Entretien E17 Lionel

Age : 54 ans

Profession : IEN Chargé de mission/IA/IG

Diplômes : 3ème cycle de philosophie (82), 3ème cycle de sciences de l'Education (85)

Lionel : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):
Lionel : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):

Lieu de l'entretien : bureau de l'IEN

Durée : souhaitait un entretien qui ne dépasse pas trente minutes. En réalité la rencontre a duré 50 minutes environ, à l'initiative de l'IEN.

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté " ?

Bilan, projet... peut-être même équipe... il ne serait pas mauvais de pouvoir les définir...

Oui, mais je vais vous le demander juste après...

Oui, ça je me doute... Bilan, projet, équipe... regard... ça me suffira...

Pouvez-vous préciser le choix de chaque terme ?

Le premier, bilan, c'est que, évidemment, quand on a fait un constat, il faut le vérifier, il faut essayer de l'étayer, de regarder ce qu'il en est, de le mesurer... et probablement pas tout seul parce qu'il faut établir le projet, le deuxième mot, que l'on va construire avec l'enfant et non pas sur l'enfant... il faudra effectivement que l'on puisse être plusieurs et connaître... et pour pouvoir définir les différentes parties de ce plusieurs, il importe de faire un bilan premier... Il y a aussi peut-être d'autres choses qui sont nécessaires à voir... Un enfant n'est pas en difficulté comme ça par hasard, il y a des raisons, des causes, des explications et même s'il n'y en a pas, il faut bien essayer de chercher quelque chose et trouver... Donc il faut une équipe pour cela, une équipe pluridisciplinaire, même ne serait-ce que dans l'école... travaillant de manière assez solidaire, il n'est pas souhaitable qu'un maître dans sa classe soit seul avec le problème de l'enfant en difficulté, c'est quelque chose de lourd... Et le dernier mot que je vous ai donné, regard... J'aurais même dû le mettre en premier celui-là... Je crois qu'il faut qu'on cesse de regarder un enfant comme un élève uniquement, il faut une tolérance grande dans ce regard là... Il faut discuter avec un gamin de ses problèmes, de la façon dont il doit agir, de la façon dont il résoud son travail scolaire... en parler avec lui comme avec une personne... Et probablement, c'est là dans les formations d'instituteur où l'on insiste pas assez... ce que j'appelle la tolérance... C'est un enfant en difficulté... C'est une expression dont j'ai horreur... Parce que c'est un enfant... qui vit des difficultés et comment il les a, comment il les vit, comment il les sent parce qu'il le sait qu'il a des difficultés, comment il les exprime, comment il s'en rend compte, comment sa famille les vit... C'est pas toujours agréable de rentrer chez soi et puis de se faire attraper parce qu'on n'a pas eu une bonne note, parce qu'on est ceci, parce qu'on est cela... et ça ce n'est pas fréquent que les maîtres pensent à toutes ces petites choses derrière qui font que tout ça ça constitue une personne, qui est gamin, qui est enfant, qui est fille et puis qui à l'école n'y va pas trop par plaisir parce que...

Est-ce que vous pouvez retrouver le visage d'un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et puis raconter ce qui se passait avec lui...

