Entretien E07 Julien

46 ans

Profession : IEN AIS

Diplômes : DESS sociologie

Julien : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):
Julien : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):

Lieu de l'entretien : au domicile de l'interviewé

Durée de l'entretien : 1h 15mn

Quel a été le volume horaire de formation concernant les RASED préalable à votre entrée en fonction ? Lors de formation continue ?

La totalité, c'est 4 demi-journées consacrées à l'AIS et en gros ça fait une demi-journée, donc trois heures sur les RASED. Mais pas de formation continue.

Les stages que vous faites ne sont pas de la formation continue ?

Non, c'est de la formation initiale des inspecteurs AIS. Ils ont neuf semaines de stage spécifique en plus de l'année de formation des inspecteurs ordinaires. C'est réparti cinq semaines la première année, quatre semaines la deuxième année.

Et pendant ces semaines avez-vous une formation concernant les RASED ?

C'est une bonne question ça... non... non parce que c'est considéré comme ayant été vu pendant la formation initiale, donc on a... un travail sur l'intégration, mais pas un travail spécifique sur les RASED pendant ces neufs semaines... si ce n'est qu'on revoit dans le détail ce qu'est un maître G, un maître E etc... c'est plus dans la spécificité de la préparation des CAPSAIS donc du référentiel de l'examen et du référentiel professionnel que dans l'aspect RASED qui, de fait, n'est pas quelque chose de spécifique à l'AIS... enfin de l'inspection AIS, c'est de l'ordre de l'inspection ordinaire.

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté " ?

Souffrance, différence... autre...

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Chaque mot ?

Oui, les mots, les évocations induites...

Souffrance, parce que les enfants qui sont en difficulté... Il y a deux niveaux de souffrance par rapport à un enfant en difficulté et même trois. Il y a la souffrance de l'enfant lui-même, je crois qu'elle... ne peut pas être... dans la moyenne, elle est forcément dans la particularité, la singularité...ça attire forcément le regard des autres sur soi, qu'on supporte pas forcément, enfin que l'enfant... peut ne pas supporter... bien. Et donc ça peut amener de la souffrance. Et puis l'enfant en souffrance, il y a deux ordres de souffrance : celle qu'il génère chez ses parents, et je parle des difficultés, pas seulement du handicap... et la souffrance professionnelle chez les enseignants qui, même s'ils semblent parfois plutôt dans le rejet et l'agression - ça ne les libère pas pour autant, au contraire - je pense que cette agressivité ou ce rejet, c'est la manifestation d'une souffrance dans la sphère de l'identité professionnelle... Parce que, même quand un enfant peut être amené à jouer de la dérision et même être le pitre de la classe, voir des bouquins comme Poil de carotte, c'est la manifestation d'une souffrance... mais moi quand j'évoque la souffrance je ne mets pas forcément en corollaire la notion de malheur. Souffrir, ce n'est pas forcément être malheureux... On peut souffrir parce qu'on n'a qu'une jambe et que la prothèse fait souffrir, ce n'est pas pour autant que l'on est malheureux à pleurer toute la journée. C'est ce qui surprend souvent les gens, notamment quand on travaille avec des enfants handicapés, de les voir rire... "Ils rient quand-même"... Eh bien oui ils rient parce qu'il faut bien vivre... n'empêche qu'on souffre...

Et par rapport à différence et autre ?

Je ne les dissocie pas... différence et autre parce que... les enfants en difficulté sont... ils sont des autres... ils ne sont pas dans la moyenne, ils ne sont pas dans la norme statistique, ils sont autres parce qu'ils sont différents... la difficulté crée de la différence... la différence ce n'est pas quelque chose qui est ipso-facto absorbé par la société... y'a... mais on ne va pas refaire un cours de sociologie ou d'anthropologie... mais la différence peut être érigée en déification, en totem, c'est rarement le cas notamment par rapport aux enfants en difficulté scolaire, on ne les totemise pas mais la différence devient objet d'un regard particulier... ça... je pense tout de suite à autre parce que je rapporterai ça aux travaux de Lévinas et Jankelevitch surtout... Quel regard on porte sur l'autre et dans quelle dimension par rapport à soi on place l'autre... savoir si on le traite à égal ou si on le traite dans sa différence par le rejet...

Cherchez le visage d'un enfant en grave échec scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Citez les émotions qui vous animaient face à lui.

En premier lieu une sorte de pitié mais le mot est un peu fort, une sorte de condescendance, l'envie d'alléger la souffrance...

Vous pouvez retrouver une action particulière conduite pour tenter de remédier à cette situation...

Ah oui, c'était des prises en charge, du soutien scolaire...

Est-ce que vous pouvez préciser quelques souvenirs à ce propos ?

.... oui... le soutien scolaire, la prise en charge de cette nature-là était faite simplement sur le... sur le support... sans travail sur le transfert et le contre-transfert, sur la relation duelle mais de toute façon je crois qu'en pédagogie malheureusement on fait trop de didactique et pas assez de relationnel ou du moins qu'on ne travaille pas la relation avec les gamins... ça m'évoquait ça... j'aurais dû dire malheureusement on faisait du soutien scolaire... or, avec les gamins en difficulté, il y a quelque chose de la remise en confiance à travailler avec lui, donc c'est dans la relation maître-élève que ça se travaille, je référerai ça aux travaux déjà anciens de Jean Guillaumin dans les cahiers Binet-Simon de 1962 je crois, sur la relation maître-élève... sur l'analyse transférentielle de l'affectivité...

Quelles sont les causes principales de l'échec scolaire ?

Le déficit, l'incapacité, l'incompétence à observer les enfants...

Est-ce que vous en voyez d'autres ?

