Entretien E14 Régis

Age : 43 ans

Profession : IEN AIS

Diplômes : diplômes professionnels uniquement

Régis : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):
Régis : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):

Lieu : salle dans un centre de formation

Durée de l'entretien : 1h 15

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression enfants en difficulté ?

Résultats scolaires, maison, aide à mettre en place, projet d'école, réseau. J'ai répondu au niveau professionnel.

Est-ce que vous pouvez expliquer le choix de chaque terme?

J'ai commencé par résultats scolaires parce que c'est en général le déclencheur, très souvent on fait le lien avec la maison. Mais il n'est pas forcément fondé parce que si parfois il peut y avoir des carences à la maison, il y a aussi l'école qui n'a pas toujours pu y répondre rapidement ou qui n'a pas pu s'adapter. Après je suis passé à aide à mettre en place ce qui implique le réseau d'aide et un travail d'équipe.

Est-ce que vous pouvez retrouver un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et présenter rapidement la situation ?

J'en ai eu un au CP, deux ans après ma sortie de l'école normale, qui m'a profondément dérouté, devant lequel j'étais totalement démuni. Je me suis senti vraiment seul et maintenant je le dis en le soulignant parce que maintenant que je suis IEN, je crois qu'il y aurait eu des possibilités pour m'aider mais là j'étais vraiment seul et c'est isolement qui me gêne quand l'enseignant est en difficulté. Et je n'ai pas eu les clés pour essayer de comprendre et d'aider cet enfant. C'était une classe où je débutais, je m'investissais énormément et même encore aujourd'hui, je le vis avec une certaine amertume, une insatisfaction...

Est-ce que vous pouvez retrouver une action particulière conduite pour cet enfant-là?

Oui, à un moment donné, j'ai essayé de le prendre à part, de le motiver, de chercher les points sur lesquels je pouvais m'appuyer mais je manquais d'outils et je n'étais pas capable de le faire tout seul. Il aurait fallu que j'ai quelques autres aides à côté.

Pouvez-vous maintenant présenter un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe, que vous avez eu l'occasion de rencontrer au cours de vos activités d'IEN ? Quels étaient les sentiments qui l'animaient ? Comment réagissait-il ?

Un seul ? Bon voilà... La première chose, c'est l'impression d'être démuni, l'insatisfaction qui donne des comportements, si on les analyse, qui nous perturbent ou qui nous interpellent, par exemple de mettre en accusation l'école ou les autres ou celui qui a eu avant... alors qu'en fin de compte ça cache une profonde détresse de l'enseignant et en même temps ça peut cacher de grandes qualités professionnelles, ça montre qu'il n'est pas bien quand il ne réussit pas avec un enfant en difficulté... ça, ça m'interpelle en tant qu'IEN parce qu'il doit y en avoir dans ma circonscription qui sont démunis, qui sont en détresse et il y a des enfants qui le sont aussi... Ce qui m'intéresse c'est de voir ce qu'on pourrait faire pour que ça ne se passe pas ainsi et ce n'est pas évident... On s'y emploie mais on n'a pas 100 % de succès.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Si je commence par emmerdeur...

C'est permis...

Bon, mais je ne le mettrais pas en premier... Une bonne idée, la difficulté à la concrétiser et ça ce n'est pas les autres, c'est moi, c'est dur à mettre en place, la notion de souplesse, la meilleure couverture du territoire, le maillage ou la toile, un mot de ce style et vous pouvez mettre emmerdeur à la fin ou une formule plus châtiée si ça figure après dans une publication...

Je vais vous demander maintenant de préciser les termes choisis...

Bonne idée, c'est par rapport au GAPP qui était déjà un premier pas intéressant mais qui était assez fixé, enkysté géographiquement.. et puis peut-être beaucoup de psychopédagogie mais qui s'appliquait à une seule structure scolaire et qu'on avait énormément de mal à faire sortir de cette structure scolaire... Or le terme de réseau d'aide, il peut ne pas être limité qu'aux seules aides scolaires. Il y a la notion de réseau et d'aides au pluriel. Quand je parle de réseau d'aides, il y a la terminologie de notre ministère mais moi quand je l'emploie, je vois tout ce que je peux mettre en place pour aider les enfants qui ont des difficultés. Cette notion d'aides, de réseau implique un travail de groupe, elle m'intéresse beaucoup plus que l'ancienne appellation GAPP.

Est-ce que vous pouvez présenter l'ensemble des aides que vous mettez en place ?

