Entretien E20 Frédéric

Age : 59 ans

Profession : IEN Chargé de mission/IA/IG

Diplômes : Agrégation en géographie (67), doctorat en Sciences de l'Education (93)

Frédéric : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Frédéric : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu de l'entretien : bureau de l'IEN

Durée : 1h 10mn

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté " ?

Vu du côté des enfants ou vu du côté des maîtres ?

Comme vous l'entendez...

Les réponses ne sont pas les mêmes... Quand je vois par exemple, que comme je le constate souvent, les enfants considérés en difficulté par les maîtresses de grande section ou les maîtres de CP sont des enfants de la fin de l'année, je me dis qu'on les appelle enfants en difficulté, qu'on crée des difficultés pour ces enfants, faute de différenciation dans les classes, et pour moi, ce ne sont pas des enfants en difficulté, c'est pour ça que je vous pose la question... Pour moi, des enfants réellement en difficulté, ce sont des enfants, dans une classe où le maître prend en compte la réalité de ces élèves, n'arrive pas à faire décoller quelques élèves, un ou deux, dans sa classe. Donc, les mots que ça m'évoque, c'est probablement légère déficience intellectuelle - je me place moi du côté des élèves - ça m'évoque adaptation du cursus, pédagogie de la réussite... maintien dans le niveau d'âge, aussi près du niveau d'âge que possible, et adaptation de l'école.

Pouvez-vous expliquer le choix de chaque terme ? Vous avez commencé par légère déficience intellectuelle...

Je ne vois pas dans l'école... un élève qui est normalement constitué ne devrait pas avoir de difficultés scolaires si l'école s'adaptait aux différences entre les enfants. Je vous ai dit que je constate que beaucoup d'enfants, jeunes dans l'année civile, sont signalés au réseau comme ayant des difficultés alors qu'ils ont simplement moins de maturité que les autres, d'une façon physiologique tout à fait normale... ce qui me paraît être un vrai problème. Et quand je regarde la constitution des classes d'adaptation par exemple ou quand je regarde des enfants dont on demande le maintien en maternelle et que je fais... le total, je constate comme je l'ai fait la semaine dernière dans le département, que les deux tiers des élèves sont de la deuxième moitié de l'année et que le tiers est du quatrième trimestre. Voilà... J'ai le même problème avec les enfants qui pourraient avancer plus vite, comme on fait un enseignement frontal, ceux-là ils sont aussi en difficulté mais simplement parce qu'on ne les alimente pas à la hauteur... Alors on peut les mettre en difficulté... On voit de brillants élèves régresser parce qu'on veut qu'ils se comportent comme la moyenne de la classe.

Vous avez parlé aussi de pédagogie de la réussite. Est-ce que vous pouvez préciser ?

Oui, parce que je pense que si on enferme ces élèves dans des exercices identiques à ceux de leurs camarades en permanence, il est évident qu'ils vont toujours échouer et que si on veut qu'ils réussissent, il faut leur donner des exercices au moins de façon périodique, des exercices qu'ils soient capables de réussir et je pense que ça peut être un facteur de progrès pour eux... Mais j'ai envie de vous dire que pour ceux qui réussissent bien et qui ont toujours tout juste, disons comme cela pour faire vite, je pense qu'on devrait les pousser dans leurs retranchements et de temps en temps ceux-là aussi devraient échouer... Donc quand je dis pédagogie de la réussite, c'est-à-dire qu'on ne peut pas les mettre en situation d'échec permanent. Et si au lieu d'apprécier le résultat brut comme c'est trop souvent le cas, on appréciait les progrès qu'ils font, peut-être qu'on aurait moins d'échec scolaire... Un élève qui fait quarante fautes d'orthographe en début d'année et parce qu'il aime bien son maître ou sa maîtresse et qu'il va travailler comme un ange pendant tout le trimestre et qu'à Noël, il fait 15 fautes, il aura zéro avec ses quarante ou ses quinze fautes. Or il en fait moins de deux fois moins... Pédagogie de la réussite, c'est apprécier, lui montrer qu'on apprécie qu'il ait fait des efforts considérables et pas le dégoûter en lui mettant encore zéro parce qu'il y a plus de cinq fautes d'orthographe.

Est-ce que vous pouvez retrouver le visage d'un enfant en grave difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et puis présenter la situation...

