprentissages, ce n'est pas des mots, c'est plutôt des expressions... Traiter toutes les disciplines, la joie d'apprendre, de faire du sport, de la musique comme de la grammaire et des maths, également la joie d'enseigner.

Pouvez-vous expliquer le choix de ces termes ?

Lajoie d'apprendre, joie ou plaisir, je trouve que dans notre système, il y a un élément que l'on ne peut plus négliger... c'est le terme d'évaluation des effets de notre travail, du système donc on va dans les formations, les vôtres, en tout cas les nôtres, moi je m'en souviens bien... on a beaucoup parlé d'évaluation, de préparation, de conception... on parle beaucoup de l'avant séquence, de l'après, on en oublie le pendant... on en oublie la notion de plaisir tout simplement, ce mot qui fait peur... Le plaisir qu'on peut prendre dans un beau problème de maths à un beau raisonnement mathématique, à écrire un beau texte, comme le plaisir qu'on prendra à faire bouger son corps en éducation physique, que ce soit en faisant du ski, de la piscine, le plaisir qu'on prendra à chanter ensemble, le plaisir qu'on va donner aux autres, le plaisir qu'on va prendre en regardant un tableau et le commenter... à apprendre des connaissances en histoires... Et ça on l'oublie un petit peu... Et quand je parle des joies d'apprendre, un gamin c'est bien qu'il ait des connaissances mais que de temps en temps au delà du résultat on pense au moment où il va apprendre, à ce qu'il va vivre pendant, à ce qu'il va intégrer... Qu'on n'en soit pas simplement à viser le résultat, qu'on n'oublie pas qu'il puisse y avoir une joie , une joie à être là et à pratiquer quelque chose et qu'on n'en voit pas seulement les effets quantifiables... L'idéal, c'est qu'il y ait des deux... En principe si les effets sont positifs, il y aura peut-être le plaisir, non... On peut s'interroger sur la façon de le faire passer... (…) Il faudrait qu'on ait des enseignants qui prennent plaisir à enseigner... qui acceptent de se dire maintenant qu'une classe n'est jamais homogène... qui acceptent de gérer l'hétérogénéité... qui acceptent aussi parfois de se dire à un moment ou à un autre qu'eux-mêmes ne vivent pas mal l'échec qu'ils ont avec un enfant... parce que parfois ils rencontrent leurs limites, il faut... moi je leur dis "vous rencontrez vos limites, il faut savoir les reconnaître, ce n'est pas un constat d'échec pour vous, maintenant il faut qu'on passe à autre chose, le réseau"... Peut-être aussi un autre regard porté sur l'école de la part des parents, de la part de la société en général... Je crois que dans les enquêtes, les parents portent un regard positif vers les enseignants mais pas vers l'école, vers les personnes mais pas vers l'institution... L'école est critiquée de toutes part, les enseignants ont encore relativement bonne presse...

Comment voyez-vous l'avenir des RASED ?

(rires)... C'est sûr qu'on aura toujours besoin de psychologues, je crois qu'on aurait besoin malgré tout de davantage de moyens... Mais ça va rejoindre la question qu'on a évoqué tout à l'heure, c'est-à-dire la redéfinition claire et nette des rôles des postes E et des postes G ou des rééducateurs s'il n'y a plus qu'un seul corps.

Comment considérez-vous la place et le rôle de ces aides à l'école ?

