Entretien E25 Emmanuel

Age : 47 ans

Profession : Professeur en Centre de Formation (Unité de Formation pour l'Adaptation et l'Intégration Scolaire), responsable de l'option G

Diplômes : Professeur certifié EPS, DESS en psychopathologie clinique, 3ème cycle en Sciences de l'Education

Emmanuel : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Emmanuel : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Salle en Centre de formation

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Inadaptation, normes de développement, apprentissages, dimension cognitive, dimension affective.

Pouvez-vous développer chacun de ces termes ?

La question de l'inadaptation, la difficulté nous renvoie toujours à un rapport entre la question de la réussite, l'attente de l'école et puis la question de l'inadaptation, c'est-à-dire de la non-réponse, de tout ce qui peut être des comportements non attendus ou qui posent problème à l'institution scolaire que ce soit en terme d'apprentissage, en terme d'adaptation, en terme de comportement… Pour moi, "difficulté" c'est une notion extrêmement crue, plurielle dans ses manifestations, qui ne dit pas grand-chose sur le fond, comment on peut analyser les difficultés, comment on peut analyser les causes, les différents paramètres... Donc ça s'inscrit par rapport à une norme à la fois au sens des conduites scolaires attendues, et à la fois en norme d'apprentissage dans le rythme, dans les contenus, dans l'adaptation au groupe, dans la relation enseignant /enseigné et tout ce qui peut venir perturber cette adaptation à l'institution scolaire. A partir de là, ça rejoint toutes les questions sur le développement cognitif, intellectuel de l'enfant c'est-à-dire comment l'enfant s'est construit par rapport à cet apprentissage, comment il construit une activité de pensée qui soit autonome… à la fois dans l'optique de la psychologie cognitive et aussi dans l'optique d'une psychologie du développement plus globale – toujours interaction entre ces éléments : développement intellectuel et développement affectif et développement de la personnalité de l'enfant. Comment l'enfant devient-il élève ? Quels sont les difficultés, les obstacles qu'il peut rencontrer dans ce développement ? Comment peut-on l'aider finalement à le mettre en situation de réussite ? ça veut dire aussi prendre appui sur ses modes de construction et de compensation d'éventuelles difficultés…

Est-ce que vous pouvez rechercher le visage d'un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle ? Pouvez-vous citer une action conduite pour cet enfant et les émotions qui vous animaient face à lui?

Je n'ai pas vu directement beaucoup d'enfants en difficulté, si ce n'est par des expériences qui sont d'un autre ordre que le travail en réseau. Comme j'ai fait un travail sur l'analyse du travail rééducatif, j'ai des images d'enfants en difficulté scolaire, tels que j'ai pu les percevoir en rééducation, dans leur mode de relation avec l'adulte, le rééducateur et comment s'organisait le travail à partir de là.

Est-ce que vous pouvez en choisir un et exposer brièvement ce qui était fait pour lui ?

Oui… J'ai le souvenir d'une enfant qui était de grande section, une enfant avec un retard, un peu d'immaturité, très bébé, très hypotonique, qui était prise dans un travail rééducatif avec deux autres enfants. Elle était visiblement très en difficulté physiquement par rapport… comment s'approcher, comment s'engager dans l'activité, comment être dans la relation, l'évitement aussi de tout ce qui était imaginaire, les peurs etc… donc une enfant qui était plutôt repliée sur elle-même, extrêmement fragile dans cette phase de construction…

Quelles émotions vous animaient-elles à ce moment-là face à elle ?

C'était plutôt des émotions positives. Je pensais : est-ce que tu as peur du travail qui se noue entre le rééducateur et les enfants ? … Elle était très partagée entre son envie de faire et puis en même temps son impossibilité… On sentait son désir d'agir, de se montrer, de réussir… très proche et puis en même temps on la sentait extrêmement fragile, très en défense… C'était plutôt le plaisir de partager cette émotion, de voir comment se nouait la relation, comment il y avait à la fois l'expression de la demande de cette enfant, comment la sécuriser et puis observer ce qui se mettait en place…

Pouvez-vous évoquer cette fois un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quels sentiments s'éveillaient-ils en lui ? Comment réagissait-il par rapport à cet enfant-là ?

Je ne peux pas trouver d'exemple d'enseignant parce que je n'en ai pas…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED en dehors des significations officielles ?

(Rires)…Une équipe institutionnelle à l'intérieur de l'école qui a une mission particulière en tant qu'enseignant spécialisé, un travail à construire en terme de partenariat avec l'enseignant et les parents, une logique de marginalité à assumer par rapport à l'institution scolaire c'est-à-dire comment intégrer cette action et la rendre concrète… avoir une bonne santé physique et morale parce que leur action ne va pas de soi, elle est toujours à construire, c'est un pari qui est difficile à tenir… Je crois qu'il y a quelque chose d'unpari impossible à tenir autour du RASED… Je crois qu'il y a une dimension très passionnante autour de ce travail. Les gens que je connais par rapport à un travail de réseau, ce sont des gens qui sont porteurs d'une envie de réussir, de faire passer des choses, d'aider… qui les mobilise énormément, un désir extrêmement porteur pour toute l'institution scolaire.

Quand je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Le maître E pour moi, il est plutôt dans ce qui serait une aide pédagogique plus personnalisée, plus individualisée, spécialisée, centrée sur tout ce qui peut être sur les fondements des démarches d'apprentissage. Son cadre de travail est essentiellement cognitif, sur une entrée plus inspirée de la psychologie cognitive, de la question du développement intellectuel… Une position très proche de l'équipe d'école et sûrement très difficile à tenir : à la fois faire partie intégrante de cette équipe et en même temps proposer un apport qui garde un peu d'extériorité, qui permette de remettre des choses en circuit…

Pour vous, quelles sont les différences entre maître E et maître généraliste ?