Oui... oui, beaucoup... Je ne sais pas retrouver le visage, je retrouve les visages, plein de visages... Figurez-vous que j'ai un meuble dans ma salle de bain et sur ce meuble il y a un taxi de la marne en faïence... il est moche, c'est un truc kitch... mais je le garde, je ne le jette pas parce que dedans il y a une petite carte de visite d'une Mme Plantier... Mme Plantier était la mère d'un petit gosse, Patrick, et cette année, là, ça devait être avant 70... et il ne parlait pas du tout... Ce n'était que des cris... Je l'avais en classe, on me l'avait mis et puis j'avais une autre fille aussi dans ma classe qui elle non plus ne parlait pas mais à la différence de Patrick qui était le bagarreur, le vivant... en classe évidemment question apprentissages scolaires rien mais alors rien... et puis la petite fille Denise, elle ne parlait pas du tout... Pour revenir à ce petit mot, la maman a écrit "je vous remercie de l'attention et tout... parce que Patrick va partir cette semaine dans un IMPRO, il va vous quitter et il a pleuré toute la nuit... ça me reste comme souvenir... Ce qui me reste surtout c'est que... bon on avait décidé effectivement qu'on ne pouvait pas lui apprendre à lire... enfin comme on croit devoir apprendre à lire à des gamins... Mais qu'il y avait plein de trucs possibles avec ce gosse et que le seul ennui c'est que j'avais l'impression que je pouvais faire des choses avec ce gosse mais que je ne savais pas quoi... Que je faisais des trucs avec lui et je me disais qu'il devait y en avoir plein d'autres derrière, d'activités d'apprentissage... avec Patrick mais quoi ? C'est peut-être une des raisons qui m'a conduit à suivre une formation spécialisée pour essayer de voir ce qu'on pourrait faire... Un autre exemple, c'est une enfant en CM1 et c'est l'année qui précédait mon départ en stage CAEI... en 72, donc c'est avant la loi de 75... C'est d'une logique imperturbable mais c'est important... On ne savait pas qu'il y avait des handicapés... C'est la loi de 75 qui nous a dit qu'il y avait des handicapés... Puisqu'ils passent à la commission, donc ils sont handicapés... Donc, j'avais cette gosse, HM, Handicapée Moteur, elle avait des cannes trépied pour marcher et puis on ne s'est pas posé de question, ni mes élèves, ni moi pour dire : "qu'est-ce qu'elle fout là ?"... (interruption téléphonique)... Cette petite fille marchait difficilement, bon on n'avait jamais pensé qu'elle était handicapée, c'est vrai qu'elle était génée, embétée, que ça n'allait pas... Et puis quand la récréation sifflait, parce qu'à cette époque le directeur sifflait, les gamins se précipitaient en sortant... mais il y en a toujours un, jamais le même, et jamais... il n'y a eu un ordre donné ou un roulement... la porte était ouverte en grand, elle sortait avec ses bécanes et puis la porte était fermée derrière elle et puis personne n'a dit... rien... il y avait des plaisanteries... On n'intégrait pas là, on ne savait pas qu'on intégrait, on avait l'élève... on avait l'enfant... On ne se posait pas la question : "j'ai pas été formé par... par des spécialistes pour savoir ce que c'est" ... D'ailleurs la première année que j'ai fait classe, j'ai eu une classe de fin d'études... Ah oui, j'ai oublié de vous le dire... C'était l'année où on devait les supprimer ou peu de temps après... L'inspecteur de la circonscription à l'époque avait décidé que tous les "vieux", fftt en classe de fin d'études... parce qu'on faisait tripler... j'ai récupéré des gamins qui triplaient, l'un le CE2, l'autre s'était fait trois CP, trois CE1... il n'y avait pas de classe de perf, c'était dans les années 64... C'était une classe de fin d'études première et deuxième année... J'avais soit un an soit deux ans pour les conduire au certificat de fin d'études primaires... Et dedans il y en avait un qui s'appelait Yves SAN, il était... je ne sais pas ce qu'il était... Il pouvait très bien rester sans bouger... Et il dessinait... Je lui disais :

Yves qu'est-ce que tu fais ?

- tu fais un dessin (il parlait toujours de lui en disant tu)

C'est marrant il ne dessinait que des manivelles... Et puis il me disait :

- tu peux pisser ? (il avait envie d'aller pisser)

Et je lui disais : allez dépêche-toi (parce que la première fois il avait fait sur le siège, il avait quatorze ans...) Cet andouille se lève, va au fond de la classe et il fait... (rires) je ne lui avais pas dit de sortir de la classe, je croyais qu'il allait le faire...

- Yves, tu demandes, tu sors, tu le fais...

- Ah, tu le fais.

- Dehors...

- Dehors.

Et la fois suivante

- tu peux pisser ?

- Oui, dehors...

Il va dehors, je ne le suis pas... On ne pense pas à tout... Tout à coup je vois le voisin, le directeur qui arrive... (rires) et deux choses... c'était marrant parce qu'il était furax et aussi c'était "ton imbécile, il a pissé dans ma cuisine".. (rires)... "ton imbécile"... ça pour revenir sur le regard... Yves est parti en IMPRO au village voisin... J'ai rencontré souvent le directeur qui me disait : "on le pose"... à l'atelier jardinage, il a la bêche et il ne bouge pas comme ça pendant une heure, deux heures, trois heures... C'était Yves ça...

On va peut-être s'arrêter là pour le thème des enfants en difficulté...

Juste encore une chose... Tous ces gosses qu'on enlevait de ma classe et qui allaient là-bas en DHM, dispensaire d'hygiène mental, tout ça c'est des gens... "on te l'enlève"... On a vraiment... et j'en termine puisque vous le souhaitez, réellement on collait par le regard et la parole aussi des statuts sociaux à des enfants qui se baladaient avec ça le reste de leur scolarité et je crois qu'il faudrait faire attention à ça en terme de formation...

