Entretien E28 Pierrette

Age : 57 ans

Profession : A la retraite depuis cette année, Maître formateur en Centre de Formation pour l'option E et pour l'option G

Diplômes : CAPES de lettres modernes, DEA de Linguistique

Pierrette : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Pierrette : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Café /Restaurant

Durée : 2 heures

(…) A partir de la création des GAPP, les nombres de RPP et RPM sont devenus significatifs. C'est là qu'on a eu une utopie. On a cru qu'il y allait avoir des GAPP partout et que ça allait régler les problèmes. Mais non, il n'y avait pas assez de postes, les GAPP n'ont pas été créés partout… Les secteurs ruraux, c'est ça qui a été transformé avec les rééducateurs, il y a des secteurs ruraux maintenant qui sont pris en compte alors que les GAPP n'étaient que dans les villes. Voyez… changement de mentalité au niveau des enfants c'est-à-dire qu'on ne les pensait plus comme handicapés mais comme en difficulté et il fallait agir à la fois sur l'école et sur le milieu… ça a commencé dès la création des GAPP. Historiquement RPP c'était langage donc c'était primaire et RPM, c'était corps, c'était maternelle. Mais ça s'est vite élargi et les RPM ont travaillé un peu sur le langage, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas découpé l'enfant en rondelles, ils travaillaient majoritairement en maternelle, les RPP s'occupant plus des problèmes de lecture mais bon... on ne peut pas mettre d'un côté le langage et de l'autre le corps...

Déjà à l'époque des premiers RPP et RPM sur le terrain…

Il y avait déjà des "mélanges".

Oui, des mélanges, alors la coupure n'était pas nette…

C'est-à-dire qu'elle était nette dans la nomination mais pas nette dans les faits. Très vite des gens ont fait plus que ce qu'on leur demandait et ont fait différemment… Mais c'est toujours comme ça… la pratique se met en place sur le terrain avant que les lois, les décrets ne se mettent en place… Si une loi ne correspond pas à un changement de mentalité, c'est un cautère sur une jambe de bois. Là, c'est vrai qu'il y a eu une évolution à l'intérieur même des rééducateurs. Déjà le RPP pouvait avoir une formation directe et les RPM étaient obligatoirement des gens qui étaient passés en classe de perf ou… Il y a eu des RPP "reconversion". Au moment de la réflexion sur le profil R, on s'est battu - comme rééducateurs - en demandant à ce que les rééducateurs soient tous "reconversion". L'état… ça ne pouvait pas passer… Maintenant que j'ai réfléchi à ça, ce n'est pas la voie directe ou la voie reconversion qui fait la qualité de quelqu'un. On se battait pour une formation longue. Mais en ce qui concerne les personnes, ça ne se recoupe pas : vous pouvez avoir quelqu'un qui a fait une formation longue et qui soit complètement "patate" sur le terrain et quelqu'un qui sort de n'importe quelle autre formation, qui ait été infirmière et qui rentre et qui est capable tout de suite de faire bien… ça ne se recoupe pas… on se battait sur la durée de la formation. Mais l'Education Nationale n'était pas d'accord parce que la durée de formation, ça veut dire cadre A, comme pour les professeurs d'école… les conséquences financières, c'est un fait, je ne porte pas de jugement.

Indépendamment des conséquences financières, vous laissez entendre que la formation en elle-même n'a guère de poids par rapport aux qualités de la personne qui se révèle douée ou non…

Oui, la formation ne fait pas de miracle… il peut y avoir en formation directe des gens remarquables sur le terrain et des gens qui sont en formation longue et qui sont nuls… Pour revenir au changement de formation, on s'est appelé R pendant un moment et après E. Les textes sont arrivés et on a fait la formation E et G mais en gardant des troncs communs E/G. On a toujours gardé des cours communs, des formations communes et on s'est battu pour ça. (…) C'était les mêmes profs qui assuraient les cours de part et d'autre. Quelquefois on a tâtonné, on a fait des cours communs en amphi, c'était un échec parce que les enseignants qui viennent en formation, ce ne sont pas des étudiants… Ils n'ont pas la mentalité étudiante, ils n'aiment pas les cours d'amphi, ils aiment être cocoonés en petit groupe… On a tout tenté pour faire une formation commune… Il y a eu un problème, le RPP couvrait… Il y avait DI, TCC, RPP, RPM. Le DI, c'était les classes de perf, les classes d'adaptation, le RPP et le RPM, c'était les rééducateurs. Quand on a viré les DI, le E recouvrait une partie des DI, c'est-à-dire les classes d'adaptation, le D recouvrait une partie des DI, c'était les classes avec gros handicap ou classes dans les hôpitaux… Et puis l'ancien RPP… c'est le regroupement d'adaptation et le RPM n'existe plus… Il y a le G mais le G ce n'est pas un RPM. Alors nous, on venait de RPP/RPM, toute l'équipe on avait réfléchi à la formation R, nos stagiaires G à la fin de l'année, ils se sentaient G mais nous on ne savait pas ce qu'ils étaient. Eux, dans la formation, ceux qui ont essuyé les plâtres, ils se sont sentis G, mais nous on ne savait pas vraiment si on les avait formés G… On fonctionnait encore avec nos anciennes étiquettes… Ce que je regrette personnellement, c'est que le G, à quelques rares exceptions près, ne fait plus de travail de rééducation ou d'aide spécifique en ce qui concerne le langage. Il a abandonné ça au E qui travaille en regroupement d'adaptation mais qui n'a pas le temps d'intervenir en maternelle… C'est mon avis personnel… On a laissé la place libre à tous les orthophonistes du privé, alors que tous les enfants ne relèvent pas d'orthophonie et que tout un travail que j'avais fait sur l'acquisition du langage avec soutien corporel avec Baron (?) personne ne l'a repris.

Est-ce que vous pouvez parler des rivalités Education Nationale et Santé ?

