Entretien E23 Marthe

Age : 46 ans

Profession : Maître formateur en Centre de Formation (Unité de Formation pour l'Adaptation et l'Intégration Scolaire) pour l'option G

Diplômes : CAPE, CAFIMF, DESS de psychologie de l'enfant et de l'adolescent

Marthe : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Marthe : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Salle de cours à l'IUFM

Durée : 1 heure 20 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant en difficulté" ?

Echec, prévention, comportement, lecture, rupture.

Pouvez-vous maintenant expliquer le choix de chaque terme ?

Pour moi, la difficulté se situe en amont de l'échec, c'est pour ça que j'ai pensé à échec. Le deuxième, prévention, c'est un peu dans le même ordre d'idée, ça nous situe dans le travail du RASED. Comportement, parce que souvent le comportement fait appel et on n'y pense pas assez aux niveau des enseignants. Lecture, parce que c'est sûrement en lien avec l'actualité : la lecture, c'est l'échec cuisant… On a du mal, pas nous, pas les rééducateurs, on a du mal, ailleurs, à comprendre que l'on puisse intervenir auprès d'enfants en difficulté de lecture parce qu'on a plus le réflexe orthophoniste. Et rupture parce que je pense que la difficulté apparaît plus aux moments de rupture : à l'entrée à l'école, le passage de la maternelle au CP, l'entrée au collège… Je pense que les ruptures accentuent la difficulté. Le réseau, dans lequel je travaillais, avait bâti son projet à l'articulation des cycles justement pour atténuer les séparations, pour qu'elles ne deviennent pas ruptures et que les difficultés ne s'enkystent pas.

Pouvez-vous évoquer un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quels sentiments s'éveillaient-ils en lui ? Comment réagissait-il ?

C'est très violent ce qui me revient. C'est une instit qui était en CE1, qui est en CP maintenant… et qui hurle. Ses sentiments à elle ? Il y avait les sentiments que j'avais moi et qui me restent et puis aussi ce que ne faisait pas l'institution parce que tout le monde était au courant, l'inspecteur, le directeur, personne ne faisait rien. Ça la renvoyait, elle, à une grande impuissance. C'est une femme qui par ailleurs, une vieille fille très castratrice… Et je crois que tout ce qui était échec la renvoyait à un échec personnel et c'était insupportable pour elle. Elle était donc d'une grande violence, elle hurlait et elle ouvrait la porte pour que tout le monde l'entende. Il y avait un exhibitionnisme en plus et c'était très malsain. Par ailleurs je dis que c'était insupportable pour elle parce qu'il y avait aussi certains enfants qui arrivaient à la faire déprimer. Elle était d'une grande fragilité. C'est très douloureux pour moi. (…) Quand elle rencontrait le réseau elle avait un discours très adapté mais très misérabiliste. Elle militait dans des mouvements laïcs, sociaux, se donnait bonne conscience et avec nous avait un langage très convenu. J'en ai parlé au conseiller pédagogique, le directeur en a parlé à l'inspecteur et rien n'a jamais été fait. Et quand elle a été inspectée ça s'est très bien passé parce qu'elle a eu le discours adapté, le discours que l'institution attendait d'elle…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED en dehors de la signification stricte des lettres ?

Prévention, séparation, articulation, équipe… aide.

Je vais vous demander la même chose que tout à l'heure à savoir de développer chaque terme…

Prévention, parce que c'est notre mission essentielle. Je ne vous déclinerais pas prévention primaire, secondaire et tertiaire mais pour moi, c'est quand même l'essentiel… Séparation parce que je situe notre travail là au niveau des ruptures, dans l'aménagement des séparations, parce qu'un enfant qui n'est pas séparé, c'est un enfant qui ne pourra pas apprendre, donc je pense que c'est important d'être là. Articulation, ça va aller avec articulation des aides au sein du réseau, à l'intérieur de l'école et entre l'école et l'extérieur. J'y crois beaucoup et j'ai travaillé comme ça. Je vous renvoie à ma psychologue scolaire. Je crois que notre fonctionnement de réseau était optimal…

Equipe…

Là même scénario, je crois qu'on doit vraiment bosser en équipe au niveau du réseau, au sein des équipes d'école mais là je renvoie à la formation qui manque un peu pour le travail d'équipe et puis les équipes élargies, PMI… J'aime bien la notion de difficulté partagée… soulager un peu le gamin, prendre un peu de sa difficulté et puis aide, aide à l'enfant, aide aux parents, aide aux enseignants.

Pouvez-vous définir précisément ce terme d'aide ?

… Je viens de parler de difficulté partagée, je pense que par rapport aux enseignants et par rapport aux familles, l'aide elle peut être là, c'est-à-dire ne pas les déposséder de leur rôle mais partager quelque chose avec eux par l'écoute, par la déculpabilisation et puis l'aide à l'enfant, c'est ce qui se passe dans l'espace rééducatif, c'est-à-dire toute l'attitude du rééducateur, l'empathie, l'écoute, la réponse adaptée, se situer dans sa zone proximale de développement pour lui permettre de grandir et après de se séparer de nous, parce que la séparation, elle est là aussi…

Je vais vous demander maintenant les cinq mots qui vous viennent à l'esprit quand je dis maître E…

Pédagogie, méthodologie, complémentarité… scolaire, et puis enseignant.

Pouvez-vous développer chaque terme ?