C'est le fait que l'école travaille essentiellement pour les enfants qui sont dans la moyenne et qu'elle fonctionne essentiellement pour elle-même et non pas pour les marges... les enfants en difficulté étant forcément à la marge du travail étant donné qu'ils sont laissés pour compte...

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Fuite, envie d'aider les autres, mais ce n'est pas la charité, je ne trouve pas le mot, vous vous débrouillerez avec ça, vous chercherez dans le dictionnaire... Cinq, ça fait beaucoup, j'ai dit fuite, l'aide... sans doute quelque part quelque chose comme l'amour... la souffrance aussi...

Souvenez-vous d'un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe. Quels sentiments s'éveillaient en lui ?

De la peur.

Y avait-il encore autre chose ?

non, vraiment de la peur, alors après la peur qui se décline en agressivité, en agression, en angoisse, en tout ce que l'on veut... de la peur... peur de l'enfant, peur de perdre son identité professionnelle, peur de mettre en péril son identité d'adulte... et puis je ne sais pas ce qu'était sa vie personnelle... mais quand je cite comme ça, quand j'essaie de balayer les enseignants que j'ai rencontrés et la façon dont je vois... je vois même récemment les enseignants de la circonscription, j'ai pointé un enfant en difficulté, c'est vraiment de la peur... et plus encore maintenant quand c'est l'inspecteur qui pointe... là du coup il y a de la peur dans la sphère de l'identité professionnelle... vraiment je crois que c'est le sentiment dominant que je perçois chez les enseignants...

Revenons à l'enseignant auquel vous pensiez tout à l'heure... Comment réagissait-il face à l'enfant ?

Plutôt de façon agressive...

Est-ce que vous pouvez préciser ? ... à travers des choses concrètes ?

Oui... très agressive... c'était de l'agression... le gamin placé au fond de la classe, le gamin interdit de parole, le gamin plus souvent puni... enfin réprimandé... le gamin à qui on met de mauvaises appréciations sur le cahier au lieu d'essayer de l'encourager, de pointer le positif, on insiste lourdement sur le négatif... voire le cahier qu'on ne corrige plus "ton cahier je ne le corrige plus parce que c'est vraiment toujours trop mauvais"...

Quand je dis maître E, quels sont les 5 mots qui vous viennent à l'esprit ?

Relation duelle, prise en charge, affectivité... Il en faut cinq ?

Il me semblait intéressant d'en avoir un certain nombre... Cinq, c'était pas mal, mais on peut revoir ce nombre à la baisse...

C'était pas mal... Mais...

On peut s'arrêter là... Est-ce que vous pouvez expliciter le choix de ces termes ?

Relation duelle parce que je crois qu'effectivement dans ce type de travail, ce n'est pas le soutien scolaire, ce n'est pas l'action pédagogique qui est importante, c'est bien le fait de travailler seul avec un enfant mais même si on est à plusieurs enfants, même si on a le gamin dans la classe, c'est le fait qu'un adulte soit là pour un enfant... ou même s'ils sont trois ou quatre, ce n'est plus une classe de vingt-sept ou trente, c'est comme ça que les gens finissent par me dire que les orthophonistes elles font des miracles... elles font peut-être des miracles mais c'est pas dans leur technicité d'orthophonistes, c'est dans la maîtrise de la relation duelle et justement dans cette relation duelle où il travaille autant d'affects et que le gamin ne se construit en tant que lui... que dans ce travail d'affect et là tout d'un coup il a un espace dans lequel il peut construire des affects, il peut... je crois beaucoup à la notion d'inhibition contrairement à Piaget, je crois qu'il faut, pour qu'un gamin arrive à grandir, qu'il accepte d'inhiber certaines choses autant connaissances que... affects pour pouvoir en construire d'autres plus positifs et avancer... ça on ne peut pas forcément, suivant ce que l'on vit, on ne peut pas d'ailleurs le faire dans un grand groupe... si le gamin arrive faire ça dans le groupe, c'est parce que... dans la famille, il n'a pu le faire. On s'aperçoit bien que les gamins qui sont en difficulté ne viennent pas de n'importe quel milieu familial... Ce n'est pas le niveau socioculturel de la famille qui est en cause... c'est la relation affective qui se dégage dans la triangulation familiale qui est en jeu... c'est des gamins qui sont dans des familles où la parole circule peu, où la place des uns et des autres est peu définie, donc comment il peut faire travailler ses affects ? Tout banalement, il faudrait réfléchir sur comment les gamins qu'on a à l'école maternelle qui rentrent dans l'œdipe peuvent se construire s'ils n'ont pas une triangulation réglée dans la famille, s'ils n'arrivent pas à faire circuler les affects... Je crois que la relation qu'on peut en tant qu'adulte, du coup, ce n'est pas maître E, maître G, maître machin, c'est comment l'adulte dans sa relation à l'enfant peut lui permettre de faire travailler ses affects sans jugement... Les autres mots ? prise en charge, affectivité, on est en plein dedans...

En vous appuyant sur des exemples concrets vus en inspection que pouvez-vous dire du travail du maître E ?

Qu'il fait trop souvent d'abord insuffisamment dans la classe et ensuite insuffisamment en lien avec la classe... Il est trop dans une prise en charge remédiation à la rééducation sans lien avec le travail de la classe...

Lors de la passation de la partie pratique du CAPSAIS E, quels sont les critères d'évaluation des candidats ?

Fallait pas poser cette question... Essentiellement la capacité à analyser la situation et ensuite la capacité à mettre en oeuvre une séquence pédagogique... une séquence... oui pédagogique.

Quelles sont les différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E?