Ah ça oui… Les rivalités sont claires. La formation santé est très pointue sur le plan théorique et technique… - dans le groupe Lentin, on travaille avec des orthophonistes santé -… Elle est très pointue mais les gens n'ont pas la base d'instituteur. On a eu aussi des rééducateurs qui sortaient de l'école normale… qui n'avaient jamais vu une classe non plus. La différence serait sur : comment percevoir les difficultés d'un enfant si on n'a pas vu un enfant tout venant ? J'ai d'abord vu des enfants de tout âge et seulement j'ai pu me dire tel enfant, sa difficulté est liée au fait qu'il n'a pas la nourriture verbale chez lui ou parce que c'est un gamin trimballé le matin chez la nourrice, il n'a pas d'heures de sommeil etc… ou c'est un mauvais accrochage avec l'instit ou effectivement il y a un problème mental ou relationnel… je savais ce que c'était qu'une classe normale et qu'une classe difficile… Il me semblait plus facile et il me semblerait meilleur avant la formation d'avoir fait tous les niveaux de scolarité parce que la rivalité existe à l'intérieur de l'école et d'essayer de voir ce qu'est un enfant à un âge donné face à des apprentissages et face au monde relationnel. C'est une utopie, je le sais mais je mourrais avec cette utopie parce que ça me semble quelque chose d'important… Alors la rivalité orthophonie… les psychomotriciens aussi, c'était des gens formés avec une technique remarquable, ils pouvaient être très bien mais ils n'avaient aucune idée de ce que pouvait être un enfant et l'école… aucune idée. Donc quelquefois il fallait qu'ils aient la volonté d'aller chercher. Chasse gardée aussi… Si on a fait la formation R c'était parce que RPM c'était profession paramédicale, psychomotricien c'était paramédical et qu'on empiétait, on ne pouvait prendre des enfants en rééducation sans risquer de se faire taper sur les doigts par la Santé. L'Education nationale l'a très bien vu. RPP ça se rapprochait de l'orthophonie… Les orthophonistes commençaient à lever des pancartes. Donc pour régler tout ça, on a fait une formation R, la seule qui était typiquement Education nationale. Donc derrière les formations il y a un changement d'optique sur la vision des enfants mais il y a eu aussi une sauvegarde par l'Education Nationale de ses rééducateurs… ça on ne peut pas l'écrire aussi clairement que ça, on peut l'argumenter dans une discussion avec un jury mais on ne peut pas l'écrire parce que c'est le moyen que l'Education nationale a trouvé pour sauver ses rééducateurs. Elle les a sauvés jusqu'à maintenant même si partout les gens crient au scandale "le rééducateur est perdu etc…" mais il faut dire que deux professions paramédicales levaient leur boucliers… deux professions paramédicales remboursées par la Sécu et nous on agissait gratuitement dans l'école. Où ça ne va pas non plus c'est que maintenant comme il manque des gens, on a ouvert la porte aux orthophonistes. A certains endroits, il y a des orthophonistes qui interviennent encore dans l’école sous prétexte d’intégration. Il y a un enfant intégré, on peut prendre quelqu’un de la Santé parce qu’il a par exemple un handicap moteur mais également une orthophoniste... ça permet aussi de prendre la place... C’est là que tout le personnel spécialisé Education Nationale a vu rouge... Il y a des associations, telles la FNAREN, qui connaissent cet historique. On a nous-mêmes été parfois la cause de ratés, c’est quand la direction des écoles a essayé de voir quelle était la répercussion du travail des maîtres spécialisés sur le terrain... Il y a eu une enquête nationale qui a été faite et il faut dire que l’enseignant en général a horreur d’être évalué et les gens ont réagi négativement alors que c’est vrai que je connaissais très bien le gars qui devait faire l‘enquête, il s’appelait Jean-Louis Ducoing, il a travaillé sur les classes d’adaptation, sur les GAPP et ça a débouché sur un refus de la majorité des enseignants spécialisés et comme ils ont refusé d’être évalué c’est quelqu’un qui a fait une évaluation tout à fait négative, c’est Mingat. Eric Plaisance a fait alors une réponse terme à terme remarquable à Mingat sur le plan sociologique, de même qu’un psychologue célèbre.... qui a fait une réponse par rapport aux items. C’est de notre faute... J’étais au Centre et j’avais beau dire aux rééducateurs : vous ne vous rendez pas compte en refusant l’évaluation, vous vous donnez des bâtons pour vous faire battre et ça n’a pas loupé... C’est une défense à court terme, à long terme, on s’aperçoit que ça n’a pas payé. Là, je vous donne mon avis. Mingat a fait énormément de mal. Heureusement que des chercheurs ont refusé de nationaliser l’enquête... C’est très compliqué... Il y a des aspects sociologiques, des aspects syndicaux, corporatistes, des aspects d’évolution des mentalités et des réflexions sur ce que c’est que l’enfant en difficulté. J’en arrive à penser maintenant que l’enfant en difficulté n’est pas un enfant handicapé, ce n’est pas lui qui doit être catégorisé, c’est l’enseignement qui doit s’adapter à l’enfant. Il faudrait qu’il y ait des personnels spécialisés mais que l’enfant lui ne soit pas dans une filière spécialisée, sauf les handicaps. L’enfant n’a pas à être étiqueté « spécialisé » mais il faut du personnel formé, un instit qui ait des bases suffisantes, dans les IUFM, ils essaient mais il n’y a rien pratiquement sur la maternelle, sur l‘AIS. Il faudrait continuer à garder un personnel qui ne dise pas qu’il fait partie de l’enseignement spécialisé mais qui ait une formation pointue... Pour moi, ce n’est pas tout à fait pareil... Pour moi, ce n’est plus le gosse qui est spécialisé mais... A mon avis ce qui a été fait, maintenant qu’on a tous les textes complets sur l’AIS, c’est bien, il y a tout : la refonte des classes spéciales, la loi d’orientation... On a tout et c’est bien pensé... Il faut dire qu’à ce moment-là c’était Jospin et que Jospin avait un père directeur d’établissement spécialisé dans le Sud, il savait de quoi il parlait... C’était un personnage le père Jospin... (...) C’est celui qui a introduit le plus de cohérence entre les différents textes. Il faut relire la loi d’orientation... Ce qu’il y a de bizarre, c’est que les gens qui ont fait le plus de travail dans ce sens-là, c’est-à-dire les CEFISEM, les gens qui travaillaient auprès des enfants en difficulté, le GEDREM, le GFEN, tous ces groupes un peu progressistes ont en fait renâclé à partir du moment où c’est devenu texte officiel. Là encore j’ai relu des textes anciens, ça c’est toujours passé comme ça... A partir du moment où c’est officiel les gens à la pointe ne veulent plus rentrer dans le carcan. Quand on lit la loi "l’enfant au centre de l’éducation", il n’y a rien de plus merveilleux que cette phrase-là... Mais c’est l’Education Nationale qui est comme ça. Depuis les hussards noirs de la République, le personnel est constitué de gens impertinents, de frondeurs... Mais c’est ça qui nous a fait tous progressé... Quand quelque chose arrive de bien ou pas bien, il faut toujours critiquer...