En difficulté scolaire ?... Moi, j'ai trouvé une petite qui était dans une école, dans un CP et elle avait deux ans de retard. Et dans cette classe, il y avait essentiellement des photocopies dans les cahiers des élèves. CP, au mois d'avril, ils écrivaient deux lignes, une ligne de lettres, une ligne de mots chaque jour. Et il n'y a que cette petite fille qui écrivait beaucoup plus que ça chaque jour. Elle écrivait dix lignes chaque jour. Un jour c'était : "je ne dois pas m'agiter en classe". Le lendemain c'était : "je ne dois pas parler avec ma voisine. Le surlendemain, c'était : "je ne dois pas me retourner en classe". Je suis allé me mettre à côté d'elle, et j'ai discuté avec elle. Et je n'ai pas compris pourquoi elle était considérée comme élève en difficulté. Nous en avons discuté au cours de l'entretien avec la maîtresse de la classe. Cette petite était portugaise, était arrivée en France à l'âge de trois ans. On l'a maintenue en grande section, parce qu'on a estimé qu'elle ne maîtrisait pas bien le français et puis comme il y avait encore des mots qu'elle ne maîtrisait pas bien en fin de CP, on l'a maintenue en CP, et on lui faisait refaire pour la quatrième fois ou presque le même travail et donc comme elle s'ennuyait parce qu'elle avait largement dépassé cet âge-là elle se retournait, elle s'agitait et puis voilà... Voilà une élève considérée par les maîtresses comme en difficulté... Or elle n'aurait jamais dû être dans cette classe... Voilà comment on crée des élèves en difficulté... Moi, j'ai vu de vrais élèves en difficulté qui étaient... milieu... ascendance difficile parce que alcoolique, parce que enlevés des familles très tôt, etc. Et alors avec des difficultés d'ordre physiologique, c'est-à-dire de déficience intellectuelle, qui faisaient que... il y a des enfants avec lesquels effectivement on a beaucoup de mal et à qui, peut-être même, on n'arrivera jamais à apprendre à lire... Mais ce n'est pas 20 % des élèves comme le montrent les évaluations de fin de CE2. Là on a un vrai problème. Si on peut estimer à 1, 2, 3 % le nombre d'enfants auxquels il est impossible ou très difficile d'apprendre à lire, ce n'est sûrement pas 20 ou 25 % d'une classe d'âge...

Est-ce que vous pouvez retrouver un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe, présenter quelles émotions l'animaient, comment il s'y prenait avec lui...

Tout le problème est de savoir si vous voulez un enseignant qui s'occupe de l'élève en difficulté et qui essaie de le faire réussir ou un qui le rejette... Vous avez des comportements d'enseignants qui sont extrêmement variés...

A vous de choisir...

Que voulez-vous que je vous dise ? Moi je suis très frappé de voir qu'il y a 25 % des élèves qui sortent de l'école primaire avec un an ou deux de retard et 3 % seulement avec une année d'avance. Donc, je vais vous dire, par exemple, l'autre jour j'étais dans une classe unique où il y avait une petite mongolienne, en grande section. Une classe unique de CM2 à maternelle ! Et la maîtresse trouvait que les trois autres élèves de grande section était en âge d'apprendre à lire eh bien la petite mongolienne apprenait à lire avec ses camarades et elle était capable de déchiffrer correctement des phrases qui étaient d'une difficulté de deux mois de cours préparatoire, par exemple. Il y avait un apport évident de l'institutrice qui avait des exigences pour cette gamine, pratiquement aussi grandes que pour ses camarades... C'est une description positive de ce que j'ai vu.

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Certitudes, si je pense aux membres du réseau, isolement, sortie des élèves... j'ai envie de vous dire utile ou utilité mais je ne nuancerai fortement... et le cinquième mal reçu ou plutôt mal perçu.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Certitudes : je trouve qu'ils ont beaucoup de certitudes sur ce qu'ils font et ses effets, mais qu'ils refusent tout regard extérieur et toute évaluation extérieure sur leur travail. Je trouve que de ce point de vue, l'analyse de Mingat mérite sans doute d'être critiquée, elle avait quand même quelques données objectives, elle a été systématiquement refusée par les gens des GAPP parce qu'elle les mettait en cause. Moi, je crois qu'il faudra qu'un jour quand-même, on refasse un travail de même nature, peut-être avec d'autres équipes, pour voir ce que les RASED apportent effectivement aux élèves qui leur sont envoyés. Je dis bien qui leur sont envoyés et qui ne sont pas forcément des élèves en difficulté.

Vous avez dit aussi isolement...

Oui, isolement parce que pour beaucoup d'entre eux, j'ai l'impression qu'ils travaillent en circuit fermé, qu'ils ont très peu de relations avec les maîtres. Quand je suis en inspection avec une équipe pédagogique dans laquelle on a inspecté le matin, une maîtresse E ou G, peu importe et que je demande à la maîtresse dans la classe où nous étions le matin dont deux élèves étaient avec l'institutrice spécialisée : "Madame, que faisait votre collègue avec vos élèves pendant que vous faisiez lecture avec les autres ?" et que la maîtresse n'est pas capable de répondre et quand je demande à l'autre : "Mais Madame que faisait la maîtresse avec ces deux élèves ?" et qu'elle n'est pas capable de répondre non plus, il y a un vrai problème... Et puis j'ai l'impression que souvent, ils sont difficilement acceptés par les maîtres qui sont dans les classes. Et j'ai souvent eu cette formule, en particulier pour les psychologues mais pas que pour eux : "Au lieu de nous dire ce qu'il faut qu'on fasse, qu'ils fassent"...

Vous avez dit aussi "sortie des élèves"

Oui, je reste perplexe devant le fonctionnement des réseaux qui consiste à sortir les élèves pour faire d'autres choses que ce qui se fait dans la classe et qu'on renvoie après sans plus de précautions. Je me demande si, de temps en temps, ce système-là ne provoque pas des difficultés scolaires supplémentaires. Donc, c'est mon premier problème avec les réseaux d'aide. C'est, quand je rentre dans une classe, on demande à la maîtresse : Combien avez-vous d'élèves inscrits ? 26. Combien en avez-vous de présents ? 24. Quand je compte les élèves et qu'il y en a 23 dans la classe, qu'on a une heure et quart de lecture en CP et qu'au bout d'une heure et quart quand la leçon de lecture est finie, on voit rentrer une élève et qu'on demande à la maîtresse d'où elle vient, elle était avec un maître du réseau. Pour moi, c'est un vrai problème. Quand je dis sortie des élèves de la classe, voilà... Comment cette petite élève va-t-elle rattraper l'heure et quart pendant laquelle ses petits camarades ont fait une leçon de lecture complète pour découvrir un son ?