Dans mon sentiment profond, aucune différence, aucune dans le travail, si ce n'est... Aucune dans le travail de fond... La différence elle se situe dans le fait que le maître E est extérieur au groupe social qu'est la classe, il a un regard distancié... ça lui permet d'observer des situations à distance... Mais ensuite dans la mise en pratique, il n'y a pas de différence... C'est ce qui m'amène de plus en plus à penser que le maître E devrait être celui qui prend en charge la classe pendant que le maître prend en charge lui les enfants en difficulté... Et son travail se situe en plus dans une phase d'observation de la classe à distance...

Quand je dis maître G, quels sont les 5 mots qui vous viennent spontanément ?

Horreur... thérapie, psychanalyse de Paris-Match...

Est-ce que vous pouvez développer ces associations d'idées ?

Oui, parce que j'ai dans l'idée... j'ai envie de dire de..... des maîtres G, c'est qu'ils ont le même... la même sphère de travail que les maîtres E, parce que c'est vrai ils fonctionnent... le support est sans doute différent, ça s'adresse peut-être à... je ne sais pas... il faudrait peut-être confondre les E et les G, c'est peut-être ce qu'il faudra qu'on finisse par faire... non horreur, horreur et tous ces vilains mots que j'ai dit, parce que je crois qu'il y a de la confusion dans les pratiques des maîtres G tels que je les vois fonctionner en inspection... Y'a de la confusion, effectivement on est dans une pseudo-thérapie souvent... enfin on n'est pas dans une pseudo-thérapie parce que personne ne se déclare comme tel mais on est sur une limite, une bordure, on ne sait plus de quel côté on est de la limite... et c'est ce qui me fait penser à l'horreur parce que j'ai l'impression qu'ils vont tomber du mauvais côté, dans le thérapeutique, alors qu'on ne doit pas faire du thérapeutique. D'ailleurs on n'est pas stricto sensu en rééducation, on est en éducation, on n'est pas dans le thérapeutique on n'a pas à soigner mais à éduquer un gamin avec d'autres outils que le maître E. Alors, c'était horreur, thérapie et oui... psychanalyse de Paris-Match parce que j'entends trop souvent utiliser des termes à consonance psychanalytique qui proviennent du dictionnaire de la psychanalyse mais qui ne sont pas maîtrisés... c'est... c'est les mots classiques, c'est le syndrome, c'est les affects... sans qu'il y ait une opérationalisation réelle du concept... ou une utilisation paradigmatique, c'est vraiment le mot pour le mot... on le sent utilisé comme on peut l'entendre véhiculé dans le discours du prof... ça fait peur quand-même...

En vous appuyant sur des exemples concrets vus en inspection que pouvez-vous dire du travail du maître G ?

Dans la majorité des cas, ça me pose quand-même beaucoup de questions... Sur l'opportunité de l'intervention et sur... l'impact du travail qui est fait... l'impact et puis les notions pédagogiques que l'on développe dessous alors que ça ne me semble pas du tout du registre du pédagogique et je ne vois pas le lien qu'il y a... il y a d'ailleurs rarement de lien avec la classe... Je suis de plus en plus persuadé qu'une certaine quantité des gamins qui sont pris en charge par les maîtres G devraient l'être en dehors de l'école...

Lors de la passation de la partie pratique du CAPSAIS G, quels sont les critères d'évaluation des candidats ?

... Sur la séquence observée... peu de critères, pas de critères... si ce n'est ce qui nous apparaît de la qualité relationnelle mise en place... et ensuite c'est dans la deuxième partie de l'épreuve, la partie entretien, où là on se base, pour apprécier le candidat, plus sur la qualité qu'il a à nous exposer les raisons de la prise en charge... mais pour être très honnête, on est très embêté pour... très, très embêté... Si on est dans quelque chose qui est sur un versant plus rééducatif, eh bien, on est relativement peu armé pour... pour apprécier... Si on est sur un versant pédagogique, alors on devrait le donner à personne... Non, vous ne démissionnerez pas tout de suite...

Dans la circonscription, quelles différences de pratiques observez-vous entre maîtres E et G ? Chacun est-il bien dans sa fonction ?

J'en ai qu'un réseau sur la circonscription... Les E fonctionnent comme des E et les G comme des G...

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Si c'est au rapport des résultats, j'en sais rien... si c'est au vu des observations, j'en sais rien non plus... Si c'est au sentiment que je peux avoir, c'est-à-dire au préjugé, ce qui n'a pas beaucoup de valeur, ça serait les E...

Est-ce que vous pouvez préciser pourquoi ?

Sur les deux premiers points, je n'en sais rien... on n'a pas d'évaluation... enfin moi, je n'ai pas d'évaluation qui me permette... je n'en ai jamais rencontré ni vu qui me permette d'avoir une opinion là-dessus... donc le sentiment que les E sont plus utiles que les G... c'est parce qu'ils me font moins peur, parce qu'ils me font moins peur, c'est réellement le sentiment... alors c'est bien pour ça que je parle de préjugé, de sentiment, parce que ce n'est pas certain qu'ils sont moins dangereux... seulement la façon dont on fait passer un examen, la façon dont on aborde l'entretien avec eux ne les met jamais en situation d'être dans la dérive pseudo-psychanalytique... donc je ne peux être que dans le sentiment qu'ils ne sont pas dans l'horreur mais je n'en suis pas sur parce que peut-être bien que eux aussi dans leur tête sont dans cette dérive là... mais en attendant, la situation d'entretien ne les met jamais en situation de déraper... c'est pour ça que j'insiste bien sur cette dimension du sentiment... parce qu'après tout il y a des maîtres G qui sans doute sont très clairs dans leur position... On évoquait ce matin, ce professeur des écoles maître G qui quand elle était venue me voir était du groupe celle dont j'aurais parié qu'elle ne déraperait pas sur la psychanalyse et lorsqu'on a été en situation d'examen c'était caractéristique... elle avait tout pour nous déplaire... chaque fois qu'on lui tendait une perche pour essayer de la sortir de son discours pseudo-psychanalytique, elle s'enfonçait de plus en plus, de plus en plus...Tout ce qu'elle nous racontait sur le gamin était un galimatias de fausses analyses... c'est bien là où on est dans l'informel, le personnel, et dans l'intime et que ça, ça peut faire peur et que du coup on ne travaille que sur le ressenti qu'on a par rapport à ces gens et pas sur une évaluation pragmatique parce que... après tout, je n'étais pas certain qu'elle ne fasse pas du mauvais travail parce que je ne lui ai pas interdit de faire son travail... je lui ai simplement dit que je lui ferais repasser son examen l'année prochaine...