Je voudrais maintenant revenir plus précisément à ma grille d’entretien. Quels sont les cinq mots qu’évoque pour vous l’expression " enfants en difficulté " ?

Mauvaise adaptation réciproque, alors ça inclut l'école avec un E, ça inclut l'enseignant, ça inclut l'enfant-élève et ça inclut le support de médiation, ce sur quoi on travaille. "Enfants en difficulté", je chercherais à savoir où ça coince, à quel endroit, si c'est l'enfant à l'école, l'école à l'enfant. Je pense en ce qui concerne l'école aux travaux qui ont été faits par l'association ACCES, Tony Lainé, Diatkine, dans le XIIIème, tout un travail où des gens apportent des livres de bibliothèque dans des PMI, dans des lieux où les nourrices attendent, où les parents sont là... Je pense aussi à ATD quart monde...

Je retiens seulement la première expression mauvaise adaptation réciproque, le reste c'est un développement n'est-ce pas ?

C'est ça... Après, c'est les moyens : hors ou dans l'école. Hors école, je pense à deux associations ACCES et ATD quart monde. Dans les deux cas, ce sont des gens qui travaillent pour préparer les enfants à s'adapter à l'école. ATD, avec Lentin, ont fait un bouquin sur comment faire pour que les enfants avec les pré-écoles familiales et les pré-écoles arrivent à l'école maternelle en ayant déjà l'habitude, alors qu'ils vivent dans des taudis... ATD, ça a été fait par Wresinsky, c'est parallèle à Emmaüs avec l'abbé Pierre. ACCES c'est fait par des psychiatres, psychanalystes dont Diatkine et Tony Lainé et Marie Bonnafé. Ce sont eux qui ont démarré l'association qui est d'apporter des livres là où les livres ne sont jamais.

A quels autres mots ou expressions pensez-vous à propos d'enfants en difficulté ?

Tristesse, jachère en pensant à un champ non cultivé : il a des possibilités non utilisées, je dirais aussi risque dans l'avenir, c'est-à-dire pas de réussite, échec, difficultés multiples, risque de tomber dans la délinquance, la drogue etc... manque de défense... Je pense à l'avenir à court terme, à moyen terme et à long terme. Je dirais aussi malaise des parents face à l'institution et face au pouvoir de l'institution. Quand notre fils a échoué en seconde et qu'on s'est trouvé devant un tribunal au lycée, je m'en rappellerai toujours, je me suis décentrée et j'ai pensé aux parents qu'on faisait venir parce que leur gosse était en échec...

Est-ce que vous pouvez retrouver le visage d'un enfant en difficulté scolaire ?

Oh oui, j'en ai deux...

Est-ce que vous pouvez retrouver les émotions qui vous animaient face à lui - à un seul sur les deux, ça suffira ? Comment réagissiez-vous dans cette situation-là ?

J'en ai deux pourtant et j'en ai parlé dans mon discours de retraite. Il y en a un que j'ai sauvé de la maladie mentale, ça j'en suis sûre. C'était un enfant qui était prépsychotique et qui a appris à lire, qui travaille maintenant et qui continue à venir me voir régulièrement. Il travaille maintenant à la ville de Rouen, il est inséré socialement, il a une petite fille, ça se passe bien et une deuxième, elle est aussi employée à la mairie et elle, c'était une enfant complètement sauvage et j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait peut-être pas faire, j'en avais longuement parlé avec des collègues... C'est une enfant qui se débattait comme un chat, je la prenais dans mes bras et je la menais de force dans la salle et là, je l'apprivoisais et ça a marché... Mais elle, elle ne se souvient plus de moi.

Et quelles étaient vos émotions dans ces moments-là ?