Pédagogie, parce qu'ils sont dans la pédagogie spécialisée, plus proche de la classe que nous, bien que je ne nie pas que le rééducateur soit aussi un pédagogue, c'est celui qui accompagne sur le chemin au sens étymologique mais peut-être qu'ils sont un peu plus que nous dans ce versant-là… Méthodologie parce qu'ils ont là un rôle essentiel auprès des enfants - on va différencier, auprès des élèves… parce qu'il y a beaucoup d'élèves qui manquent de méthodologie au niveau du travail et là le maître E, à mon avis, a un rôle essentiel parce que l'enseignant n'est pas toujours à même de voir comment fonctionne l'enfant… et les difficultés qu'il rencontre dans ses méthodes de travail. J'avais dit complémentarité… justement parce qu'il n'y a pas de réseau s'il n'y a pas de maître E à côté du rééducateur. C'est pour ça que je me situe bien dans la complémentarité. Réseau d'aides spécialisées, aides spécialisées au pluriel et quand on voit aussi que le psychologue scolaire n'est pas dans l'aide, s'il n'y a qu'un rééducateur avec un psychologue, il n'y a qu'une aide spécialisée, s'il n'y a qu'un maître E avec un psychologue, il n'y a là aussi qu'une aide spécialisée. Si on veut RASED avec des S à aides, il faut à mon avis les deux catégories de professionnels. Et au niveau de la formation on le travaille bien dans la complémentarité. Cette porte-là par exemple qui était condamnée est maintenant ouverte et on a des temps communs entre E et G pour bien se positionner et que les gens aient une culture commune et si possible pouvoir travailler ensemble et dans le respect des compétences professionnelles au niveau des réseaux. Après j'ai dit scolaire… Là c'est la déviance, c'est-à-dire qu'il y a des maîtres E qui lorgnent pas mal sur le boulot des rééducateurs aussi bien dans le travail auprès des familles que dans l'écoute de l'élève et de l'enfant. Donc j'ai envie de remettre du scolaire dans le maître E pour leur rappeler qu'ils sont là pour l'élève.

Et enseignant ?

Parce qu'ils sont plus dans l'enseignement que nous, bien que nous soyons enseignants spécialisés chargés d'aide à dominante rééducative.

Pourriez-vous définir et décrire précisément le travail du maître E, tel que vous l'entendez ?

Le maître E… Sachant que la première aide à apporter, pour un élève en difficulté, relève du maître de la classe ou d'un maître du cycle, le maître E peut apporter une aide dans la classe. Tels qu'ils sont formés ici, ils ont la compétence pour travailler dans la classe avec l'enseignant. Et après pour certains enfants pour lesquels cette aide ne suffit pas, il y a les regroupements pédagogiques, qui sont complètement différents de ce que peut faire le rééducateur même lorsqu'il accueille des enfants en petit groupe. J'ai travaillé autour de la médiation du conte avec des maîtres E pour montrer en quoi - à l'occasion d'un groupe conte mené par le rééducateur ou par le maître E - l'écoute de l'enfant est complètement différente.

Pouvez-vous donner un exemple pour illustrer cette différence ?

Donc le rééducateur va être à l'écoute de ce que l'enfant va dire. Par exemple, on peut commencer l'un ou l'autre par un conte oral. Là du kif. Et après, l'exploitation par le rééducateur, si on parle d'une mise en jeu du conte par les enfants, le rééducateur va être à l'écoute de ce que l'enfant va vouloir jouer de ce conte en relation avec son histoire, qu'il connaît lui rééducateur. Le maître E au contraire va exploiter le conte autour d'un écrit, d'un dessin. Si c'est une mise en jeu du conte, ça va être voir comment l'élève a mémorisé mais le maître E n'a pas les données que peut avoir le rééducateur sur la vie de l'enfant, puisqu'il n'a pas le même travail avec la famille donc l'écoute va être complètement différente. Ce qu'on a essayé de voir aussi, c'est un groupe en co-animation entre le rééducateur et le maître E, auquel cas on peut avoir les deux écoutes complémentaires. Et ça peut aider à travailler en équipe que d'animer un groupe comme ça parce qu'après on en reparle et on voit les compétences de chacun mais je pense que ça peut aider aussi les enfants qui au niveau de ce groupe qui vont pouvoir avoir soit l'aide du maître E, enfin l'aide du maître E à certains moments et l'aide du rééducateur à d'autres moments. Mais c'est complètement différent par l'écoute et les réponses qu'on va apporter.

Pouvez-vous aborder les référents théoriques qui sont abordés lors de la formation du maître E ?

Ecoutez, d'après ce que j'en sais, c'est beaucoup autour de la pédagogie institutionnelle. Donc l'écoute du sujet apprenant, à l'intérieur d'un groupe classe et permettre à un élève de prendre sa place parmi les autres et d'être sujet. Je crois qu'ils sont formés autour de la pédagogie institutionnelle et puis de la pédagogie de la remédiation.

Quelle est la différence alors avec la formation d'un maître généraliste ?

Ils ont quand même une connaissance approfondie de l'enseignement spécialisé et puis des difficultés d'apprentissage… une étude assez pointue des difficultés du sujet apprenant pour pouvoir apporter des médiations spécifiques. Alors qu'une formation généraliste telle qu'elle est faite ici n'est pas très centrée sur la difficulté. Et puis sur le travail en petit groupe aussi, il y a une formation spécifique par rapport à ça.

Quand je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Rééducateur, Gossot, normalisation – parce que je suis archi contre cette appellation, ça me hérisse voyez-vous… - E = G, c'est une équation… j'ai du mal avec ce cinquième mot… colère.

Rééducateur ?