Je crois qu'un maître généraliste, d'abord il n'a pas le même cadre d'intervention, il n'a pas les mêmes possibilités d'intervention. Il travaille sur le collectif, sur le groupe classe. Il a moins d'individualisation possible, il a peut-être plus de contraintes par rapport aux rythmes d'apprentissage, par rapport à la gestion du groupe et puis des connaissances moins précises sur les processus d'apprentissage tels qu'on peut les définir actuellement.

Est-ce que vous pouvez parler de ressemblance entre ces deux fonctions ?

Oui, ça pourrait être de penser comment chaque enfant apprend, essayer de travailler sur les façons d'apprendre de chaque enfant, comment il s'empare de la connaissance, quel mode de relation il a avec l'adulte, comment il se construit et devient actif par rapport à ce qui lui est proposé dans le cadre de l'école de manière utopique, ce qui pourrait les rassembler, c'est une écoute clinique de la manière d'apprendre en sachant qu'avoir une approche clinique sur l'apprentissage, ce n'est encore pas résolu, ce n'est pas très élaboré sur le plan théorique ou pratique à quelque niveau que ce soit, au niveau de la formation, c'est avoir une attention particulière pour chaque enfant, sur comment il se construit en tant qu'écolier… et d'arriver à réguler au mieux… à être un enseignant suffisamment bien positionné pour aider chacun à construire cette dynamique-là. C'est assez idéal…

Si je dis maintenant maître G, quels sont les mots qui vous viennent spontanément ?

Je dirais introduire un autre regard par rapport à la question de l'apprentissage, c'est-à-dire plus centré sur les dimensions symboliques de l'apprentissage. Quels sont les enjeux symboliques d'apprendre sur le plan affectif, sur le plan relationnel ? Comment l'enfant se construit personnellement, globalement dans sa personnalité, dans son parcours scolaire, avec des phases parfois de difficulté, de régression, de conflit qui peuvent se manifester ? La fonction du maître G c'est de reconnaître le singulier, la singularité de chaque enfant dans ce processus d'adaptation à l'école et de construction de la pensée… C'est penser aussi le développement intellectuel sur une activité de pensée qui n'est pas seulement cognitive, qui est aussi d'ordre imaginaire, fantasmatique, émotionnelle… qui est aussi de l'ordre de l'identité. L'aide rééducativepermet de voir et de prendre en compte, si l'école veut construire de la réussite, la manière dont chaque enfant se développe, se construit une identité à travers les apprentissages et s'approprie le scolaire. Donc, le maître G pour moi, c'est une ouverture du regard sur la question des apprentissages et de l'adaptation scolaire autour d'un regard plus centré sur la psychologie du développement et la psychologie clinique.

Quelles sont les différences de pratiques entre maître E et maître G ?

Je dirais que le maître G n'est pas directement centré sur les acquisitions, sur les apprentissages. Il va définir son intervention et une aide éventuelle davantage sur une aide à l'expressivité, une aide à ouverture à la parole de l'enfant... le mettre dans des situations où l'enfant puisse exprimer à travers une activité très ouverte, très ludique, relativement associative, où l'enfant a l'initiative, exprimer des éléments de sa propre personnalité à travers des médiations construites qui sont les médiations actuelles d'expression, corporelles, de l'ordre de l'image, du graphisme, du langage... Donc le cadre de travail, le cadre d'intervention est différent... Les principes de travail sont différents... C'est de permettre de restaurer l'enfant dans ses capacités d'expression, de pensée. Cette dynamique s'inscrit dans une écoute relationnelle très particulière entre le rééducateur et l'enfant. Elle va lui permettre d'intégrer des difficultés momentanées de développement ou des conflits de développement qu'il peut être en train de traverser... les difficultés qui se manifestent dans ses modes de relation, dans ses évitements. Celles-ci doivent pouvoir se résoudre à travers une élaboration qui est de l'ordre de l'imaginaire et qui peut se symboliser, s'exprimer à travers son activité. On est sur un type d'intervention plus ouvert, qui interroge les processus d'ordre imaginaire, comment ils s'actualisent sur le plan de la réalité, comment l'enfant peut les symboliser, quels sont les conflits de développement que l'enfant peut être en train de traverser... Le maître G a à introduire un regard plus personnalisé sur l'enfant avec une sorte d'écoute, pour amener de la tolérance en terme de rythme, de durée, d'accompagnement de l'enfant et du temps tout simplement qui peut lui être nécessaire pour évoluer...

Quelles sont les ressemblances de pratiques entre E et G ?

Il y en a... autour de... Il y en a qui peuvent être apparentes autour du respect de l'enfant, de son accueil, de restaurer la réussite, du plaisir aussi de faire et d'apprendre... Il y en a autour des médiations, il y en a autour des activités... les activités, certaines qui sont utilisées par le maître E peuvent être très proches ou très semblables de celles du rééducateur ou du maître de l'école... Il y a là des points qui peuvent se recouvrir et en même temps je crois qu'il y a une différence sur le sens de l'activité déployée, sur comment elle est accompagnée, sur les hypothèses que l'on a par rapport à la nature de la difficulté et ce qu'on en attend.

Est-ce que vous pouvez présenter les référents théoriques de la fonction G ?

