Entretien E27 Maryline

Age : 58 ans

Profession : Maître formateur en Centre de formation, responsable de la formation RPP, RPM, DPP, DI, G, D et directeurs d'établissements spécialisés.

Diplômes : Maîtrise de psychologie, DEA et Doctorat de psychologie clinique et pathologique

Maryline : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Maryline : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Chez l'interviewée

Durée : 2 heures 30 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

En association libre, comme ça… travail relationnel, conduite, perturbation, comportement agressif, "désappétence" ou plutôt désaffection scolaire.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Oui, encore qu'elles me sont venues spontanément… Et si je développe, je vais reconstruire quelque chose qui n'était peut-être pas forcément là au début. Je vous ai donné comme premier mot "travail relationnel". Il me semble, tout en réfléchissant à la nécessité d'évoluer dans les prises en charge et les aides apportées aux enfants, que ce qu'il y a de commun absolument à tous les types de prises en charge, quels que soient les supports utilisés, quelles que soient les options théoriques qui les guident, c'est ce travail relationnel qui existe toujours quel que soit le type d'intervention, pédagogique, rééducatif ou psychothérapeutique - parce que les enfants en difficulté en dépendent aussi, quoique ce ne soit pas des gens de l'Education nationale qui assurent cette tâche -. Tout cela, je crois qu'un travail relationnel de fond, pas forcément le même, est requis pour toutes ces interventions.

Vous avez dit aussi conduite, perturbation, comportement agressif…

J'ai dit conduite en l'opposant dans ma tête à comportement. Je me suis piégée moi-même…Conduite c'est trouver le sens de l'organisation de l'enfant. C'est une organisation qui présente un sens qu'il faut découvrir, qu'on découvre plus ou moins facilement mais en tout cas ce n'est pas au niveau descriptif seul que je vais m'appuyer, c'est avec des recoupements par rapport à des entretiens familiaux par exemple… Conduite pour moi, c'est la vieille distinction de la conduite et du comportement, c'est très réactionnel en ce moment chez moi parce qu'on met le comportement de plus en plus en avant et je voudrais qu'on ne perde pas de vue le sens que peuvent avoir ces organisations comportementales qui pour moi ne sont pas complètement réactives ou descriptives.

Vous avez dit aussi perturbation, comportement agressif et désaffection scolaire…

Perturbation, cela indique le grand trouble dans lequel peuvent se trouver la plupart de ces enfants en difficulté. Perturbation de développement pour compléter, c'est-à-dire un développement qui au lieu de présenter une course harmonieuse à certain moments se désorganise, comment dire ?… Ce n'est pas un arrêt de développement, c'est une organisation plus ou moins pathologique de ce développement mais la pathologie je ne la mets pas dans l'enfant seul, je la mets dans tout le système qui entoure l'enfant… L'enfant, en interaction avec tous les vecteurs de son environnement à un moment donné et en fonction d'une histoire - ça s'est organisé dans le temps progressivement - présente une perturbation, une organisation qui est de l'ordre de la pathologie sans être rapporté uniquement à quelque chose qui est dans l'enfant.

Comportement agressif ?

Comportement agressif, je pense qu'actuellement, c'est très mis en avant dans les difficultés de l'enfant. Ce n'est certainement pas pour rien, ça correspond sans doute à une dose d'angoisse tout à fait importante dans le fonctionnement des enfants en difficulté et à une dose d'angoisse très, très importante aussi chez ceux qui s'occupent des enfants en difficulté, qu'ils soient spécialisés ou non… parce que les enfants en difficulté ils sont partout naturellement, y compris dans les classes normales.

Et puis désaffection scolaire ?

Désaffection scolaire c'est aussi un phénomène qui me semble très actuel, qui est peut-être le signe que l'école ne répond pas à des attentes chez l'enfant ou se trouve hors du sens commun pour beaucoup d'enfants, c'est-à-dire que l'école devient une sorte de corps étranger dans lequel certains enfants n'arrivent pas à rentrer… Et puis il y a sans doute une entrée beaucoup plus simple dans le sens que recouvre ce terme. Il me semble que désaffection scolaire, ça a toujours été un signe d'appel, c'est-à-dire qu'un enfant en difficulté avait toujours ce problème de se détourner de ce qu'on lui proposait à l'école. Et l'école c'est un langage commun, une culture commune, une médiation parmi d'autres entre la culture du groupe et l'enfant.

Je vais vous demander maintenant de chercher le visage d'une enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer. Pouvez-vous citer une action conduite pour cet enfant et les émotions qui vous animaient face à lui ?

Oui, j'ai deux minutes pour en trouver un ?… J'en ai un qui est un ancien rééduqué en RPM. Il est emprunté à une de mes expériences de psychologue à l'école… Pendant toute une partie du temps nous étions à la fois formateur et en exercice dans les écoles du secteur et là je travaillais en tant que psychologue collaborant avec des rééducatrices. Celui-ci, c'était un enfant extrêmement agressif… (…) ça se traduisait par des attaques continuelles en cours de récréation. Il terrorisait les enseignants par un comportement qui était à la limite de la dangerosité par rapport aux autres enfants. Il était aidé en RPM et l'action qui avait été faite avec lui se fondait sur une prise de conscience du corps, sur une acceptation du corps, sur un travail sur l'image de soi très, très important. Il avait finalement une image de lui-même tout à fait dévalorisée. C'était un enfant dont la famille ne s'occupait pas de manière régulière. Ce n'était pas de l'indifférence, c'était des conditions de vie telles que le père devait rechercher un travail lointain dans des chantiers à l'étranger et de temps en temps la mère suivait son mari, de temps en temps elle restait avec son fils. D'où une construction du gamin qui s'était faite difficilement, un attachement très fort à la mère, une jalousie très, très forte à l'égard du père qui était celui qui lui prenait la mère de temps à autre… Je caricature un peu, je vous donne juste quelques lignes… Le processus relationnel RPM avait été très important. Avec la rééducatrice, il avait lié des liens de fiabilité qui n'existaient pas à mon avis dans son milieu parental. Il ne pouvait pas avoir confiance dans des parents qui étaient tantôt ici, tantôt là… qui le laissait en nourrice un an durant… Je crois que cette agressivité était typique d'un enfant qui n'avait pas sa dose d'attention, d'affection, d'intérêt à ce qu'il faisait sur le plan scolaire et il avait à reconstruire cela avec d'autres adultes que ses parents. Il aurait pu aussi bien être pris en thérapie si on avait été sûrs que, l'année suivante, il ne suive pas ses parents au bout du monde parce que le cursus a connu des interruptions d'une année où il allait ailleurs avec ses parents et il revenait l'année suivante en nourrice.

Et qu'est-ce que vous ressentiez vous par rapport à cet enfant ?

Ce n'est pas pour rien que je l'ai choisi parce que ce n'est pas vraiment un succès cet enfant… C'est quelque chose qui m'a fait comprendre qu'en dehors d'une collaboration avec des parents il n'y a pas de salut dans un travail mené à l'école… ça c'est net. En tant que psychologue j'ai travaillé de près avec les instituteurs qui avaient cet enfant, j'ai travaillé de près avec la rééducatrice RPM mais sans arriver à coup sûr à faire… si… il y a eu des progrès mais tout pouvait être démoli l'année suivante si les parents faisaient, sans préparation aucune, quelque chose d'aberrant pour l'enfant. Quand les parents partaient et se retrouvaient tous les deux, à ce moment là, il devenait odieux, désorganisé, et si agressif qu'il arrivait à la dangerosité. Il avait d'ailleurs dans les entretiens qu'on pouvait avoir avec lui des fantasmes de culpabilité très importants. Je pense que c'est une cas qu'on pouvait analyser à fond sur le plan de la psychopathologie, qui aurait gagné d'être pris en thérapie mais la rééducation psychomotrice a été très opérante par son aspect soutien de l'image de soi corporelle. C'était un enfant grand et fort, à la limite de l'obésité… et je pense qu'une dévalorisation s'était faite là par rapport aux copains de l'école… En plus comme je n'ai jamais été très mince, moi, j'avais une petite attirance vers cet enfant et ses problèmes… Je pense que ça joue ça aussi… Je crois que si cet enfant… il ne s'en est pas si mal sorti que ça mais il a eu chaud… un jour que ses parents étaient partis en cours d'année scolaire dans le midi, en l'emmenant, il s'est si mal comporté dans la nouvelle école - pourtant on avait essayé de préparer à la chose : on avait transmis le dossier – qu'on a eu un mot de la directrice de l'école disant qu'il allait être présenté en classe de perfectionnement. Or son intelligence était tout à fait élaborée, sinon il ne s'en serait jamais sorti, il avait quand même des acquisitions scolaires mais seulement là il ne faisait plus rien, plus rien aux tests comme à l'école et il arrivait à avoir des résultats qui permettaient de le placer en classe de perfectionnement. On a contre-attaqué si j'ose dire, c'est-à-dire argumenté vis à vis des collègues… Il n'y avait pas de GAPP dans cette école, pas de rééducateurs, qu'une classe de perfectionnement. Là aussi cet enfant m'a appris que selon les équipements dont dispose l'Education Nationale, on peut être traité de manière bien différente d'un lieu à l'autre… Nous, on l'avait toujours maintenu dans le milieu normal en dépit de nos avatars avec la famille. Donc on a eu gain de cause… Et fort heureusement les parents sont revenus l'année suivante dans la région parisienne.