Ces aides, c'est dans le travail en synergie. Il m'est arrivé dans les réseaux que j'ai eu à piloter de ne pas concevoir que l'action du réseau d'aide avec l'équipe d'enseignants mais aussi avec les travailleurs sociaux, la bibliothécaire, les associations pour contribuer à l'ouverture culturelle du gamin parce que ce n'est pas la peine de faire un travail en lecture à l'école si on ne fait pas un travail à la maison et dans le temps de loisir... C'est vrai que dans de petits départements on peut mettre en synergie plusieurs volontés et avoir une action plus globale et multidirectionnelle et qui permet de donner du sens à la nôtre, à la partie scolaire de l'aide. Souplesse et meilleure couverture, c'est en rapport au GAPP. On aurait pu dire argent aussi, ça a été le point sur lequel on a péché. J'ai des gens qui sont prêts à aller où seront les besoins et faire des projets en fonction des besoins. Et en tant qu'IEN, je suis embêté de leur dire : "Vous avez des frais de déplacement qui ne vous permettent pas d'aller partout". Avec des moyens financiers, j'ai assez de personnel pour le faire tourner... Il y aurait un travail à peaufiner avec certaines équipes d'enseignants qui n'ont pas l'habitude de travailler avec le réseau d'aide, j'ai l'impression qu'il y a des possibilités qui ne sont pas exploitées.

Et quand vous disiez emmerdeur vous faisiez allusion à quoi ?

... ça fait allusion à des cas très précis, des personnes qui ne veulent pas être contrôlées. J'ai une psychologue qui m'a envoyé son emploi du temps seulement pour le temps où j'allais l'inspecter. Elle m'a dit : "Vous me dites le jour". Je lui ai dit qu'elle serait inspectée comme les autres instituteurs sur quinze jours. Elle m'a dit : "Vous n'avez pas le droit de venir pendant les bilans". Elle m'a récité le texte. Mais le texte je le connais et je lui ai dit : "Vous marquez bilan et dans ce cas je ne viendrai pas. Mais je viendrai pour tout le reste où j'ai le droit". Et puis j'ai un gars qui m'a flambé en trois mois sa dotation d'un an. C'est vrai qu'il y a du personnel qui n'est pas souple. Il y a aussi des gens qui ne veulent pas être contrôlés dans les RASED. Mes mauvais souvenirs d'IEN sont dans des refus de contrôle ou des déviances sécurité sociale. Je connais un psychologue qui avait mis une plaque "reçoit de telle heure à telle heure et sur rendez-vous"... On a des multitudes d'anecdotes... ça fait partie des catégories les plus difficiles à contrôler.

Pouvez-vous présenter brièvement la dernière inspection de réseau que vous avez réalisée ?

La dernière, c'est la psychologue du réseau...

Je préfère alors que vous parliez de toute l'équipe ou d'un maître G ou E...

... ça remonte assez loin. Je vais prendre un maître E... En général, il y a toujours une partie "séquence observée" où le maître prend des élèves et j'observe un certain temps et après on analyse la séquence. Je veux savoir quelle est l'origine de la prise en charge, pourquoi il a présenté ce travail avec le gamin, quelles difficultés il a rencontré, comme il s'y est pris, le rapport qu'il y a entre la prise ne charge et le maître de la classe, quelles sont les liaisons mises en place, est-ce que c'est un maître E qui reprend ce qui a été fait en classe de la même façon mais avec moins d'élèves ou est-ce qu'il utilise des tours pour ne pas reprendre directement ce qui a été fait en classe, par exemple le ludique me semble intéressant pour certains gamins en difficulté, la relation de confiance aussi qu'il instaure avec ses gamins est-ce qu'il devient quelqu'un d'autre qu'un enseignant, quelqu'un sur qui il peut compter, à qui il peut se confier, demander certaines choses. Je demande aussi quel est le projet global qui a été fait, par il a été fait. En règle générale, les prises en charge de maître E ne sont jamais décidées par une ou deux personnes, par exemple l'enseignant qui dirait au maître E qui passe, moi j'ai des enfants pour toi. Il y a un premier signalement par le maître de la classe qui s'entretient avec une personne du réseau, ça peut être le maître E, G ou la psychologue et ils font une sorte de procès verbal écrit de pourquoi je voudrais que tel maître prenne l'élève. C'est examiné en réunion de réseau et en fonction des éléments apportés, c'est parfois doublé d'observations dans la classe et en fonction de ces éléments, on décide de la prise en charge (...). Il y a un échange avec le maître pour éviter les effets de structure, cet espèce de clientélisme, surtout quand le maître E est itinérant et les enseignants qui auraient tendance à donner tout de suite le gamin au maître E. Dans l'entretien préalable, il y a aussi qu'est-ce que tu pourrais faire dans la classe, qu'est-ce que vous avez déjà fait dans la classe ? Je regarde un peu tout l'historique de la prise en charge. Après je regarde sa préparation, les documents qu'il a préparés : les dossiers, réunions de synthèses, fiches de signalement avec le maître de la classe, les liens qu'il établit avec le maître de la classe et une espèce d'évaluation de son travail par les retombées qu'il peut y avoir dans la classe. (...)