Les références théoriques pour moi actuellement, c'est une synthèse qui est donnée par une psychologie du développement qui intègre l'orientation psychanalyse, les apports de la psychanalyse et de la psychologie de l'apprentissage, c'est-à-dire de comprendre justement, d'éviter de cliver les phénomènes et d'essayer de comprendre comment apprendre nécessite une activité de pensée qui se construise de manière dynamique pour l'enfant... Comment donc essayer de percevoir ces différentes articulations... La psychologie du développement, en particulier de Wallon, les travaux de psychanalystes autour de jeunes enfants sur le jeu – Anna Freud, Winnicott - le travail de Bruner, de Vygotsky... C'est à la croisée de toutes ces différentes influences que l'on peut situer aujourd'hui les bases théoriques.

Et pour les maîtres E quels sont les référents théoriques ?

Je pense qu'ils sont plus orientés sur la question de l'apprentissage, sur les stratégies d'apprentissage, sur tout ce que nous apprennent les théories constructivistes, néopiagétiennes actuellement... mais en intégrant aussi toute la prise en compte de la dimension affective, Bruner, sur l'interaction de tutelle, sur la pédagogie de la médiation, qui prenne en compte la globalité de l'enfant.

Au niveau de la formation E et G, existe-t-il des parties communes ou un apprentissage à la connaissance mutuelle ?

Oui, quand on avait les formations E et G, mais pas cette année... Il y avait des parties communes, il y avait des rencontres, des moments communs E et G... On a travaillé justement la notion d'équipe, pour les confronter un peu à l'identité professionnelle des uns et des autres, sur l'explicitation, sur les modèles, sur des problèmes concrets autour de l'indication, autour de l'analyse de difficulté... Il y avait des parties de formation commune autour de l'entretien, autour du travail avec les parents... Je crois qu'il y a des parties qu'il faut construire ensemble en collaboration et puis il y a à construire également des parties spécifiques qui sont plus autour de l'identité professionnelle, de leurs références et de leur mode d'intervention. L'un des détournements actuels c'est souvent de penser que le fait d'assurer le partenariat c'est de mettre tout le monde sur les mêmes bases et la même identité... je crois au contraire que le partenariat ça parle de construire des identités qui soient différenciées, de travailler après à leur complémentarité et à leur articulation. On ne fait pas du partenariat en faisant du même...

Est-ce que vous pouvez donner des éléments de filiation pour la fonction G ?

Des éléments de filiation ? C'est en effet les formations RPP, RPM, cette mise en place des rééducateurs en psychomotricité, psychopédagogie avec ces deux valences qui étaient donc centrées sur des dimensions très instrumentales, donc une conception relativement instrumentale et ré-adaptative de la difficulté, au départ, dans les années 70. Ces définitions ont évolué d'une manière intéressante par rapport à la mise en place de la formation G. D'une certaine manière ça avait une logique particulière : ne pas mettre au départ l'accent sur un secteur de difficulté, mais davantage sur le fonctionnement global de l'enfant, pas simplement corporel ou langagier... ou intellectuel... Il est dans une construction de ses capacités d'agir, de penser...

Y a-t-il eu des éléments ou des événements déterminants qui ont fait basculer les formations RPP/RPM vers la fonction G ?

Oui, de différentes natures... (rires)... politiques, structurelles, théoriques...

Vous pouvez en dire quelques mots pour chacune ?

Conjoncturelles et économiques, ça a été de saisir cette occasion-là pour ramener toutes les formations à un an sur la même durée et en voie directe... de mettre une mise à plat de toutes les formations CAPSAIS et en particulier de remettre en question la formation en reconversion et sur deux années en plus des anciens rééducateurs, ça a été un resserrement des moyens de la formation... D'une certaine manière, RPM, RPP, cette distinction s'est transformée en E/G, c'est-à-dire a résolu le problème de la définition de la psychopédagogie qui était beaucoup moins claire que la définition de la psychomotricité d'ailleurs et donc a défini un professionnel plus centré sur les apprentissages et les processus cognitifs... et un autre professionnel plus centré sur le développement psychoaffectif... dit d'une manière très rapide... Donc on n'était plus sur des fonctions, des instruments de la personnalité mais davantage sur des thématiques et sur des cadres différents. Je trouve qu'à la fois ça a une pertinence théorique parce que c'était remettre au deuxième plan les médiations, les activités mises en place ou une sorte de conception de la personne en terme de fonction, c'était donc remettre au premier plan quelque chose d'une globalité, de la construction de l'enfant et du fonctionnement cognitif et intellectuel... C'était aussi faire apparaître une différenciation des cadres d'intervention d'une manière claire... Ce que ça a apporté c'est qu'on a défini d'une certaine manière ce qu'était la rééducation autour d'une dimension plus centrée sur la personne de l'enfant et sur l'expression, ce qui était la première fois depuis 1970. La rééducation a émergé dans ses aspects psychologique et clinique à partir de ce moment-là, alors qu'elle les travaillait de manière souterraine avant, parce qu'elle avait évolué d'une conception très adaptative et instrumentale à une rééducation beaucoup plus ouverte, beaucoup plus centrée sur le jeu, sur la relation... Le passage à la formation G a officialisé une conception rééducative qui depuis a fait apparaître des réactions... controversées... L'évolution a répondu à de nombreuses contraintes qui étaient à la fois économiques, politiques, au niveau des formations, de la mise en place de l'examen CAPSAIS tel qu'il a été défini... Mais d'une certaine manière cette redéfinition était intéressante aussi sur le plan philosophique c'est-à-dire à la fois au niveau de l'évolution des modèles d'intervention, des modèles théoriques concernant l'apprentissage... et ça, ça peut être un point d'appui intéressant...