Vous avez dit aussi utile..

Alors, je m'interroge. Je pense que cette maison... Mingat a cette formule et je trouve qu'elle n'est pas mauvaise. Il dit : "On fait parce qu'on pense que c'est bien, on ne va jamais voir si c'est mieux". Beaucoup de gens mais surtout ceux du réseau disent qu'ils sont indispensables. Je pense que c'est peut-être vrai pour un certain nombre d'entre eux. Ils ont une utilité. Mais s'ils étaient moins enfermés dans leur solitude et leurs certitudes, peut-être qu'ils seraient encore plus utiles.

Vous avez dit aussi mal perçus...

Oui, ils sont mal perçus par l'institution. D'ailleurs, ils le savent. Ils le supportent mal, sans s'interroger sur les raisons, me semble-t-il, c'est-à-dire qu'ils ne supportent pas que les autres ne les acceptent pas dans leur mode de fonctionnement. Ils sont plus ou moins bien perçus par les maîtres et par conséquent ils sont en état défensif de façon permanente.

Est-ce que vous pouvez raconter la dernière inspection de réseau que vous avez effectuée ?

Je fais très peu d'inspection en réseau... D'abord la relation individuelle entre un maître et un élève ne me passionne pas, pour tout dire. J'ai davantage de contacts avec eux dans des réunions au cours de mes inspections. (...) La dernière réunion que j'ai eue, c'était la semaine dernière, j'ai évoqué avec eux (...) deux ou trois problèmes de l'école. Le premier, c'est 25 % sortent avec un an de retard, quand ce n'est pas deux. Mais 3 % seulement en avance d'un an. Je m'interroge beaucoup sur ça, moins sur les maîtres de réseau que sur les maîtres des classes sur cette raison qu'on retient toujours les élèves qui veulent aller plus vite mais on n'a pas d'état d'âme pour faire prendre un an de retard. La deuxième question que j'ai posée - jamais les maîtres n'ont jamais été aussi entourés, je suis bien placé pour le savoir, quand j'ai commencé, il n'y avait ni conseiller pédagogique ni réseau d'aide - Or 25 % des élèves sortent en ne maîtrisant ni les compétences de base, en français, ni les compétences en mathématiques ou bien pas l'une ou pas l'autre. 25 % ! On lâche dans la nature le quart des élèves en collège qui ne sont pas capables de faire des études au collège. Qu'on veuille bien admettre qu'il y ait des enfants qui aient des difficultés d'ordre intellectuel pour assurer leurs apprentissages à l'école primaire et qu'on dise c'est 3 %, 4 %, même 5 % pour lesquels ça sera très difficile, pour les 5 % qui suivent, ça sera difficile à gagner aussi mais entre 10 % et 25 % il y a 15 points. Il me semble qu'on pourrait s'interroger sur ce point. Et je parlais aussi de la façon dont on pourrait essayer de traiter le problème. Par exemple, en mettant l'élève au centre du système éducatif et en essayant de voir au moins dans les disciplines instrumentales que sont le français - la maîtrise de la langue - et les mathématiques on pourrait essayer de diversifier les objectifs en fonction des possibilités des élèves, et puis éventuellement faire une évaluation au bout de six semaines et pendant la semaine qui suit mobiliser tous les moyens libres pour faire de la remédiation. J'ai quand-même été très étonné d'entendre un maître G me dire que lui n'était pas concerné par ce discours... ça concernait les maîtres dans les classes ordinaires mais pas du tout lui... Voilà un peu le type de réaction qu'on a... Personne n'a bronché, sauf que j'ai eu la satisfaction de constater que les maîtresses E intervenaient de plus en plus fréquemment dans les classes des maîtres, auprès des élèves en difficulté. Quelquefois d'ailleurs c'est le maître de la classe qui prend les élèves en difficulté, pour ne pas les étiqueter, et je trouve - d'ailleurs ils me le disent - que c'est sûrement la façon la plus efficace pour aider les élèves, de travailler dans la classe, avec eux, sur ce que fait le maître. Voilà ma dernière réunion de réseau. Au demeurant, c'était dit un peu sous forme de boutade et d'humour, mais quand-même je lui ai rappelé qu'il y avait une loi d'orientation et qu'y compris lui, j'aimerais bien qu'il l'applique.

Quand je dis maître E, quels sont les 5 mots qui vous viennent à l'esprit ?

Pédagogie, soutien, classe... élèves variés et enseignants

Pouvez-vous développer ces associations d'idées ?

Pédagogie, je pense que ce sont des pédagogues, pas des thérapeutes et ils ont à faire de la pédagogie auprès des élèves, apporter un soutien, être en soutien de ce que fait le maître et ne pas faire des choses autres que ce que fait le maître, sauf cas particulier. Je pense que les maîtres E ont leur place en soutien sur le plan pédagogique auprès des élèves en difficulté ou d'autres élèves pendant que le maître s'occupe d'eux, dans la classe le plus souvent possible, même si, de temps en temps, on dit qu'il est indispensable de sortir les élèves de la classe.