Mes émotions... J'ai un troisième cas... C'est une émotion que je n'ai jamais maîtrisée, c'est dans un stage à la formation Vallée où je me suis trouvée devant une enfant psychotique qui me caressait le visage, alors que je n'aime pas, que je suis bavarde mais très pudique. Elle a touché l'endroit sensible et j'ai été démunie... Dans les deux autres cas mon émotion, c'était, je vais mettre un grand mot avec des guillemets, je me suis "sacrifiée" pour eux. C'est vrai que mes enfants m'ont reproché et mon mari récemment de m'être plus intéressée à mes enfants d'école... Il y avait une forte jalousie avec mes enfants réels. "Mes enfants d'école, me disait ma fille, comptent plus pour toi". Mon mari m'a dit "ton boulot et tes enfants ont compté plus que moi"...ça, ça ne passera pas... L'émotion que j'ai eu avec ces deux-là, c'était un défi et en même temps j'étais malheureuse pour eux... Je me sens Saint Bernard quelque part... Je ne conçois pas que de travailler pour autre chose que pour l'autre. Je me suis dit récemment que si je n'avais pas été enseignante, j'aurais été sage-femme ou petite sœur des pauvres... Il faut que je partage... J'adore partager, ça me fait plaisir à moi mais c'est aussi utile pour les autres. Pour ces enfants-là, le défi c'était de parvenir à les socialiser, à leur apprendre des choses alors qu'ils ne voulaient pas. Le premier c'était en classe de perf, la seconde quand j'étais rééducatrice, la troisième en stage et là je me suis dit jamais d'enfant psychotique, ce n'est pas pour moi, j'ai vu mes limites, c'est bien mais c'est en même temps éprouvant... C'était un défi, en même temps je voulais les rendre heureux malgré eux, défi et besoin pour moi... de faire quelque chose. Je n'ai pas envie de travailler avec des gosses qui réussissent, ça ne m'a jamais trop intéressée... J'ai envie de travailler avec des gosses pour lesquels c'est nécessaire, pour que je sois utile... et je continue à avoir besoin de me sentir utile... Donc je vais raconter des histoires aux enfants à l'hôpital dans une association l'école à l'hôpital, c'est bénévole parce que je me dis "mon petit-fils a été hospitalisé une fois, il y a des gestes techniques nécessaires mais il y a aussi besoin de tendresse... Je travaille avec les nourrissons le mercredi matin et le jeudi après-midi avec les plus grands, je leur lis des histoires, je leur parle, je suis là... Il y a les parents qui viennent me raconter à quel point ils sont anxieux... Je ne suis pas psychologue, ce n'est pas mon boulot mais en même temps, je me sens utile.

Est-ce que vous pouvez évoquer maintenant un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quelles étaient les émotions qui l'animaient ?... Comment réagissait-il ?...

Un instit face à mon fils quand il était en échec en lecture... C'était horrible... Parce que c'était quelqu'un de violent... J'avais beaucoup de mal à ne pas le juger... ça, j'ai toujours essayé de ne pas juger les gens mais quelquefois c'est difficile... J'essaie toujours de servir de tampon entre l'enseignant et l'enfant mais c'est très difficile de ne pas juger... Là ce sont mes limites que je vois... (...)

Comment se comportait-il face à votre fils ?

C'était un homme, il le dédaignait complètement et il lui cognait dessus quand le gosse ne faisait pas ce qu'il fallait. C'était l'année où j'étais en stage. En plus, il était racketté, il a fallu qu'on s'en occupe nous-mêmes... Le racket ça ne date pas de maintenant. On ne déshabillait pas un gamin, mais on lui demandait des petites voitures... Non, c'était quelqu'un... je me dis que j'ai encore un peu de mépris pour cet homme parce que... comme il était tellement dominé par sa femme, qu'il se défoulait sur tous les gosses. (...) Il y a des profils, je pense qu'il y a des gens qui sont faits pour être infirmiers, il y a des gens qui sont de très bons organisateurs d'établissement, et on a des profils et on n'est pas tous bons partout... Il faut trouver sa place.

Pour aborder un autre centre d'intérêt, quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

(rires) Réseau d'Aides Spécialisées...

Et si on sort de la signification exclusive des lettres du sigle ?

Réseau... Je pense à A. Bony et à son réseau, à la résille qui couvre la France... ça évoque le rural non abandonné... ça évoque aussi une difficulté de mue... de la part des anciens rééducateurs et ça évoque aussi la nécessité de travailler en équipe alors qu'on n'est pas formé pour le faire et en plus... quand on regarde la loi d'orientation, et qu'on voit ce qui est demandé à l'enseignant tout venant, à tout le monde - savoir animer des groupes, savoir parler aux parents, savoir travailler avec d'autres professionnels dans l'école, hors école, on ne leur apprend pas à faire tout ça et c'est énorme… C'est un changement complet de fonction… donc difficultés. Le RASED ça inclut ça, difficultés à une nouvelle forme de travail si je résume.

Dans votre réponse, j'ai retenu comme mots clés : Réseau, rural non abandonné, équipe, formation insuffisante, difficultés. Ces mots ou expressions vous conviennent-ils ?

Oui, oui… Mais c'est difficile… Les instits de rural qui étaient complètement délaissés et qui quelquefois avaient des enfants en grosse difficulté, maintenant ils ne sont pas complètement abandonnés… Mais c'est un peu du saupoudrage… La difficulté de travailler ensemble dans l'école et hors l'école, je reviens à quelque chose que je n'ai pas complété tout à l'heure, ce sont les rivalités à l'intérieur de l'école. J'ai toujours entendu l'instit de CP dire que les grandes section ne faisaient pas leur boulot et j'ai toujours entendu dire les profs de sixième dire que les maîtres de CM2 ne faisaient pas leur boulot et les gens de CE2 que les CE1 n'avaient pas préparé les enfants au changement de cycle… Maintenant le changement de cycle c'est pareil… C'est pour ça qu'il faudrait que les enseignants passent à tous les niveaux pour qu'ils sachent bien qu'un enfant qui rentre à l'école maternelle à trois ans ou à deux ans, il ne sait pas se mettre en rang, il ne sait pas partager ses jouets et que quand il passe en CP, il sait déjà faire tout ça… il faut prendre en compte ce qui est et non ce qui n'est pas… les manques et non pas…

Maintenant, si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit ?

Ça dépend quel maître E… maître E en classe d'adaptation ou en regroupement d'adaptation… Les lieux et modes d'exercice sont différents. Je vais prendre les deux éventualités. Classe d'adaptation, c'est être dans l'école tout en ayant une classe allégée donc ils risquent d'être en rivalité avec les autres maîtres de l'école.

Qu'est-ce que je garde ? formes variées et rivalité ?