En vous appuyant sur des exemples concrets pouvez-vous définir le travail du maître E ?

Ah oui, ça c'est une vraie réflexion parce que j'ai du mal à différencier le maître E d'un bon pédagogue...

Quelles sont les différences entre ces deux catégories ?

Je ne sais pas trop et je ne les ai pas trop vues en sortant de ce stage. Disons, mais c'est contesté, je suis en train de lire là-dessus, le fait de sortir un enfant de la classe, de le mettre avec un autre maître à un moment donné, je ne serais pas catégorique comme certains, je dirais que ça peut peut-être être bénéfique parce que... l'enseignant qui le prend individuellement ou en petit groupe peut faire certaines observations pour essayer de comprendre pourquoi il n'a pas compris. C'est peut-être plus difficile de le faire dans une classe. Donc pour moi, le maître E serait celui qui a les conditions de travail lui permettant de comprendre pourquoi l'enfant n'a pas compris et de lui apporter les aides appropriées, des aides beaucoup plus adaptées. Mais je suis très gêné comme je suis en milieu rural parce que je vois des maîtres E qui prennent des élèves en lecture au CE1, je regrette mais quand vous avez trois CE1 dans une classe, vous n'êtes pas obligé de leur donner à tous les trois le même bouquin. Il y en a un qui peut consolider les acquis du CP, l'autre peut travailler sur un livre de lecture courante s'il est très avancé, parfois on peut les mettre sur un même ouvrage à condition de sélectionner, ou sur un petit projet de lecture et là j'ai du mal à voir à quoi sert le maître E... Là je comprends bien qu'il y a des effets de structure. Un maître E, pour un gamin qui a de grosses difficultés dans la résolution de problèmes ou dans l'acquisition de la numération, peut s'appuyer sur la recherche pédagogique et fabriquer des outils spécifiques et aider cet enfant. Et après je déplore quand les maîtres E deviennent des maîtres de soutien ou pire encore des maîtres qui font faire l'exercice de maths individuellement au gamin pendant que l'enseignant le fait faire à toute la classe. Là je suis plus dubitatif.

Si je dis maître E, quels sont les 5 mots que vous retenez ?

Projet, parce qu'on ne peut pas prendre un enfant sans qu'il y ait un projet, ce n'est pas quelque chose qui se fait au petit bonheur la chance, il y a un projet et derrière des personnes qui ont réfléchi. Comprendre pourquoi il n'a pas compris. Recherche pédagogique parce que ça demande de l'imagination pédagogique quand on se place dans la remédiation, c'est un autre mot... Retour en classe, parce que pour moi le maître E c'est celui qui permet à un gamin de revenir dans la classe et d'y suivre. Je vous ai fait les commentaires à mesure.

Est-ce que vous pouvez revenir sur remédiation ?

Remédiation, c'est une nouvelle médiation parce que je suppose qu'il y en a déjà eu une en classe qui n'a pas réussi. C'est un maître qui va se placer entre l'enfant et le savoir qu'il doit acquérir et qui va essayer d'amener l'un à l'autre.

Je vais vous poser la même question pour le maître G : quels sont les cinq termes qui vous viennent à l'esprit à propos de cette fonction ?

Pas dans le scolaire, avant le scolaire, rééducation, si vous me demandez ce que c'est j'aurais du mal... retour en classe. Je n'en vois que quatre...

Vous pouvez expliquer "pas dans le scolaire", "avant le scolaire" ?

C'est la différence que je fais, mais c'est ma réflexion actuelle parce que j'ai pris ici pas mal de littérature pour lire puisque je sais qu'est véhiculée l'idée que les maîtres G et les maîtres E ça pourrait être la même chose. Et à partir de ma toute petite expérience, notamment d'IEN AIS depuis deux ans, je ne vois pas le maître E identique au maître G. Le maître E intervient dans les apprentissages quand il y a difficulté au cœur de l'apprentissage, ce qui explique ma formulation "comprendre pourquoi il n'a pas compris", alors que je verrais le maître G comme intervenant pour un enfant qui lui n'est pas rentré dans les apprentissages ou n'est pas disponible pour les apprentissages ou n'a pas envie d'y entrer ou ne peut pas y entrer pour x raisons... Alors ce n'est pas le maître G qui va forcément tout résoudre, mais il aura une partie pour lui, c'est sûr. C'est là pas dans l'apprentissage, avant les apprentissages. A la limite, un enfant pris par le maître G peut être un jour puis par le maître E pour une remise à niveau... parce que si l'enfant n'était pas disponible pour les apprentissages, il aura accumulé un certain retard. Mais je ne les confonds pas tous les deux. La rééducation, c'est l'acte par lequel le maître G fait qu'un enfant se rende disponible pour des apprentissages. C'est un acte très technique.