Pouvez-vous évoquer cette fois un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quels sentiments s'éveillaient en lui ? Comment réagissait-il par rapport à cet enfant-là ?

Il m'en vient plusieurs…

Il faut en choisir un… Celui qui vous semble parlant…

C'était un instituteur de CE2 avec qui j'avais pas mal travaillé en tant que psychologue parce que le CE2 est un lieu de désaffection pour les rééducateurs c'est-à-dire que les rééducateurs centrés qu'ils étaient sur le CP et sur le CE1 reprenaient un peu d'enfants en CM1, ceux qui décrochent, mais abandonnaient le CE2. Et cet enseignant avait un désir de collaboration, un désir de s'occuper des enfants en difficulté et un désir d'être aidé par des entretiens avec le psychologue. En fait ce qu'il me demandait, par rapport à ces enfants en difficulté, c'était d'accueillir ce qu'il avait à dire – à la fois des éléments de compréhension et des éléments d'incompréhension – et une recherche de solutions qui pouvait être commune à nous deux… On pouvait chercher ensemble en fonction de ce qu'il disait… J'avais trouvé que c'était un rôle de psychologue intéressant… bien plus que de faire passer des tests ou de faire un examen psychologique individuel… Je travaillais sur la matière scolaire avec le maître.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Réseau d'aides spécialisées et d'enseignement …

Si on ne s'attache pas à la signification particulière de chaque lettre qu'est-ce que vous retenez ?

Qu'est-ce que je retiens ? Réseau… éparpillement… aides plurielles, aides connectées… synthèse.

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

Oui… Réseau parce que c'est une belle vue de l'esprit... sur le papier c'est quelque chose de tout à fait satisfaisant. C'est vrai que ça permet de couvrir les besoins d'un secteur dans le domaine de l'aide. C'est une sorte de maillage. Si je vous ai dit tout de suite après éparpillement, c'est que j'ai eu cette impression devant les réseaux en fonctionnement. Des gens qui autrefois étaient groupés sur la même école – ce n'est pas pour défendre ce qu'étaient les GAPP, il fallait évoluer – mais groupés au même endroit avec une même équipe scolaire, la qualité de travail était infiniment différente de celle observée dans certains fonctionnement de réseaux. Quand je vois un rééducateur se répartir entre onze écoles dans certains lieux, je dis qu'il n'y a pas moyen de collaborer avec les équipes d'enseignants, de voir les parents d'une manière approfondie et correcte… On fait un travail si ponctuel que je n'en vois plus le sens. Autre aspect aussi de cet éparpillement, les psychologues sont devenus inexistants. Ils ont été gommés… sans doute n'étaient-ils pas présents à 100 % dans les GAPP mais quand même, il me semblait qu'un travail en profondeur pouvait se faire dans certains GAPP, au moins… Là au niveau des réseaux, le psychologue travaille trop peu et ne travaille pas au moment de l'indication qui est un moment clé et qui exige les compétences d'un psychologue… Je trouve ça dommage…

Vous avez dit "aides plurielles"…

…Ça, ça peut être bien… ça peut viser une complémentarité des besoins d'un enfant… ça peut être mal aussi dans la mesure où on connaît une époque bien troublée avec une coexistence de gens qui ont des formations extrêmement différentes… RPP, RPM, je veux bien qu'ils soient G depuis qu'on les répute G par un texte, n'empêche que leur formation initiale compte énormément dans les choix et en tant que formatrice de RPP et RPM autrefois, je savais bien que ce n'était pas les mêmes personnes qui étaient attirées par l'une ou l'autre des options… par la médiation prioritaire, langagière d'un côté et corporelle de l'autre.

Est-ce que vous pouvez préciser le sens du terme aide que vous employez ?

Non… mais je vais essayer quand même… Une aide c'est ce qu'on propose à l'enfant – je vais le définir volontairement de façon très large pour que tout entre dedans - ce qu'on propose à l'enfant comme dispositif pour favoriser son développement et lui faire retrouver contact et goût pour des matières de l'école qui sont en même temps des instruments de développement pour moi… le langage oral et écrit notamment. Je vous ai dit dispositif proposé. Ce dispositif, c'est une possibilité d'interrelation avec un adulte, pas vide du tout, avec des supports qui peuvent être variés, qui peuvent être des situations variées qui dépendent du choix de l'adulte mais aussi du choix de l'enfant ou bien d'une sorte de négociation entre les deux… ça fait partie d'un cadre. Font aussi partie du dispositif ou du cadre, je peux dire l'un ou l'autre, la régularité des séances, la salle, le matériel qu'on propose. Font aussi partie du dispositif des règles incitatrices à l'action, limitatrices de l'action, sociales quand il y a un petit groupe d'enfants. Fait aussi partie du dispositif un projet, ça compte beaucoup… je crois que c'est une avancée de la réflexion d'aujourd'hui, c'est quand un adulte est porteur d'un projet de développement chez un enfant se passe automatiquement… non pas automatiquement mais ça induit très fortement une avancée sur le plan de ce développement. Quand un enfant rencontre de manière régulière un adulte fiable et compétent qui lui propose ou qui accepte ce que l'enfant propose comme situation d'action et qui anticipe sur ce que va être le développement de l'enfant donc qui croit en ce développement et qui a confiance dans les ressorts possibles de ce développement, je crois que c'est dynamisant en soi. Tout n'est pas fait… Hélas non, mais enfin c'est une situation qui est très intéressante sur le plan dynamique. Même s'il y a une évolution des aides et de leur catégorisation, c'est un schéma qu'il faudrait garder.

Vous aviez dit aussi "aides connectées"…

Oui puisque le réseau est maillé, les aides ne sont pas indépendantes les unes des autres. Et l'idéal dans un réseau c'est de pouvoir s'appuyer sur la compétence d'autres professionnels… qu'un rééducateur ou un maître E s'appuie sur la compétence du psychologue par exemple… J'ai dit aussi "synthèse" en pensant à réunion de synthèse et je pensais aussi aux résultats de ces réunions qu'il n'est pas très adroit d'appeler synthèse parce que c'est un effort pour comprendre la problématique de l'enfant non pas en juxtaposant ce qu'on sait de l'enfant encore que c'est déjà une première étape mais en faisant des liens entre ces différents éléments.

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Pédagogie, aide, médiation, remédiation et… collaboration.

Est-ce que vous pouvez développer davantage ?

J'ai commencé par pédagogie. Il me semble que la situation claire du maître E est du côté de l'aide pédagogique. Les contenus… ça a donné tout un ensemble excessif de connexions un peu trop raides, trop systématisées c'est-à-dire que le contenu est pédagogique parce que c'est un maître E, affirmation que je ne prends pas forcément à mon compte… La visée est pédagogique… ça, c'est normal… Il est là pour rétablir des connaissances pédagogiques, un rapport aux apprentissages, une dynamique d'apprentissage chez l'enfant… donc contenus pédagogiques, visées pédagogiques et quant à ses attitudes, elles ont à voir avec celles d'une sorte de pédagogue spécialisé qui présenterait les choses de manière à ce qu'elles passent. Je vous rappelle que je ne me suis jamais occupée des maîtres E et que… ça fait partie de mes représentations des maîtres E et aussi de ce que j'ai vu ici et là dans les contacts entre rééducateurs et maîtres E dans la répartition des tâches etc… C'est pour ça que pédagogie m'est venue à l'esprit. La circulaire dit " à dominante pédagogique" et j'aimerais bien qu'on n'oublie pas ce mot "dominante". Je pense qu'une aide pédagogique individuelle ou en petit groupe donc en situation privilégiée s'appuie forcément sur un processus relationnel qui peut être très fort. On le voit avec les enfants en très grande difficulté de l'option D. Les maîtres D sont des pédagogues. Ils ont des classes en IME ou hôpitaux de jour. Ils ont des enfants ou des adolescents extrêmement perturbés, quelquefois psychotiques, autistes etc… déficitaires… ils ont une action pédagogique mais s'ils font bouger ces enfants avec leurs supports pédagogiques, c'est la plupart du temps grâce à un processus relationnel interactif, entre eux et l'enfant, aidés dans l'analyse de ces processus par d'autres membres de l'équipe. Peut-être qu'un pédagogue n'est pas tout à fait à même d'analyser un processus relationnel… il est capable de le vivre, d'avoir conscience de beaucoup de choses pour peu qu'il s'en préoccupe mais dans l'aspect maîtrisable - parce qu'il ne s'agit de laisser vivre sa vie à une relation entre un adulte et un enfant mais d'y réfléchir, de la maîtriser, de la moduler … pour ça il a besoin d'autres professionnels… Ce n'est pas pour rien que l'absence du psychologue dans le réseau me semble dommageable…