Là aussi je l'ai évoqué, je reviens à ce que je dis aux enseignants, le premier soutien d'un élève, c'est l'enseignant dans sa classe. Lorsque l'enseignant, parce qu'il a une classe chargée, parce qu'il a un enfant qui montre des comportements tels que s'il se met à gérer cet enfant là, il y en aura 24 ou 25 autres dont il ne pourra plus s'occuper ou parce que... le gamin peut être bien gentil, inexistant, mais... on ne trouve pas la clé pour entrer un petit peu dans les savoirs avec lui, à ce moment il ne faut pas hésiter à faire appel au réseau, sans penser que le réseau sera forcément non plus la solution miracle, hélas. (…) L'école, dans son ensemble, est fondamentale... (rires) Comment peut-on imaginer les adultes que nous sommes devenus sans école ? sans les apprentissages fondamentaux, les outils, les matières dites fondamentales... sans l'ouverture d'esprit qu'en principe l'école devrait apporter... sans la fréquentation de domaines que vraisemblablement dans beaucoup de familles les enfants ne fréquentent pas, je pense aux disciplines artistiques, voire à la pratique du sport... enfin que l'école contribue... je vais revenir à la définition d'un honnête homme chez Montaigne, à faire des gens qui savent réfléchir et puis qui ne négligent rien, qu'on ait un enseignement qui vraiment ne néglige rien ... enfin ça c'est quelque chose de vraiment viscéral en moi, comment peut-on vivre sans faire de sport et sans faire de musique ? Je ne peux pas moi... (rires) j'ai besoin d'agencer mon temps afin de préserver ça... (...) L'école devrait permettre vraiment aux enfants tout au long de leur scolarité, que ce soit primaire ou collège, de leur donner la capacité à réfléchir, à critiquer, à être bien dans leur tête et bien dans leur corps... (...) Bien dans son corps c'est aussi ressentir une émotion devant un tableau, pas forcément être capable de l'expliquer... pourquoi pas... être capable d'avoir une explication rationnelle, artistique... mais au moins qu'on éprouve une émotion et un intérêt, ne serait-ce que déjà un intérêt... (...) Je suis pour la culture du sport... qu'on donne envie à la population, aux gamins, de se bouger, de pratiquer un sport pour le bien-être physique... pour que la tête suive...

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école...

Les remarques pour un IEN, c'est en termes quantitatifs. (...) On connaît les réalités de la gestion d'une carte scolaire, la gestion des choix que doit faire un Inspecteur d'académie, c'est lui qui les fait mais c'est nous qui les nourrissons ces choix... Pour autant, je crois quand-même qu'on aura besoin de psychologues, on en est à la nécessité de un de plus par circonscription, enfin moi j'en aurai un de plus ça serait bien... un poste de plus aussi au niveau du RASED, on va dire un poste de rééducateur au sens large, ce serait bien également... Donc la question des moyens se pose quand-même ... Mais la question des moyens, si on mettait des moyens, on ne ferait pas l'économie d'une redéfinition des tâches... parce que plus de moyens, ça ne veut pas dire plus de laxisme encore sur le terrain... le laxisme existe... dont nous sommes en partie responsables... Je ne sais pas si vous l'entendrez beaucoup ça (incompréhensible) mais je crois qu'il faut qu'on en parle ou alors on fait perdurer un certain nombre d'attitudes... Bon maintenant qu'est-ce qui nous conduit à ça ? Là on pourrait déboucher sur un autre questionnaire et un autre mémoire que vous pourriez faire sur la fonction de l'IEN... Mais d'autres l'ont fait... Mais c'est vrai qu'on a, nous, une fonction, puisque ça vous intéresse, qui est passionnante... parce qu'elle est diverse mais sa diversité fait aussi l'importance des charges... Je peux vous dire que les 39 heures on ne sait pas ce que c'est... Nous on est déjà aux 35 heures mais on n'a pas défini le coefficient multiplicateur... C'est 35 point 1,8... Ce qui fait que l'on est conduit à des choix et les choix c'est peut-être... moins suivre de près... Maintenant, il y a aussi des habitudes... des formes de comportements de relations avec ces postes particuliers qui ont pour conséquence... il faut voir que parfois nous nous retranchons derrière une attitude d'observation tranquille ... On ne peut pas non plus faire du harcèlement... houspiller les gens en leur disant : "alors vous en avez pris combien cette semaine ?" ... On ne peut pas faire ça... Moi, j'essaie de rappeler de temps à autre un certain nombre d'obligations... Je suis revenu pas mal de fois là-dessus ? (rires)...