Oui, rivalité pour la classe d'adaptation et pour le regroupement d'adaptation, je dirais risque de dispersion – plusieurs écoles, plusieurs classes - choix difficiles… oui, choix difficiles mais le E par rapport au G, il est plus centré sur une école donc c'est moins difficile pour lui que pour le G. En général il est nommé sur une école. Et pour moi, E ça m'évoque l'aide pédagogique adaptée si je m'en réfère au texte.

Et pour les G ?

Pour les G, c'est l'aide rééducative donc beaucoup plus… un risque de dispersion encore plus grand, une difficulté à répondre aux attentes et je crois. Je crois par tout ce que j'ai entendu quand les gens revenaient au centre que les maîtres ont plus envie de E que de G.

Comment puis-je noter cette idée ?

Comment le noter ? Ils semblent moins nécessaires dans les écoles, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont moins nécessaires… Les maîtres les considèrent comme moins nécessaires. Ils préfèrent user du CMP ou du CMPP… Les maîtres préfèrent les E parce que les E peuvent les suppléer ou faire le maître supplémentaire.

Est-ce que vous avez un autre terme pour les G ?

Oh oui, je dirais passionnant… Je dirais proche du travail du D et je dirais proche du psychologue, mais les limites sont difficiles… proche du psychothérapeute à certains moments mais il y a problème de limites. Il est plus facile d'être E que d'être G, c'est moins risqué. G, il y a des investissements beaucoup plus profonds.

Est-ce que vous pouvez définir le travail du maître E ?

Brièvement, c'est aider un enfant à rentrer dans les apprentissages par d'autres biais que ceux du maître ordinaire.

Qu'est-ce que vous appelez "aider" ?

Vous prenez les deux numéros des cahiers de Beaumont "Qu'est-ce qu'aider?"… Aider c'est faire en sorte que l'enfant soit non pas semblable à la norme mais qu'il s'adapte, qu'il soit bien dans sa tête et dans ses baskets et dans ses apprentissages parce qu'on ne peut pas passer au travers dans notre société, on est obligé d'apprendre à lire, à écrire, à compter… Il y a un minimum de savoirs et de savoir-faire… C'est ça que j'appelle aider, c'est faire en sorte que l'enfant… L'Ecole s'adresse à tous les enfants donc il faut des personnels spécialisés pour que certains enfants ne soient pas mis sur la touche.

Avez-vous d'autres éléments à ajouter en ce qui concerne le maître E pour définir sa pratique ?

Je dirais qu'il doit trouver de toute façon le moyen – quel que soit le moyen - de donner une "ré appétence" à l'enfant…parce que souvent il y a des enfants qui n'aiment plus…

Mais ça c'est très semblable à ce que peut faire le G ?

Le G, je mettrais plus des problèmes de comportement, de rejet… Pour le E ça serait plus de redonner "l'envie de" mais en donnant les moyens et le G ce serait redonner l'envie et ne pas aller jusqu'aux moyens. Pour les moyens, il le passe au E… enfin, en gros.

Est-ce que vous voyez des différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E ?

Oh oui, parce que le maître généraliste, il est dans la prévention tout court, il est dans les apprentissages. Il est pour un enfant qui marche. Bien sûr il doit s'adapter si un enfant ne marche pas bien, il doit s'adapter au rythme mais lorsqu'il y a décrochage, il ne peut pas traîner tout le monde, donc là il faut quelqu'un qui l'aide en équipe.

Qui aide qui ? L'enfant ou le maître ?

C'est le maître E qui va aider l'enfant et le maître tout court à soulager sa classe… ça peut être dans la classe, ça peut être en sortant de la classe… Voyez, c'est une aide à trois volets.

Est-ce que vous pouvez définir le travail du maître G ?

C'est difficile à définir parce qu'à la fois il empiète sur le travail du psy, il empiète sur le travail dans l'école et il empiète sur le travail de l'extérieur de l'école, CMPP et autre. C'est un peu le ver dans le fruit (rires)... Je trouve que le G, c'est très inconfortable, mais c'est passionnant. Le G, c'est l'empêcheur de tourner en rond. C'est celui qui va prendre un enfant pas forcément pour lui refaire faire des apprentissages mais peut-être pour l'aider à comprendre comment il fonctionne dans sa tête, avec les autres, comment les autres fonctionnent avec lui, comment il se met en situation de se faire gronder, essayer de voir ce que pourrait faire un psychologue dans les entretiens. C'est là que la frontière est ténue, ce n'est pas simple… vos questions sont difficiles…

Quels sont les références théoriques qui sous tendent la formation G ?

Ça, ça dépend des centres de formations…

Et pour votre centre ?

Les références théoriques, il y avait tout ce qui concerne le développement psychologique du nourrisson au petit enfant, on se référait aux grandes écoles de psychologie anglaise Winnicott etc… et les didacticiens s'accrochaient là-dessus aussi parce qu'ils considéraient que c'était une bonne analyse et ça fonctionnait chez les E comme chez les G. Ils avaient tous un travail sur Winnicott et ils travaillaient tous sur Anna Freud etc …

Alors en dehors de ce tronc d'études communes, est-ce qu'il y avait des champs particuliers aux E et des champs particuliers aux G ?

Ce qui était particulier aux G, c'était des formations pratiques sur le terrain et des formations personnelles en ce qui concernait des implications en expression corporelle. On ne faisait pas tout à fait la même chose chez les G et chez les E. Je prends un exemple : le travail du conte. Avec un E, on travaillait sur la structure du conte, sur la façon de récréer un conte etc.. et quand c'était avec les G, c'était semer un conte gratuitement et ne pas chercher à savoir comment ça allait ressortir…C'était l'angle d'attaque qui était différent… Ce n'est pas la médiation, c'était la façon dont on l'utilisait. En G, on travaillait beaucoup dans la formation sur les implications personnelles lorsqu'ils faisaient du psychodrame, pour eux, pour pouvoir ensuite ne pas faire n'importe quoi avec un enfant.