Vous pourriez en parler de façon plus précise de cet acte très technique ?

... Et retour en classe parce que pour moi maître G, maître E, psychologue, ils sont là uniquement pour que le gamin suive dans sa classe et dans l'enseignement ordinaire.

Est-ce que vous pouvez définir les pratiques du maître G ?

C'est un espace et un lieu de parole, la salle de rééducation... d'écoute aussi... où l'enfant va exprimer certains conflits. Il va essayer d'en prendre conscience, de dédramatiser certaines choses et de se rendre psychologiquement disponible pour des apprentissages.

Est-ce qu'il existe des particularités au niveau du public pris en charge ?

Tout à l'heure, j'ai parlé des difficultés scolaires mais qui sont liées parfois à des difficultés comportementales qui font que l'enfant n'est pas disponible pour les apprentissages. Je l'ai constaté avec d'autres collègues et on a échangé là-dessus, de plus en plus les rééducateurs parlent de respect de la Loi ou de la règle. Nous sommes confrontés aussi à ça dans les réunions de CCPE, à des parents qui ont laissé pendant des années l'enfant roi, l'enfant livré à lui-même sans aucune contrainte, aucune frustration et on a énormément de mal à faire rentrer ces enfants-là dans des apprentissages, il y a quand-même des règles, des codes, des normes, des lois dans la vie de la classe. Ceux-là ont du mal à les intérioriser, ils les vivent très mal et ils ne sont pas disponibles... ou il y a les gamins qui prennent peu d'initiatives, qui sont inhibés, et là aussi le rééducateur peut faire que soient prises des initiatives et que l'enfant devienne conscient qu'il peut prendre des initiatives...

Est-ce qu'il y a des critères d'âge qui rentrent en ligne de compte ?

Vu ce que j'ai vu en rééducation, il me semble difficile de prendre des enfants grands parce qu'ils seraient très gênés. A mon avis, l'intervention du maître G elle doit se passer dans un cadre préventif, le plus jeune possible, sans non plus exagérer, mais au moins commencer en maternelle moyens et grands et se placer dans un travail de prévention, c'est-à-dire créer les conditions pour que les enfants soient prêts pour les apprentissages et soient aptes à y rentrer avant même qu'ils aient commencé. Pour moi une rééducation qui se ferait dès le CP perdrait en efficacité surtout quand c'est pour des problèmes de comportement, on aurait dû le constater beaucoup plus tôt.

Est-ce que vous voyez des ressemblances entre maître E et maître G ?

Peut-être une piste dans l'art du détour parce que j'ai vu du matériel utilisé par des maîtres... des rééducateurs en psychopédagogie mais je n'ai aucune expérience là-dessus et du matériel qu'utiliseraient les maîtres E - et alors je me pose la question, les rééducateurs que j'ai vus jusqu'à présent étaient peut-être plus sur une optique psychomotrice que psychopéda - alors là il y aurait peut-être une possibilité de points communs entre le G et le E mais vraiment c'est fou pour moi, je ne maîtrise pas assez...

Est-ce qu'il existe des glissements de pratiques entre E et G, des G qui fonctionneraient comme des E ou inversement, à certains moments ou avec certains enfants ?

Dans mon réseau, non. Non, le glissement, ce serait des E qui se différencient très peu du maître de la classe, bon pédagogue, mais de G à E ou de E à G non.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune intéressé par un poste de maître E ou G ?

Je lui sors le formulaire et les référentiels de CAPSAIS surtout en lui disant bien que la grosse différence entre E et G c'est que E on a des pratiques qui se rapprochent de l"instituteur, on est dans le scolaire... et que le maître G est très différent. Il y a une rupture entre le E et le G.... ça ne veut pas dire que le maître G soit coupé des enseignants, chaque fois que j'en ai parlé, j'ai parlé du retour en classe. L'acte de rééducation, c'est un acte spécifique, ce n'est quand-même pas la même chose qu'une intervention de type scolaire.

En quoi la différenciation E/G vous semble-t-elle pertinente ?

La différence pertinente elle est entre le G et le maître d'une classe, pas entre le E et le G (rires)... puisque le G a la possibilité d'intervenir avant les apprentissages. C'est quelqu'un qui peut faciliter le travail scolaire ou le rendre possible. Le E intervient déjà dans le scolaire, pour moi il n'y a pas de différences entre le maître E et le maître de la classe ou j'en vois très peu...

Est-ce qu'il y a une fonction, E ou G, qui joue un plus grand rôle ? Et pourquoi ?