Une dernière question à laquelle vous êtes libre de ne pas répondre... Pour quelles raisons êtes-vous devenu inspecteur ?

C'est une question qu'on se pose souvent, je crois que les raisons sont multiples, parfois contradictoires. La première... je ne vais pas dire que c'est la crise de la quarantaine, il n'y a pas de crise... (rires)... mais enfin, c'est une envie de changer tout simplement... à quarante ans donc... à peu près dix huit ans d'ancienneté, d'exercice...d'un métier au cours duquel il y a eu des pics, des creux, là j'étais dans une phase... sereine d'enseignement mais parce que précisément j'étais dans cette phase je me suis dit bon ça peut ne pas durer, il est temps de changer... et je me suis inscrit au concours comme ça... comme ça ... en me disant... bon à l'époque je me suis dit : "qu'est-ce qui s'offre à nous quand on est prof ?", bon il y avait ou un principalat de collège... que j'avais toutes les chances d'avoir... ou le concours d'inspecteur... Et je craignais en demandant le principalat de collège de l'avoir, c'est-à-dire que je voulais me mettre dans une disposition qui me donne l'illusion que je faisais quelque chose pour infléchir un confort... parce que j'étais dans une situation de confort à tous égards... mais malgré tout l'envie intellectuelle de le rompre et la crainte de le rompre... Et je me suis dit, le concours d'inspecteur je n'ai aucune chance donc je passe le concours d'inspecteur et je me suis retrouvé admissible et puis à l'oral je suis arrivé... en battant... en me disant "il faut que je l'ai cette fois-ci"... ça c'est les circonstances... la motivation c'était avant tout l'envie de changer... je ne sais pas si on peut aller dans des détails aussi particuliers... mais j'aimais beaucoup enseigner et j'étais bien avec les élèves, je crois qu'ils étaient bien avec moi, je crois qu'ils ont bien travaillé avec moi... le problème c'est que je n'étais pas un passionné de maths... j'ai enseigné les maths comme un... (incompréhensible) avec les élèves ça passait bien mais je n'étais pas un matheux...(...) donc l'envie de retourner, ça c'était sans doute assez fort, l'envie de retourner à un métier qui m'oriente vers davantage de polyvalence parce que... bon, j'ai fait une licence d'allemand, j'avais fait avant le bac des études de lettres, latin et grec, j'étais un littéraire, j'étais bon en lettres... j'étais bon en maths... mais je crois qu'au fond de moi, j'étais plus littéraire que matheux... le fait de... passer le concours c'était aussi me dire "bon je vais retoucher... à la... non pas à la littérature, parce qu'on ne fait pas de la littérature au niveau du primaire mais enfin à l'enseignement du français, à l'enseignement de l'EPS parce que c'est vrai j'aimais le sport aussi, la musique, donc... revenir vers une polyvalence, c'est moi... les deux motivations essentielles... Maintenant il ne faut pas se cacher non plus que... on ne fait pas ça si ça n'apporte pas un plus en terme d'image sociale... je ne parle pas de salaire parce que si on veut en discuter... j'ai été complètement perdant... parce que si je rapporte au nombre d'heures que je fais dans la fonction d'inspecteur, mon salaire au nombre d'heures, par rapport au salaire que j'aurais actuellement si j'étais prof encore au nombre d'heures qu'on fait tout en faisant bien son travail, ça n'a rien à voir, la division est vite faite, les frais engagés en voiture, en déplacement, valait mieux que je reste prof...ça, à ce niveau là c'est clair, tant que notre fonction ne sera pas revalorisée, faut pas faire le calcul en ces termes... mais bon y'a quand-même un plus... au niveau social... mais s'il n'y avait pas eu ça, je ne l'aurais pas fait. Pas la peine d'aller passer deux ans à Paris, de déménager dans le Doubs, région vraiment magnifique... mais ça supposait des choix, des sacrifices, rompre avec des attaches... Fallait quand-même qu'il y ait quelque chose de cette nature... au delà de l'intérêt que présente la fonction.