Comment concevez-vous votre rôle au sein du RASED ?

C'est certainement pas un rôle d'animateur, un rôle de cadrage, cadrage en fonction des politiques nationales qui sont publiées par le ministère et éventuellement des politiques départementales et au regard des évaluations et des différentes données qui peuvent remonter du terrain et notamment que les personnels du RASED ont rassemblées... En tous les cas, ce n'est sûrement pas un rôle d'animateur du RASED... Je fais bien la différence entre le cadrage et l'animation. Je ne sais pas qui les anime, ou s'ils s'animent tout seul mais... je ne crois pas que le rôle de l'inspecteur par rapport au RASED soit d'être présent à toutes les réunions, ni d'être présent aux réunions de synthèse, c'est vraiment simplement la définition du cadre d'une politique sur une analyse.

Quel temps y consacrez-vous ?

Au RASED ? Je recompte rapidement... J'ai fait mes bilans dernièrement... Tout compris, les réunions que je fais avec le RASED et ce que je peux faire en dehors, ça fait moins de 30 heures années...

Quelle importance y attachez-vous ?

Au temps que j'y passe ou au RASED ?

Aux deux...

Au temps que j'y consacre, je pense qu'il est largement suffisant... Le Réseau, beaucoup d'importance parce que je crois... c'est ce qui m'amène à penser souvent que les maîtres E n'ont pas forcément leur place dans les RASED, je ne sais pas d'ailleurs si l'on doit parler de Réseaux d'Aides... en tous les cas c'est un élément important parce que ça nous permet d'avoir du personnel qui est à distance de ce qui se passe dans les écoles, alors quand je dis que je ne sais pas si le maître E doit être dedans ou pas parce que j'essaie de faire du lien avec ce qui serait un maître supplémentaire par école... En tous les cas, c'est quand-même un personnel qui est à distance des classes, qui donc amène des observations désaffectivées par rapport à la relation pédagogique et je crois que ce n'est qu'à cette condition-là qu'on peut mettre en place un certain nombre d'actions un peu tonique et un peu dynamique, des actions d'envergure... S'il s'agit d'aider un gamin au passage dans une classe, ça relève du maître et que du maître mais les actions de prévention ne peuvent pas relever de la classe donc voilà... Il y a de l'importance à passer du temps... Quand je dis trente heures ça suffit, je n'en suis pas certain... mais je ne peux pas en passer plus...

Si un jeune intéressé par les RASED vous demandait de parler des métiers de maître E et G, que lui diriez-vous ?

La première question, c'est de savoir s'il est clair dans sa tête par rapport à la question qu'il pose, à savoir pourquoi il la pose, s'il la pose parce qu'il a envie d'envisager une de ces carrières, savoir s'il le fait parce qu'il veut fuir... enfin fuir la classe parce que la classe ne l'intéresse plus, ce qui n'est pas déshonorant... mais encore faut-il être bien clair avec soi pour pouvoir dire ça... Et ce que je lui dirais sur le métier, pas grand-chose parce que je ne l'ai pas exercé alors je n'en sais rien...

En quoi consistent les tâches effectuées par le RASED ? Comment s'organisent-elles dans l'année ?

Vous le savez mieux que moi... Je vois qu'il y a beaucoup de temps passé à l'évaluation des élèves... Je suis inquiet parfois de la quantité de temps qui est passé en évaluation en début d'année parce que je n'arrive pas à cerner... forcément ce sur quoi ça aboutit... D'où la nécessité de mettre des outils en place pour qu'on ait une vue synthétique des choses. Ensuite ce qui se passe sur les rééducations, c'est pareil, je ne sais pas non plus... Mais ça on va le savoir... c'est une parenthèse... je ne sais pas non plus à quoi ça aboutit, c'est-à-dire... et là mon inquiétude, elle n'est pas mince. Alors ce n'est pas lié à la circonscription, c'est lié à ce que je vois en commission... de second degré où j'ai d'autres... des retours d'autres CCPE donc d'autres RASED, on voit quand-même arriver bon nombre de gamins en grande difficulté à l'entrée en collège qui auraient été pris par des réseaux d'aide et qui... apparemment... n'ont pas changé si ce n'est ont empiré pour certains d'entre eux... Donc ça me pose quand-même des inquiétudes et du coup des inquiétudes y compris sur le fonctionnement du réseau de la circonscription... des états d'âme quoi... Alors je n'ai pas de préjugés, pas de présupposés... Je m'interroge...

Existe-t-il des évaluations de résultats pour le maître E ?

Non

Pour le maître G ?

Non

Pour le maître généraliste ?

Non, vous n'êtes pas d'accord ?

Je voulais juste connaître votre opinion...

Ni pour le maître généraliste... Je crois qu'il faut... bien insister là-dessus... C'est un des travers des inspecteurs, un mauvais travers... on ne sait pas... évaluer... On observe des séquences de classe, on peut regarder les cahiers mais on ne sait pas bien ce qu'on regarde... On est plus dans l'idéologique, on est plus dans l'appréciation de l'écart entre le fonctionnement des maîtres et l'idéologie pédagogique qu'on peut développer...