Vous avez dit aussi médiation et remédiation…

Oui parce qu'il me semble que ce sont les maîtres E qui ont le plus mis en évidence cette avancée de la réflexion qu'on doit à Bruner mais surtout à Vygotsky, d'abord travaillée par Bruner et redécouvert ensuite, cet aspect de rôle d'un adulte qui s'interpose entre un enfant et la connaissance pour donner sens au contenu culturel de son groupe. Et ça… je pense que le pédagogue spécialisé E l'a peut-être mis plus en avant… ce qui ne veut pas dire que ça n'existe pas chez les autres. Je pense que ça existe chez tout adulte, professionnel ou non en rapport avec un enfant de manière régulière… Mais là on peut peut-être dire que c'est le métier du maître E que d'être médiateur entre l'enfant et les contenus d'apprentissages, entre l'enfant et les contenus culturels. Et si on pousse un peu le jeu de cette notion, on peut y voir l'aspect plus général de lien, le lien avec l'école, le lien avec la famille… le pédagogue spécialisé peut le faire…et être une personne bien placée pour le faire. La collaboration peut se faire avec le maître de la classe d'une manière étroite, parce qu'ils travaillent tous les deux sur des visées communes avec des supports qui sont différenciés ou pas… ça dépend. Il me semble que ça demande une articulation. Quand je disais collaboration, je pensais à cette articulation nécessaire pour que soient cohérentes les actions, ce qui ne veut pas dire que ce soit une répétition. Le maître E ne va pas prendre l'exercice de maths de la classe pour le faire refaire… Je pense quand même que le maître de la classe, s'il analyse avec le maître E les difficultés de l'enfant sur des exercices précis, ça permettra au maître E d'ajuster techniquement davantage son intervention.

Pouvez-vous présenter les références théoriques utiles au maître E de façon un peu plus approfondie ?

Les références utiles me semblent être Bruner, les textes majeurs de Bruner, "savoir-faire, savoir dire", "comment les enfants apprennent à parler" et la notion de "format", le format étant une sorte de scénario interactif, c'est-à-dire un enfant, un adulte en interaction dans une situation dans laquelle les éléments sont relativement prévisibles… il y a une sorte de système qui fonctionne, qui a tendance à se reproduire, ce sont des situations de vie quotidienne et qui donnent donc aux événements une certaine prévisibilité, donc qui favorisent chez le jeune enfant la représentation de ces événements, la prévision de ces événements, l'anticipation aussi de sa réponse. Dans ces formats ou scénarios, qu'on retrouve très fréquemment dans toute séquence de rencontre habituelle entre un professionnel et un enfant… il y a des formats individualisables comme ça… Dans ces formats ou scénarios se mettent en place - C'est Bruner qui l'a développé particulièrement – des équivalents fonctionnels du langage oral et du langage écrit. On peut retrouver même dans le geste, même dans les expressions corporelles, dans la mimique, des équivalents fonctionnels de ce qui sera plus tard signe : mot oral ou mot écrit…ça, ça me semble être une piste et toutes les études pragmatiques que l'on peut faire dessus, il me semble que tous les professionnels chargés de l'aide – et volontairement je ne les distingue pas – devraient être à l'affût de ça. Sur les jeunes enfants ou sur les enfants en grande difficulté, tous les équivalents fonctionnels c'est-à-dire tout ce qui est déjà développement d'un processus de communication et de sémiotisation ça doit être repéré, encouragé et comme le dit Vygostsky canalisé vers la mise en mots, canalisé vers le signe que l'adulte détient et qu'il peut proposer dans une situation qui a un sens pour l'enfant et où l'activité de l'enfant s'est déjà déployée sur le plan des équivalents fonctionnels.

Pouvez-vous définir le travail du maître E concrètement ?

Si j'oublie la circulaire, pour penser à ce que peut faire un maître E dans une école, il a… avec un enfant ou un petit groupe d'enfants et c'est plus souvent un petit groupe… ce qui donne d'ailleurs une dynamique de plus, il a quotidiennement ou régulièrement – plusieurs fois par semaine, il a à réconcilier l'enfant avec les tâches de l'école et lui faire acquérir un plaisir de fonctionnement intellectuel cognitif à partir de différents supports culturels au sens large du terme. Ils travaillent souvent sur des supports dits pédagogiques, des textes écrits mais pourquoi ne pas travailler sur des jeux, certains le font naturellement, pourquoi ne pas travailler sur des matières telles que l'histoire, la géographie, des supports qui permettent d'organiser les mots dans un texte prenant un sens ?

A votre avis comment est née cette fonction ? De qui ou de quoi a-t-elle hérité ?

Elle est un fourre-tout assez extraordinaire… (rires)

Vous pouvez expliquer ?

Je pense que ça s'explique par l'histoire… A partir du moment où on a un certain nombre d'options du CAEI et qu'on les transforme en lettres en prétendant – ce qui est intéressant – abandonner les aspects définitions psychopathologiques pour se situer davantage sur les lieux d'intervention. Quand on passe d'un système à l'autre, il y a forcément des choses qui coincent, on ne peut pas retrouver une cohérence équivalente dans les deux systèmes... surtout qu'on ne va pas rayer d'un trait de plume toutes les structures mises en place par le système précédent. Donc à cause de ces raisons historiques, il fallait bien mettre les classes de perfectionnement quelque part, ce sont les maîtres E qui en ont hérité au départ, de même que les classes d'adaptation. Alors par chance la plupart des classes de perfectionnement s'ouvraient ce qui rendait assez compatible, peut-être le travail d'un maître E auprès de groupes d'adaptation restant dans leurs classes et puis le travail d'un maître E chargé d'une classe de perfectionnement mais qui, ouvrant cette classe, remettait des enfants dans le circuit normal et les regroupait à certains autres. Mais vous voyez quand même que ce n'est pas la même dynamique. Or les deux choses existent. On peut se demander… cette option est en complémentarité avec le maître G, quand le maître E est itinérant lui-même et travaille avec un ou plusieurs enfants issus de classe ordinaire… C'est ça la complémentarité que la circulaire définit. Mais à partir du moment où le maître E tient une classe d'adaptation ou une classe de perfectionnement ouverte ou pas, ce n'est pas la même clientèle d'enfant, c'est une clientèle d'enfants définis autrement sur le plan historique et ce n'est sans doute pas totalement la même action.

Est-ce que vous voyez des analogies entre la distinction RPP/RPM et E/G ?