Je ne sais pas. Je suis peut-être à contre courant de l'histoire, mais c'est le G auquel je tiens le plus parce que justement l'acte de rééducation est un acte spécifique et qui peut nous aider pour beaucoup d'enfants. Après je crois à la pédagogie mais il faut que les enfants soient disponibles pour les apprentissages. Or le G intervient quand il ne sont pas prêts pour les apprentissages ou quand il y a des problèmes comportementaux qui perturbent cet apprentissage.

A votre avis, faut-il maintenir les deux types d'aide ?

...

Vous dites apprécier les G. Et les E vous semblent-il nécessaires ?

Pour les E, je me méfie beaucoup de l'effet de structure. Pour les prises en charge de type G, il y a quand même un débat très précis entre le maître G, le psychologue, les parents, les instituteurs. La décision a été prise collégialement par une équipe. Et l'intervention n'est pas de type scolaire, mais c'est une intervention qui va faciliter le scolaire... Il y a moins d'effet de structure avec les G qu'avec les E. Pour les prises en charge E, comme les gars se déplacent, vous ne pourrez pas éviter le parasitage de l'indemnité journalière. Certains avaient fait de savants calculs et on s'apercevait qu'on pouvait organiser la semaine différemment mais comme ils l'avaient organisé, c'était le maximum d'indemnités qu'ils percevaient, parce que chez nous ils sont sur des postes de brigade. On a beaucoup plus de dérives avec les E qu'avec les G... ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas des maîtres E dans certains secteurs mais si moi je vous donne la moyenne d'élèves par classe dans mon département, c'est un instit pour treize élèves, vous comprendrez que je sois plus nuancé et plus critique pour les E que pour les G, où on a quand-même un département avec des problèmes sociaux de par la ruralité profonde.

Et d'après vous faut-il maintenir les deux types d'aide à travers deux fonctions distinctes ?

... S'il y avait une seule fonction, on éviterait peut-être les dérives mais il me semble qu'il y a quand même deux formations qu'il va falloir cumuler pour faire un seul professionnel mais après tout on est polyvalent ailleurs... Il y aurait peut-être moins d'effets de structure si c'était un ancien qui fasse E et G...

Est-ce que vous voyez des inconvénients à cette perspective ?

Oui, c'est qu'il dise par moment : "Je devrais faire plus de G ou plus de E". Il risquerait d'avoir du mal à se départager s'il avait trop de sollicitations ou s'il pensait qu'il y a plus de besoins ailleurs, comme il serait seul pour faire face aux deux, il ne saurait pas s'il doit travailler à mi-temps G, à mi-temps E, je ne sais pas, il me semble que ça pourrait gêner l'enseignant... Il n'aurait que son point de vue alors qu'en réseau d'aide quand j'ai deux personnes séparées pour deux fonctions différentes, j'aurais deux points de vue différents et parfois il est intéressant de les faire débattre. Pour certains gamins, la prise en charge n'est pas évidente...

On pourrait néanmoins imaginer deux personnes polyvalentes qui pourraient débattre ensemble...

Comme j'aime bien les expériences intellectuelles ça sera à expérimenter...

Quelle est la typologie des tâches effectuées par le RASED ?

Par catégorie ?

Oui, si vous voulez...

Par catégorie. Pour le psychologue la première des tâches, c'est la prise de contact avec les enseignants sur le terrain. Je vous parle d'un réseau qui ne fonctionne que depuis un an parce qu'il y avait toujours une personne malade et là malheureusement elle est malade aussi. (...) Donc je n'ai pas de chance, j'ai des maillons très faibles dans le réseau. Donc en début d'année, prendre contact, créer une relation de confiance et faire en sorte qu'un enseignant ne se sente pas seul dans sa classe -ça rejoint tout ce que j'ai dit par rapport à mon vécu professionnel - Quand je dis le réseau d'aides, il y a l'IEN aussi parce que j'aime bien qu'ils me demandent :"Là je n'y vais pas, qu'est-ce que vous en pensez ?"... Ils le font et pas qu'en inspection. La deuxième c'est le réseau se lance dans un travail d'observation, c'est-à-dire que les maîtres E échangent déjà par rapport aux enfants qu'ils prenaient les autres années et pour lesquels ils avaient décidé en fin d'année de faire des prises en charge. Mais ils ont toujours des temps d'observation dans les classes et notamment en maternelle ce qu'on généralise dans toute la circonscription avec une batterie de tests qui sont choisis dans plusieurs domaines et qui permettent de... voir si l'enfant est dans les meilleures conditions pour aborder un CP l'année d'après. Dans le cas où il y aurait certaines lacunes, par exemple discrimination visuelle fine je ne prends qu'un exemple mais il y a toute une batterie par rapport au CP, ils essaient de faire un travail en amont suite à ces observations. Donc travail en amont, il peut y avoir intervention du psychologue, du réseau d'aides, des groupes de langage avec le maître E, des bilans psychologiques voire du travail avec les travailleurs sociaux auprès de la famille, quand on voit vraiment des carences qui sont ressorties des observations et qu'une simple prise en charge du réseau ne suffit pas, qu'il y a tout un travail à faire y compris dans la famille... Donc je tiens beaucoup à ce travail d'observation qui permet de mettre en place des aides avant le CP, avant l'entrée dans la lecture. Et après le début de l'année, les autres tâches, ce sont les prises en charge, le maître E sait qui il prend, le maître G aussi, la psychologue aussi. Après il y a les signalements qui arrivent en cours d'année et qui sont dans d'autres sections que la grande section de maternelle, des signalements d'enfants qui n'ont pas encore été vus et "bilantés" en fin d'année (...) Et là il y a à nouveau un travail d'équipe (...). Un autre grand volet de leur travail ce sont les réunions de synthèse où ils décident des prises en charge. Pour la psychologue, je rajouterais des réunions de CCPE et pour l'ensemble aussi les rencontres avec les parents, puisque le réseau d'aide travaille avec les enfants, les enseignants et les parents.