Souvenez-vous d'une action exemplaire positive ou négative conduite par le RASED. Que pouvez-vous en dire ?

Non, je ne me rappelle pas...

Aucune ni dans un sens ni dans l'autre ?

Non, aucune.

Pouvez-vous citer les 3 livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Non.

Idem pour la formation G ?

Non. J'en ai aucune idée...

Existe-t-il une différence professionnelle perceptible entre enseignants E et G formés en stage et candidats libres ?

Non, pas de différence... Alors c'est très net, il n'y a vraiment pas de... on est incapable de trouver... non, non, si on trouve des différences, c'est vraiment dû à la personnalité des individus, mais pas par rapport... à leur... parcours de formation.

Que pensez-vous de la qualité actuelle de la formation E ?

Je pense... pfff... je ne pense pas grand-chose de la formation en stage parce que je m'interroge beaucoup... je ne peux pas penser sur la formation parce que je n'arrive pas clairement à savoir ce qu'on attend d'eux... alors je... je n'arrive pas à voir quand je fais passer les CAPSAIS notamment, je n'arrive pas à voir en quoi la formation leur a apporté un plus par rapport aux enseignants ordinaires... pour les maîtres E.

Et pour les maîtres G ?

Là, je suis très... j'allais dire septique... c'est peut-être exagéré quand-même... mais très interrogateur de la façon dont la formation peut être perçue plus que de la façon dont elle est faite parce que quand-même... quand-même et très souvent... on sent un relent de psychanalyse de Paris-Match qui arrive dans les réponses que nous donnent les gens qu'on voit qui me laisse penser que ce n'est quand-même pas tout de la faute de la formation... Il y a un perçu du discours en formation qui est à relier avec le parcours personnel des gens et l'envie qu'ils ont de rentrer dans un métier de rééducateur. Alors ce n'est pas tout de la faute de la formation mis à part que la formation devrait prendre en compte cette donnée et puis peut-être être plus vigilante. Je veux dire que ce n'est pas la nature proprement dite de la formation qui m'inquiète le plus, c'est la façon dont elle est perçue et dont les formateurs ne prennent pas garde... à la façon dont elle est reçue... Il y a des choses terrifiantes. On voit de l'œdipe de partout. Alors quand on fait passer un CAPSAIS G avec un candidat dans une classe... enfin avec un candidat qui a une séquence avec un gamin de quatre ans et qu'on vous file de l'œdipe dans tous les sens, ça interroge... Le contournement du symptôme, ça ne lasse pas d'interroger...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Le plaisir ou plus honnêtement le faire-plaisir, l'insertion sociale, la réussite... oui la réussite au sens très large, le travail au sens de métieret le hasard.

Pouvez-vous préciser ?

Le faire-plaisir, parce que c'est l'affection qui rentre... je devrais peut-être dire l'affectivité, non je crois que je préfère l'affection parce que c'est bien dans l'affection qu'on a pour ses parents, pour soi, pour les maîtres qu'on rencontre, c'est bien dans cette affection, c'est pas les affects encore que par rapport à soi on pourrait dire... je ne vais reprendre ce que disait Dolto sur le sentiment de soi, enfin Dolto ou d'autres... On voit bien avec les gamins de SEGPA qui n'ont pas un bon sentiment d'eux-mêmes, ils sont toujours dans la dévalorisation et quand bien même ils réussissent, ils disent "on a réussi, ce n'est pas de notre faute si on a réussi, c'est grâce à l'autre", là on est bien dans des notions d'affects mais... vraiment dans l'affection, ça marche ou ça ne marche pas... on a une position des relations qui fonctionnent ou ne fonctionnent pas et ça c'est le hasard qui nous amène à ça...

Est-ce que ce hasard est proche d'une vision déterministe ?

Non, pas de déterminisme... dans la mesure ou ce n'est pas... ce n'est pas l'inné ou l'acquis, ce n'est pas non plus environnemental... Qu'est ce qui fait qu'on peut s'entendre avec quelqu'un ou pas, je n'en sais rien... (incompréhensible)... j'ai la chance ou pas de rencontrer le maître qui sait faire... ça... Dans le monde de l'éducation, c'est quelque chose que l'on devrait travailler, c'est-à-dire cette capacité non pas à être des encyclopédies capables de réciter toutes les connaissances en mathématiques ou en littérature mais celui qui est capable de travailler sa relation au gamin qui est en face de lui... Alors du coup peut-être que le hasard serait moins important dans la rencontre... Je vois que je devrais ajouter un mot qui serait le mot rencontre... rencontre de quelqu'un avec qui on aurait une relation affectueuse... Par rapport aux parents.... là il y a du déterminisme là dedans, on ne choisit pas ses parents... On ne choisit pas non plus ses enfants... Qu'est-ce qui fait que... qu'on naît dans une famille comme ça et qu'on a les parents qu'on a et que ça marchera ou que ça ne marchera pas ? C'est ça le hasard, ce n'est pas le déterminisme au sens génétique ni même au sens... où Bourdieu a pu en parler... Peut-être que si, Bourdieu, j'ai parlé d'habitus et de reproduction dans le sens où l'on sait bien qu'un certain type de famille peut reproduire les mêmes comportements de génération en génération... On est dans le transgénérationnel... Mais, ça on ne le choisit pas... J'ai une phrase que j'aime beaucoup, que j'ai retenue, c'est celle de Sartre, je ne sais plus dans quel bouquin... il dit "lorsque les parents ont des projets, les enfants ont un avenir"... L'enfant ne choisit pas les parents qui ont un projet pour lui... C'est ce qui me fait parler de hasard...

Comment voyez-vous l'avenir des RASED ?