Je voudrais vous interroger maintenant sur les réseaux. Qu'évoque pour vous le sigle RASED, en cinq termes que vous développerez ensuite ?

Incompréhension oui... je voudrais exprimer en un mot l'idée qu'on a peut-être loupé là, l'institution, une bonne occasion mais ça... ensuite... l'évaluation et puis je reprendrais le terme d'équipe... Le premier c'est quoi ?

Incompréhension

Je crois que le terme incompréhension, il y a plusieurs choses : à la fois causée par eux-mêmes, ils n'ont peut-être pas tellement cherché à ce qu'on les comprenne au départ... ils n'ont pas été communicants. Un des grands défauts des réseaux d'aide comme auparavant d'ailleurs des groupes d'aide psychopédagogiques, a été de commettre une erreur quant à l'absence de visibilité de leur fonction et de leur charges... et pour beaucoup, c'était des gens payés à se balader de classe en classe, qu'on contrôlait peu, leurs propres collègues ne savaient déjà pas trop ce qu'ils faisaient. Donc, il y a là une première incompréhension. Une deuxième incompréhension provient du loupé de l'institution vis à vis des réseaux qui n'a pas toujours été très claire... pas évident... Une bonne occasion ratéeoui... peut-être en terme de formation, peut-être en terme... j'ai l'impression, c'est personnel... Si on avait pu vraiment bien connaître et bien travailler sur leur formation, bien les mettre en place, ça pouvait être des éléments de médiation intéressants entre les différents acteurs qui gravitent autour d'un enfant dans l'école... Médiation, c'est important entre le maître et le gamin... tout à l'heure on parlait d'un enfant en difficulté, bien après tout le psychologue scolaire ou l'ex-RPP ou l'ex-RPM aurait pu dire : "peut-être que cet enfant t'appelle au secours, peut-être qu'il a un truc..." et ça pouvait aider à transformer le regard porté... ça c'était sur l'occasion ratée... parce que je crois de plus en plus on a besoin de médiation... Un enfant va se réfugier quand on lui a collé un statut et un rôle, il va se réfugier dedans, il va essayer de remplir son rôle... un individu aussi... il faut quelqu'un qui fasse cette médiation entre eux... Sans réseau, il va manquer à un moment ou à un autre quelqu'un qui fasse cette médiation entre l'enfant et les autres, l'enfant et l'école, l'enfant et l'institution et le système... Après l'évaluation... Si je dis évaluation, ce n'est pas tellement le réseau d'aide qui me fait penser à ça... là aussi ça se rattache à la compréhension, ils n'ont pas aidé à donner les grilles nécessaires de lecture de leur propre évaluation... Ils ont voulu faire parfois de l'auto-évaluation très... très obscure, très renfermée, très peu lisible et très peu communicante, d'une part, deuxièmement, ils n'ont pas négocié ou rarement avec leur supérieur hiérarchique comment on peut évaluer le projet...Moi quand j'étais IEN et IEN AIS, je réunissais les réseaux d'aide, psychologues compris, c'était les GAPP à l'époque, parce que les réseaux c'était quand j'étais IA... je leur disais : "je regrette, vous êtes des fonctionnaires et moi je suis inspecteur, je vous inspecte, donc je veux vous voir, on ne peut pas inspecter sur dossier... C'est trop du baratin, on peut très bien faire n'importe quel dossier, je veux vous voir travailler, c'est clair... Alors après on se met d'accord... Vous me montrez un séquence, un projet, comment vous animez une réunion... je ne vais pas évidemment assister à un entretien individuel entre un psychologue et un enfant pour ne pas biaiser l'opération, mais il y a d'autres tâches que doit remplir un psychologue dans sa vie professionnelle que l'inspecteur peut très bien voir et ça... ils n'ont pas été assez clairs... même lorsqu'ils refusaient le système de l'inspection... ils n'ont pas été assez clairs. C'était souvent des confrontations inutiles... Les inspecteurs eux-mêmes n'ont pas été clairs du tout, n'ont pas cherché à le faire dans la grande majorité et c'est peut-être une des raisons aussi pour laquelle les maîtres G sont... Si vous rencontrez dix inspecteurs, vous mettez dix instituteurs à côté dont un G et qu'ils doivent fermer une classe, ils vont fermer celle-là, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Les IA idem, ils vont vous fermer le poste parce qu'on ne sait pas quoi en faire, qu'est-ce que c'est que ces gens ?... C'est dommage, je disais il n'y a pas longtemps sous forme de plaisanterie, quand on aura fermé tous les postes G, cinq, six ans après on se dira et si on créait des maîtres chargés d'une remédiation ou d'une rééducation, c'est... je suis convaincu de leur nécessité mais tout aussi convaincu, comme on dit maintenant qu'il faut une refondation... de la fonction.