Est-ce que, de la même manière, vous pouvez présenter des éléments de filiation pour les E ?

Oui, sûrement, autour de la conception RPP, autour de la lecture, des apprentissages du "lire écrire" qui sont les acquisitions fondamentales, une psychopédagogie qui n'était pas si clairement définie que ça…Les RPM avaient au moins le secteur de la psychomotricité, qui est celui de la Santé pour se définir… et puis tout le champ théorique de la pédopsychiatrie… Le secteur psychopédagogique était finalement plus proche du scolaire et beaucoup plus flou que ce qu'était la psychomotricité à une certaine époque. C'est vrai que l'option G a gardé un point d'appui sur ce qu'était la formation RPM alors que la formation E s'est trouvée en prolongement de la formation RPP… sachant que ça a permis de redéfinir autrement la question de l'aide aux apprentissages et à sortir d'une conception de la psychopédagogie qui reste encore très floue…Tous les travaux actuels sur le développement intellectuel, appuyés sur les positivistes, Bruner etc… ont permis de voir comment se construit l'activité des processus cognitifs, des stratégies mises en place, toute la remise en question de la déficience intellectuelle et de l'éducabilité… Il y a tout un champ en développement qui a permis de redéfinir complètement ce que pouvaient être les aides autour de la question de l'apprentissage.

En quoi la différenciation E/G vous semble-t-elle pertinente ?

Il y avait un tel problème à un moment donné… parce qu'il ne suffisait pas de mettre dans les textes le passage de RPP/RPM à E/G pour qu'il s'opère dans la réalité... Pendant tout un temps on avait proposé au ministère de mettre en place une formation complémentaire sur le passage des anciens RPP/RPM à la fonction G. C'était une formation de deux fois quatre semaines avec un travail sur les réseaux et sur le passage de RPP/RPM à G et les nouveaux cadres d'intervention qu'on pouvait définir en sachant que si on avait poussé la cohérence jusqu'au bout on aurait peut-être bien fait de demander à certains rééducateurs s'ils se sentaient plus proches de E que de G… C'est comme ça que les rééducateurs se sont retrouvés G sans avoir construit un cadre et une pratique de rééducateur.

Existe-t-il, à votre avis, beaucoup de glissements de pratiques sur le terrain ?

Oh, sans arrêt… (rires) c'est ce qui permet de ne pas clarifier facilement les pratiques et la situation… En plus les pratiques sont mobiles, elles évoluent, elles sont dynamiques… Il y a eu un moment donné une définition, une orientation qui a été donnée mais elle n'a rien résolu, elle n'a pas transformé pour autant les pratiques de terrain…y compris les pratiques de formation. Je ne suis pas sûr aujourd'hui que tous les centres de formation forment véritablement des rééducateurs… Je crois que la distinction E/G est intéressante. Cette double définition, si on la construit de manière articulée, sans hiérarchie, sans préséance entre l'une et l'autre, permet en effet d'avoir des regards différents sur l'enfant, sur ses performances, sur ses conduites et ça permet de proposer des cadres différenciés d'intervention dans le cadre de l'école. Je suis persuadé actuellement qu'on ne répondra à toutes les difficultés en ne faisant que de l'aide pédagogique ou que de l'aide rééducative… Il y a là l'intérêt d'avoir des professionnels différents y compris les psychologues qui travaillent à une compréhension, à une lecture de la difficulté, à des hypothèses et à la mise en place d'intervention qui soient réévaluées et qui permettent un suivi précis de certains enfants qui le nécessitent. Je crois qu'on a un regard qui peut être un bon analyseur du travail de l'école qui dynamise aussi le travail des enseignants c'est-à-dire où les enseignants trouvent des points d'appui, des points d'éclairage, des manières de comprendre ou d'ajuster leurs pratiques… Pour les réseaux qui travaillent bien, les enseignants trouvent appui dans les personnels des réseaux, dans la compréhension et l'évaluation qu'ils font des acquisitions, dans la compréhension qu'ils ont de leur travail… Ce n'est pas inintéressant à l'heure actuelle par rapport à l'état de la formation initiale… Je crois que ça se justifie d'autant mieux que les aides E et G ne sont pas sur les mêmes champs théoriques de référence. Ce sont des terrains qui sont séparés, les références cliniques, les références de la psychologie cognitive expérimentale sont tout à fait différentes et hétérogènes l'une à l'autre… A l'heure actuelle les travaux les plus intéressants, ce sont ceux qui arrivent à réunir, à relier les éléments les uns aux autres par rapport à la réalité de l'apprentissage. Je crois qu'il y a une pertinence à cette définition actuelle, d'avoir un travail entre psychologue, rééducateur et E à l'école dans la mesure où on permet que la collaboration soit effective et qu'on lui donne des modalités de mise en place qui soient les plus fonctionnelles possibles, pour qu'on soit dans un travail collectif d'élaboration et de partenariat. Il faudrait un ancrage dans l'école autour de ces personnels-là.

Si les deux types d'aide sont nécessaires, y en a-t-il une néanmoins qui joue un rôle plus important ?