Est-ce qu'il y avait des référents communs au E et aux G concernant les apprentissages ?

Oui, parce que c'était les mêmes cours et c'était considéré comme tronc commun. C'était l'utilisation après sur le terrain qui changeait.

Quels étaient ces référents théoriques ? Pouvez-vous citer des auteurs ou des livres ?

… Je travaillais beaucoup sur l'acquisition du langage donc je travaillais sur Lentin etc… sur tout ce qui était… en math il y avait tout un travail avec… c'était des gens du centre… En fait c'était un travail sur l'analyse des erreurs autant que sur l'analyse des performances…

Quelles sont les ressemblances entre le travail de maître E et celui de maître G ?

Il y en a une évidente… C'est qu'ils s'adressent aux mêmes… aux enfants en difficulté.

Est-ce que ce sont les mêmes enfants ?

Ce ne sont pas forcément les mêmes, mais savoir quelle est la bonne indication, ça c'est quelque chose… On peut s'apercevoir en prenant un enfant en E, qu'en fait ça relève de quelque chose de plus grave, de plus important que ça et d'autres fois, en le prenant en G, s'apercevoir que le E ferait l'affaire. C'est l'indication qui est toujours à faire. Mais de toute façon, un enfant en difficulté, il est toujours en difficulté.

La différenciation E/G telle qu'elle existe vous semble-t-elle pertinente ?

Je pense qu'elle va être de plus en plus pertinente parce que les G, les maîtres n'en voudront plus, ils voudront avoir un maître supplémentaire, elle va être très pertinente, il n'y aura plus d'animation G, il n'y aura plus que des postes E.

C'est ce qui se dessine en ce moment ?

Je suppose…

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Non, non, c'est complémentaire, il n'y a pas de… Toutes les fonctions dans l'école ont leur importance. Toutes. Y compris celle de directeur d'école. Il n'y a pas de prééminence. Il y a un groupe de personnes qui doivent mettre tous les enjeux, tout en jeu pour que l'enfant soit le moins malheureux possible et réussisse.

Pouvez-vous imaginer une fonction qui proposerait les deux types d'aide, une fonction qu'on pourrait appeler E/G par exemple ?

… C'est ce qui se dessine mais à mon avis non. Le G est nécessaire dans l'école, le ver dans la pomme dont je parlais tout à l'heure est nécessaire. C'est nécessaire pour faire évoluer la réflexion, c'est nécessaire aussi pour faire évoluer certains enfants, pour que certains enfants en difficulté soient aidés dans l'école et non pas hors l'école mais malheureusement ce n'est pas vers cela qu'on tend sur le plan national, sur le plan de l'institution.

Je vais reformuler ma question. L'aide de type G telle qu'elle est pratiquée actuellement pourrait-elle être regroupée avec l'aide E, chacune des aides gardant ses caractères spécifiques ? Dans cette optique, la présence G serait bien dans l'école. Pouvez-vous imaginer une telle association ?

Il faudrait que ça soit clair dans la tête de celui qui le fait et dans la tête de l'enfant avec qui il travaille et dans la tête de l'enseignant qui demande. Il faudrait que ce soit clair et je ne sais pas si c'est possible. Aux origines pour s'intégrer dans l'école, souvent les rééducateurs faisaient des ateliers, on faisait des ateliers de musique, de marionnettes ou je ne sais quoi… quand c'est clair dans la tête de celui qui le fait et dans la tête des partenaires, ça va, mais il y a des enfants qui ne savaient plus très bien où ils en étaient. Ils étaient pris en rééducation et puis ils venaient faire de la musique. C'était le même, et aussi ce n'était pas le même. Non, sincèrement, je ne sais pas…

Est-ce que vous y voyez d'autres inconvénients ?

Je dirais que c'est une question difficile parce qu'il y a des inconvénients et des avantages. Si c'est la même personne, évidemment c'est plus souple, elle peut s'adapter plus facilement aux demandes, aux besoins de l'enfant. Mais si c'est en même temps supprimer un corps de métier, c'est dommage, si c'est maintenir un corps de métier à toute force alors que les gens n'en veulent pas, ce n'est pas la peine. Je ne peux pas répondre. Je n'ai pas fait le point entre les avantages et les inconvénients. Je sais que moi quand j'étais dans ma tête, je savais bien quand je prenais un enfant en rééducation ou pas, quand c'était de la prévention, je n'avais pas du tout les mêmes attitudes, ce n'était pas les mêmes choses avec les mêmes objectifs mais il y a des moments où ça pouvait déraper. Je pense… Ce qui manque aux G dans l'Education Nationale, ce sont des groupes de contrôle, des moyens de voir s'ils ne glissent pas, s'ils ne dépassent pas leurs limites... plus pour le G que pour le E parce qu'on peut se rattacher plus facilement à la pédagogie. Quand on est G, l'enfant est trop loin de la pédagogie pour qu'on utilise la pédagogie… le risque est grand.

A votre avis le système d'aide tel qu'il existe actuellement est-il satisfaisant ?

Je ne l'ai pas vécu assez longtemps… Je ne le vivais qu'à travers les gens qui venaient en stage et les gens qui venaient en stage sont des gens qui ont des demandes… Donc je ne sais pas vraiment comment ils fonctionnent sur le terrain.

Si un jeune collègue était intéressé par un poste en réseau et vous demandait de parler des métiers de maître E et G qu'est-ce que vous lui diriez spontanément ?

J'essaierais de savoir ce qui l'intéresse le plus et en fonction de ce qui l'intéresse, je l'orienterais vers l'un ou l'autre. Là aussi il y a un profil, c'est sûr que je me ferais une idée selon certains critères.

Vous pouvez les définir ?