Non, je pense que ce sont des distinctions historiques qui ne reposent pas sur les mêmes bases. Si on reprend l'historique, la première distinction RPP/RPM, ça date de la création des options, donc les années 60. A ce moment-là ce qui différenciait ces options, c'était le caractère instrumental des troubles qui n'étaient pas les mêmes, des troubles psychomoteurs, des troubles langagiers dans le cas du RPP, c'était d'ailleurs des réadaptateurs à l'époque, chargés de réadaptation psychomotrice ou psychopédagogique. Ce qui sur le plan théorique les unissait, c'était la notion de trouble instrumental qui était prégnante, qui était dominante à l'époque. Chaque rééducateur travaillait avec des supports, des techniques qui étaient les siennes, langagières d'un côté, psychomotrices de l'autre, pour combler les manques ou pour essayer de résoudre ce qui dans une fonction était déficient… ça c'était le tout début et c'était une distinction satisfaisante pour l'esprit. Tout était cohérent à ce moment-là… et puis les choses ont évolué fort heureusement parce qu'on s'est aperçu que faire travailler une fonction déficiente c'était insuffisant pour résoudre les difficultés. La réflexion théorique s'est fait en parallèle, RPP d'un côté et RPM de l'autre. Mais ça a aboutit dans les deux cas à évacuer la notion de trouble instrumental ou plus exactement à la resituer dans la personnalité globale de l'enfant. Les rééducateurs, RPP ou RPM, se sont mis à s'adresser au sujet et à privilégier les processus relationnels en œuvre entre le rééducateur et le sujet… en gardant à ce moment-là… Vous voyez ça décale les choses, ça semble unifier un groupe de rééducateurs ce que je viens de raconter mais il n'y a pas à unifier ce qui est distinct sur le terrain. Une fois que les textes distinguent les fonctions, il faut bien qu'il y ait des différences… Ces différences ont été maintenues au niveau des médiations utilisées, médiations corporelles dans le cas des RPM et médiations langagières (oral et écrit) dans le cas des RPP. Cependant, il faut être conscient qu'à ce moment-là, théoriquement un RPM pouvait très bien aider un enfant ayant des troubles du langage parce qu'on pensait que la voie de la médiation corporelle pouvait mieux convenir dans ce cas-là parce que la communication à l'aide du corps étant l'une des plus précoces pouvait aider cet enfant à retrouver le goût de la communication… On n'était plus dans la logique du départ… Ce n'était pas extrêmement satisfaisant quand même c'est-à-dire que revendiquer le processus relationnel comme dominant dans la fonction de rééducateur ça revenait à unifier. G est né d'une double conjonction, cette volonté d'unification jointe à une volonté économique parce que dans l'affaire on a quand même perdu un an de formation… Il ne faut pas l'oublier…Donc G est né de cela et s'est calé avec un autre professionnel autrement. Les rééducateurs, on s'est aperçu que ça n'additionnait pas RPP ou RPM pour autant mais que ça rendait dans des approches diversifiées selon les cas d'enfant les aspects de dynamique relationnelle prépondérants. Il fallait opposer et complémenter avec les autres et la distinction E/G qui à mon avis n'est pas l'équivalent de la distinction RPP/RPM puisque G est héritier aussi bien de RPP que de RPM et E est quelque chose de nouveau qui affirme pour l'institution la visée et le support pédagogique. Je crois qu'il y avait de la part de l'institution la volonté de trouver un moyen de travailler au plus près de la difficulté pédagogique de l'enfant. Les rééducateurs étaient certainement, du point de vue de l'Education Nationale des êtres de détour. Le maître E dans la tête des concepteurs, c'était peut-être quelqu'un qui pouvait aller plus vite dans sa manière de régler les problèmes parce que travaillant au cœur même du problème. Je ne dis pas que ce soit forcément vrai et je ne dis pas que le maître E n'utilise jamais le détour mais la distinction me semble être davantage là-dessus, centrée, si on cherche quel est le critère pour mettre un enfant en G ou en E, centrée sur le rapport actif que l'enfant entretient à la connaissance. Si on cherche à différencier les supports, on devient cependant là… on n'arrive plus à dire quelque chose de cohérent parce que ça voudrait dire qu'un rééducateur n'a pas le droit d'utiliser des supports pédagogiques ou culturels si je les réserve au maître E. Je pense que ce n'est pas vrai, à certains moments, il doit les utiliser. De même que le maître E peut utiliser le jeu, la peinture, peut utiliser tout ce qui ressource l'enfant en difficulté et redonne sens aux matières qu'il utilise.

Comment voyez-vous les différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E ?

Je le vois surtout dans le rapport privilégié qu'on a même avec un petit groupe. Le maître généraliste dans la classe est soumis à un grand groupe d'enfant et ne focalise pas ou beaucoup moins sa relation à chacun d'entre eux. Je crois que c'est ça surtout mais la différenciation peut aussi être, si la formation le lui apporte, une gamme plus importante d'entrées dans telle ou telle matière ou dans telle ou telle discipline ou contenus, la possibilité de plus de souplesse. Le maître E est là pour s'adapter, pour aider. Le maître de la classe a quand même le souci de faire avancer tout le monde. Même s'il n'abandonne l'enfant en difficulté il est moins disponible pour chacun d'entre eux.

Quand je dis maître G quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Processus relationnel, estime de soi, développement, compétences scolaires et culturelles et collaboration… Si je développe processus relationnel, il me semble que c'est central dans la rééducation. Ce n'est pas spécifique à la rééducation, on le retrouve partout mais il me semble que c'est la dynamique de ce qui se passe entre l'enfant et le rééducateur qui va faire progresser l'enfant sur le plan de la reprise de son développement, de la reprise de sa curiosité, de ses intérêts sur un plan très global… qui va créer ou développer s'il est insuffisant un rapport actif à la connaissance et que cette dynamique-là le rééducateur devra spécialement la travailler et si possible pas seul. Le réseau d'aides avait l'avantage de présenter d'autres professionnels et j'aimerais bien que les psychologues ne passent pas à la trappe… dans ce qui nous attend… ça me semble important de pouvoir, si on veut travailler sur cette dynamique, jouer sur la distance relationnelle, jouer sur les processus d'identification… Ce n'est pas parce qu'on emploie des mots psychanalytiques qu'on est dans le cadre d'une psychothérapie… Le processus d'identification est présent chaque fois qu'un adulte est en relation privilégiée avec un enfant…ça fait partie du développement. La rééducation fait vraiment partie d'un projet de développement, c'est inhérent à un projet de développement d'enfant, pas seulement d'élève… Mais il est incontournable quand un enfant se développe qu'il rencontre le langage oral et écrit, qu'il rencontre des instruments scolaires mais aussi culturels au sens large… qui concernent la culture de son groupe et qui vont devenir outils de développement pour lui ensuite.

Vous avez dit aussi compétences scolaires et culturelles…

Oui… pour qu'elles ne soient pas oubliées. Non seulement c'est une visée du rééducateur mais à mon avis il y a eu une erreur faite dans les distinctions et faite un peu à cause de la circulaire… On a mis un certain temps à nous sortir de ce dilemme-là… Ce n'est pas évident mais mettre les rééducateurs avant l'apprentissage et les mettre E après, comme s'il y avait un avant et un après l'apprentissage c'est absolument faux théoriquement… Tout ce qu'ont pu montrer les différents auteurs d'une spirale de l'apprentissage ou le même objet se présentait plusieurs fois à l'enfant et des équivalents fonctionnels dont nous parlions tout à l'heure et qui donnent des formes différentes aux différents moments de contact avec l'objet de connaissance, tout cela me fait dire qu'il n'y a pas un avant et un après l'apprentissage… Le rééducateur a un rôle de médiateur culturel à jouer comme tous.

Vous avez dit aussi collaboration comme pour le maître E…

Oui, exactement comme pour le maître E (…), le contact avec le psychologue me semble tout à fait indispensable… même si on différencie E de G par un processus relationnel plus important, plus déterminant dans l'aide apportée.

Pouvez-vous définir concrètement le travail de maître G ?

Le travail du maître G… Je le définirais comme un travail de reconstruction et un travail de reprise de développement donc quelque chose de très fort qui s'appuie sur un processus relationnel interactif, qui utilise des situations qui sont selon les cas des situations qui font appel à l'imaginaire et au créatif… quand l'enfant a besoin de retrouver du sens dans ce qu'il fait mais qui peut aussi être culturel et scolaire au sens large du terme avec comme visée générale un équilibre entre des représentations codifiées, une activité de pensée située dans la culture et des possibilités de création imaginaire. Cet équilibre-là, il me semble que tout le monde doit le viser, le maître E aussi… N'empêche que c'est en G que je l'affirme le plus actuellement, dans les manières de faire des rééducateurs.

Quelles sont les références théoriques propres à cette fonction ?

Il y a une référence théorique qui me semble incontournable depuis pas mal de temps, qui est une vieille référence mais qui est mon port d'attache et à laquelle je tiens, c'est une double référence d'ailleurs psychanalytique de l'école anglaise surtout qui travaille au niveau du moi – le rééducateur ne travaille pas au niveau de l'inconscient bien entendu – c'est une chose que je souhaite… L'inconscient est là quand même, on ne le laisse pas au vestiaire pour autant mais on ne travaille pas dessus… Et cette référence psychanalytique de l'école anglaise, notamment de Winnicott, avec les notions d'aire intermédiaire d'expérience, de transition, le monde interne en contact avec le monde externe auquel il donne son sens… Les significations se créent par la mise en contact des deux mondes…ça me semble une bonne référence pour le rééducateur et notamment justifier le travail sur le plan du jeu, le travail sur le plan de différentes techniques d'expression, de manière à ce que l'enfant puisse mettre en rapport son monde interne et son monde externe et apprivoiser les règles de la réalité, apprivoiser les codes, le langage… (…) L'enfant quand il a à admettre des règles, des codes jusqu'à ce que le langage soit mis en place, ce qui suppose des processus secondaires bien au point, lorsque l'enfant a besoin de cela, apprivoiser toutes ces contraintes c'est nécessaire et le travail d'un rééducateur qui puise dans l'aire intermédiaire d'expérience la ressource, les possibilités de donner du sens aux différentes choses, aux différents contenus présentés, ça, ça me semble tout à fait important.