Je vais paraphraser Monsieur Duhamel, Directeur des écoles, qui disait : "Pourquoi ne pas appeler des enseignants chargés de rééducation des rééducateurs ?" Il était entièrement d'accord pour qu'on s'appelle rééducateur. On a quand même été appelé RPP, RPM donc rééducateur en psychopédagogie, rééducateur en psychomotricité après on a été réputé G mais c'était quand même pour bien spécifier dans le texte d'avril 90 qu'on était réputé avoir le CAPSAIS qui porte la lettre G. Mais on est quand même rééducateur de l'Education Nationale. On est maintenant connus à l'intérieur de l'école comme étant des rééducateurs, à l'extérieur aussi. Un chat étant un chat, un rééducateur, c'est un rééducateur. J'accepte tout à fait ici être formatrice référente de l'option G puisque G est la lettre de ce CAPSAIS. Mais (…)je suis très attachée à l'appellation rééducateur, surtout pas à celle de maître G… Gossot, parce que c'est depuis le rapport de l'Inspection générale sur les RASED que ce nom a été très employé. Dans ce rapport, le but et les recommandations tendaient vers l'équation E = G. Pour moi, il y avait le désir de Gossot de nous ramener tous à la pédagogie, à des remédiations pédagogiques. Après, les inspecteurs d'académies, de circonscription, les IEN AIS ont repris cette terminologie de maître G. Et puis normalisation… les inspecteurs, qui ne comprennent pas trop notre travail faute de formation et d'information, ont le souci de nous remettre dans la norme c'est-à-dire dans ce qu'ils connaissent, à savoir la pédagogie. D'où E = G parce que E on sait ce qu'ils font, G on ne comprend pas trop… donc finalement pour aplanir cette difficulté, on les remettrait tous à l'identique. Ça résoudrait aussi des problèmes de postes. Dans les GAPP il y avait un RPP et un RPM, maintenant dans les RASED, il y a un - ou plusieurs rééducateur - et un maître E. Mais si E = G, un psychologue et un E = G suffisent et on a des réseaux à bon compte… Mais je fais peut-être des procès d'intention à l'administration… Et puis colère parce que c'est nier cette spécificité professionnelle au niveau de l'école. Je pense que l'école en a pourtant bien besoin même si c'est une situation intenable parfois, je pense que c'est bien qu'on soit là pour chatouiller un peu…

Pourriez-vous définir brièvement le travail du maître G ?

Je vais vous parler du rééducateur. C'est un enseignant spécialisé – vous voyez, je ne renie pas mon appartenance à la maison – qui a pour fonction d'aider un enfant qui a du mal à être élève. Pour ce faire, il va proposer à l'enfant un espace, qui est un espace de jeu, de création. Il va utiliser des médiations qui vont éviter d'être trop cristallisé sur ce qui fait mal. On va donc éviter les médiations scolaires qu'on va laisser au maître E pour des enfants à qui ça ne fait pas mal justement. Nous quand ça fait mal, on va s'occuper de l'enfant en évitant cette zone-là. On va éviter aussi d'aller dans la zone où il y a une trop grande aisance parce que là l'enfant ne pourrait pas nous parler et on va essayer de proposer des médiations et d'être là où l'enfant pourra essayer de dépasser ses difficultés. C'est là le projet, c'est-à-dire qu'on ne va pas non plus être dans la plénitude et le plaisir avec l'enfant, ça aussi on a intérêt à le dire parce que la salle de rééducation, même si c'est un espace où on joue, on n'est pas là pour jouer mais on est là pour jouer provisoirement mais pour apprendre après. Il faut que nous ayons ce discours clair auprès des inspecteurs et des collègues pour ne pas leurrer l'institution sur ce qu'on fait. Ça suffit ? parce que je peux développer pendant plusieurs heures…(rires)

Pouvez-vous parler plus précisément des enfants suivis soit par le maître E, soit par le rééducateur ?

Alors, déjà dans le champ des difficultés scolaires, qui est commun aux deux professionnels, le rééducateur va prendre des enfants pour lesquels on ne peut pas aborder les difficultés par le biais des médiations scolaires. Par contre, il y a des enfants qui travaillent bien à l'école mais qui ont des problèmes de comportement, qui sont repérés pour leur instabilité et qui ne dépendent pas du tout du maître E, qui, lui, pour le coup ne peut pas intervenir puisque l'enfant a de bons résultats scolaires. Mais c'est un enfant qui a des difficultés. C'est un paradoxe, il travaille bien mais le maître le remarque soit par son instabilité, soit par sa trop grande inhibition. Un enfant par exemple qui travaille très bien mais qui ne parle pas et qui reste dans sa coquille, c'est un enfant qui est en danger, je pense au collège, si on n'intervient pas auprès d'un enfant comme ça, ça risque de très mal se passer. Il est en danger pour lui. Il peut être dépressif… Nous, on va travailler avec des enfants qui ont des comportements qui interpellent… Que dire aussi ? J'hésite à aborder le champ de la prévention parce que je crois que le rééducateur a là aussi tout un champ qui pourrait aussi être occupé par le maître E qui ne l'occupe pas beaucoup je trouve. Ils sont dans l'aide, peu dans la prévention. Je connais peu de maîtres E qui par exemple travaillent au niveau de la prévention des troubles du langage. Ils interviennent surtout quand la difficulté est avérée. Or il y aurait sûrement un champ d'intervention au niveau de la moyenne et de la grande section. C'est inexploré pour l'instant. Donc ça relève de la compétence du rééducateur avec une prise en charge plus globale. Ça aussi c'est spécifique. Le maître E va plus intervenir au niveau du champ cognitif et nous on a une prise en compte de l'enfant plus globale.

Vous venez de parler des différences de public, de pratiques, pouvez-vous aborder les ressemblances, en dehors du champ possible de la prévention ?

Justement il est peu exploré par les maîtres E.

Existe-t-il d'autres points de ressemblances ?

Alors, dans la mesure où je parle de complémentarité, ça veut dire qu'il y a des différences mais aussi des ressemblances. Nos ressemblances, c'est que nous sommes deux catégories d'enseignants spécialisés qui apportent des aides aux enfants en difficulté. Moi par exemple, j'aime bien travailler en co-animation avec les autres membres du réseau. Là aussi, ça permet de spécifier nos différences mais peut-être aussi nos ressemblances. Mais c'est quelque chose qui n'est pas très courant, je me rends compte. J'ai toujours travaillé avec soit le psychologue scolaire, soit le maître E de là où j'étais.