Vous avez parlé aussi du terme d'équipe…

Oui, c'est pour eux une difficulté... Un réseau couvre normalement plusieurs écoles, sur projet, ce n'est pas facile non plus à mettre en place... quand est-ce qu'on s'arrête de faire une rééducation ? on sait toujours définir la prise en charge, on ne sait pas toujours définir la fin de prise en charge... Bon, l'équipe, entre eux, ce n'est déjà pas évident... Moi, j'ai eu une chance phénoménale en Moselle... J'avais quatre, non cinq réseaux d'aide et il y en avait quatre remarquables... Ils travaillaient, phénoménal, j'étais même vraiment heureux avec eux et ça marchait bien et donc c'est que ça peut fonctionner et ils avaient une réelle... c'était vraiment une équipe, il n'y avait pas le psychologue un peu distant ou... c'était une équipe et qui savait parfaitement le... plaisir qu'un directeur d'école les appelle... donc il était intégré, ça marchait bien... C'est très, très, très difficile et très rare... Déjà entre eux ce n'est pas évident, la place n'est pas claire vis à vis de l'équipe des enfants et des maîtres... Ce n'est pas évident non plus. Il y a un gros, gros problème de lisibilité de la fonction par tout le monde.

En quoi la différenciation E/G vous semble-t-elle pertinente ?

Je ne sais pas vraiment, je ne sais pas trop... Il faut dire que je ne faisais plus classe quand il y a eu les G et je n'étais plus inspecteur ordinaire... Il faut voir... quelle est la pratique du maître E, si c'est la classe d'adaptation, si c'est la classe semi-ouverte, si c'est le fonctionnement de type classe ouverte avec des moments où le maître E prend des groupes d'enfants ou va même dans une classe avec un autre maître pour participer au travail... c'est bien... Le maître G, je rajouterais peut-être quelque chose, encore que pourquoi pas le E, le maître G c'est peut-être cette fonction de médiation, c'est-à-dire que dans la prise en charge rééducative, il doit y avoir un moment où on peut essayer de rechercher non pas l'éducation directe mais de rechercher au contraire à raccrocher les liens entre l'enfant et ses apprentissages...Mais c'est aussi le boulot du maître E, c'est même le boulot de tout instituteur...

Et si on définissait le maître G avec cinq termes caractéristiques, lesquels choisiriez-vous ?

Médiation, je crois que je le mettrais vraiment en tête, je pense aussi à explicitation, il faut absolument qu'il explicite son action vis à vis de l'enfant et vis à vis du maître et de l'équipe et qu'il prenne patience, patience tiens... parce qu'effectivement il lui en faudra pas mal pour expliquer à un instituteur, l'instituteur de l'enfant ou aux parents... sa démarche et le cheminement que ça va prendre...

Et pour le maître E ?