Je pense que celui qui risque de se faire déborder par ses émotions, je ne l'enverrais pas en G. Celui qui risque de vouloir jouer au psychologue, je ne l'enverrais pas en G. Celui qui veut faire de la pédagogie "coercitive", je ne l'enverrais pas en E, je lui dirais de rester instit et celui qui veut gouverner, je le mettrais directeur. A chacun sa place selon son désir… mais on peut avoir des désirs qui ne correspondent pas à ce qu'on est capable de faire. J'ai vu des gens qui ont suivi la formation et je regrette que pour les E comme pour les G, il n'y ait pas d'entretien préalable comme pour les directeurs. On évite des bourdes pour les directeurs d'établissement spécialisé en ayant des entretiens avec les candidats avant l'acceptation de leur dossier. Pour les E et les G, ce n'est pas légal. En principe quelqu'un postule et c'est la commission paritaire qui décide si oui ou non quelqu'un part en stage. Il faut dire qu'il y a bien des inspecteurs qui envoient en stage des gens qui les embêtent sur le terrain. Ils considèrent que comme rééducateur ou comme maître E, ils feront moins de dégâts qu'en étant dans une classe. Mais moi je crois qu'ils feraient moins de dégâts dans une bibliothèque…Il ne faut les mettre avec des enfants si ça ne va pas. C'est trop grave…

Comment fonctionnent les réseaux sur le terrain à votre avis ?

Pas en réseau… parce que les gens ne sont pas habitués. Je reviens à la première réponse : trop de difficultés à travailler ensemble. C'est trop dur pour les gens. Ils font au coup par coup, ils se débrouillent.

Dans votre centre, réserviez-vous une place pour la formation au travail d'équipe ?

Oui, oui.

Est-ce que c'était efficace ?

Oui, je crois. A certains moments, on mettait ensemble les E et les G pour réfléchir aux attentes et aux représentations des uns par rapport aux autres. Le travail sur les représentations est capital et ce serait bien de le faire avec les instits aussi. Le travail d'équipe commence par ce qu'on attend de l'autre et comment on se le représente, au sens de représentation sociologique. On attend quelque chose de l'autre et quand il ne répond pas à cette attente, on dégomme ou alors on le crédite… C'est là les représentations sur "qui vaut plus que l'autre"… Je crois qu'il faut que chacun ait sa place et œuvre dans un sens commun. C'est utopique et c'est pour ça que je crois que ça ne marche pas.

Que faudrait-il faire pour que le système fonctionne mieux, de façon plus satisfaisante ?

Tout est en place, les textes sont en place. Il faut simplement que les gens se rodent, ça va être avec le temps. Tous les textes existent encore faudrait-il que les mentalités évoluent. Il faut de la patience, une longue patience… parce que je suis optimiste

Est-ce que vous pourriez présenter la typologie des tâches effectuées par un réseau ?

Oh là, là, oui : contacts dedans / dehors, contacts avec l'inspecteur, contacts avec les parents, participation aux réunions d'école et aux orientations des enfants, c'est-à-dire la moitié du travail en administratif relationnel et la moitié du travail avec l'enfant. Il y a autant de boulot institutionnel que formel avec des enfants… les déplacements non payés… Je comprends bien les gens qui refusent d'aller dans le rural parce qu'ils n'ont plus d'indemnités de déplacement, de frais etc… je comprends.. Mais c'est la même chose pour les inspecteurs… L'Etat ne donne pas les moyens que ça fonctionne. Tout est en place, tout est prêt mais on bute sur des obstacles matériels, sur des obstacles de formation…

Quelle place accordez-vous à la prévention ?

Ça, c'est dur. D'abord je vais dire quelque chose qui me préoccupe depuis des années, la prévention, ce n'est pas seulement la maternelle. La prévention, ça peut être au CM2 avant l'entrée en sixième, ça peut être la troisième avant l'entrée au lycée. Prévention veut dire prévenir quelque chose qui risque d'arriver… Ce n'est pas une question d'âge.. et ça je me réfère aux travaux du CRESAS… Quelquefois on projette quelque chose sur l'enfant et en fait il ne réagit pas du tout comme on l'avait prévu. Il y avait des enfants en grande section maternelle qui ne fonctionnaient pas bien et on avait projeté qu'ils échoueraient et ils n'ont pas échoué et l'inverse s'est révélé vrai. On fait des projections… sans être Madame Soleil. On fait des prédictions sans savoir si elles sont justes ou fausses. Et en projetant, c'est l'effet Pygmalion mais par ailleurs il y a des constantes. Si un enfant est mutique à l'école maternelle et mutique au CP, il y a de fortes chances pour qu'il échoue. Il y a des choses qui sont visibles… si un enfant est mal, s'il pleure tous les matins c'est sûr qu'il faut essayer de trouver pourquoi, essayer d'intervenir. (…) La prévention peut être non pas individuelle, mais prévention des groupes à risque. On sait par exemple que les gens qui vivent dans les favelas au Brésil ont plus tendance à faire des maladies infectieuses, digestives, la tuberculose… Bien sur il n'y a pas d'eau potable… La prévention de groupe, ça peut avoir du sens… Mais la prévention présente aussi des risques. Si c'est étiqueter l'enfant c'est mauvais, si c'est faire en sorte que tous les enfants accèdent à des niveaux suffisants pour les apprentissages, c'est bon…

Comment concevez-vous l'évaluation des réseaux ?

Je pense que le réseau devrait s'auto-évaluer mais devrait avoir aussi une évaluation externe. Je ne pense pas qu'on soit capable de s'auto-évaluer tout seul.

Quand vous parlez d'évaluation externe, quels pourraient être les indicateurs retenus?