Pouvez-vous parler davantage de cette articulation de pratiques avec les uns ou les autres ?

Je vous ai donné l'exemple du conte qui peut être une médiation intéressante pour que le maître E et le rééducateur travaillent ensemble. Un autre champ que j'ai travaillé avec la psychologue scolaire, c'était des groupes de parole au CM2. Pour moi, toute difficulté que peut rencontrer un élève et qui justifie l'interpellation de l'équipe des enseignants du RASED nous intéresse, alors on en parle. On n'a pas des réponses adaptées à tout, on n'a pas un prêt à porter pour toute difficulté. Ce qui est intéressant, quand on est interpellé par une école, c'est de pouvoir travailler en équipe. On a un projet de réseau modulable, dans lequel on peut apporter des additifs ce qui nous permet de répondre aux demandes des équipes. On avait eu une demande avec la psychologue de la part d'une école qui était : "Il y a des violences dans la cour par les élèves du CM2". On a réuni tous les enfants dans la cour, on a relu le règlement, il y a eu une intervention du directeur et puis les problèmes de violence étaient toujours là. Donc, qu'est-ce que le réseau d'aide pouvait faire par rapport à ça ? On n'avait pas de réponse, on y a réfléchi. La psychologue et moi avons fait la proposition d'un groupe de parole. (…) On a chacune une écoute particulière de l'enfant en fonction de nos spécificités. Et je trouve important de garder ces spécificités, de ne pas jalouser le terrain de l'autre pour dire "voilà comment…" Au niveau des indications de l'aide par exemple, si chacun peut garder son territoire et puis parler de sa place, je trouve que c'est tellement mieux, on propose de cette façon des aides adaptées.

De façon très pratique, combien d'heures étaient consacrées au travail en commun dans votre emploi du temps ?

Pour le temps de concertation, on prenait une heure et demie par semaine dont une heure sur le temps scolaire et puis généralement j'avais une plage – de une heure - avec la psychologue scolaire et une plage avec le maître E mais sur un temps donné. Par exemple avec la psychologue scolaire, c'était de décembre à mai. Il n'y a rien de figé.

D'après votre expérience, comment s'articulent les pratiques d'aides spécialisées avec celles de la classe ?

A part en petite section où je suis présente en début d'année, où là, il y a une pratique qui se complète dans le cadre de la classe avec l'enseignant, où j'ai plus une écoute de l'enfant qui pleure, qui n'a aucune inhibition... donc voir comment l'adaptation à l'école se passe et quand il y a un écart avec ce qu'on est en mesure d'attendre, j'interviens. A par ce champ très spécifique du premier mois de la rentrée en petite section, moi je n'ai jamais d'intervention dans la classe. Mais par contre, je suis très intéressée par ce qui se passe dans la classe. Je sais ce qui se passe quand l'institutrice fait des demandes d'aide où elle parle des difficultés que rencontrent les enfants et des difficultés qu'elle-même rencontre avec certains enfants. Et puis après quand j'ai un suivi rééducatif, c'est que l'enseignant me parle de ce que fait l'enfant en classe et l'évolution de l'évaluation de cet enfant en classe. J'ai toujours un œil sur ce qui se passe en classe mais ce n'est pas moi qui y vais, c'est par l'intermédiaire de l'enseignant parce que j'écoute l'enfant sujet en rééducation, je ne m'autorise pas en classe à aller voir l'enfant objet et l'institutrice en parle tellement bien et ce qui compte c'est l'évaluation que lui ou elle en fait et comment, nous, on peut faire évoluer ce regard justement.

Si un jeune collègue était intéressé par un poste en réseau et vous demandait de présenter les métiers de maître E et de rééducateur, que lui diriez-vous ?

... Déjà que c'est un boulot formidable... Il a donc envie de venir travailler en réseau et il faut que je lui dise ce que c'est... Alors en tant qu'enseignant, tu as vu qu'il y avait des aides, que certains enfants en difficulté ne pouvaient pas être aidés dans le cadre de la classe. Pour aider ces enfants, l'administration a mis en place des réseaux d'aides spécialisées et quand l'enfant rencontre des difficultés à être élève, on va demander au rééducateur d'intervenir pour des activités de détour. Par contre si on se rend compte que cet élève a du mal à être élève parce qu'il manque de méthode ou parce qu'il a besoin d'un suivi un peu plus individualisé, c'est le maître E qui intervient. Si tu veux rester dans la médiation scolaire, tu demandes plutôt à faire un stage de maître E, si tu veux utiliser des médiations de détour et être plus à l'écoute de l'enfant, à ce moment, tu demandes le stage de rééducateur.

Avez-vous eu connaissance de glissements de pratiques entre E et G sur le terrain ?