Explicitation je crois que je garderais, médiation aussi mais ce n'est peut-être pas de la même épaisseur, de la même qualité... Par contre la qualité d'un maître E, mais c'est la qualité d'un instituteur tout venant quoi, c'est tenir compte du déroulement et du descriptif de la démarche d'apprentissage de l'enfant... Et pas seulement en tenir compte mais aussi la connaître et la faire connaître à l'enfant, ce qui finalement est une démarche d'apprentissage qui... Tout le monde, tout enfant a une démarche d'apprentissage... La seule chose particulière c'est que l'enfant un peu en difficulté a une démarche contraire à ce qu'on peut espérer mais il a une raison et une démarche, il faut les découvrir et lui en faire prendre conscience. Sinon on aura trop vite des enfants dont l'objectif sera de satisfaire le maître et non pas de répondre à une problématique posée... satisfaire le maître... chercher un peu dans le regard, dans l'attitude...Vous savez, il y a des enfants, c'est des "pro", qui font ça de manière formidable... celui qui va lever la main juste, il ne sait pas, il ne sait rien, il ne sait pas la réponse mais il lève la main juste au moment où le maître vient d'interroger le copain à côté... et le maître dit : "ah, si j'avais su, c'est toi que je voulais interroger mais bon..." il y a des "pro" et il faut être inspecteur pour le voir... Au fond de la classe, c'est extraordinaire comme il y a un petit climat social qui se met en place... ou le gamin qui manifeste, il allait écrire la réponse quand le maître a dit "posez"... Mais, ah... c'est sensationnel... Ils ne sont même pas comédiens, ils ont un rôle, ils ont un statut, ils sont écoliers. Donc ils ont un métier et ils font leur métier d'écolier et ça... c'est important, le maître G va le voir ça, il va essayer de le repérer, le maître E doit normalement aussi pouvoir le repérer et puis amener peu à peu l'enfant non plus à jouer un rôle d'écolier mais à être dans son apprentissage et à repérer les choses... ça vaut pour les fautes... Je me rappelle avoir fait des animations pédagogiques, c'était le rôle de l'erreur dans l'apprentissage... Et on avait fait des choses et on se rendait compte que quand on analysait bien les erreurs, quelquefois ça n'était... une erreur ça a un champ sémantique extraordinaire... c'est riche de possibilités après... Vous avez des gamins qui j'allais dire avaient bon, qui savaient bien, ils avaient une erreur mais ils savaient bien... ils avaient bien vu que ça marchait...

A votre avis quelles sont les différences de fonction entre le maître E et le maître G ?

Entre le maître E et le maître G ?... La première des fonctions c'est quand-même le maître, ni E, ni G, ni B, ni C, c'est l'instituteur de la classe quoi, c'est quand-même lui qui est l'acteur premier de la chose... Non... C'est un tout, c'est le directeur, c'est le maître, c'est l'équipe, l'inspecteur pourquoi pas, le conseiller pédagogique... Non, entre E et G, je ne vois pas...

A votre avis, est-ce que le système d'aide actuel est efficace ?

Qu'est-ce que c'est pour vous efficace ?

En quoi le fonctionnement des RASED que vous avez pu observer apporte-t-il une aide tangible à l'enfant mais aussi au système scolaire ?

Autrement dit, est-ce que les réseaux améliorent globalement les possibilités de l'enfant à apprendre ?

Si vous me posez la question sous une forme aussi générale, ma réponse sera obligatoirement non, non... Si on mesurait le rapport qualité/prix au travail fourni et les résultats qui arrivent, c'est non, clairement non. Maintenant évidemment il y a des endroits, des situations ou des moments, pour le même enfant, pour la même équipe ou pour des équipes différentes, évidemment oui, les résultats sont bons... mais je crois quand-même bien insuffisants par rapport aux besoins réels... Je suis persuadé aussi que cette insuffisance est souvent masquée par les enseignants eux-mêmes, par une attitude de critique d'autrui. Si la qualité de l'aide quelle qu'elle soit, pas seulement les aides spécialisées, laisse à désirer, c'est qu'ils jouent les victimes… victimes d'une institution insuffisante. Il faut en finir avec cette idée très néfaste selon moi. Les problèmes ne peuvent pas être réglés seulement avec une augmentation du nombre de postes, sans rien changer aux façons de travailler. Certains enseignants s'enferment nettement dans une position revendicative, syndicaliste, ce qui les dédouane de leur manque d'initiatives pour être plus efficaces... Ce n'est pas de leur faute, c'est toujours celle de l'autre. Et ils attendent comme ça des jours meilleurs.

Quels seraient les changements à instaurer pour améliorer... on pourrait dire l'efficacité ?