Sinistre. Je ne vois pas... oui, sinistre... parce que je ne suis pas certain qu'il ne faille plus avoir de structure qui permette des observations, des évaluations autres que des évaluations purement scolaires au sens des apprentissages... Je suis même persuadé qu'il nous faut une structure qui permette cette sorte de travail d'évaluation et de prévention, par contre, je ne suis pas certain qu'il faille conserver les réseaux dans leur structure actuelle... ils sont trop près des écoles, même situés dans l'école, ça m'inquiète un peu... et je pense qu'on va finir par supprimer les réseaux tels qu'ils fonctionnent actuellement... pour créer un service départemental plus neutre un peu identique au service de promotion de la santé scolaire... très distancié de la classe, pas de l'école mais de la classe... qui demanderait des gens formés tout à fait autrement... Moi, je pense même qu'on risque à terme d'avoir, d'abord parce qu'on va réformer le statut des écoles, et ensuite on va finir par créer un vrai métier de rééducateur...

Tout à l'heure, à propos des maîtres E, vous leur reprochiez la distance avec la classe. Or là vous avez l'air d'aller dans l'autre sens ?

Non, je reproche la distance dans la mise en pratique du travail pour les maîtres E. Par contre, il me semble qu'on a besoin pour un certain nombre d'évaluations de gens qui soient à distance de la classe. Je... je ferais bien l'analogie avec l'audit de qualité en entreprise où ceux qui font les audits ne sont pas des gens de l'entreprise... et ceux qui vont mettre en application les remédiations, ce sont bien les gens de l'entreprise, y compris les contremaîtres et les cadres. Ils sont bien dans l'entreprise... pas en dehors...je ne crois pas qu'on puisse faire de la prévention, je ne crois pas qu'on puisse avoir un regard... un petit peu technicien sur les besoins du gamin, surtout le gamin en difficulté si on est piégé dans la relation affective avec lui... c'est pour ça que je ne sais pas si les réseaux d'aide vont évoluer mais c'est ce qui me fait penser et plaider qu'on aurait bien besoin d'un service qui ne serait pas dans l'école...

D'une façon plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle de l'école dans la société ?

... D'abord moi je ne sais pas si l'école est... mon truc, mon gros truc c'est quand-même de dire que l'école elle est au service de la société... mais ça c'est le travers de toutes les structures qui finissent par se pérenniser et vivre pour elles-mêmes. L'école plus que d'autres a besoin d'être au service de la société... Parce que ce que la société peut nous demander c'est bien ou c'est pas bien sur un plan médiatique ou moral, c'est autre chose, mais de toute façon, l'école finit toujours par être ce que la société veut qu'elle soit... alors elle a quand même un besoin de vigilance parce qu'il y a des choses peut-être à éviter, je pense notamment éviter certaines pressions spécifiques sur des milieux particuliers de parents, je crois que la mission de l'école c'est quand même de permettre à un maximum de gamins, à la grande majorité de gamins, d'accéder au niveau de connaissances le plus haut possible. C'est essentiellement ça la mission de l'école. Donc elle a besoin de s'adapter à ce que sont les gamins pour leur permettre d'arriver le plus haut possible...

Et alors comment replacez-vous les aides dans ce système ?

Je ne sais pas si c'est les aides qu'il faut placer ou si c'est ces gens qui ont un regard spécifique et qui peuvent permettre de repérer les potentiels des gamins qui sont définitivement, mais si je dis définitivement j'arrête tout, en difficulté. Le mot définitivement me venait à l'idée parce qu'il y a un certain nombre de gamins qui ont vraisemblablement un potentiel intellectuel moindre que la moyenne et donc il y a une approche pédagogique particulière à avoir avec eux... Et puis je pense surtout à cette masse de gamins qui ont des difficultés passagères et c'est dans le regard particulier, l'observation qu'on peut avoir et pour le plus jeunes les phénomènes de prévention... Il y a sans doute des mesures transitoires d'aide à apporter, bien pour développer des potentiels qu'on perçoit et qui ne sont pas forcément mis en oeuvre par le gamin au moment où on l'observe... Il ne faut peut-être pas rejeter les rééducateurs tout de suite... Non, c'est ça, la difficulté qu'on a, qui m'apparaît de plus en plus clairement, c'est qu'on ne réussit pas mieux à l'école qu'avant, on n'échoue pas plus maintenant qu'avant. Contrairement à ce que dit Ph. Meirieu dans son dernier bouquin, les gamins n'aiment pas moins lire maintenant qu'ils aimaient jadis... parce que je ne sais pas ce qui nous permet de dire que jadis ils aimaient lire... on en sait rien... il y a toute une masse de gamins qui ne venaient pas au collège alors... c'est sûr que ceux qui y venaient, ils aimaient tous lire... enfin on peut au moins le supposer... Donc on ne sait pas ce qu'il se passait vraiment avant... Si on regarde les chiffres du certificat d'études, on avait en gros entre 25 et 30 % d'échec au certificat d'études sur les candidats présentés, mais déjà exit ceux qu'on ne présentait pas et qui étaient plus nombreux qu'on ne le pense, de l'ordre de 15 à 20 %... Donc il y avait de l'échec, le problème est clair, c'est que les gamins en échec, ils finissaient tous par trouver du boulot quelque part, donc ils ne posaient pas de problèmes...Maintenant ils posent problème parce qu'on sait très bien que s'ils n'ont pas un niveau de connaissance et notamment un niveau d'usage de la lecture suffisant, ils se mettent en position d'exclusion... Donc il faut que l'école prenne en charge ces élèves en difficulté d'une façon particulière au sein du groupe social qu'est la classe et pas en les mettant à côté pour leur permettre de se débrouiller au mieux dans la société plus tard. Alors un gamin qui ne savait pas lire... Moi je me réfère toujours à l'exemple de mon beau-père qui était relativement peu lettré, il était capable de lire le journal tous les matins, en dehors de ça, ça ne le passionnait pas, il ne savait sûrement pas faire d'équations du deuxième degré, encore moins des équations logarithmiques ou autres, n'empêche il avait une entreprise de charpente, n'empêche il était capable de métrer et de cuber son bois, des choses comme ça... parce qu'il était rentré dans un processus pratique, utilitaire etc... maintenant ça ce n'est plus possible, il faut avoir la maîtrise d'un certain nombre d'outils théoriques pour pouvoir réussir à minima dans la vie... Il faut savoir se débrouiller avec le minitel, avec un distributeur automatique de billet de train etc... Bon, donc on sait que si les gamins n'ont pas cette possibilité, ils vont être complètement largués dans la société... Il faut donc que l'école fasse en sorte d'aider les gamins à s'accomplir dans cette dimension là... ça veut dire qu'il faut une approche pédagogique tout à fait différente que celle qu'on avait jusqu'à présent. On ne plus se contenter par exemple en matière d'évaluation de corriger les élèves en disant "tu as juste" "tu as faux"... Il faut bien utiliser les erreurs qu'ils peuvent faire pour voir pourquoi ils ont fait des erreurs et qu'est-ce qu'on peut mettre en oeuvre pour qu'ils progressent dans leur façon d'apprendre... sachant que le but, contrairement à ce que l'on peut penser, le but ce n'est pas de faire passer le bac à 80 % des gamins, le but c'est de les amener à un niveau, bac BEP etc., c'est de les amener à un niveau le plus haut possible, dans l'échelle des connaissances... mais des connaissances pratiques et utiles, parce qu'est-il encore utile d'apprendre le latin à l'heure actuelle ? C'est non, si c'est pour apprendre le latin, par contre si le latin est utile parce que soit disant ça permet de mieux apprendre le français, alors il faut que tous les gamins apprennent le latin. Mais si c'est le latin pour le latin, ce n'est pas la peine... le droit, ce serait plus utile... L'école a une sacrée réforme de mentalité à faire ne serait-ce que déjà, il faut qu'on obtienne des enseignants qu'ils s'autorisent à... ne pas réussir totalement pour tous les gamins... savoir que ce n'est pas scandaleux qu'un gamin sorte du CM2 en ne sachant pas faire les divisions de nombres décimaux... qu'après tout, il peut continuer à apprendre au collège...