Est-ce que vous en voyez d'autres ?

Bien sûr, je pense qu'il faut intégrer les références cognitives.

Vous pensez à quoi et à qui ?

Je pense à Bruner et Vygotsky comme bases… mes grands points d'attache solides et irréfutables… Mais je pense à tout ce qui peut surgir et paraître mais qui est actuellement bien pointilliste et disséminé… Ce sont des études théoriques et pratiques sur le langage, quels que soient les auteurs, il me semble qu'il faut suivre et que si l'on trouve le moyen de rendre plus technique les interactions langagières entre l'enfant et l'adulte pourquoi pas ? Parce qu'un professionnel ça va jusque là à mon avis et ça ne perturbera pas – du moins je l'espère quelque chose de fort qui se passe par ailleurs entre cet adulte et cet enfant. Simplement l'adulte saura un peu mieux parce qu'il est un professionnel et non pas n'importe quel adulte en rapport avec enfant comment intervenir, comment reprendre l'enfant, quoi proposer etc… Je pense que les études de pragmatique du langage qu'on retrouvait dans le courant bruniérien approfondi sur tel… par exemple on se demande comment l'enfant formule le prédicat, les premières demandes, l'interrogation au départ… toutes ces choses pointillistes si on les intègre dans une formation qui leur donne un sens, qui les situe dans une ligne… le rééducateur peut en profiter.

Est-ce qu'il y a encore d'autres points ?

Tout ce qui concerne les catégories et les concepts.

Vous pouvez préciser ?

… C'est une activité de classification, de mise en ordre du monde que l'enfant ne fait pas spontanément quand il est en difficulté et qu'il s'agit de développer le plus possible avec lui à la fois en lui proposant des situations et en canalisant grâce aux mots – c'est Vygotsky qui nous le dit d'ailleurs – l'activité de l'enfant vers un but… c'est un peu difficile à expliquer comme ça… Je prends un exemple classique : si l'enfant a le mot fleur très général et si l'enfant a le mot anémone, rose etc… il analyse différemment le monde à chaque fois. Le mot devient un outil pour analyser le monde… Le rééducateur peut très bien travailler dans ce sens-là dans les situations qui peuvent être ludiques ou culturelles qu'il propose à l'enfant. Je voudrais bien que le rééducateur ne s'empêche pas, au nom d'un avant et d'un après l'apprentissage qui ne tient pas debout, de proposer des situations culturelles, de travailler avec des livres, de travailler sur des textes, oraux ou écrits ou mettre à l'écrit un texte oral que propose l'enfant, c'est une chose qui me semble tout à fait possible au rééducateur, je voudrais surtout qu'il ne s'interdise pas cela…

Pouvez-vous revenir sur la naissance et l'héritage de cette fonction ?

Cette fonction G ? Elle a hérité à mon avis de l'évolution théorique des fonctions des deux sortes de rééducateurs, du RPM et du RPP. On pouvait croire naïvement qu'il s'agissait d'une addition des deux fonctions, ça ne se pose pas comme cela parce qu'on ne peut pas additionner de toute façon les deux formations… (rires) Je pense que ça se définirait davantage… Je reviens un peu en arrière, même si c'est décousu. Je pense que, héritant des deux rééducateurs et de tout le travail qui les a dégagés du trouble instrumental et de sa réparation immédiate, de la nécessité adaptative, déjà ce travail-là est normalement résolu au moment où les G sont apparus… du moins les avancées théoriques ont été suffisantes pour situer d'emblée la rééducation par rapport à une personne globale. L'enfant est une personne globale et on rééduque un enfant pour lequel on restaure des compétences d'élève mais dans un cursus de développement général et en donnant à ces compétences d'élève leur pleine valeur… parce que l'estime de soi exige des compétences d'élève quand on est un enfant à l'école au CP… si on n'apprend pas à lire l'estime de soi en prend un coup, les images familiales également sont atteintes etc... Donc les compétences d'élèves sont nécessaires à l'enfant et pour qu'il ait une estime de lui-même et pour qu'il ait des outils de développement : les concepts qu'on apprend à l'école, nous avons vu tout à l'heure qu'ils servaient à voir, à lire le monde autrement, à discriminer davantage les choses, à avoir des vues plus précises des choses… Le livre on sait quand même que ça ouvre la rencontre avec l'autre, avec la pensée de l'autre… l'image également, la lecture d'images ouvre un monde tout à fait particulier à l'enfant et puis tous les codes qu'on peut imaginer : musique, mathématiques tous ces langages que l'enfant doit pouvoir découvrir… le rééducateur pense le développement de manière à intégrer pleinement les éléments de la culture qui sont les éléments que l'école présente… Ce n'est pas une étroite adaptation scolaire qu'ils recherchent, c'est une entrée dans l'école nécessaire au développement de l'enfant.

Est-ce que vous avez vu la fonction G évoluer au cours du temps ?

Oui, je pense… Au début, on a tâtonné pas mal, la première année… avec une gêne, c'est que notre formation utilisait beaucoup – ça, on y tenait – des travaux pratiques hebdomadaires avec prise en charge d'un enfant, guidée par un maître de stage. Or les premiers G avait comme maîtres de stage soit des RPP soit des RPM et ça, ça nous a gênés considérablement… (rires)… et ça gênait les maîtres de stage et les stagiaires. Il est sûr que ça induisait une direction fondamentale dans la prise en charge de l'enfant même avec le concours de professeurs qui s'y rendaient aussi souvent que possible… On encadrait beaucoup les travaux pratiques. Il y avait des discussions où on analysait ce qui se passait. Et c'est vrai que les maîtres de stage faisaient leur choix d'enfant en fonction de leur spécialité originale et qu'on trouvait ensuite des enfants avec médiation corporelle ou langagière prépondérante. Cette difficulté nous a fait avancer… nous sommes arrivés à nous dégager progressivement de cela, à faire en sorte que les rééducateurs choisissent les médiations en fonction de la trajectoire de développement de l'enfant et des besoins qu'il pouvait manifester à tel ou tel moment, c'est-à-dire que le projet de rééducation devenait modulable et plus la gamme de médiation – je prends médiation au sens très courant de support qu'on lui donnait : supports langagier, théâtral, corporel ou dessin ou livre ou jeu – tous ces supports intervenaient en fonction des temps du projet, des différents paliers observables dans un projet de rééducation… ça supposait d'analyser ce qui se passait entre l'enfant et le rééducateur et en fonction des supports présentés dire comment se développait le rapport de l'enfant à l'activité, à la situation et comment se développait par ailleurs l'indépendance et l'identification de l'enfant au rééducateur, sa prise d'indépendance, sa prise d'autonomie, son identité en construction, les deux choses allant de pair… ces deux éléments d'un même processus qu'on peut mettre en évidence : d'un côté se développe son identité et de l'autre se développe son rapport à la connaissance, sa prise active sur l'activité proposée… quelle que soit l'activité… même avec le jeu ça se voit. Les symboles se mettent à exploser, la variété des représentations devient de plus en plus riche, la construction des scénarios devient de plus en plus forte, bien construite… En fonction de cela, on peut proposer d'autres supports, faire intervenir d'autres objets, introduire aussi d'autres règles, moduler l'exigence et devenir de plus en plus exigent avec l'enfant… ça je crois que le G, disposant d'une gamme de médiation assez vaste peut analyser l'évolution de l'enfant et ne pas utiliser la médiation au hasard. Cette conception-là redonne, à mon avis, sens au mot médiation… il y a un réel double sens du mot médiation : il y a celui du rééducateur qui s'interpose entre l'enfant et le monde et ça compte énormément, ça rentre en jeu dans le processus relationnel, c'est un des aspects du processus relationnel et puis il y a le support qui est ce qu'on appelait autrefois médiation tout le temps : le dessin, le jeu, l'objet culturel… Cette médiation-là ne se choisit pas au hasard. Elle convient plus ou moins au degré de développement de l'enfant, à l'appétence de l'enfant, à la suite du déroulement du projet… ça c'est l'idéal… si le rééducateur peut analyser ce qui se passe avec d'autres – ce qui était le principe du GAPP à l'origine, ce qui reste le principe du réseau mais qui ne fonctionne pas actuellement… ou c'est un coup de chance d'avoir à proximité un psychologue à qui parler régulièrement… mais je crois que ce serait une aide puissante au rééducateur dans ses analyses. Je pense que c'est un professionnel qu'il est difficile d'isoler…

Est-ce que vous pouvez définir les points de ressemblance entre maître E et maître G?