De plus en plus, je suis un partisan, j'allais dire un fanatique d'une formation initiale bien solide, bien forte, bien conçue, mise en oeuvre avec les gens eux-mêmes et je suis aussi convaincu de la nécessité d'une formation continue de plus en plus réflexive... tout au long de la vie, "long life"... ça, ça parait évident... Je crois qu'il faudrait aussi faire en sorte que la formation continue, on a la chance d'avoir une formation d'un an, remplacé dans sa classe, ce n'est pas le cas dans tous les pays, c'est une très grande chance et on a la chance dans le premier degré, je crois que c'était Guichard le ministre, c'était Jean... le directeur des écoles qui a fini inspecteur général... qui ont donné un an de formation continue sur la carrière, c'est-à-dire qu'un instituteur, un professeur des écoles a droit à trente six semaines de formation continue dans sa carrière et je crois que ça, on ne l'a pas bien joué, parce qu'on n'en mesure pas l'efficacité, on n'essaie pas de voir comment ça fonctionne, on n'essaie pas... c'est rare quand on se fixe vraiment des objectifs opérationnels... Quand vous lisez dans un projet d'école, l'objectif du projet c'est réussir... évidemment... Vous connaissez quelqu'un qui va faire échouer volontairement ? Maîtriser la langue... évidemment, ce n'est pas des objectifs opérationnels tout ça... Je préférerais voir un objectif opérationnel sur une séquence courte "dans autant de temps je crois que cet élève là devrait employer la forme interro-négative à tel moment"... S'il sait l'employer ou bien le subjonctif peu importe... à tel niveau de classe, on le voit bien, il maîtrise la langue... Améliorer les résultats, ce n'est pas un objectif, ça... c'est du pipeau... Evidemment qu'on veut améliorer les résultats, mais comment et combien et est-ce que la formation et ça on l'a loupé... l'occasion, je crois qu'on a loupé pas complètement, pas toujours, on a un peu loupé l'occasion de la qualité en formation continue en particulier... Je suis de ceux aussi qui pensent que l'université est faite pour améliorer, grandir la qualité, le niveau de formation des enseignants et donc bien évidemment les instituteurs spécialisés doivent suivre une formation à l'université oui... Mais l'université n'est pas un système, une institution qui procure un métier... et donc le canard boiteux ou bien le monstre biforme que sont les IUFM, je crois que c'est dommage, on aurait dû mettre les instituteurs en formation à l'université et avoir des instituts universitaires professionnels, on leur apprend le métier... ça ce sont des nécessités, après nécessité aussi d'apprendre aux gens... L'école a longtemps été un moment fermé... Je vous rappelle avant les conseils de parents, maintenant il y a les conseils d'école, les parents avaient le droit simplement d'écouter le règlement, de ne pas oublier de mettre le nom du gosse sur le foulard ou le cache-nez, il n'avait rien, il n'y avait pas de rôle... quand vous ne donnez pas de rôle précis à quelqu'un, ou il le prend, ou il s'en fout et s'il le prend, il le prend mal... or l'éducation d'un enfant et son apprentissage, c'est quelque chose de sérieux pour essayer de le faire ensemble, ensemble, donc dans le même sens, en le discutant, en le négociant et pas en adversaires... Et l'école a été pendant très longtemps, encore un peu, un lieu clos et fermé... Un maître G ne sera pas compétent dans tout ce qui relève de l'orthophonie... même s'il a repéré les choses, ce n'est pas obligatoirement son métier... Et faites venir un orthophoniste dans une école, ce n'est pas facile, facile, les autres ne marchent pas... Il y a des tas de choses comme ça à voir et à organiser et à mettre plutôt en mutuelle qu'en concurrence...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression de "réussite à l'école" ?

Bonnes notes... c'est une manifestation tangible. Satisfaction parce qu'à la fois l'enfant, les parents, l'enseignant, tout le monde en a du bénéfice... Avenir professionnel, je voudrais dire que la réussite scolaire et la réussite professionnelle ne sont pas toujours liées. A notre époque l'un n'entraîne plus forcément l'autre, tout est relatif aujourd'hui... mon dernier mot relativité. On peut se poser la question "Qu'est-ce que c'est vraiment la réussite ?" (interruption téléphonique un peu longue)

J'aimerais que vous reveniez au rôle et à la place des aides spécialisées par rapport à l'enseignement et aux aides ordinaires...