Non, pas du tout… L'hypothèse qu'on peut avoir c'est que ces types d'aide correspondent et répondent à des difficultés qui sont différentes et qui peuvent avoir les mêmes manifestations… C'est bien ça la difficulté, c'est qu'il faut en terme de conduite analyser la difficulté. Elle peut se manifester de la même manière sachant qu'il ne s'agit pas de la même chose. Ce ne sont pas les mêmes causes qui la provoquent. Il y a des difficultés qui sont un échec d'adaptation et qui n'ont aucun problème intellectuel, aucun problème cognitif et qui sont pourtant un échec grave à l'école et qui peuvent y être d'autant plus si on les laisse, si on ne s'en aperçoit pas. La logique de E et G, c'est d'avoir des cadres clairement différenciés, des identités professionnelles différentes, des modes d'intervention différents et qui ne correspondent pas au même type de difficulté et qui peuvent être intéressants à mettre en œuvre avec certains enfants et pas d'autres, sans qu'il y ait de priorité ou de hiérarchie à faire entre les aides.

Est-ce que vous pourriez imaginer une fonction unique qui allie E et G et qui puisse proposer les deux types d'aide en fonction des situations ?

Je ne crois pas.

Pour quelles raisons ?

Parce que… Je pense qu'on peut penser un professionnel qui puisse maîtriser les deux – et d'ailleurs c'est le cas, c'est-à-dire les rééducateurs qu'on forme on leur donne une formation sur le plan des processus cognitifs, la cognition fait partie de la rééducation – Par contre, et je l'ai déjà dit, l'objectif de la rééducation n'est pas la question des acquisitions… ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des acquisitions qui s'opèrent, qu'il n'y a pas de compétences qui s'actualisent dans la rééducation et que le rééducateur n'est pas vigilant en ce domaine ou ne l'évalue pas… On peut penser qu'on peut avoir un maître E qui a un sens clinique très développé avec l'enfant, qui peut être tout à fait à l'écoute des processus affectifs, relationnels qui sont en train de se jouer dans la relation avec l'enfant. On peut penser qu'on peut former un maître G avec une connaissance des processus cognitifs mais je crois que ce qui est déterminant, c'est le sens qui est donné par rapport à la mise en place d'une intervention et quelle position on va y tenir… L'intervention n'est pas positionnée de la même manière, et du coup elle détermine un sens particulier par rapport au travail que l'enfant y fait et donc détermine une autre façon d'appréhender la difficulté. Je crois que c'est cette richesse-là qu'il est intéressant de protéger… Justement, qu'on ne revienne pas à un enseignant spécialisé qui soit polyvalent sur toute la question de la difficulté… qui traite toutes les difficultés sans d'ailleurs prendre le temps de les analyser – le fait qu'il y ait différents professionnels permet le temps de faire une indication, quelque chose d'une démarche qui met un peu de rigueur, une contrainte, une exigence d'observation et d'analyse voire de compréhension de ce que peut être la difficulté de l'enfant à un certain moment… Ce qui est fondamental, ce qui donne le sens à une intervention, c'est le cadre et la manière dont on se positionne en tant que professionnel. C'est important que ces professionnels-là puissent développer des formes d'intervention différentes et complémentaires qui soient repérées et repérables à la fois pour les enseignants et pour les enfants.

Verriez-vous d'autres inconvénients à l'éventualité d'une fonction unique E/G ?

Qu'on ne revienne pas à être un enseignant qui traite toutes les difficultés de l'élève quelles qu'elles soient… ça rendrait les choses encore plus floues et problématiques… La question de l'indication, c'est surtout se mettre dans un travail d'équipe autour de la question de l'indication… le partenariat à l'intérieur du réseau, quand il fonctionne, est intéressant dans la complémentarité des regards et des modes d'approche des conduites de l'enfant. C'est cette démarche qui risque d'être complètement déviée et occultée dans le cas d'une fonction unique.

Pouvez-vous préciser ce que vous appelez la question de l'indication ?

Elle se définit en fonction de la nature et des causes de la difficulté. C'est là l'intérêt… On ne peut pas, comme le fait a priori une typologie, définir une difficulté à traiter par les uns ou par les autres. Mais c'est par rapport à l'analyse de la difficulté, de quelle fonction elle a par rapport au fonctionnement de l'enfant, de comment elle se manifeste, de son sens, qu'on va pouvoir faire le choix d'hypothèses, d'intervention et d'action par rapport à ça.

Est-ce qu'il y a des critères d'âge qui différencie l'aide E de l'aide G ?

Non, je ne crois pas. En effet le cycle 1, PS, MS, serait plus proche d'une problématique de développement global, moins centré sur les apprentissages donc tout un travail de prévention et d'intervention qui serait plus de l'ordre du G parce qu'on est sur des phénomènes qui sont très en interaction et très dynamiques et qu'on peut difficilement isoler les aspects et les différents secteurs de l'apprentissage… Mais je crois que des maîtres E peuvent intervenir très bien dans des pratiques de prévention dans la mesure où ils savent ce qu'ils peuvent y faire et où ils sont capables de se situer. A partir de là, il n'y a pas d'âge particulier pour des aides. Au cycle 3 y compris, il peut y avoir des indications d'aide rééducative pour certains enfants…

Si un enseignant intéressé par un poste en RASED vous demandait de lui présenter les métiers de E et de G, que lui diriez-vous ?

La définition du E est plus centrée sur l'apprentissage et le scolaire, donc plus proche de son expérience, de son identité professionnelle actuelle, dans des cadres différents, avec des médiations plus précises ou organisées différemment tandis que la fonction du G, l'identité du G est plus décalée par rapport à un travail d'enseignant, qu'elle nécessite d'effectuer un changement important de positionnement et d'identité professionnelle par rapport à se mettre simplement dans une position d'apprendre. Il y a plus d'écart et de distance, en tout cas au niveau de la formation, pour les rééducateurs que pour les maîtres E. Les maîtres G sont dans une remise en question importante de leur position professionnelle, de leur mode d'intervention.