Oui, oui... Par exemple un maître E la semaine dernière me disait : "Est-ce qu'il est des compétences du rééducateur de prendre un quart de classe pour faire des mathématiques avec des élèves ?". Je lui ai dit, il faut alors savoir ce que fait le rééducateur. S'il est enseignant spécialisé, il peut le faire mais il ne faut pas qu'il dise que c'est de la rééducation. Ce sont ses compétences d'enseignant spécialisé qui l'amènent à pratiquer ce genre d'activité... Alors voilà les glissements, c'est-à-dire que l'insécurité dans laquelle les inspecteurs mettent les rééducateurs les amènent parfois à des pratiques plus pédagogiques. Donc là il y a des glissements où finalement ils répondent aux pressions et où ils prennent des demi-classes pour dire "bien sûr que je sais faire, je vais vous le prouver, regardez je peux prendre une demi classe, un quart de classe" et puis ils se rassurent comme ça et ils rassurent l'institution. Mais là on pervertit le boulot. Donc là il y un glissement et puis il y a aussi un glissement auprès de certains maîtres E auprès des familles. Je me rends compte qu'il y a des maîtres E qui rencontrent des familles individuellement. L'autre jour - Je suis intervenue auprès des maîtres E pour situer le travail avec les familles - par exemple un maître E me dit : "Je rencontre les parents hors de la présence de l'enfant et la semaine dernière, il y a une maman qui s'est effondrée et qui m'a dit son père n'est pas son père. Son père le sait mais l'enfant ne le sait pas". Et je lui ai dit : "Et tu en fais quoi dans ta pratique de maître E ?". Elle m'a dit : "Justement je ne sais pas".. Là aussi, il y a des différences. Comme je vous ai dit que le rééducateur travaille avec l'enfant pour l'aider à être élève pour travailler avec l'enfant, il doit rencontrer la famille et avoir l'adhésion de la famille. Sans entrer dans une anamnèse très précise où on va remonter à la conception – à mon avis, ça ne nous intéresse pas – on a quand même à connaître quelques éléments du comportement de l'enfant et de la façon dont les parents abordent avec l'enfant la réussite scolaire et savoir comment ils en parlent. Le maître E, lui finalement, entre plus dans le projet pédagogique du maître. Il doit avoir l'adhésion de la famille. Si la famille veut le rencontrer, il peut la rencontrer mais, à mon avis, avec l'instit. Le maître E et l'instituteur qui rencontrent la famille, c'est parfait parce qu'ensemble ils vont soutenir le projet pédagogique. Alors que le rééducateur, il a à rencontrer la famille avec l'enfant. Si on veut accueillir des parents, il faut accueillir l'enfant avec. Si on accueille des parents sans l'enfant, là on accueille un couple et on ne sait pas toujours quoi en faire à l'intérieur de l'école. Le glissement il est là, que des maîtres E engagent un travail avec des familles alors que ce n'est pas la peine. Et ils sont très curieux de savoir "Et comment, vous, les rééducateurs, vous interprétez tel ou tel comportement ?" Je réponds toujours qu'on n'interprète pas, qu'on pose des hypothèses et puisque s'ils sont curieux de ça, il faut qu'ils fassent un stage de rééducateur et qu'il ne faut pas qu'ils jouent à l'apprenti sorcier...

On est dans un contexte de réforme, tout au moins d'incertitude. Quelle position soutenez-vous personnellement ?

Je soutiens qu'il y a des textes depuis la loi d'orientation de Lionel Jospin – Quand même, Lionel Jospin a une place clé maintenant !...- en 1989 il y a eu la loi d'orientation qui posait bien le cadre de l'élève au cœur du système éducatif. A la suite de ça, il y a eu la mise en place des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté et puis la mise en place des cycles. A mon avis, on a vraiment le cadre de travail pour travailler. Pourquoi n'y a-t-il pas eu la volonté politique de mettre ça en place ? Je n'en sais rien mais la chartre du XXIème siècle c'est pareil, aider les enfants en difficulté, c'est mettre ça en place. Je dis pas de réforme, contentons-nous de mettre enfin en place ce qu'on n'a pas mis en place. Et Monsieur Ferrier qui aujourd'hui fait un rapport a été directeur des écoles et on se demande pourquoi il n'a pas œuvré pour la mise en place et des RASED et des cycles et il était bien placé lui aussi pour défendre la loi d'orientation de Lionel Jospin. Il y a des choses qui m'échappent. Pour moi pas de réforme. Mettons en place ce qui existe et puis les élèves pourront être aidés à l'école.

Une question que je vais poser quand même : entre E et G, y a-t-il une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Pour moi, il n'y a pas de hiérarchisation des aides. Donc, je pense que ces deux aides sont complémentaires et doivent être. Mais sans hiérarchisation. C'est-à-dire que tel enfant rencontre telle difficulté et il va être aidé par tel professionnel et puis tel autre par l'autre professionnel. Je crois qu'il ne faut pas... Je ne pense pas qu'entre E et G, il y ait une hiérarchisation. La hiérarchisation, je la vois un peu plus ailleurs, de l'ordre du psychologue scolaire qui parfois est vécu par l'institution ou se pose comme chef du réseau.

Pouvez-vous présenter brièvement l'ensemble des tâches qui sont effectuées dans l'année par un réseau ?