Moi, j'arriverais à les faire fonctionner de la même façon mais je prendrais le modèle rééducateur… (rires)… Non, c'est vrai…

A votre avis alors, est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Le processus relationnel joue un rôle dans les deux. Mais il joue un rôle plus déterminant – actuellement en tout cas tels qu'on les différencie – chez le rééducateur. Mais il est bien sûr existant chez le maître E, il ne peut pas en être autrement. La variété des médiations /supports est actuellement plus grande chez le G que chez le E... ça pourrait être autrement je pense…

Et comment imaginez-vous les choses ?

Moi, j'imaginerais des professionnels… Bon, imaginons qu'il y ait un seul professionnel chargé de l'aide – Vue de l'esprit qui nous pend au nez à mon avis -. Si ça veut dire moins de professionnels chargés de l'aide au bout du compte, je trouverais ça dommageable. Si ça veut dire moins de collaboration avec des psychologues qui disparaissent, je trouverais ça dommageable. Mais sur le plan de l'action même, c'est concevable. C'est tout, à fait concevable. Simplement on s'adapte très étroitement à l'analyse des difficultés de l'enfant, analyse qui supposerait bien un psychologue qui dégage la problématique avec les intervenants, analyse des difficultés de l'enfant et proposition selon le degré de l'avancée vers la connaissance plus ou moins importante, plus ou moins engagée, selon ce repérage-là les supports et les situations proposées ne sont pas les mêmes, le degré d'indépendance de l'enfant par rapport au professionnel n'est pas le même etc… mais le même professionnel - s'il joue toujours sur le rapport d'autonomie identitaire, sur la distance relationnelle, sur l'identification, sur l'aspect médiation de l'adulte par rapport à la culture, ça d'un côté et de l'autre côté sur des situations variées - peut arriver en se situant plus ou moins dans les objets culturels en faisant une progression vers les objets culturels… on peut arriver à tailler à la mesure de l'enfant l'aide apportée.

Est-ce que vous verriez des inconvénients à cette redéfinition de la fonction d'aide ?

Le seul inconvénient serait d'avoir un interlocuteur de moins par rapport à l'enfant.

Et si on imaginait dans un réseau un psychologue et deux personnes minimum chargées d'aide ?

Oui, deux personnes équivalentes, je verrais un fonctionnement souple et je verrais un fonctionnement qui permettrait de gagner du temps c'est-à-dire de suivre l'enfant au plus près et de déboucher le plus vite possible vers des activités cognitives, intellectuelles… d'avoir une souplesse au niveau des entrées… il ne faut oublier que l'entrée par l'imaginaire et le créatif… il y a des enfants qui n'en sont pas d'emblée capables et qui peut-être seront plus sécurisés par une entrée plus cadrée avec des contenus qui peuvent être très proches de l'école pourquoi pas…

Et dans cette perspective, pourriez-vous imaginer la formation ?

Oui… d'abord un temps de formation pour les rééducateurs qui garde… mais je sais bien qu'actuellement on ne pourra jamais l'obtenir… mais des formations à l'année tout le monde dit que ce n'est plus possible… Or là ce n'est pas du luxe si on garde pour ces deux professionnels la perspective non seulement la perspective de connaissances assez étendues théoriquement mais aussi d'une pratique analysée tout au long d'une année scolaire qui va permettre de les former.

Et vous verriez une formation de quelle durée ?

Je verrais une année scolaire pour cette fonction E/G.

En ce moment pourtant une année est nécessaire pour former un E et une année pour un G…

Vous avez tout à fait raison…(…) Actuellement le sabrage des formations est quelque chose qui est très, très inquiétant … pour des raisons économiques et pour des raisons aussi de personnes qui ne s'engagent pas dans une formation loin de leur famille un an durant… C'est vrai… Et les centres IUFM sont quelquefois très loin des domiciles des gens selon les options… Nous avons lancé des formations à distance… Je vois mal des formations à distance sur ce genre de professionnel ou alors il faudrait combiner les choses, combiner des apports qui peuvent se faire à distance avec des apports qui peuvent se faire en situation. Il y avait une chose que je trouve très dynamisante et très nécessaire si on fonctionne sur l'exigence d'un processus relationnel analysé, c'est de suivre un enfant le long d'une année scolaire, pas d'une rééducation – qui peut durer plus longtemps –

Si un jeune intéressé par un poste en réseau vous demandait de présenter les métiers de maître E et maître G que lui diriez-vous spontanément ?

Je lui dirais qu'il y a actuellement une variation très grande et un flou très important au niveau des fonctionnements de maître E. Il y a plusieurs cas de figures qui dépendent de formations diversifiées encore à l'heure actuelle au niveau des maîtres G mais compte tenu de cela les dominantes que je pourrais lui donner tiennent d'un côté – le côté G – à la prédominance d'un processus relationnel enfant /rééducateur avec une visée très nettement centrée sur les apprentissages et l'entrée dans la culture… Ce processus relationnel ne fonctionne pas à vide mais à partir de médiations variées dont les situations culturelles ne sont pas exclues et au contraire… et le maître E dans l'état actuel des choses a une approche plus pédagogique et plus technique d'emblée avec des enfants qu'il prend plus souvent en petit groupe, le rééducateur fonctionnant soit en individuel, soit en petit groupe, le maître E à ma connaissance fonctionnant surtout en petit groupe. Le rééducateur fonctionne une fois par semaine mais que le maître E, toujours plusieurs fois par semaine, ce qui donne une gestion du temps très, très différente et l'enfant doit tirer un fil rouge d'une séance de rééducation à l'autre… avec le maître E, c'est davantage au quotidien… C'est différent... Et ce sont des métiers qui exigent l'un et l'autre une collaboration avec le psychologue (…).

Si on aborde plus spécialement le réseau dans son ensemble, quelle est la typologie des tâches que celui-ci doit effectuer ?

Au niveau d'un fonctionnement de réseau idéal, la prévention, ça me semble quelque chose qui n'est pas à négliger du tout et qui centre sur l'école maternelle et sur l'action précoce et qui supposerait de ne pas étiqueter trop tôt. Il y a une gestion de l'enfant qui sans être en difficulté risque de le devenir, qui n'est pas très facile à faire… Elle concerne par exemple les enfants étrangers qui ont une méconnaissance du français, qui sont des difficultés que l'école rencontre… Ce genre de difficulté, on a du mal à les situer en E ou en G et ce serait mieux de les prévenir par un apport… Ce serait peut-être plus facilement réglable si nous n'avions pas de différenciation entre les professionnels… parce que là la différenciation ne colle pas avec la réalité. En dehors de cette grande ligne de prévention, il y a bien sûr l'échec scolaire, l'immensité des difficultés scolaires et cela je pense que si on les centre autour de l'apprentissage et plus tard, les entrées ne seront sans doute pas les mêmes…

Vous pouvez préciser ?

Oui, encore que j'ai mal travaillé la question selon moi…Je suis très centrée sur les jeunes enfants et puis le CP mais je suis persuadée qu'il y a une autre pierre d'achoppement autour du CM où vraiment des enfants, qui avaient suivi une scolarité à peu près correcte, décrochent… parce que le degré d'exigence est qualitativement différent. Ce serait à analyser. Je pense qu'il y a quelque chose de l'ordre d'acceptation de règles plus complexes, de l'ordre de généralisations plus importantes, le passage aux concepts… qui coince. Ces enfants-là, qui sont de grands enfants, on ne va pas les prendre avec du jeu… On les prend sérieusement. Ils sont d'ailleurs très capables de s'inscrire d'emblée dans un projet de rééducation… Je crois que là les entrées culturelles sont extrêmement importantes à creuser en profondeur, des entrées très techniques pourquoi pas l'ordinateur… selon les difficultés qu'ils présentent et si ces enfants ont besoin de se ressourcer. Je pense toujours à cet équilibre assuré par l'aire intermédiaire d'expérience, à ce moment-là ce qu'on leur propose, c'est du théâtre ou c'est de l'expression corporelle à un degré de technicité important de manière à ce qu'il ait l'impression d'être aidé mais aidé sur le plan d'une promotion. On l'aide à se promouvoir, on l'aide à progresser et on ne le traite pas en petit enfant. Et là dans les formations on n'a pas pris ça suffisamment en compte… parce qu'on prenait en compte l'urgence, on n'avait pas le temps de prendre en compte les autres enfants mais ce serait important qu'il y ait ces professionnels pour les grands, peut-être débordant sur le collège pourquoi pas… Le collège n'a pas d'aide autre que le CMPP pour les enfants en difficulté et le décrochage CM se retrouve en 6ème, 5ème, donc dans un espace clé sur le plan de l'orientation.