Est-ce que vous avez d'autres choses, d'autres remarques à formuler sur l'aide à l'école ?

J'ai dit l'essentiel... Quand le ministre a rappelé que l'élève était au centre du système éducatif, je crois que c'est bien la clé du problème. Je ne sais pas si ailleurs, dans d'autres pays, c'est mieux mais... Dans tous les cas, dans la relation pédagogique ça devrait être tellement évident... il ne peut pas y avoir d'autre pensée que ça. On ne fait pas l'école pour faire l'école... Je ne suis pas certain à l'heure actuelle, que les enseignants... je suis même certain qu'ils ne l'ont jamais eu... Il y a un leurre dans les analyses historiques, majoritairement les enseignants n'ont jamais eu l'idée d'élever, au sens de l'élevage. Maintenant, je ne sais pas trop ce qu'ils font, moi quand je relis des textes anciens d'il y a cent ans, il y avait une dynamique qui existait, une dynamique républicaine, une dynamique sociale qui donnait une image du maître prêt à tout pour faire réussir le certificat d'études à ses gamins, ceci dit, quand on lit "l'année du certif" on voit bien qu'on prenait en charge quelques gamins dont on savait qu'ils pouvaient avoir le premier prix cantonal au certificat d'études, on ne s'occupait quand même pas de ceux qui étaient en difficulté. Ceux-là ce n'était pas grave, de toute façon comme disait un de mes anciens instituteurs à un de mes copains, "tu es aussi bête que ton père" alors tu prendras la ferme derrière lui, donc c'était pas forcément mieux avant que maintenant... Maintenant le problème, c'est qu'on ne peut plus se permettre de laisser des gamins à la traîne, parce que... ils... sont complètement asociaux si on ne leur permet pas d'avoir un minimum de connaissances pratiques pour se débrouiller dans la vie... c'est ça l'essentiel du problème... Il faut qu'on sorte de... de cette illusion qu'avant c'était mieux, que les gamins étaient mieux... Je crois que les gamins majoritairement maintenant sont mieux qu'avant parce qu'ils sont plus instruits quand ils arrivent à l'école, ils connaissent plus de choses, ils sont plus questionneurs, plus interrogateurs qu'on ne pouvait l'être jadis, où l'on entrait à l'école et puis on ne bougeait plus, on attendait... C'est vrai maintenant les gamins ont tendance à... Ils parlent parce qu'ils sont autorisés à parler... Quand je rencontre des enseignants, j'aime bien leur dire qu'il y a eu une époque où les gamins étaient emmaillotés jusqu'à dix-huit mois, ils ne pouvaient pas bouger et puis un jour on leur libérait ça... Je crois qu'on a fait pareil avec la parole, il y a quelques années on a commencé à libérer la parole chez les gamins, on a commencé à considérer que le gamin était une personne... et qu'il pouvait parler et s'exprimer, les femmes aussi d'ailleurs... Et que ça, ça a changé la place des choses en classe... Il y en a qui posent des questions... ça devrait nous permettre de mieux travailler, or c'est l'inverse, ça insupporte la majorité des enseignants... C'est vrai que c'est un métier excessivement difficile... et qui est un métier de relation, on ne peut pas... Mais on a connu la même chose avec les médecins... les médecins qui faisaient de la médecine pour faire de la médecine sans s'occuper du malade... Il n'y a qu'à voir dans les bouquins de Minkowski "le mandarin au piano" par exemple, c'est frappant de voir comment on faisait de la médecine sans s'occuper du patient, tout à coup on a découvert que c'était quelqu'un qui parlait et qui avait des choses à dire, là j'ai l'impression, j'ai même la certitude quand je suis en inspection de voir qu'on fait la classe pour faire la classe et que... Moi, j'ai le souvenir de cette gamine, c'était l'année de ma formation... c'était une institutrice à qui j'avais demandé d'aller observer une séquence de lecture au CP, alors elle a fait une heure et demie de lecture, j'étais très fatigué au bout de l'heure et demie, je revois cette gamine qui, pendant presque toute l'heure et demie, a levé le doigt et à qui on n'a jamais donné la parole... Quelle est la dimension de la relation que l'on a avec chaque gamin?...