Il y a déjà, au moment de la rentrée, un moment très important où le réseau a vraiment à être présent sur le terrain parce qu'il a une connaissance des enfants. Un réseau, c'est un peu une mémoire au niveau d'un secteur scolaire. Je crois qu'on gagne à être très présent sur le terrain parce qu'il y a des enfants qui vont rencontrer des difficultés d'adaptation et là on va devoir intervenir très vite soit pour expliquer à l'enseignant qu'il faut être à l'écoute de cet enfant, qu'on l'a connu et que pour telle et telle raison... Il y a un rôle auprès des enseignants. Il y a un rôle auprès des familles parfois pour accompagner cette rentrée, dédramatiser – je pense à la petite section mais aussi au CP où des parents sont morts de "trouille" face à cet apprentissage du lire/ écrire/ compter... Là il y a un rôle essentiel situé... beaucoup autour des adultes. Un rôle de médiateur. Et puis il y a à être là au moment du recueil de demandes que peuvent faire les enseignants. Donc là il y a tout un travail auprès des équipes. Il y a des demandes qui vont déjà trouver leur solution au sein même de la première réunion de travail parce que les RASED ont quand même contribué à la mise en place des cycles. Quand on rencontre une équipe de cycle on contribue à ce que les gens se rencontrent. Parfois un signalement peut déboucher sur une aide dans le cycle et puis après en cours d'année, il y a l'aide – prévention primaire, l'aide aux enfants à partir de projets spécifiques, des rééducations pour nous et les regroupements pédagogiques mais il ne faut pas oublier l'accompagnement toute l'année et les réunions auprès des cycles, continuer à être présent et à recueillir des demandes comme celle par exemple que j'ai spécifiée tout à l'heure, la violence à l'école. Ce qui est important, c'est que les gens sachent où nous trouver, qu'il y ait éventuellement un référent du réseau par école, puisqu'on ne peut pas être partout, et puis qu'on puisse tout au long de l'année recueillir des demandes et apporter éventuellement des réponses. Un moment important, c'est aussi l'évaluation au CE2. Il y a un texte qui est paru en novembre au BO sur rendre enfin cette évaluation du CE2 formative. Là il est dit qu'il est important de se rencontrer avec l'équipe du réseau. Il y a des moments clé comme ça où on doit être là et puis que tout au long de l'année les gens sachent qu'ils peuvent nous rencontrer. Tant pis si on ne peut pas apporter une aide, on peut différer. Mais entendre les gens c'est aussi important.

(…)

Quelle importance attachez-vous à l'évaluation du RASED ?

C'est quelque chose qui est très important parce que c'est souvent par-là qu'on vient nous titiller et nous piéger. L'évaluation est très difficile parce qu'on est dans le domaine des Sciences humaines. On ne peut pas dire : "Je vais dans telle école mettre le paquet, je ne vais pas dans telle école et à la fin du cursus je vais faire une évaluation. On ne sait pas quels indicateurs on a eu, une école n'a pas la même population qu'une autre donc on ne peut pas faire de comparaison comme ça. Ce que je peux dire néanmoins c'est que là où je faisais un gros boulot en petite section, j'avais vu une diminution considérable des signalements en grande section. Il n'y avait pratiquement plus de suivis. Ça c'est une évaluation mais l'évaluation telle que nous on peut la faire… quand on voit des enfants qui ont des difficultés d'ordre scolaire mais aussi d'ordre comportemental, toutes les évaluations qui ont été faites portaient essentiellement sur les difficultés d'ordre scolaire et on ne prenait pas en compte l'évolution du comportement de l'enfant. Là il y a des choses importantes qui peuvent être recensées par les membres des réseaux auprès des enseignants et auprès des familles. Je crois qu'on a intérêt à avoir un tableau de bord – c'est un peu l'évaluation quantitative de notre travail et je crois qu'il faut qu'on le fasse parce que je crois que c'est important de pouvoir quantifier le nombre incroyable de rencontres qu'on peut avoir avec les enseignants et les parents, que les gens sachent qu'on n'est pas uniquement dans une salle à jouer avec des enfants et puis une évaluation qualitative des performances des enfants, aussi bien dans des domaines cognitifs, comportementaux et sociaux.

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Aucune idée.

Même chose pour la formation G…

La parole rééducatrice de Yves de la Monneraye, un bouquin que je trouve essentiel bien que trop difficile, c'est pour une théorie de l'ellipse de Yvan Darrault. Je contourne ça par le fait qu'Ivan Darrault a fait beaucoup de conférences auprès de rééducateurs dans des associations de rééducateurs ou des stages de formation continue ou des articles dans l'Erre. Il y a par exemple deux articles de Darrault que je trouve essentiels justement en rapport avec ce que je disais tout à l'heure : ne pas aller là où ça blesse, ne pas aller non plus dans la zone d'aisance, proposer à l'enfant des médiations où il va pouvoir évoluer. Ce qui m'intéressedans les travaux d'Ivan Darrault, c'est qu'on sort du "va devant, je te suis" qui a été longtemps la pratique du rééducateur. Maintenant avec les travaux de Vygotsky, que je signalerais aussi, qui permettent de cerner, enfin de prendre en compte… – pas Piaget, peut-être si j'étais référente de l'option E – c'est-à-dire n'oublions pas le développement cognitif de l'enfant mais dans un environnement social. Et la position du rééducateur, je la situe dans la zone proximale de développement donc je trouve que c'est un auteur qui est intéressant. Guillarmé aussi, il serait fâché… Mais ils sont trop chers ses bouquins, ils sont très bien mais trop chers (…)

Que pensez-vous de la qualité actuelle de la formation E ?

Je la découvre. Je trouve qu'il y a trop d'enseignants sur le terrain sur des postes E et qui ne travaillent pas en E. Je trouve le référentiel de compétences pour les maîtres E très intéressant mais souvent sur ces postes-là, ce sont des enseignants DI qui ne font pas du boulot de E.

Que font-ils comme travail à votre avis ?

Ils sont dans des groupes de soutien spécialisé mais ils font du soutien alors que le maître E a quand même des compétences au niveau des rémédiations, au niveau du travail en groupe. Ce que j'aime bien aussi, c'est que pour répondre aux inspecteurs généraux qui voudraient tellement qu'on travaille dans la classe, jusqu'à maintenant je n'ai jamais vu que le rééducateur devait être dans la classe mais que les gens du réseau devaient être plus dans les classes. Et comme la référente de l'option E, ici, croit beaucoup au travail du E dans la classe, je suis ravie comme ça je peux dire qu'il y a quelqu'un du réseau qui peut apporter une aide dans la classe mais pas le rééducateur… de toute façon notre référentiel de compétences ne nous situe pas du tout dans la classe.

Et pour la formation G, quels sont les points forts dans la formation que vous proposez et les points qui vous semblent plus faibles ?