(...) Les aides spécialisées à l'école... D'abord il y a les aides spécialisées qui relèvent de l'école, il faut absolument qu'ils soient membres de l'équipe, qu'ils participent vraiment et qu'on sache ce qu'ils font et qu'ils aient un souci d'explicitation et de lecture et de lisibilité de leur action... ça me paraît une nécessité... Je ne vais pas revenir sur leur formation... Je crois que si on ne la refonde pas dans le sens du regard, d'une plus grande tolérance envers l'enfant, autant fermer les fonctions... Après il y a les aides spécialisées à l'extérieur, qui ne relèvent pas de la fonction enseignante, de la fonction Education Nationale... Ce n'est pas évident à définir... On ne peut les définir qu'à partir de l'exemple d'un enfant... A partir du moment où il y a un enfant dans une classe, si le maître a vraiment ce regard porté sur l'enfant et dit "bon là, il y a un truc, y'a quelque chose", il faut qu'on trouve, absolument, tout à fait comme on trouve le chemin... pour le guider ce maître, qu'on ne le laisse pas seul dans ce problème ou parce qu'il y a un gamin qui est difficile, on le colle en CCPE alors que c'était un autiste ou alors on lui colle l'étiquette autiste alors qu'il y a autre chose ou dyslexique... le nombre d'enfants dyslexiques ou autistes que l'on a envoyé dans les IMPRO ou dans les IMP, c'est dramatique, même s'il y en a eu deux ou trois, c'est dramatique pour un enfant... Alors il faut que le maître trouve sa place dans un réseau d'aides, d'aides pour lui et d'aides pour l'enfant... Alors ça c'est le directeur qui doit pouvoir dans son école le faire, c'est la secrétaire de CCPE, à qui il faudrait enfin donner un rôle autre que celui des gares de triages, ne pas oublier que le texte sur les CCPE ou les commissions d'éducation spéciale parle de "lieux de promotion de l'enfant"... le mot promotion est bien mis... Il faudrait aussi que chacun prenne ses responsabilités dans la chose, à l'heure actuelle on le sait pertinemment, on dit tout le temps que l'éducation nationale est un bloc monolithique, moi j'ai traversé quand-même quelques départements, quelques circonscriptions et je n'ai jamais vu le même fonctionnement, jamais... J'ai vu des CCPE non présidées par les IEN, qui signaient et encore, j'ai vu des secrétaires de CCPE avoir autorité pour signer les feuillets d'orientation ou d'affectation... Des gens qui ne faisaient pas leur boulot... Des CCPE réunies une fois tous les trente-six du mois et c'était seulement une équipe technique de CCPE alors que ça n'existe même pas... Mais on voit de tout... Moi je crois qu'il faut rappeler aux gens l'exigence de leur fonction, l'exigence des tâches et puis probablement que en faisant cela on trouvera les lieux de sociabilité... La CCPE doit être un lieu où on discute, où on parle des enfants quels qu'ils soient... Après quand le dossier sort de la CCPE vers une orientation CCSD, ou vers un conseil pédagogique en disant il vaut peut-être mieux... ça ce sont des lieux de promotion de l'enfant et ce sont des lieux où on peut définir les réseaux... Pourquoi pas aussi des projets pédagogiques associant ici un orthophoniste, là un neuropsychologue... Plein de choses sont faisables... Il ne faut pas trop institutionnaliser, j'ai une grande confiance dans les enseignants à partir du moment où on leur fait confiance d'une part et on leur laisse promouvoir des projets, des vrais projets... Et là le nombre d'équipes qui démarrent et qui sont prêtes à vous... bousculer les vieilleries de l'institution...

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je le vois mal, très mal... J'allais dire, je ne sais même pas si on peut voir un avenir... Il y a deux façons de le voir, trois... me semble-t-il... La première, ma foi ils sont là, on va laisser faire et puis peu à peu on diminue le nombre de G, on ferme quelques postes, on laisse courir, ou alors on les laisse comme ça, c'est tout... Il y a des structures ou des institutions qui perdurent au travers des siècles... Après il y a une deuxième solution, c'est de dire on ferme... On regarde et on fait autre chose... On dit à l'inspection générale : "vous allez faire des propositions", on dit aux maîtres, aux associations FNAREN, psychologues : "vous allez définir la fonction", on définit des modules de formation et on refait quelque chose, je ne sais pas... Je ne suis pas très optimiste, je crains plutôt que... on laissera faire comme ça... je ne sais pas, je ne suis pas sûr... L'avenir, non, je n'ai pas pris ma tasse de café pour lire dans le marc, non... Je ne vois pas...

Je n'ai pas d'autres questions mais si vous avez d'autres remarques à formuler sur les aides à l'école...