Déjà, il faudrait prendre le long terme. Ce n'est pas ce qu'avait fait Mingat. Et sur le long terme, il faudrait prendre en compte l'état de l'enfant au départ et l'état de l'enfant à l'arrivée, c'est-à-dire voir vraiment ce qui a évolué et ne pas le voir seulement sur une année parce que ce n'est pas suffisant… voir sur une scolarité complète… Voir également comment le travail d'équipe a pu évoluer dans une école… Par des gens de l'extérieur, à mon avis, il y des sociologues de l'éducation qui peuvent très bien faire ça, sans avoir un esprit… en ayant un esprit de chercheur et non pas un esprit partisan. Parce que l'auto évaluation qui est indispensable pour soi-même pour voir où on en est de son travail, pour une équipe, on est parti prenante. Donc il faut aussi une évaluation externe et ne pas se fixer sur un court terme, parce qu'un enfant, ce n'est pas un an…

Quels étaient vos critères d'évaluation interne pour vos stagiaires ?

On faisait des formations à l'entretien, à l'écrit et comme évaluation, on en avait deux par an, celle de fin d'année avec l'examen et celle de mi-année. Critère absolu : jamais de jugement sur le caractère et ce qui était le psychologique de la personne. On ne faisait d'estimation que sur sa participation aux cours, sur sa capacité à prendre en charge les enfants sur le terrain, son travail et sur les notes de préparation à l'examen. rien d'autre. Et l'évaluation de mi-année, on ne disait jamais : "c'est quelqu'un d'intelligent, de vif…" on bannissait ça et on faisait ça en équipe, chacun avec ses propres réflexions et on mettait une formule et on en discutait avec le stagiaire qui choisissait la personne avec qui il voulait discuter du bilan – et vice versa on était en droit d'accepter et de refuser. L'autre évaluation, c'était le suivi du mémoire, aussi bien pour les G que pour les E. (…)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Je dirais plaisir ou bonheur, parce que je ne sais pas trop faire la distinction entre les deux, équilibre, épanouissement, partage et puis j'ajouterai tolérance.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage le choix de ces termes ?

Plaisir parce qu'il me semble qu'un gosse, passer huit heures de sa vie dans un lieu qu'on n'aime pas c'est horrible, rien de plus parce que je pense que c'est déjà énorme. Equilibre parce qu'il me semble qu'un élève c'est aussi un enfant. Il faut qu'il équilibre sa vie personnelle et "professionnelle" parce qu'être écolier c'est déjà une profession entre guillemets. Il faut qu'il soit bien, pas trop polarisé par l'école et qu'il n'aime pas que la récré. Epanouissement, c'est tout ce qui concerne la psychologie. Un enfant devient adulte lorsqu'il investit dans des apprentissages qui sont le moyen pour lui de sortir d'un état de dépendance, de maternage. L'école doit être un lieu où l'enfant devient grand. Partage et tolérance, ça ne fait qu'un, l'un ne va pas sans l'autre. C'est pour ça que l'école me semble utile, c'est que c'est un endroit où se frottent des milieux différents et c'est le seul lieu où l'enfant peut apprendre à devenir un vrai citoyen, apprendre à accepter la différence des autres, apprendre à être différent et à s'accepter comme tel.

Une question un peu plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Pour moi, c'est complémentaire du travail. On ne doit pas se chercher des enfants mais on doit être présent s'il y en a besoin. On ne doit pas se chercher des clients. Mais s'il n'y a pas de complémentarité, pas d'équipe, il y a des enfants qui vont être laissés pour compte. C'est le serpent qui se mord la queue… J'étais assez contente du redéploiement des réseaux parce qu'il me semble qu'il y en a qui s'encroûtait avant… les GAPP étaient à certains endroits installés à demeure comme on est bien dans ses pantoufles. Il faut aussi parfois changer les meubles de place… Le RASED me semblait utile pour ça en ce sens qu'on faisait une analyse des besoins et qu'on pouvait redéployer mais ce n'est pas facile matériellement à moins d'avoir un camion équipé… Dans certains endroits où la population a changé, s'il n'y a plus besoin du réseau eh bien qu'ils s'en aillent… que ce soit un service et non pas parce qu'on n'habite pas loin etc… Mais c'est en pleine utopie tout ça… ça ne peut être imposé, il faut que ça soit un changement de mentalité.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Je crois qu'ils ne peuvent pas mourir. Ils renaîtront comme le phénix, ils sont déjà morts, ils ont déjà vécu des renaissances, ils sont en mutation permanente… Je ne pense pas qu'on puisse être sûr que ce qu'on dit aujourd'hui c'est la vérité. On le dit parce qu'on est dans tel contexte économique, social, et ça va changer… ça ne peut pas faire autrement. Moi, j'ai vécu plein de mutations et je suis contente de les avoir vécues et je suis contente d'y avoir participé. Mais je ne peux pas raisonner de la même façon que 35 ans plus tôt, ce n'est plus la même époque… L'école était fermée sur elle-même avec le certificat d'études, maintenant tout le monde passe en sixième. Donc le but de la lecture par exemple a évolué. Avant on apprenait à lire pour pouvoir déchiffrer les indications sur les machines… On lisait une information stricte. Maintenant il faut que les enfants apprennent à se saisir des informations dans plusieurs textes… Ce n'est plus du tout la même lecture, on n'a plus du tout les mêmes attentes de l'école dans le monde professionnel… On n'est plus rivé à un boulot jusqu'à la fin de ses jours… C'est fini. Le monde a évolué, on évolue avec le monde. (…)

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Non. (…) Il faut toujours chercher des référents théoriques, il ne faut pas seulement que l'enseignant soit celui qui lit les livres qu'on a préparés pour lui… Il faut qu'il soit capable de regarder la théorie qui est derrière, capable d'analyser… la formation ce n'est jamais terminé et l'histoire de l'éducation passée nous apprend autant que le présent. La connaissance de l'évolution des mentalités est indispensable pour comprendre ce qui se passe maintenant. Il y a un lien permanent. Celui qui se coupe du passé, se coupe de l'avenir…