Vous avez dit aussi élèves variés...

Oui, je pense qu'il ne faut pas donner à telle catégorie d'élèves l'idée qu'il sont étiquetés, et le maître E pourrait de temps en temps prendre un groupe d'élèves pour faire de l'approfondissement et aller jusqu'aux limites de leurs possibilités pendant qu'un autre dans la classe s'occupe des élèves en difficulté... Ce n'est pas forcément toujours le même maître qui prend la même catégorie d'élèves.

Vous avez dit aussi enseignants...

Ce sont pour moi des enseignants comme tous les maîtres spécialisés qui ont beaucoup de difficultés à accepter - psychologues scolaires et maîtres G notamment - qu'on les considère comme des enseignants, des instituteurs ou des professeurs d'école.

J'ai perçu dans votre discours le maître E comme un enseignant généraliste, ou tout au moins presque semblable. Pouvez-vous préciser votre position ?

Si vous voulez, quand je suis septique sur la demande des syndicats, un maître supplémentaire pour cinq classes, autant, je pense que le maître E pourrait jouer un rôle de cette nature plus que les deux autres catégories sur lesquelles je m'interroge beaucoup plus. Je dirais que dans une perspective d'amélioration de l'efficacité de l'école, je vois mieux comment on pourrait utiliser les maîtres G (lapsus) selon en tout cas moi ce que je souhaiterais et par rapport à ce qu'ils font à l'heure actuelle en isolant les élèves ou en les sortant des classes, beaucoup plus que le psychologue ou le maître G.

Quand je dis maître G, quels sont les 5 mots qui vous viennent spontanément ?

Chapelle, grand-prêtre, thérapeute, isolement... refus.

Pouvez-vous développer ces associations d'idées ?

La façon dont ils sont formés et qui varie d'un centre à l'autre, tout le monde me dit que la formation qu'on leur donne mérite qu'on s'interroge sur cette formation. Et d'aucuns même parlent de sectes, y compris les gens qui travaillent avec eux. D'ailleurs les discours sont complètement différents d'un centre de formation à l'autre, ce qui est quand-même étonnant compte tenu de ce qu'on leur demande et on a l'impression qu'ils ont une religion et qu'ils ne veulent pas en sortir. Ils sont complètement enfermés dans ce qu'on leur a appris et ils se ne considèrent plus par conséquent comme des enseignants. Et ils ont tendance à se confondre avec des thérapeutes. Or moi je rappelle en permanence que nous sommes au ministère de l'Education Nationale, qu'ils font partie d'un corps d'enseignants, même s'ils revendiquent une spécificité et qu'on n'est pas à l'Education Nationale pour faire de la thérapie, mais pour apporter une aide aux élèves en difficulté qui ne sont pas encore des malades.

Vous avez dit aussi isolement et refus...

Ils sont isolés parce qu'ils refusent d'écouter, ça c'est clair, parce qu'ils sont enfermés dans leurs certitudes, parce qu'ils ne veulent pas changer leurs pratiques de travail et parce qu'ils sont sûrs d'avoir raison. C'est comme ça que je les entends. Et refus... Par exemple, je leur ai demandé dans les deux dernières réunions qui ont eu lieu la semaine dernière : "Si on essayait de mettre en place une structure pédagogique qui ferait qu'à un moment donné on mobiliserait tous les maîtres qui peuvent apporter leur concours dans une classe, deux classes, trois classes, à la suite d'évaluation pour pendant une semaine aider le maître à faire de la remédiation...", "Ah, mais nous perdrions notre spécificité...". Donc, ce n'est pas pour nous. Si on a un corps comme cela, moi, je m'interroge vraiment... vraiment.

Quelles sont, d'après ce que vous voyez sur le terrain, les différences de pratiques entre maîtres E et maîtres G ?

Il me semble que les maîtres E commencent à s'intéresser à ce qui se fait dans les classes, un certain nombre d'entre eux. Pour les autres, ils sortent les élèves des classes, ils les prennent individuellement pendant que les autres font autre chose dans les classes, alors je ne sais pas si ça apporte quelque chose aux élèves, je sais ce que ça leur enlève, aux uns et aux autres. Et jusqu'à preuve du contraire, on n'a jamais mis en évidence, même si on a maintenu les structures, je ne dis pas que c'est inutile, je ne dis pas que les élèves réussissent mieux ou moins bien, je dis qu'on ne l'a jamais démontré. Et j'aimerais bien qu'on aille voir des pratiques de réseau différentes, celles de maîtres E et G qui vont dans les classes, celles de maîtres E et G qui sortent les élèves des classes et qu'on compare l'efficacité des systèmes. Je reste, je vous l'ai dit, pour des maîtres spécialisés qu'ils soient E ou G, qui fassent des choses différentes. On me dit : "il est quelquefois important et pour le maître et pour l'élève qu'on sorte l'élève de la classe parce que ça permet au maître de souffler et peut-être à l'élève aussi". Je me dis que pour sortir un élève d'une classe, il n'est pas utile d'avoir un maître spécialisé. Ce qui revient à dire : s'il y a quelqu'un qui sait s'y prendre avec les enfants, qui a une très bonne relation avec eux, on n'a pas besoin d'enseignant spécialisé pour faire ça. Quelquefois, c'est toute la classe qu'il faudrait sortir... C'est peut-être le maître qu'il faut changer... Ce n'est pas le maître G qu'il faut faire venir...