Non, je ne veux pas tellement rajouter de remarques, je resterai sur ma conviction d'une nécessaire formation vraiment cohérente, cohérente quand on les différencie vraiment déjà... Du temps des RPP ou RPM et même les G après ou les E, tous se sont un peu perdus entre des batailles classiques entre pro-psychanalyse, pro-technique, pro-ceci alors finalement ils ont oublié que le sujet principal, c'était quand-même le petit gamin qui était devant eux, alors je crois que ça, ça leur a fait beaucoup de tort... beaucoup de tort... Il faudrait que nous revenions... j'en sais rien... on ne peut pas prétendre à une amélioration des pratiques de formation, des pratiques de regard des enfants, des pratiques des maîtres si on n'améliore pas la formation et si on ne la reprend pas en considération et en même temps si on ne donne pas à chaque équipe d'école le plus d'autonomie possible et de responsabilités... ça veut donc dire que quand on a de l'autonomie, on doit rendre des comptes... et puis le dire... Je me souviens, dans une école à Champagnier pour ne pas la citer, ce qu'on avait fait dans la circonscription, j'avais fait des cases pour les résultats et puis voilà... Voilà la moyenne des résultats CE2 au niveau national, voilà la moyenne de l'académie, voilà la moyenne de la circonscription, vous vous calculez votre moyenne et puis vous me renvoyez une note en me disant ce que vous comptez faire puisque vous êtes dessous... Et j'ai eu une lettre qui me disait "on a des enfants, là où il n'y a pas d'esprit on ne peut pas en mettre..." vraiment... Je l'ai gardé longtemps cette lettre... du genre, c'est la faute à la famille, c'est la faute à tout le monde, mais pas eux... et en rendant anonyme la lettre ça a été un sujet à l'école normale de Caen que j'ai collé à mes normaliens... pour les faire débattre là-dessus, c'était le tissu de l'intolérance et du non... mais alors aucune capacité autocritique, rien... c'était vraiment incroyable... Je crois qu'eux, ils l'avaient écrit et beaucoup le pensaient... ça fait très pessimiste...

(poursuite de l'entretien hors enregistrement puis reprise)

Une équipe qui carburait incroyable et puis un petit gosse qui dit... on va travailler maintenant et puis il regarde son grand copain et puis il dit : "lui il va avec la maîtresse là parce qu'il ne sait pas lire" et la maîtresse là c'était une RPP qui prenait quelques élèves "parce qu'il ne sait pas lire"... Le gamin, il se chope son étiquette, il ne sait pas lire, donc la maîtresse d'entrée, c'était celle qui prenait ceux qui ne savent pas lire... Essayer un peu de faire la promotion d'un gamin pour qu'il s'auto-satisfasse, pour que ça marche, on ne peut pas apprendre si on n'a pas quelque part une image positive de soi... comment voulez-vous qu'il ait une image positive... ses copains disent qu'il ne sait pas lire... "Et puis, il va pas passer" qu'il me dit le petit, "il va pas passer"... Alors que si la maîtresse en question était intervenue dans la classe, pour participer à des travaux, proposer des travaux de groupe à untel, untel, untel qui justement auraient eu besoin de ce travail là, c'était autre chose... Là vous auriez eu des enfants qui auraient réclamé d'aller avec la RPP ou la RPM ou tout ce que vous voulez... "Moi, je veux aller avec toi"... Quand j'entendais dans une classe des gosses dire "moi je veux aller avec toi" ou bien quand elle venait chercher un enfant ou deux pour faire son groupe et puis il y en avait un autre qui disait "et moi tu me prends quand ?"... Vous êtes sûr que le gamin il a envie d'y aller... Alors ou il a envie d'aller parce qu'il sait qu'il a des difficultés et qu'il va trouver une aide là et... pas mal... ou il a envie d'y aller parce que ça lui plait et donc il sait que ça n'est pas négatif... ça arrange des choses comme ça... Prenez l'exemple des BCD... Il y a des municipalités, excusez l'expression, qui ont claqué du fric là dedans et les BCD... Le rapport de l'inspection a prouvé que ça n'a rien apporté, c'est mal fait, ce n'est pas géré... On a plein de... On a l'impression parfois d'une jachère... Entrez dans un collège ou une école primaire... la façon dont les gosses sont considérés... je ne sais pas... on ne leur parle pas, on leur crache des choses, des mots... "mets-toi en rang"..."bouge pas"... je sentais plus de considération de mes instituteurs envers moi... alors que pourtant... "en rang par deux"... "pas entendu"... "bras tendus"... "tendez"... "baissez"... Ah oui, mais on allait à l'école, c'était comme ça à l'époque... Et le maître avait une considération pour nous... Quand vous arrivez en vrac, n'importe comment, ce n'est pas de la considération... Le vacher n'a pas de considération pour ses vaches qui rentrent en vrac dans l'étable... Par contre on a de la considération pour le boulot quand on dit : "je regrette, on travaille, on va travailler, on se prépare à aller travailler"... et les enfants le comprennent bien ça... que ce n'est pas le même lieu, qu'il y a des moments différents... Les enfants ont besoin d'un certain rite... Il ne s'agit pas de fascisme... sinon... c'est sûr...