Le maître E aussi ?

Le maître E aussi. Nous, on implique toujours les parents dans le projet.

Est-ce qu'il existe des évaluations de résultats de leur travail ?

Je n'ai eu qu'une levée de boucliers pour le moment... parce que je voulais essayer de voir quels étaient les enfants qui étaient pris en charge, non pas pour les évaluer en terme de "vous avez réussi, vous n'avez pas réussi" mais je voulais mettre en place une évaluation sur plusieurs années où on aurait fait la liste des enfants qui étaient pris, quand, comment, pendant combien de temps et on aurait essayé de voir sur quatre ou cinq ans... Est-ce que j'avais par exemple une amélioration des résultats à l'évaluation de CE2, de 6ème ?... Est-ce que les gamins malgré des prises en charge multiples regagnaient l'enseignement ordinaire ou au contraire étaient dirigés vers un enseignement adapté ?... Donc j'aurais aimé faire cette évaluation-là pour affiner peut-être les prises en charges, améliorer les actions. Parce qu'on peut avoir deux gamins qui étaient équivalents, l'un a réussi, l'autre non parce que peut-être dans le projet d'école on avait mis en place d'autres mesures, ce qu'une autre école n'avait pas fait... Enfin je pense que cette étude historique, cette projection dans le temps m'aurait permis d'évaluer notre action mais là je me suis heurté au refus des intéressés, notamment : "On va ficher les gamins". Alors si c'est moi qui les ai, je ne fiche pas les gamins. Mais pour le moment on va remettre en cause certaines catégories de personnes parce que c'est vrai qu'il n'y a pas d'évaluation, donc on ne sait pas à quoi ça sert de prendre des gamins en rééducation. Moi je suis persuadé que sur le petit canton rural que j'ai, si j'arrivais à faire déplacer mon maître G et à mettre toujours en équipe des aides appropriées, je suis sûr que je dois remonter le résultat de l'évaluation 6ème au collège mais là je n'ai pas été suivi.

Comment considérez-vous votre rôle au sein du RASED ?

Je vais être cru : c'est moi le patron... parce que je ne veux pas que le RASED soit autonome, je ne veux pas qu'il soit coupé des écoles. Je ne veux pas qu'il se sente seul non plus. Je culpabilise aussi parce que parfois je n'ai pas le temps de les réunir... En principe je les réunis régulièrement en plus des visites sur le terrain parce que comme tout est à petite échelle, deux, trois classes - la moyenne du département, ce sont des écoles à trois classes - quand ils sont quelque part je vais toujours les saluer : "qu'est-ce que vous faites ? ça se passe bien ? Est-ce qu'on va se voir prochainement en CCPE ? Il y a toujours une présence et un échange sur le terrain. Il y a des réunions où on essaie de se définir un projet, des priorités. On part de leurs difficultés... Cette année on a mis au point des procédures de signalement et de prise en charge en faisant une sorte de cahier des charges que j'ai mis dans une circulaire de façon à éviter les effets de structure et à éviter que l'enseignant donne le gamin parce qu'il ne va plus en classe quand on a quelqu'un de spécialisé et éviter surtout les dérives. Mon rôle dans le réseau d'aides c'est d'éviter qu'il y ait des dérives notamment au niveau des maîtres E qui sont devenus dans certaines écoles pour des enseignants qui n'ont pas compris quel était le rôle du maître E, qui sont devenus le maître supplémentaire.. J'ai trouvé un maître E dans une école qui était devenu le maître de la BCD, l'accompagnateur pour les sorties ski, le maître qui dédouble une classe parce qu'ils sont nombreux donc en maths ils font faire les exercices... Contre ces dérives-là, j'ai demandé aux directeurs de m'adresser un bilan trimestriel des interventions des enseignants spécialisés. J'essaie de faire qu'il n'y ait pas ces abus mais c'est plutôt moi qui défends le réseau parce que... comment dire... certains membres du réseau ont été carrément agressés par certains enseignants et l'ont très mal vécu et ne se sont pas confiés, c'est moi qui ai dû le découvrir... Je tiens aussi à ce que les enseignants sachent que je suis derrière le réseau d'aides.