Est-ce que vous avez l'impression que le maître G sert de palliatif à un système qui dysfonctionne ?

Mais la question, pourquoi sert-il de palliatif puisqu'il veut faire de la thérapie auprès des élèves ? A ce moment-là il faut remettre les élèves avec un maître qui leur donne confiance en eux et il n'y a pas besoin d'avoir fait des études d'enseignant spécialisé pour arriver à ce résultat. De même que vous avez des enseignants qui, en sixième par exemple, au bout d'une semaine reçoivent des fléchettes sur la figure, avec la même classe, ou les mêmes classes avec d'autres enseignants n'ont même pas l'idée de construire des fléchettes pendant la classe... Ils n'ont pas une spécialisation, les uns ou les autres... Pourquoi faut-il qu'on ait des enseignants spécialisés ? Pour faire de la remédiation pédagogique, il faut qu'il y ait un défaut de fonctionnement dans l'être. Il vaudrait mieux sortir le maître et en mettre un autre à la place, ce serait beaucoup plus efficace. J'ai vu par exemple un cours préparatoire, à la fin de l'année, il y avait 17 élèves sur 21 qui ne savaient pas lire... L'année d'après à la Toussaint - on n'en a pas fait redoubler un - ils savaient tous lire. Il s'est passé quelque chose entre les deux.

Je voudrais revenir aux maîtres E et G. Est-ce que vous pouvez définir les ressemblances entres ces deux fonctions ?

Vous m'avez demandé tout à l'heure quelles étaient les différences, il y en a un qui est plus pédagogue et l'autre pour les maîtres G, je n'ai pas très bien compris pour tout vous dire... Je n'ai pas trop cherché non plus, je dois vous le dire. Mais c'est un peu mystérieux, ils ont une déontologie, paraît-il. Spécifique. Je n'ai jamais vu écrit ça dans leurs statuts. Les ressemblances, c'est le mode de fonctionnement. Pour la majorité, on sort les élèves des classes, un, quelquefois un tout petit groupe, et on ne se préoccupe pas tellement de ce que font les autres dans la classe. Et on ne se préoccupe pas de savoir quelles sont les conséquences sur les élèves. Et on a d'ailleurs des pratiques extrêmement variées selon les réseaux. Il y en a qui limitent systématiquement les prises en charge dans le temps. Il y en a d'autres, ça dure une année, deux années quelquefois, sans qu'on voie les élèves progresser mieux pour autant d'ailleurs. Mais, je ne suis pas capable d'analyser davantage. Les ressemblances me semblent plus dans le mode de fonctionnement qu'ailleurs. Et un mode de fonctionnement sur lequel je m'interroge beaucoup. Quand on sort un élève d'une classe, ça me pose un vrai problème de conscience, déontologique. Quels sont les effets pour l'élève ?

Je vais tout de même vous poser la question : le système d'aide actuel vous paraît-il satisfaisant ?

Pas tellement. Je m'interroge. J'attends qu'on évalue et tant qu'on ne l'aura pas fait et que les maîtres n'accepteront pas les résultats de cette évaluation... alors il faut changer de chercheur, mais on peut peut-être trouver des universitaires qui soient à la fois suffisamment distanciés de ces problèmes et à la fois suffisamment compétents pour faire une vraie évaluation de l'efficacité des réseaux d'aide. La démarche utilisée par Mingat me paraît intéressante. Il y a des enfants qui vont au réseau et qui n'en ont pas besoin - par exemple ceux de la fin de l'année -. Il y en a qui n'y vont pas alors qu'ils devraient y aller. Il y a des populations témoin, donc il y ceux qui n'ont pas besoin d'y aller qui y vont, il y a ceux qui n'ont pas besoin d'y aller qui n'y vont pas, il y a ceux qui ont besoin d'y aller qui n'y vont pas et il y a ceux qui ont besoin d'y aller et qui ne peuvent pas y aller parce qu'il n'y a pas de réseau... Donc on a quatre populations témoin, c'est là-dessus qu'avait travaillé Mingat et il avait regardé les résultats avant et après, il avait comparé les résultats des quatre populations. C'était intéressant comme démarche... Moi, j'aimerais qu'une autre équipe fasse un travail un peu de même nature... En attendant, je suis dans l'expectative sinon la réserve.

Est-ce que vous avez des formulations à énoncer pour remédier à la situation actuelle ?

Je crois qu'il faudrait évaluer et que l'institution ait le courage ce qui n'est pas souvent le cas d'ailleurs, mais quel que soit le ministre on regarde à deux fois avant de toucher un fonctionnement, mais il faudrait évaluer objectivement ce qui se fait dans les réseaux et en tirer les conséquences après sur leur mode de fonctionnement et probablement sur leur formation... et sur ce qu'on leur demande.

A votre avis, faut-il maintenir ces deux types d'aide ?

Je suis plutôt pour qu'on aille vers des maîtres E, avec intervention le plus fréquemment dans les classes.

Avec la suppression des G si j'entends bien ?