Quels sont les liens que vous entretenez avec les gens de terrain et plus particulièrement les inspecteurs ?

Des liens de courtoisie (rires)… Je n'ai pas beaucoup de liens si ce n'est de les rencontrer à l'occasion de formation ou de les aborder dans le cadre du travail que l'on fait sur le terrain. Je crois que c'est un des éléments déterminants plus par rapport au fonctionnement des réseaux actuellement, c'est aussi un point de difficulté sûrement. Il y a quand même une… mise en question du fonctionnement des réseaux et en particulier des pratiques rééducatives, autour de ce qui échappe au secteur de l'école, à la mission de l'école et ce qui inquiète parce que c'est une dimension qui est plus proche du soin que de l'apprentissage… Il y a une dimension un peu marginale de la rééducation à l'école qui lève beaucoup de résistances notamment de la part des inspecteurs avec des fantasmes de perte de contrôle, de perte de pouvoir sur ce qui peut se faire dans le cadre des pratiques... une douleur dans l'ordre de l'imaginaire comme développe tout professionnel...

Quel est l'ensemble des tâches effectuées par un réseau d'aides spécialisées ?

Là aussi pour qu'un réseau fonctionne, ne fasse pas d'interventionnisme – c'est ce que les inspecteurs devraient entendre et que les réseaux ont à faire un véritable travail de construction et de mise en place de leurs interventions avec les partenaires de l'école... d'analyse des situations, de définitions autour de la question de l'évaluation du signalement, autour de la question des décisions à prendre et des choix faits, là il y un travail au long cours qui est toujours à refaire, à remettre en question, à construire même pour les réseaux qui fonctionnent bien et depuis de longue date avec les équipes enseignantes. C'est un travail difficile parce qu'il n'est jamais établi... Le réseau, c'est aujourd'hui ce qui peut sortir de l'imaginaire qu'il suffit d'intervenir pour que ça règle la question... C'est un imaginaire qui fonctionne bien pour tout le monde : à la fois pour les enseignants, pour les inspecteurs, pour les parents, pour les professionnels... Il suffit de rajouter une intervention pour résoudre le problème. Le réseau vient questionner, poser un regard et évaluer le travail de l'école ou amener les gens à évaluer leur propre travail. Il vient questionner à l'intérieur, comment les enfants apprennent, comment ils peuvent intervenir, comment on peut avoir une question autour de l'enfant à l'école. C'est une dimension qui n'est jamais totalement assurée. Il y a donc un travail institutionnel important, il faut construire le partenariat et avoir un respect et une écoute des personnes, pas simplement être dans un partenariat factice. Et puis il y a un travail d'interventions, de mise en place d'interventions, de participer aussi au projet de l'école, au travail de l'équipe et à ses décisions... Il y a une dimension d'interface entre l'intérieur des écoles et les partenaires extérieurs qui serait aussi à assurer... Il y un travail vis à vis des parents qui n'enlève rien au travail que devraient faire les enseignants mais là aussi il y a un travail d'écoute et d'échange à faire avec les parents, qui me semble très important... On a mis en place à l'heure actuelle un travail sur la prévention et une conception de la prévention dirigée à la fois sur un accueil des enfants et des parents en étant à l'écoute de leur demande, de leur difficulté, des angoisses que provoque l'école et l'entrée à l'école... Ce serait à construire de manière plus dynamique et plus collective... ça changerait pas mal de pratiques à l'école qui sont parfois très individuelles.

Comment concevez-vous l'évaluation des réseaux ?

Je crois que c'est difficile à évaluer. On peut évaluer des aides dans le cadre du travail entrepris, à l'intérieur même de l'aide, voir les aspects de changement. On peut aussi évaluer le travail à partir des aspects d'une évaluation externe au sein de l'école, c'est-à-dire ce qui change pour un enfant, comment ça peut se mettre en relation. Je crois qu'il y a des évaluations qui sont centrées sur l'enfant, il y a… l'évaluation du réseau c'est à mettre en rapport avec l'évaluation de l'école et de son fonctionnement, …les besoins et les difficultés du public accueilli au sein de l'école. On n'a pas aujourd'hui… Il faudrait ouvrir les paramètres d'évaluation pour avoir des critères autour de la fonctionnalité des réseaux et des équipes d'école. Des critères d'évaluation pourraient être axés aussi sur le fonctionnement réel de l'équipe éducative. Est-ce que la notion de cycle reste une notion théorique ? Pourquoi elle rentre dans les pratiques par exemple ? On a plein de critères de fonctionnement d'ouverture, de mise en synergie des personnels et du travail du réseau.

En ce qui concerne la formation au CAPSAIS, quels sont les critères de sélection des candidats E et G ?

Il n'y en a pas. Le critère c'est d'être admis par l'inspecteur d'académie sur la liste des candidats. Il n'y a pas de sélection. D'ailleurs l'inspecteur de circonscription doit avoir un rôle à jouer. Il doit y avoir une liste départementale et il doit y avoir un entretien. Mais il n'y a pas de critères définis.

Est-ce qu'il y a des critères d'évaluation durant l'année de stage et pour l'examen ?