Quel volume horaire vous y consacrez annuellement ?

Au moins trois journées, une par trimestre plus toutes les rencontres... Et je suis disponible quand ils m'appellent... Pour quantifier, on va dire une heure par mois. Ils souhaitent des réunions... Je suis à l'écoute, par exemple les maîtres E de ma circonscription ont souhaité avoir une réunion d'échanges en début d'année, j'ai dit "d'accord mais c'est le conseiller pédagogique qui va venir avec vous", j'ai donné toutes les autorisations administratives, j'essaie d'être à l'écoute, ils savent qu'ils peuvent me rencontrer s'ils ont besoin. Pour le moment cela semble bien fonctionner... On est sur de petites échelles...

Pouvez-vous citer les 3 livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Absolument pas et je ne les ai pas eus en sortant d'ici.

La même chose pour la formation G ?

Encore moins...

Avez-vous une idée sur la formation théorique proposée pour l'une ou l'autre fonction?

Non, on a eu quelques textes, que je relise s'il y a des bibliographies mais je ne les ai pas en tête... C'est moi qui vais vous en demander une, que je sache ce qu'est la rééducation... En d'autre terme je ne suis pas très satisfait, pour E et G je vais me former tout seul... Vous pourrez au moins écrire ça... (rires)

Est-ce que vous constater une différence professionnelle perceptible entre enseignants E et G formés en stage et candidats libres ?

Je ne le vois pas pour les G parce que tous nos G sont passés par des centres de formation. Par contre pour les E, les candidats libres j'étais pour, si en tant que représentant de l'administration, j'avais des postes tenus par des titulaires du CAPSAIS. Certains ont fait un travail considérable de maître E mais c'est quand-même du bricolage et puis, certains ont eu de la chance, ils sont tombés sur des sujets qu'ils avaient préparés, donc il y a des impasses qu'eux ne savent pas forcément... On n'a quand-même pas le même type de travail entre un professionnel formé maître E et quelqu'un qui l'a eu en candidat libre, bien que j'aie vu quelqu'un de brillant en candidat libre... Mais je crois que je suis tombé sur une exception parce que les autres que j'ai et qui l'ont eu en candidat libre, ils sont tombés sur ce qu'ils savaient ou ils se sont bien défendus le jour de l'examen mais je ne sens pas ce professionnel qui va mettre en place des remédiations et qui va comprendre pourquoi l'enfant n'a pas compris. Je me dis qu'il y a très peu de différence avec un maître de classe. Et j'ai un autre problème, c'est les anciens CAEI à qui on a filé des équivalences, alors là je ne vois pas la différence avec un instit lambda. Je suis quelqu'un qui tient vraiment à la formation.

Quels sont vos critères d'évaluation pour la partie pratique des CAPSAIS E ou G ?

Je n'en ai jamais fait passer... Je reprendrais donc... Une prise en charge de maître E elle est dans un projet global, il est un élément, un acteur d'un projet global. Donc déjà il y aurait à parler de ce projet global, parler des origines de la prise en charge, le travail qu'il peut y avoir avec les parents, avec les enseignants, l'enseignant de la classe... Je ne jugerais pas qu'un acte pédagogique. Après il y a l'acte pédagogique, la leçon qu'il met en oeuvre, où là normalement on doit avoir quelqu'un qui est plus pédagogue que le maître ordinaire. C'est de plus le pédagogue de l'erreur, donc lors de l'entretien il doit pouvoir discuter beaucoup plus longuement sur l'erreur qu'un maître ordinaire. Et puis c'est quelqu'un qui fait le va et vient permanent avec le maître de la classe comme une sorte de retour, qui sert d'évaluation à ce qu'il a fait. Il peut toujours évaluer les acquisitions de l'enfant à la fin de la séquence qu'il a menée mais il faut aussi qu'il regarde si dans la classe il y a d'autres améliorations qui se font.

Et pour le maître G ?