(Pause café…)

Je vous disais du mal de notre circulaire, parce qu'une circulaire n'est pas faite pour faire de la théorie… C'est vrai qu'on ne trouve pas d'unification théorique dans les différenciations entre E et G. On doit faire appel à des théories diverses voire pas de théorie du tout : l'ajustement des conduites émotionnelles… personne ne sait ce que ça veut dire… ou on construit quelque chose qui colle avec ce qu'on peut penser mais ce n'est pas facile de savoir d'interpréter…

Comment concevez-vous l'évaluation des réseaux ?

Alors là ça me semble être une très bonne question qui doit se poser parce qu'une structure au service du public, il faut savoir comment ça marche et c'est une des exigences actuelles qui est une exigence saine. Mais je crois qu'au niveau de l'évaluation d'une structure telle que celle-ci ou de professionnels tels que ceux-ci, il faut tenir un équilibre. Les professionnels, sans crainte de jugement porté sur eux au départ, mais avec leurs propres exigences de fonctionnement doivent réfléchir sur leur travail, sur les résultats de leur travail, ces résultats n'étant pas seulement des résultats scolaires… mais par exemple la prise d'autonomie de l'enfant, l'indépendance de l'enfant en rééducation, une curiosité qui s'éveille alors qu'elle n'existait pas… tout ça fait partie des résultats… qu'on peut mettre en évidence dans une approche d'observation… alors que ça ne se met pas encore en évidence sur des choses quantifiables. Je pense que l'évaluation doit être interne à chaque professionnel d'abord, dynamique, on ne va pas faire un bilan avec des croix et des manques mais on situera l'enfant dans une évolution, on essaiera de comprendre l'évolution de l'enfant, distinguer cette évaluation de chaque professionnel par rapport à son action d'une évaluation de réseau, ce dont on parlait tout à l'heure, les grands objectifs du réseau, se les formuler, voir ce qu'on néglige, ce qu'on assume, à quelles conditions on pourrait faire de la prévention par exemple… A cette évaluation interne j'ajouterai l'évaluation des usagers : maîtres et parents… je ne sais pas trop comment aborder l'évaluation par les parents… C'est délicat et ce n'est pas très commode… L'évaluation des maîtres dans un travail collectif ou quand même on collabore avec l'école ça me semble être tout à fait possible c'est-à-dire recueillir l'avis des maîtres, ce n'est pas forcément un bilan quantifié, c'est très largement des analyses, des réflexions et une recherche de solutions qui peut se faire en collaboration avec des interlocuteurs… peut-être que c'est comme ça qu'on peut prendre l'évaluation avec les parents, c'est-à-dire discuter avec les parents de ce qu'ils pensent du fonctionnement… Quant à l'évaluation externe par l'inspecteur, bien sûr elle existe… tous sont des professionnels "inspectables"… je pense que le grand mérite des inspecteurs est d'aider les professionnels à prendre du recul par rapport à leurs pratiques et à justifier leurs pratiques et à sortir leurs références, à expliquer comment ils fonctionnent, les aider à mettre ça en mots communicables et compréhensibles selon leurs interlocuteurs… je crois que les inspecteurs ont un rôle intéressant à jouer de ce point de vue. Ils ont aussi un rôle à jouer dans les recherches de solutions : Quelles actions de formation continuée vont vous aider à mettre ça en pratique ? On parle de prévention, vous ne savez pas le faire, vous n'arrivez pas à le faire avec les moyens que vous avez actuellement, quels moyens de formation continuée va-t-on mettre en pratique pour vous aider à le faire par exemple ? J'ai vécu le rapport Mingat et la nocivité des rééducateurs ou le fait qu'ils n'étaient pas exactement nocifs… Je crois que ça, ce n'était pas une évaluation… C'est une recherche, regrettable en tant que telle… Mais si on confie à quelqu'un de tout à fait extérieur à la fonction une évaluation de cette fonction, certaines choses échapperont complètement… Ainsi Mingat n'arrivait pas à définir le type de rééducation dont il s'agissait parce qu'il ne connaissait peut-être pas suffisamment les oppositions possibles entre les rééducateurs de l'époque RPP et RPM et… quant au groupe comparatif, on sait qu'avec des enfants en difficulté c'est une méthode difficile et dangereuse à mettre en œuvre… Ce rapport a quand même porté un coup très important aux rééducateurs alors qu'un groupe d'experts l'a démoli sur le plan méthodologique… Les évaluations externes sont donc très difficiles à mettre en œuvre et maintenant je comprends très bien que les rééducateurs se méfient de n'importe quel questionnaire proposé… parce qu'ils ont déjà connu une évaluation Education Nationale menée par Jean-Louis Ducoing, collègue à Beaumont à l'époque et qui lui avait dans l'idée d'aider les GAPP à évoluer… Une évolution, un formateur ne peut pas être contre ou alors se saborde lui-même mais il avait vraiment l'intention d'aider les GAPP à évoluer et ça a servi à sabrer les GAPP, à mettre quelque chose en place sans donner à cette autre chose les moyens d'exister vraiment… selon mon modeste avis.

Qu'a apporté le rapport Ducoing ?

Un des points… il y a toujours toute une conjonction de facteurs, de la transformation des GAPP en réseaux. Les GAPP étaient d'ailleurs… on s'est aperçu pour répondre à votre question que ce mode d'équipement autour d'un groupe scolaire ne permettait pas de pourvoir à l'équipement de toute la France avant une date qui rendait la chose pas fiable, pas valable… On laissait beaucoup trop d'écoles sans équipement et puis l'évolution des quartiers faisait que certaines écoles avaient un GAPP et ne méritaient plus tellement d'en avoir alors que d'autres qui en avaient bien besoin n'en avaient pas. Non, ce n'était pas idiot, la conception des réseaux était une conception qui sur le papier pouvait être satisfaisante… elle exigeait des moyens.

Si on aborde le point formation, pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux à étudier lors de la formation ?

Je vais être influencée parce que j'avais l'enseignement théorique en charge. Je mettrais Winnicott en premier lieu, plusieurs ouvrages… je mettrais Bruner Comment les enfants apprennent à parler. Je cherche un praticien pour ne pas rester que sur un plan théorique… Là je suis ennuyée. Du temps des RPM, j'aimais bien Aucouturier qui apportait beaucoup… Du temps G, cela m'ennuie de citer quelqu'un qui porte essentiellement sur le corporel… Du côté praticien Yves de la Monneraye, je n'aime pas du tout la façon dont il aborde les choses… C'est respectable quelles que soient ses convictions… mais je pense qu'il a pu desservir la rééducation en mettant des termes psychanalytiques sans distance. J'utilise moi-même des termes psychanalytiques mais je pense qu'il faut bien différencier justement la rééducation de la psychothérapie et je crois que lui ou ne le fait pas assez ou prête à confusion… Je ne l'accuse point, c'est ma manière de lire…L'équipe de Tours… les écrits d'Y. Darrault sont d'accès difficile (…) Il y a un livre que j'aime beaucoup qui date de 1990 et qui me semble être très éclairant qui est un livre de Gaby Netchine et collaborateurs pour couvrir les aspects cognitifs et qui s'appelle démarches cognitives et … j'ai oublié le titre exact… (…)

Savez-vous quels sont les trois livres ou auteurs principaux étudiés lors de la formation E ?

Non, mais je pense que vous pouvez trouver ça sur les brochures que vous avez dû vous procurer…

(…) Dans la formation quelle importance accordez-vous à la formation au travail d'équipe ?