Oui, on essaie de faire une évaluation formative, continue avec différentes modalités en proposant des entretiens réguliers de formation qui part d'un entretien d'accueil, de façon à voir le profil des personnes, leurs attentes, leur parcours personnel, leur représentation de la fonction de rééducateur, leurs points de compétence ou ce qu'ils peuvent annoncer comme difficultés éventuelles… On a un entretien qui nous permet de faire un bilan par semestre, personnalisé et on a un entretien terminal toujours dans la même optique. On a aussi un bilan de groupe collectif, à mi-année et en fin d'année, qui permet de réajuster la formation, de répondre aux demandes, de prendre en compte leurs particularités. On a un travail et un suivi personnalisé du parcours de la formation, de comment chacun construit son trajet de formation, les difficultés qu'il peut y rencontrer. Parallèlement à l'évaluation formative, qui est une co-évaluation contractualisée entre stagiaires et formateurs, on a des contrôles en terme de connaissances, des mises en situation qui nous permettent de demander des réalisations, de renvoyer des évaluations chiffrées par rapport à la connaissance et à la construction de la formation. L'examen final est en dehors du temps de la formation puisque c'est un examen national. Il a changé cette année. On est dans le cadre du nouveau CAPSAIS de l'US2. Maintenant il n'y a plus d'écrit spécifique. Il y a donc la soutenance d'un dossier d'option et une épreuve orale. On a supprimé l'écrit en temps limité autour de l'option, qui était une épreuve intéressante…et qui faisait travailler tout au long de l'année. L'intérêt de l'examen, c'est l'élaboration du dossier…ça permet que les gens fassent un travail personnel d'élaboration théorique et pratique pendant l'année. On fait un suivi individualisé et je crois que c'est un point fort de la formation. Les questions orales, ce n'est pas à mon avis le plus adapté à l'examen… Il y a des marges d'incertitude par rapport à la thématique des questions et par rapport au jury d'examen…

Que pensez-vous de la qualité actuelle de la formation G ?

Très bon…(rires) Non je dirais…

Est-ce que vous en voyez des insuffisances ou au contraire des points forts à souligner ?

Par rapport à ce que je perçois des centres de formation, la richesse de notre centre c'est d'avoir une stabilité, un groupe de formateurs qui aient pas mal élaboré sur cette question-là, de façon théorique et pratique… Quand je dis que la formation des rééducateurs est relativement bonne, c'est qu'elle a une cohérence, elle a un terrain qui est assez bien étayé, elle a aussi ses divergences d'apport et de regards en fonction des différentes personnes qui participent à la formation… Elle n'est pas monolithique mais ouverte. Sa particularité ici, c'est qu'elle est particulièrement dense, ce qui se concrétise encore plus parce qu'on perd le temps de la formation de l'US2 par rapport à l'US1 qui prend de plus en plus de temps… (…) On a fait le choix d'augmenter une formation polyvalente d'un professionnel spécialisé utopique, qui n'existe pas, au détriment d'une identité professionnelle construite sur une pratique. La dimension du tronc commun l'US1 est intéressante dans le sens d'une base commune à l'AIS et à la compréhension de la difficulté et d'éléments de base par rapport au travail d'un enseignant spécialisé mais à condition de savoir comment les mettre en perspective et de les limiter dans le temps. Aujourd'hui on constate qu'il y a une inflation du temps pris sur l'US1 et sur l'année de formation de fait. On est de plus en plus dans un resserrement du temps sur des contenus qui ne sont pas faciles à construire. Le problème de la formation aujourd'hui, c'est sa durée. Là aussi ça pose la question du cadre de formation attribué, des moyens de la formation par rapport aux identités professionnelles qu'on détermine sur le terrain. Si on veut des rééducateurs et des professionnels qui soient formés, il faut qu'on réfléchisse aux moyens qu'on donne aux centres de formation et à la durée qu'on détermine…

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux à étudier lors de la formation G dans votre centre ?

(rires)… Il y en a quelques-uns… Trois livres… Il y a peu d'auteurs qui ont écrit sur la rééducation… ça dépend des choix Si on parle de livres qui portent sur les pratiques rééducatives, il n'y en a pas beaucoup donc on n'a pas beaucoup de choix... On peut penser au bouquin de De La Monneraye sur la parole rééducative... Il y a le livre qui vient de sortir de Guillarmé et Luciani qui est un livre important, riche... ça pourrait être autour de ces trois livres-là puisqu'il y en a deux (rires)...

Quel volume horaire consacrez-vous à la formation au travail d'équipe ?

Important... Il y a un cours qui porte sur toute la dimension institutionnelle, de l'analyse institutionnelle, une base un peu systémique du travail... les relations avec les partenaires, les projets etc... Il y a un module qui porte sur l'entretien... tout le travail axé sur la clinique rééducative qui porte sur la dimension du signalement, intègre tout le travail avec les partenaires c'est-à-dire l'élaboration de toutes les procédures collectives... Même quand ça n'apparaît pas directement dans la thématique de nos cours, tout le travail vis à vis des parents et des autres professionnels est une dimension que l'on développe de manière prioritaire.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

(rires)... L'envers de la difficulté ? C'est ça ?... Ce serait que l'enfant soit heureux d'être à l'école, soit vivant dans son rapport aux apprentissages, soit curieux... qu'il construise des savoirs dans la capacité à s'adapter à la réalité, qu'il soit dans un rapport aux autres relativement dynamique, équilibré, qu'il profite de la rencontre des autres et qu'il trouve sa place dans le groupe.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Incertain... (rires)... Oui, incertain.

Comment imaginez-vous l'évolution probable ?