Une dernière question à laquelle vous êtes libre de ne pas répondre... Pour quelles raisons êtes-vous devenu inspecteur ?

(pensif et sérieux ) Je vous dis la vérité... Un parce que je ne voulais plus faire la classe tout simplement, deux parce que je voulais gagner plus d'argent et trois parce que je n'avais pas le... j'allais dire le courage, non, ce n'est pas que je n'avais pas le courage d'aller dans le privé, c'est que je trouvais que les propositions qui m'étaient faites dans le privé étaient trop aléatoires... donc j'ai joué la carte de la sécurité... Et puis quand-même d'être inspecteur, ça laisse quelques perspectives pour faire autre chose...

(poursuite de la discussion à bâton rompu puis ré-enregistrement)

...le métier de maître G, il n'est sûrement pas dans l'interdit... parce que si on l'était, c'est sûr, il ne faut pas que ça se passe dans l'école et que ça nécessite des processus de plus longue durée, il me semble... En tout cas certainement dans une relation duelle. C'est bien... je crois... mais là il faudrait que j'aille voir exactement ce qui se fait en formation... En tout cas je ne ferais pas allusion à des notions comme le contournement du symptôme, parce que je ne crois pas qu'on soit dans le symptôme, au sens de la maladie... donc pas de maladie, pas de thérapie... s'il y a maladie donc thérapie, c'est ailleurs... Je crois qu'on est dans le malaise, il y a un gamin qui présente un malaise, ça se manifeste par de l'agitation, de l'inattention etc... et que la relation duelle pendant un certain temps peut permettre au gamin de poser un certain nombre de choses mais je... Mais du coup ce qui m'inquiète aussi beaucoup c'est... c'est... cette tendance obsessionnelle à interviewer les parents. Je me demande s'il n'y a pas de l'intérêt parfois à ne pas le faire. Je ne dis pas qu'il ne faut jamais le faire... je pense qu'il y a notamment avec les familles monoparentales, parfois, la nécessité à un moment donné que quelqu'un puisse poser des mots sérieux sur la place au moins en parole d'une image paternelle... Mais ça, ça réfère à une autre formation que celle qu'ont les maîtres G... Mais qu'il y ait forcément un lien avec les parents, je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire... obligatoire surtout. Je sais que vous ne partagez pas mon avis... Il y a pour les professionnels la nécessité de se rassurer quelque part en disant il y a un trouble, mais je ne sais pas s'il y a... c'est vrai qu'il y a des gamins qui ont quelque chose, à un moment donné, de mal accroché dans leur tête et qui fait qu'ils vont se disperser au lieu d'être sur le travail scolaire... Moi, j'interrogerais de la même façon les gamins qui sont trop dans le travail scolaire... je suis persuadé que ceux-là ils sont dans la même souffrance...(...) le même malaise que ceux qui ne travaillent pas du tout ... Je ne sais pas si c'est forcément utile qu'on aille voir la famille... l'entretien avec le gamin, le travail avec le gamin... quand je dis ce n'est pas utile de voir la famille, de toutes façons, il faut la voir, puisqu'il faut son autorisation, mais utile tel que je le vois dans les compte-rendus qui me sont présentés, où il y a un questionnement intimiste, voyeuriste sur la vie de la famille, c'est de ça dont je ne vois pas la nécessité... mais on ne peut pas prendre en charge un gamin sans en discuter avec les parents... combien de fois, je vois dans les comptes rendus quand je fais passer les examens, le père n'est pas ceci, la mère n'est pas cela et que... Là dessus on n'y peut rien... alors... Si j'étais assuré que les gens qui font ça aient une... d'abord soient bien dans leur tête... bien dans leur tête, personne n'est bien, dans le sens où ils seraient vraiment clairs avec le choix qu'ils ont fait de ce métier... ça je ne suis pas sûr... j'ai de plus en plus la certitude qu'il y a une petite, très, très petite minorité de gens qui sont devenus maîtres G qui sont à peu près clairs autant qu'on puisse l'être avec le choix mais qu'il y a une grosse proportion qui se divise en deux de gens qui sont là parce qu'ils ne voulaient plus faire la classe et pourquoi pas ça... et surtout maître G parce qu'on est assuré de n'avoir qu'un gamin à la fois, alors que maître E, c'est un peu moins marqué, on sent quand même qu'on pourrait nous forcer à en prendre plusieurs, là comme personne ne sait ce qu'on fait, on peut toujours dire qu'on en prend qu'un... on se protège, mais on est dans un phénomène de fuite... et il y a l'autre portion, de cette grosse majorité, qui me semble être composée par des gens qui sont dans la réparation, dans la tentative... un peu...divine... de soignant... alors ils tombent dans les mêmes travers que les mauvais psy... les mauvais psy ancienne mode, c'est-à-dire tous ces psychothérapeutes qui ouvraient un cabinet entre la voyance et la psychothérapie réelle... il y a tout de même des pratiques qui m'inquiètent...