Je n'irai peut-être pas jusque là. Il faut voir de près. Il est probable que quelques élèves ont besoin à certains moments... Je l'ai suggéré par exemple l'autre jour - et ça n'a pas eu un succès fou - que les maîtres G aient un horaire différent de celui des élèves. Pourquoi ne travailleraient-ils pas le mercredi avec ces élèves-là ? Pourquoi ne travailleraient-ils pas le soir ? Si les élèves mangent à la cantine, pourquoi ne les prendraient-ils pas un petit peu après la cantine, même si on leur laisse un peu de temps pour aller s'ébattre, ce n'est pas un travail intellectuel qu'ils font avec ces maîtres en principe. Donc moi, je verrai sous cette forme-là et que des élèves et des gens qui sont au-dessus de tout soupçon intellectuel me disent "on a besoin des maîtres G", je suis prêt à l'admettre. Mais probablement pas autant qu'on en a et un travail qui pourrait être organisé autrement et en tout cas au moins coordonné avec le maître, pour qu'on ne sorte pas les élèves des classes au moment des disciplines instrumentales... ça, je ne sais pas comment les élèves peuvent récupérer.

Est-ce que vous pouvez concevoir une fonction unique qui s'appellerait (me coupe)

Maître de soutien, je verrais ça plus proche de la pédagogie, plus proche d'une intervention dans les classes à des moments spécifiques pour apporter une remédiation, pour permettre au maître de mieux organiser le travail en groupe etc. Mais je dis qu'aussi il faut qu'on commence par appliquer la loi d'orientation dans les classes, c'est-à-dire prendre en compte les différences entre les groupes d'élèves, ce qui veut dire différencier au plus un enseignement, ce qui n'est pas le cas.

Et comment faire pour (me coupe)

ça c'est une bonne question. Le vrai problème c'est comment faire faire. Oui, oui... Une vraie question.

Les réseaux sont-ils de "vrais" réseaux ?

Toute réflexion faite (...) il ne devrait y avoir qu'un réseau par circonscription. Il devrait y avoir une équipe autour de l'inspecteur et à partir des résultats de l'évaluation, les inspecteurs devraient décider des endroits où les membres des réseaux vont travailler. Mais je trouve quand-même intéressant que les réseaux refusent de dire même quelquefois où ils travaillent à l'inspecteur ! Quand je parlais d'isolement et de refus de rendre compte, ce n'est pas étonnant s'ils ont la réputation qu'ils ont... Il arrive que... Un inspecteur a insisté pour avoir le planning du réseau. Le réseau complet s'était organisé pour envoyer l'emploi du temps géographique. Ils ne disaient pas ce qu'ils faisaient mais où ils étaient... ça vous donne une idée de l'ambiance quoi... (...)

Quel devrait être le rôle d'un réseau ?

Contribuer à la réussite des élèves. C'est un peu facile mais je continue à penser que l'école est d'abord là pour faire assimiler aux élèves des apprentissages, pour construire des compétences et pour contribuer à l'éducation. Mais dans ce domaine, je trouve qu'elle est un peu isolée en ce moment. Mais sa fonction première c'est qu'elle puisse donner des outils aux élèves pour qu'ils puissent continuer leurs études. Et je crois que ça devrait être une idée fixe pour tout le monde : faire mieux réussir les élèves, y compris pour les membres des réseaux d'aide.

Est-ce que vous pouvez retracer une action exemplaire, qu'elle soit positive ou négative, conduite par un RASED ?

Négative oui. Il y a une circonscription, c'était le seul secteur où il y avait une classe d'adaptation, c'était le secteur de la circonscription où il y avait le plus de retard scolaire. (...)

Et si vous considérez des réseaux ?

J'ai peu d'éléments. Quand je les rencontre, ils disent ce qu'ils font et ils disent qu'ils font bien. Ils disent qu'ils sont contents de ce qu'ils font. Ils disent que c'est efficace. Mais je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. J'ai quand-même été très étonné quand des membres du réseau m'ont dit d'abord qu'ils n'étaient pas reconnus et que deuxièmement il leur fallait du temps pour se concerter avec les enseignants. Je leur ai dit : "je ne comprends pas bien. Moi, à la fin du mois, j'ai un traitement comme vous. C'est une forme de reconnaissance qui en vaut une autre, surtout que notre traitement, il est convenable par les temps qui courent... Mais du temps pour parler avec les enseignants, on en a libéré, il y a les conseils de cycle pour parler des élèves..." ça fait drôle là aussi...

Comment concevez-vous le rôle de l'IEN au sein des RASED ?

Je pense que l'IEN devrait piloter véritablement les réseaux d'aide. Or il y a une histoire qui a maintenant trente ans pour les réseaux, plus que ça... Mais en trente ans, il s'est accumulé dans les circonscriptions des habitudes, des usages et ça devient très difficile. Les inspecteurs primaires s'interrogent énormément sur la façon de piloter les réseaux et de les faire fonctionner. Ce n'est vraiment pas facile. Ce n'est pas simple du tout. Alors qu'à mon avis, ils devraient être les pilotes, il devrait y avoir des réunions régulières pour cibler les endroits où il faut travailler d'abord et sur les modalités de fonctionnement d'autre part. Et je pense qu'un bon pédagogue devrait pouvoir participer à une réflexion de cette nature même s'il n'est pas enseignant spécialisé.