...J'ai du mal à l'imaginer dans un sens très clair. Je trouve qu'un des risques pour les réseaux, c'est qu'on reste dans l'incertitude et le flou actuel... qu'il soit en particulier celui des décideurs, celui des responsables, celui de formateurs et des moyens attribués à la formation... qu'on soit comme ça dans quelque chose qui cultive bien l'irresponsabilité collective, où en même temps les discours que l'on entend sur les réseaux soient des discours d'apparence et de façade, y compris au plus haut niveau. On sent bien qu'on est dans l'idéologie, voire la démagogie, on est dans les positions que critiquent beaucoup nos décideurs actuellement, dans un imaginaire qui va réglementer les choses en prenant quelques décisions comme ça qui sont parachutés sur la réalité et qui sont censés résoudre et qui ne résolvent rien et qui ne changent rien aux pratiques. On est un peu dans une irresponsabilité démagogique qui est plus tournée en direction des parents, en direction de l'opinion publique, qui flatte plus quelque chose de manière très factice que de se poser les choix politiques de fond et d'essayer de les tenir. A la limite les réseaux ont besoin aujourd'hui, quels que soient les choix d'ailleurs, que les choix soient posés et qu'on les essaie quitte à faire des erreurs qu'on pourra toujours réajuster... mais qu'on sorte un peu d'une irresponsabilité politique qui met chacun dans la fragilité de sa position, d'être tout le temps remise en question, d'être tout le temps ramené à une remise en question de fond. Le minimum aujourd'hui pour les réseaux, c'est qu'on leur permette de travailler... ou alors qu'on prenne la décision de les supprimer ou de redéfinir les fonctions et les pratiques. On verra bien après si on résout quoique ce soit... mais qu'on sorte de choses qui ne semblent pas très honnêtes sur le fond.

Si on ne se limite pas au champ de l'éducation spécialisée, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Je crois mal... ça pose bien la question des réseaux. Je crois qu'aujourd'hui on a un rapport magique à l'inadaptation et à la marginalité. Quand on entend les économistes actuellement, ils nous proposent des solutions magiques pour des problèmes de fond : que ce soit celui de la violence, de l'exclusion... Ce n'est pas en faisant intervenir le plus de monde possible à l'école qu'on résout les problèmes de violence et de déviance. Ce n'est pas en mettant des écrans de fumée qu'on prend en compte les problèmes de souffrance, d'inadaptation, d'exclusion qui se font jour au sein de l'école. Je crois qu'aujourd'hui c'est tout le secteur de l'AIS et du traitement de la difficulté qui est remis en question. Le traitement de la difficulté est banalisé à l'école au nom d'ailleurs d'une politique d'intégration aux dimensions très théoriques. Je crois que le balancier reviendra sûrement dans quelque temps... mais aujourd'hui on a du mal à avoir une prise en compte de la difficulté qui soit vraiment pensée et organisée dans des conditions valides.

Est-ce que vous avez d'autres remarques à formuler au sujet des aides spécialisées ?

Non. J'ai eu mon petit moment de colère (rires)... L'important c'est de faire travailler l'hétérogénéité qui fait qu'on n'a pas la même image de l'enfant... parce que justement aujourd'hui on n'a pas accès à la globalité de l'enfant. Cette notion n'existe pas. On n'a que des vues partielles et fragmentaires sur la réalité de l'enfant et sur la construction de l'activité de pensée. On n'a pas accès, on n'a aucun modèle qui nous permette de construire une conception globale et unitaire de l'activité intellectuelle... ça n'existe ni théoriquement ni à un niveau pragmatique. On ne peut qu'essayer de construire cette complexité-là... On retrouve toutes les thèses contemporaines, scientifiques de la complexité... On peut tenter de construire cette complexité-là en articulant différents modes d'entrée, différents éclairages, différents modes d'approches, à la fois théoriques, à la fois pratiques à travers les interventions et d'essayer de les mettre en œuvre. Au lieu de travailler en exclusion et en conflictualité - comment les modèles se rejettent, comment aujourd'hui on est soit clinicien, soit expérimentaliste - il y a quand même des gens aujourd'hui qui intègrent la dimension de l'inconscient et la dimension des processus psychiques et qui sont manichéistes et inversement il y a des psychanalystes qui travaillent sur la cognition et qui font le lien, le passage de l'un à l'autre. Je crois que c'est ça l'enjeu, c'est d'avoir un regard sur l'enfant qui soit un peu décentré d'une dimension adaptative aux attentes de l'école… C'est dépasser cette question… De toutes façons, nos manières de penser nous portent à la scientifisation et aux clivages… Qu'est-ce qu'on entend comme discours…"Si c'est de l'ordre du soin, il faut l'adresser à l'extérieur, on ne sait pas à qui…" - sûrement pas au CMP, peu importe… ça n'a rien à faire à l'école… On aimerait bien rendre les choses pures. Or il y a quelque chose d'un fantasme, d'épurer la réalité pour pouvoir la traiter. Or plus on épure la réalité plus on la dévie…C'est justement ça qui serait à travailler mais on ne voit pas bien comment cet aspect est pensé, y compris dans les centres de formation… Ce sont aussi des choix politiques que de donner des modalités de formation valides aux professionnels qu'on va former pour l'école. Il y a des conséquences et une éthique minimale à avoir, ne pas faire semblant de faire de la formation quand il n'y a pas de moyens… on a créé quelque chose qui n'a pas de base, sachant qu'on n'attribue pas aux centres de formation les moyens nécessaires, qu'on n'assure pas de cohérence, qu'on ne reconnaît pas aux personnels sur le terrain une formation spécifique - au nom d'une assimilation… C'est quand même une simplification abusive à tout moment… Il suffit de lire certains documents, comptes rendus et enquêtes sur les réseaux pour voir que ça… empêche de penser.