Le point fort, c'est de pouvoir maintenir cette formation sur une année pleine. On appelle ça une pratique d'alternance – dans un beau document du ministère, je dois être dans une formation A1. C'est quand même une alternance avec une année pleine, et une autre année où les gens sont en responsabilité avec des retours ici. Je crois qu'il faut absolument maintenir cette année pleine alors que les E maintenant sont sur deux années. C'est quelque chose d'inenvisageable pour les rééducateurs parce qu'il faut prendre du recul par rapport à la pratique de la classe et il y a une formation personnelle qui est importante pour la formation des rééducateurs. Je crois beaucoup à l'alternance mais dans une année pleine au centre de formation qui prenne en compte la pratique, la théorie et la formation personnelle. Je vais voir les stagiaires deux fois chacun le lundi. J'ai comme ça un lien avec les rééducateurs qui les accueillent – c'est important d'avoir ce lien avec le terrain, maintenant j'ai visité les dix stagiaires et leurs maîtres d'accueil - et je peux faire des ponts ici entre les enfants qu'ils suivent et ce que j'apporte de la pratique rééducative. Je crois que c'est intéressant et le mardi après-midi je suis avec eux dans une école près de l'IUFM où là on a une pratique de groupe. Le lundi, ils mènent une rééducation individuelle avec le rééducateur référent et le mardi on travaille dans une pratique de groupe. Un groupe travaille en maternelle et un groupe travaille en primaire. Je suis avec eux.

Le groupe dont vous parlez, s'agit-il d'enfants ou d'adultes ?

Il y a plusieurs rééducateurs : ils sont deux à prendre en charge un petit groupe d'enfants et les autres sont en situation d'observateurs, ce qui permet de voir ce que peut être une pratique de groupe en observant un groupe. C'est une position rêvée sauf s'ils sont en situation de co-animation mais ça permet de mesurer les interactions entre enfants et comment le groupe est aussi une médiation pour aider les enfants en difficulté. J'essaie de mettre l'accent là-dessus parce que je n'oublie pas que dans le texte de référence d'avril 90 il est dit que le rééducateur aide en individuel ou en petit groupe. Donc j'insiste sur ce lien entre la pratique et la théorie. Et puis il y a une formation personnelle qui est menée avec Monsieur Collomb, psychanalyste, qui met les stagiaires en situation et qui leur fait prendre du recul par rapport à ça, il y a un groupe d'analyse de la pratique avec Evelyne Brochier et puis cette année j'ai introduit différents artistes qui viennent faire pratiquer les rééducateurs dans différentes médiations. Donc on aura cette année la marionnette, le théâtre, la peinture où les rééducateurs en formation sont en situation de créer pour après pouvoir créer avec l'enfant pour l'enfant et comprendre ce qui se passe quand un enfant est en situation de créativité. Je crois qu'il faut que le rééducateur en formation se confronte à des techniques de création pour voir et éprouver lui-même... Ils souhaitaient faire de la terre, je repense à ça, la terre, le modelage mais pour l'instant je n'ai trouvé personne... Et puis cette année aussi, j'ai réussi à travailler avec une psychologue, Pauline Henry. Elle fait les cours de psychologie, moi j'interviens pour tout ce qui est pratique du rééducateur. On a déjà eu deux interventions communes, sur calendrier, à la demande des stagiaires : ils nous présentent des situations, je réagis en tant que rééducatrice et Pauline Henry en tant que psychologue. Je pense que c'est une façon réelle de montrer ce que l'éclairage psychologique peut apporter au rééducateur. L'alternance pour moi, c'est imbriquer tout ça... ça se met en place petit à petit et ce serait pour moi les points forts... et puis les points faibles c'est ma jeunesse dans ce centre de formation...

Vous avez évoqué en début d'entretien la formation au travail d'équipe. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Là, comment ça peut se matérialiser ? C'est un groupe de dix qui a chaque semaine un temps de régulation. C'est important qu'ils soient confrontés à cette situation entre eux, de pouvoir prendre leur formation en charge, qu'il y a des individualités mais qu'on poursuit un projet commun qui est d'être rééducateur à la fin de l'année. Donc il y a cette dimension-là qui est déjà importante pour travailler en équipe. Et puis il y le travail qu'on peut avoir ensemble le mardi, où on fonctionne comme un réseau. Par exemple demain, on a rendez-vous avec l'assistante sociale, la psychologue scolaire... et après on reprend ça ensemble. On est dans cette école, on rencontre les instits, il y a un fonctionnement de réseau qui nous permet de prendre du recul par rapport à ça et de voir tous les travers possibles, toutes les difficultés d'un travail d'équipe.

Pouvez-vous présenter plus précisément ces travers, que vous rencontrez aujourd'hui ou ceux que vous avez rencontrés par le passé ?

D'abord, les individualités, c'est-à-dire que quand vous rencontrez un instit qui signale parce qu'il faut signaler mais qui ne croit pas beaucoup à l'aide que vous pouvez apporter, il y a l'instit qui est dans la toute puissance et qui vous met au défi de rater ce que lui aussi n'a pas réussi, il y a l'instit fuyant, il y a celui qui ne signale pas et qui pose problème parce que vous savez que dans cette classe il y a un enfant qui est en difficulté parce que vous l'avez suivi l'année d'avant, parce qu'en conseil de cycle il avait été dit que ce serait bien qu'une aide soit poursuivie et puis en début d'année l'instit n'a pas voulu que vous travailliez avec cet enfant... On pourrait imaginer que ce n'est pas grave, que les instits qui ne veulent pas travailler avec nous, ils nous rencontrent pas donc ce n'est pas grave sauf si on sait qu'il y a un enfant qui est en grave difficulté dans cette classe...

Avez-vous des propositions à émettre pour remédier à cet état de fait ?