Tout à l'heure vous avez évoqué les différences entre les centres de formation. Est-ce que vous pouvez préciser ces grandes tendances ?

Non, non. Je peux vous dire ce qu'on m'en dit. Il y a dans ces centres de formation des grands-prêtres qui ont leur religion, qui est différente d'un centre à un autre, mais c'est ce que me disent les spécialistes de l'AIS, ceux qui suivent de très près les réseaux, y compris les IEN AIS qui eux sont formés.

Est-ce que vous pouvez citer les référents théoriques (me coupe)

Non, non, je ne suis pas un spécialiste de l'AIS et je ne veux pas le devenir.

Avez-vous un avis à formuler sur la qualité actuelle des formations E et G ?

Je suis réservé compte tenu de ce qu'on m'en dit mais encore une fois, c'est uniquement en fonction de ce qu'on m'en dit.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Compétence, méthode de travail... non, enlevez compétence (incompréhensible)... savoirs, méthodes de travail, on dit quelquefois savoir-faire, ça revient un peu au même,rigueur, savoir vivre, je pense que l'école toute seule, là, est un peu en difficulté, j'ai pas envie de dire épanouissement parce que c'est la tarte à la crème et quand on fait ça, on ne fait pas le reste... perspective de travail.

Pouvez-vous expliquer le choix de ces termes ?

Je reprends un peu ce que j'ai dit tout à l'heure. Je crois que l'école est là pour donner des savoirs aux élèves et des méthodes de travail. Une bonne réussite scolaire, c'est d'abord ça. C'est qu'ils sachent bien ce qu'on leur fait apprendre, qu'ils soient capables de le réinvestir à distance et dans des situations différentes et qu'on leur donne des habitudes de travail bonnes, c'est-à-dire que les cahiers ne soient pas des torchons, qu'on leur donne l'habitude de les présenter, qu'on leur donne l'habitude de hiérarchiser les titres, qu'on leur donne l'habitude d'écrire correctement, de tenir leurs outils scripteurs correctement, de se tenir correctement pour écrire, enfin bref, de leur donner l'habitude de se servir de leurs outils et de ne pas tout leur apporter sur un plateau photocopié par exemple... Un compas, ça sert, ce n'est pas la peine qu'on trace les cercles, qu'on les photocopie et qu'on les leur donne, comme je vois quelquefois, souvent, trop souvent... Ce n'est pas la cuisine surgelée, l'enseignement, je suis contre les fichiers par exemple. Les fichiers, c'est le four à micro-ondes de la cuisine surgelée pour la pédagogie. Moi, je suis très hostile aux fichiers personnellement, parce que les maîtres sont asservis dans ces cas-là. Il n'y a aucune imagination... Si on est capable de leur faire aimer l'école en faisant ça !... ce qui est souvent le cas d'ailleurs, les élèves aiment travailler...

Vous avez dit aussi savoir-vivre...

Oui, c'est-à-dire savoir se comporter dans la classe de façon telle que ce soit agréable, qu'ils travaillent vite, dans un groupe collectif. Un savoir-vivre à l'école, c'est-à-dire qu'on ne se déplace pas n'importe comment, on peut se déplacer mais pas n'importe comment, on peut parler avec son voisin, mais pas n'importe comment, on peut se lever de son bureau mais pas n'importe comment, ni n'importe quand et on ne se tient pas de la même façon quand on écrit un document ou quand on lit ou bref, il y a un savoir-vivre à l'école.

Maintenant j'aimerais qu'on quitte l'aspect spécialisé des aides. De façon plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