… Ça me semblerait intéressant mais dans la formation ça a été abordé dans la formation à l'entretien par des jeux de rôle, des mises en place de scénario… Quelle place ? Pas une grande place… quelque chose comme 5 séances de trois heures… Par ailleurs, on peut penser, si on laisse la possibilité – on ne l'a pas fait beaucoup, on était pris par le temps – mais quand on met en place des exposés et qu'on incite les stagiaires à travailler collectivement sur tel ou tel exposé, on participe aussi à la formation au travail collectif mais sous un biais cognitif… J'aimerais que ce soit plus important… mais on est toujours à la recherche du temps dans la formation G…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Epanouissement, réussite sociale, estime de soi, équilibre. Je me suis peu intéressée aux enfants qui réussissaient à l'école… (rires) satisfaction parentale…

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Oui, c'est un peu des choses d'évidence que je vous ai données… C'est à la fois l'équilibre personnel, c'est-à-dire si l'enfant n'est pas aux prises avec des problématiques personnelles trop lourdes ou se trouve dans un système où il peut se développer harmonieusement, il sera suffisamment actif et curieux pour réussir à l'école quoiqu'on fasse même certaines méthodes ou certains maîtres qui peuvent ne pas lui convenir… Il n'y aura pas de fragilités particulières et ça fonctionnera. Et dans le mot épanouissement que je joins à équilibre je mets aussi ce rapport harmonieux entre processus primaire et processus secondaire ou si vous préférez entre monde interne imaginaire et représentation plus sémiotisée, le monde du signe… le monde culturel… ça je crois qu'un enfant créatif participe de ces deux mondes, fait fonctionner ces deux mondes avec souplesse sans problème… La réussite scolaire à l'heure actuelle, statistiquement, peut déboucher sur la réussite sociale qui est pratiquement nécessaire à la réussite sociale même si elle n'est pas suffisante. La satisfaction parentale (…) parce qu'il me semble qu'à l'heure actuelle il y a une pression des parents très grande sur la réussite scolaire et que l'angoisse que les parents relaient – l'angoisse du chômage, l'angoisse de la crise se focalise par des exigences plus intenses peut-être quant à la réussite scolaire. La réussite scolaire ça représente toujours que l'enfant fasse en sorte de ne pas échouer dans sa vie sociale comme l'ont fait éventuellement les parents.

Une question un peu plus générale, comment considérez–vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Pas seulement l'aide du maître spécialisé ?

Voilà…

Le maître ordinaire devant à mon avis être de plus en plus formé. Il est déjà de plus en plus formé. Il a un temps de formation important, il devrait avoir logiquement de la psychologie dans cette formation, je dis bien devrait. Je n'ai pas vu parmi nos stagiaires surgir cette formation psychologique de base qui devrait être donnée à mon avis au niveau des formations initiales déjà. Par exemple le développement de l'enfant, ça fait partie de ce que doit savoir un maître ordinaire. Je pense que d'abord le fait qu'un maître ordinaire ne se désintéresse pas des enfants en difficulté en pensant qu'ils sont pour quelqu'un d'autre ou que quelqu'un d'autre les tirera d'affaire, c'est déjà important… Et ça la circulaire de 90 m'a semblé l'avoir tout à fait mis en mots d'une manière intéressante. C'est une des premières évaluations de GAPP que moi j'avais faite d'un fonctionnement de GAPP avant la lettre. Avant que les GAPP n'existent, on fonctionnait psychologues et rééducateurs sur une école en essayant de travailler en équipe. La première évaluation que nous avons faite, c'est que les maîtres ordinaires qui avaient l'habitude des classes d'adaptation, des classes de perfectionnement et donc de l'éjection des enfants en difficulté ne se désintéressaient plus des enfants en difficulté, considéraient qu'ils étaient de leur compétence à eux, en collaboration avec les aides des rééducateurs… ça, ça me semble être un point qui montre que les choses commencent à fonctionner… Quand les maîtres considèrent qu'ils font partie du système d'aide à apporter à l'enfant en difficulté, je ne dis pas que c'est gagné mais c'est en tout cas sur le point de mieux fonctionner. Les autres aides, les aides extérieures à l'école, je pense qu'elles doivent aussi s'articuler, c'est-à-dire il y a un moment où on passe la main… Il y a un moment où la fragilité identitaire de l'enfant est telle qu'il vaut mieux une psychothérapie qu'une rééducation. Il y a aussi des parents qui sont plus à l'aise sur le plan des aides à l'extérieur que sur le plan des aides scolaires, parce que leur problématique est lourde, qu'ils n'ont pas envie de le raconter à l'école où est leur enfant et qu'ils préfèrent les circuits plus médicalisés et plus extérieurs… ça il faut en tenir v compte aussi dans les choix… Donc les aides extérieures… c'est l'un ou l'autre mais pas forcément… Se pose un problème que nous n'avons jamais réussi à résoudre correctement d'une coexistence d'une aide extérieure – psychothérapie par exemple – compatible ou non avec une rééducation… parce que c'est deux investissements forts de l'enfant. Alors à mon avis, c'est plus facile dans l'état actuel des choses entre aide psychopédagogique ou aide à dominante pédagogique actuelle et psychothérapie… peut-être que les définitions sont plus claires… si la définition de la rééducation est claire, et si le rééducateur rencontre le thérapeute et qu'il y ait une mise à plat de la difficulté éventuelle à fonctionner ensemble, je crois que c'est compatible, ce n'est pas la même chose, je n'assimile pas une rééducation à une psychothérapie, c'est tout à fait définissable autrement, on ne travaille pas au même niveau de la personnalité de l'enfant… Cependant ça demande dans l'un et l'autre cas de tirer un fil rouge pour aller d'une séance à l'autre au fil du temps et la mise en place d'un processus relationnel qui dans le cas de la psychothérapie travaille sur les aspects transférentiels et dans le cas de la rééducation connaît ces aspects mais ne travaille pas dessus et met en jeu une dynamique qui est davantage centrée sur l'action et l'échange autour de l'action. Donc pour me résumer et parce que ce que je vous ai dit est peut-être un peu contradictoire, je pense que dans l'état actuel des choses, il est plus facile de mettre en place une psychothérapie parallèlement à une aide pédagogique mais que ça devrait être possible pour la rééducation puisque ce n'est pas le même type d'action.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

(rires) Je ne sais pas… J'ai l'impression qu'il y a une déliquescence terrible en ce moment sur tous les plans de l'enfance en difficulté… Toute l'AIS me semble menacée pour des raisons essentiellement économiques mais peut-être aussi pour des raisons d'idéologie parce qu'on peut penser que mettre le paquet quand on n'a pas des fonds très importants… mettre le paquet sur tous les enfants et sur l'école ordinaire … ça peut sembler être la priorité… J'aimerais quand même qu'on ne démolisse pas ce qui existe… mais qu'on l'améliore, qu'on change, qu'on réfléchisse dessus…

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Je pense qu'on devrait dans l'évolution des choses penser d'emblée le problème de l'indication, le poser avant toute chose. C'est un problème qui n'a jamais été entièrement résolu de manière satisfaisante parce que les clivages entre les différentes formes d'aide ne s'accompagnaient d'une indication claire et qu'un enfant pouvait aussi bien aller là ou là en fonction de sa problématique. Posant ce problème en premier on arriverait à définir soit un seul professionnel avec des entrées différentes selon l'analyse de la problématique de l'enfant et une formation qui tienne le coup à côté, soit plusieurs professionnels mais avec des critères un peu meilleurs que ceux dont on a disposé jusqu'à maintenant.

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de formatrice a-t-elle été importante pour vous ?

…Ça a été très important dans ma vie professionnelle, quelque chose d'extrêmement stimulant justement à cause de l'aspect créatif de la fonction, c'est-à-dire qu'on est dans un cadre qui est celui des textes législatifs bien sûr, mais ce cadre je ne l'ai jamais vécu comme un enfermement, mais que je me suis sentie devoir travailler beaucoup sur le plan théorique pour répondre théoriquement et pour encadrer la pratique… J'ai dû beaucoup travailler et tout le temps avec d'autres… C'est ma réponse à la question faut-il que les réseaux restent multiples… On progresse beaucoup mieux lorsqu'on réfléchit à plusieurs même si c'est difficile, même si les solutions ne sont pas toujours évidentes… Puisque j'ai repris mes études très tardivement, mon DEA est de 89, soit 20 ans après la maîtrise et je n'ai pas eu de mal (…) à me situer théoriquement ce qui veut dire que dans le fil des formations chacun a continué à progresser en intégrant les apports théoriques qui surgissaient… sinon après 20 ans de silence universitaire je me serais trouvée en décalage avec les contenus du DEA de psychologie clinique et psychopathologie… C'est pour moi une évaluation tout à fait personnelle de la manière dont ont pu fonctionner les équipes de formateurs…(…)