Les individualités sont toujours là... Vous n'allez pas envoyer les gens en psychothérapie... Il y a ça aussi, des gens qui ont des comptes à régler avec la psychologie, qui ont des difficultés personnelles et qui refusent d'en parler avec un enfant parce que ça les renvoie à quelque chose de trop personnel... C'est un cas de figure que j'avais oublié... Ce que j'aurais quand même à préconiser, c'est une information claire en début d'année de la part du réseau d'aide qui montre bien aux enseignants qu'on est là pour aider les élèves en difficulté et qu'on n'est pas là en censeur, en juge, en maître tout puissant qui arrive avec la cape de Zorro. Je crois qu'il faut que les réseaux soient humbles et ne se posent pas en super maître, en super pédago, bien poser la difficulté telle qu'elle est définie dans le texte d'avril 90, que certains enfants résistent aux aides qui peuvent être apportées dans la classe et qu'à ce moment-là on peut faire appel au réseau. Donc démythifier la toute puissance du réseau par une information claire parce que souvent tout de même on n'a pas fait cet effort...

Encore une question avec cinq mots... Quels sont les cinq termes qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Pour quelqu'un qui a toujours été dans l'enseignement spécialisé, vous vous rendez compte de ce que vous me demandez là ? (rires)... ambition, projet, socialisation, sublimation, envie d'école. Ambition, c'est lié au mot réussite, paradoxalement, je pense plus à l'ambition des parents parce que vous dites réussite à quelqu'un qui a toujours été dans l'enseignement spécialisé. Pour moi, il y a des parents qui n'ont pas réussi et qui mettent beaucoup d'ambition dans la réussite de leurs enfants et c'est parfois un moteur pour eux. Le mot ambition me renvoie à celle de certains parents qui avaient une attente très forte au niveau de la réussite pour leur ambition personnelle même s'ils ont un désir de réussite pour l'enfant mais à travers celle-ci c'est une réussite des parents. Projet parce que pour moi un enfant qui est en réussite, c'est un enfant qui a pu se mettre en projet. Socialisationparce que c'est un enfant qui a compris qu'il était un parmi d'autres. Je n'ai pas dit scolarisation, j'ai dit socialisation puisqu'il ne peut réussir qu'avec les autres.

Sublimation ?

Sublimation parce qu'il a réussi à trouver dans le scolaire des moyens de s'affirmer par la réussite. Et envie d'école parce que c'est un petit clin d'œil au journal des rééducateurs et puis réussir c'est peut-être avoir envie d'école, j'aurais pu dire désir aussi... un enfant qui aime bien venir à l'école quoi...

De façon plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Pour moi, une école de la république laïque, égalitaire se doit d'apporter des aides aux enfants qui rencontrent des difficultés. Pour moi, c'est un projet ambitieux de l'Education nationale. Pour ça, il faut des professionnels. Si l'aide pédagogique pouvait apporter à tous l'aide nécessaire ça se saurait depuis le temps qu'il y a des pédagogues qui réfléchissent en France, justement c'est bien parce qu'il y a eu au niveau des Sciences humaines, des Sciences de l'Education, tout un mouvement qui a fait que nous on a eu notre place à l'Ecole. Je crois qu'il ne faut pas revenir en arrière, qu'il faut bâtir l'école du XXIème siècle sur les bases de l'Ecole actuelle. Je ne dis pas que notre 2cole n'est pas perfectible mais je crois qu'il ne faut pas dire qu'on va tout effacer et puis bâtir l'école du XXIème siècle avec des aides éducateurs en balayant toutes les aides spécialisées qui peuvent être apportées.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Les réseaux ont l'avenir devant eux puisque je fais un bilan assez pessimiste de leur non mise en place. Comme je suis très optimiste, je vous dis qu'ils ont leur avenir devant eux parce qu'on va… il y aura une volonté forte pour que l'Ecole enfin puisse être son propre recours pour les élèves en difficulté – je cite la chartre du XXIème siècle – nous avons besoin à l'école de réseaux d'aides spécialisées aux enfants en difficulté. Je vois un avenir rose, socialiste, certain pour les RASED.

Avez-vous d'autres remarques à formuler concernant les aides spécialisées à l'école ?

… Il y a les aides spécialisées et puis il y a les professionnels qui sont formés pour ces aides spécialisées et qui ont une écoute spécifique de l'enfant à l'école. Donc, je voudrais en guise de conclusion différencier les actions d'aides spécialisées et puis les actions de prévention que peuvent apporter ces professionnels qui, justement, par leur connaissance de l'enfant à travers ces aides spécialisées apportent un autre regard à l'école et je crois que c'est une richesse dont on ne saura pas se passer...

Une dernière question facultative… En quoi la fonction de formateur est-elle importante pour vous aujourd'hui ?

Elle n'est pas facultative, je vais y répondre… (…) Je ne remettais pas du tout en question ma place dans ce réseau. Et puis la formation des rééducateurs est devenue galère avec une mise en place de l'alternance, avec des menaces, avec des inspecteurs d'Académie qui n'envoient plus personne en stage… donc je me suis dit qu'il y avait aussi quelque chose à défendre là donc c'est peut-être mon esprit militant qui m'a fait venir là mais c'est aussi le côté recherche qui m'intéresse – vous savez que j'ai un DESS de psychologie de l'enfant et de l'adolescent (…) -. Un centre de formation est un lieu de recherche important pour ce travail de rééducateur et puis je me suis rendue compte que le lundi et le mardi en étant sur le terrain avec le stagiaire, je ne perdais pas le contact avec l'école et que c'était important aussi. S'il n'y avait pas ce versant-là, je n'envisagerais pas de rester très longtemps alors que là, tant qu'on ne me met pas à la porte et tant qu'on n'a pas supprimé les rééducateurs, je ne remets pas en cause le choix que j'ai fait…