G... Je prends le texte, deux rééducations, deux dossiers. Là aussi, j'insiste sur tout le travail en équipe qui a eu lieu avant, l'origine de la prise en charge, sur replacer la séquence dans une historicité. Par rapport au dossier, ce qu'il note, les points positifs, les points négatifs, les changements qu'il a pu constater ou au contraire les problèmes qui se sont aggravés... Il y a tout un travail d'analyse de la séquence en liaison avec tout le travail qu'il a fait avant et surtout quelle est l'évaluation qu'il fait de son action, quel est le retour dans la classe, quel est son rapport avec le maître de la classe.. Le maître G qui n'est jamais dans l'école, qui ne change pas les enseignants, pour moi ce n'est pas un bon maître G, même s'il peut être très bon rééducateur, il manque quelque chose quand il n'y a pas ce retour vers la classe... En général on conclut les CAPSAIS de maître G là-dessus le retour en classe, les relations avec les enseignants, quelle évaluation...

Avez-vous un avis sur la qualité de la formation E ou G ?

Non, je dis que c'est mieux que d'être candidat libre ou mieux que d'avoir des maîtres E qui ne sont pas formés du tout... bien qu'un très bon prof d'école sortant, avec un bon bagage de psychopéda peut arriver à faire un bon maître E...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Après évaluation je vais commencer par capacité à contester... (rires) pas que le scolaire parce que le scolaire peut être qu'une apparence... donc la réussite scolaire ce serait former certes l'écolier, mais aussi l'homme, l'individu, le citoyen. La réussite scolaire c'est quand on a réussi tout cela parce qu'à la limite un enseignant dira qu'un gamin réussit parce qu'il est docile, il fait bien les exercices, mais ce n'est peut-être que du vernis social et un jour on va demander beaucoup plus dans le cursus éducatif et tout s'effondre... Le bon élève c'est justement celui qui a les capacités à bien fonctionner sur le mode de la pensée convergente mais aussi sur le mode de la pensée divergente, j'aime bien ceux qui rouspètent et qui argumentent naturellement... Et je rejoins aussi le citoyen, l'individu, on ne forme pas que des écoliers mais de futurs travailleurs...

Comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Je refuserai déjà à penser en pourcentage. C'est d'abord le travail d'une équipe où si vous voulez il y a des enseignants qui par rapport à des instructions officielles et des compétences à faire acquérir aux élèves essaient de mettre en oeuvre des séquences d'apprentissage et ça ne réussit pas pour certains élèves et dans ce cas on s'interroge... On essaie, puisque c'est la mission de l'école de leur apprendre un certain nombre de choses, donc les aides interviennent parallèlement quand il y a difficulté pour leur faire acquérir ce que la société attend de nous et qui est défini dans les instructions officielles. Mais c'est un processus global... La place, je refuse de voir si c'est 1/4 de ça, 3/4 de ça... C'est un processus qui est là et l'actualisation de ce processus va varier d'une année à l'autre, d'une population scolaire à l'autre, d'un groupe d'enseignant à l'autre, parce qu'on ne travaille pas de la même façon dans les écoles...

Comment voyez-vous l'avenir des RASED ?

Paradoxal, contradictoire, on ne sait pas trop... On sent qu'il y a des gens qui veulent les attaquer... Par principe, s'ils sont trop à les attaquer, je serais de ceux qui les défendent... Je crois que les RASED, c'était une idée généreuse, cette idée de souplesse elle m'intéresse... Je crois qu'on a, nous, à montrer que les RASED ont leur rôle à jouer, qu'ils ont leur utilité - on rejoint l'évaluation dont vous parliez tout à l'heure - Je pense qu'ils peuvent arriver à triompher... Mais c'est vrai que je sens peser une certaine menace sur les réseaux d'aides à l'heure actuelle...

Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Non, je suis fatigué...

Une dernière question, facultative... Pour quelles raisons êtes-vous devenu inspecteur ?

C'est le syndrome des quatre murs. Quand on est dans des écoles, qu'on est enfermé les uns sur les autres, c'est toujours les mêmes discussions, c'est toujours notre petit monde. Alors j'avais envie d'avoir un espace beaucoup plus grand, c'est ce qui m'a fait inspecteur, l'autre raison, c'est la revanche sociale, je suis fils d'ouvrier... Et puis une collègue m'avait dit : "Tu n'as pas envie d'être IEN ?" C'est vrai que j'avais envie d'un espace plus grand, toujours dans l'éducation. Je croyais faire beaucoup de pédagogie en étant IEN, je ne suis pas déçu du voyage parce que... on en fait très peu et pourtant j'aimais ça. Donc sortir d'un petit espace, avoir son action d'enseignant à une échelle beaucoup plus grande et un espace de travail plus vaste parce que l'enfermement dans une école il faut supporter...