En général, la première aide qu'on pourrait apporter aux élèves, c'est de leur donner des objectifs et en conséquence des apprentissages et des travaux qui soient adaptés à leurs possibilités. Je crois que si on voulait vraiment faire un travail avec l'enfant au centre du système éducatif, c'est ce que l'on ferait. J'étais très frappé, quand j'étais dans la classe unique, l'autre jour, il y avait des cahiers où on faisait des mathématiques, du français, mais vraiment, écrit par les élèves, ce n'était pas de la photocopie... on y faisait de la géographie, de l'histoire, des sciences, on y fait de l'anglais, dès le cours préparatoire, on y apprend beaucoup de poésies, on y fait du chant etc. Il est évident qu'on ne fait pas faire les mêmes exercices de mathématiques aux élèves de CM2 et aux élèves de CE1... C'est vrai que l'élève qui est en difficulté on lui fait peut-être faire la dictée de celui du niveau d'en dessous ou bien du niveau d'en dessus... Puisque des élèves d'un niveau supérieur ou inférieur ont des objectifs différents, c'est assez facile de différencier dans ces classes. Et d'ailleurs contrairement à ce que disent les maîtres, on a de meilleurs résultats dans ces classes, que dans les classes à un seul niveau. La première aide qu'on pourrait apporter à des élèves, c'est de les mettre en situation, c'est de leur donner effectivement des objectifs et des travaux et des exercices adaptés à leurs possibilités, c'est-à-dire plus difficile qu'on ne le donne pour les élèves qui ont plus de facilités ou qui sont plus âgés ou qui ont plus de maturité... On ne veut pas dire qu'il y a des élèves qui ont plus de facilités que d'autres dans les classes, pourtant ça existe... Il y en a qui sont plus beaux que d'autres... (...) Les différences, ça existe pourquoi est-ce qu'on les nie dans l'école ? Quand on voit dans les évaluations, huit élèves qui ont "acquis" partout depuis le début de l'année, au mois de mai, pas une seule fois dans tous leurs exercices, ils n'ont eu en cours d'acquisition, quand il y en six dans la même classe qui depuis le début de l'année ont "non acquis" partout et puis douze ou treize qui ont "acquis", "non acquis", "en cours d'acquisition", vous vous dites qu'il y a trois niveaux dans cette classe, que la maîtresse le veuille ou non... Pourquoi est-ce qu'on ne pousse pas dans leur retranchement les élèves qui ont "acquis" partout, pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas de choses plus difficiles, des objectifs plus ambitieux ? Ils doivent s'ennuyer, ils n'échouent jamais... Il y a une classe de quatrième... A la toussaint il y a eu un gamin qui a eu cinq en allemand, un chef de classe, ça ne lui était jamais arrivé. Vous savez ce qu'il a fait ? Il s'est pendu. On ne lui a jamais montré qu'il pouvait échouer. Je suppose qu'il y avait une pression de la famille derrière énorme, mais enfin quand même à treize ans ! Et pourquoi pendant toute l'année, il va y avoir six mômes qui vont avoir "vous êtes nuls, vous êtes nuls " et que ça... Quelquefois, ils ne sont pas nuls et on les met en situation d'échec... La plus belle aide qu'on pourrait apporter aux élèves, c'est de s'adapter aux élèves et de ne pas essayer de raboter les pieds ou les têtes qui dépassent et de ne pas essayer de tirer sur les corps qui ne veulent pas s'allonger à la largeur du lit... C'est la première aide... On aurait beaucoup moins besoin après de maîtres spécialisés. Si on met les élèves en situation de réussite, il me semble qu'ils vont réussir beaucoup mieux et si on les pousse aux limites de leurs compétences pour leur montrer que de temps en temps ils peuvent échouer, ils peuvent aller beaucoup plus loin... D'une façon générale, je trouve que pour beaucoup d'élèves, on n'a pas assez d'ambition... C'est clair en grande section, il y a beaucoup d'élèves qui s'ennuient par ce qu'on leur fait faire ce qu'ils font à trois ans par exemple... Eh bien qu'on ait de l'ambition pour les élèves et qu'on adapte surtout ses ambitions à leurs possibilités. C'est un principe de base, c'est le principe de la loi d'orientation et je pense que le jour où on appliquera vraiment cette loi, où on mettra vraiment l'enfant au cœur du système éducatif, au cœur de la préoccupation des maîtres, le jour où on fera en sorte... ou qu'on considèrera que les élèves ne sont pas des clones, des produits identiques mis les uns à côté des autres mais qu'il y a des différences entre eux et qu'il faut prendre en compte ces différences pour construire les savoirs, peut-être qu'on aura une école qui fonctionnera mieux et des élèves qui s'embêteront moins et qui seront moins malheureux...

Est-ce que vous pourriez définir la notion d'aide ?

Ça c'est une forme d'aide qui n'en porte pas le nom, c'est adaptation à la réalité des élèves, alors il y a peut-être à un moment donné, des élèves auxquels il faut apporter un complément. Peut-être qu'il y a deux ou trois élèves dans la classe qu'il faut prendre à part à un moment donné, ça peut être une stratégie interne à la classe, ça peut être par une intervention extérieure probablement. Toute la question est de savoir pour les maîtres spécialisés, entre le domaine pédagogique qui est le leur et puis ce qui relève après du ministère de la Santé, quelle est la part qui revient à l'Education Nationale ? Et je ne suis pas sûr qu'elle soit aussi grande que ce qu'ils disent, ce qu'ils font ou ce qu'ils prétendent faire... Je ne suis même pas sûr d'ailleurs, compte tenu de la brièveté de leur formation qu'ils aient les compétences pour faire ce qu'ils disent... Mais je ne suis pas spécialiste, c'est un sentiment...

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école?

Vous avez bien senti que je suis réservé sur les réseaux d'aide, comme j'étais réservé sur les GAPP, mais je suis réservé également sur le fonctionnement des classes à un seul niveau. Je suis réservé parce que je pense qu'on ne prend pas assez en compte la diversité des élèves, qu'on donne des enseignements frontaux et que les difficultés des élèves naissent d'abord de cela.

Vous dites que vous êtes réservé, comment voyez-vous l'avenir alors ?

Vous m'avez posé une très bonne question tout à l'heure : "Comment fait-on faire ?" Le jour où l'on saura répondre à cette question et que l'on pourra faire faire ça aux maîtres... ça, c'est-à-dire prendre en compte la réalité des élèves, je pense que ce jour-là on aura beaucoup progressé. Et on pourra même se passer des réseaux, les résultats s'amélioreront quand-même. Qu'il y ait des enfants, déficients intellectuels ou autres mais identifiés comme tels, des élèves en situation de détresse sociale qui aient besoin de maîtres qui sachent leur parler etc. de gens à l'Education Nationale... La question qu'on peut se poser c'est : "Faut-il que ce soit des enseignants ?"...

Une dernière question, facultative... Pour quelles raisons votre fonction est-elle importante pour vous actuellement ?

(Ne souhaite pas répondre )