Entretien E29 Thierry

Age : 56 ans

Profession : IEN AIS Formateur en Centre de Formation (Unité de Formation pour l'Adaptation et l'Intégration Scolaire) pour toutes les options

Diplômes : Maîtrise de Philosophie (70), CAPES de Philosophie, DEA de Psychologie clinique (75)

Thierry : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Thierry : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

lieu : Salle en centre de formation

Durée : 1 heure 20 minutes

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté " ?

En cinq mots ? C'est un exercice redoutable... (rires)... Lenteur... Je suis obligé d'éviter le mot difficulté puisqu'il s'agit d'en rendre compte bien entendu... Je dirais absence de contrôle de ses procédures mentales... C'est ce qui cerne les difficultés pour moi, à tort ou à raison... Le troisième ça serait l'idée qu'un enfant est en difficulté quand il n'est pas dans la problématique, quand il n'a pas les codes de la problématique dans laquelle on essaie de le mettre... Je ne les hiérarchise pas... Le quatrième ce serait le caractère non disponible d'outils qu'ils soient conceptuels, méthodologiques... Et puis le dernier élément ce serait l'idée d'une absence... je n'aime pas beaucoup l'idée d'absence parce qu'il est trop négatif et puis ce n'est jamais complètement absent... mais c'est l'idée qu'il faudrait travailler avec eux ce qu'on appelle la motivation au sens cognitif du mot... pas au sens comportemental ou affectif ou au niveau du désir... mais je crois que ce qu'il faut travailler avec des enfants en difficulté, c'est ce qu'on appelle effectivement la motivation cognitive.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Oui. C'est très très proche de ce que j'appelle au fond les codes d'une problématique, c'est-à-dire quand un enfant a des repères qui lui permettent de comprendre, d'anticiper ce qu'il doit pouvoir faire par exemple dans une situation problème... Quand par exemple un enfant... C'est lié aussi au sens d'une situation... Quand ça n'a pas de sens pour lui il ne mobilise rien en définitive mais pour qu'une chose ou une situation même au sens de situation problème ait un sens, c'est-à-dire qu'il se sente "concerné par", ce doit être quelque chose qui enveloppe à la fois son histoire de vie et qu'il est capable de mobiliser en quelque sorte et je crois que ça doit confiner dans une sorte d'intérêt intellectuel, c'est pour cela que je parle de motivation cognitive... Pour moi, travailler la difficulté avec des enfants, ça tournerait en première approximation en tout cas autour de ces cinq points-là.

Est-ce que vous pouvez rechercher le visage d'un enfant en grave échec scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et puis expliquer ce qui se passait...

J'ai vu des choses très, très... différentes. Par exemple en situation d'inspection... des enfants que je situais en difficulté. Comment je voyais qu'ils étaient en difficulté ? Je pense à une petite... Très souvent ils se trouvent au fond de la classe comme par hasard et en inspection, on va au fond de la classe... Alors c'était une enfant qui était calme, attentive... chose importante parce qu'elle n'était pas fatalement perçue comme enfant en difficulté par l'enseignante en question mais je m'apercevais que ce que disait l'enseignante glissait sur elle...elle n'enregistrait pas... elle était en quelque sorte ailleurs... Lorsqu'elle écrivait sur son cahier, c'était une lenteur importante et puis d'autre part une inadaptation à la situation... elle faisait autre chose... Tout se passe au fond comme si elle n'était pas dans le même train que les autres et comme si de manière un peu désespérée elle n'avait toujours que les mêmes choses à disposition pour travailler... donc c'est comme si elle était soumise à une sorte de répétition, livrée à elle-même en quelque sorte avec juste ce qu'elle était capable de faire... Je ne crois pas qu'il y ait eu d'attention vers elle pour essayer d'abord de lui faire prendre conscience qu'elle pouvait aller au-delà... je crois que si on s'était intéressé à elle sur le mode "qu'est-ce que tu es en train de faire ?" "Pourquoi tu fais ça ?" "Quel est le rapport entre ce que tu fais et ce qu'on t'a demandé de faire ?" "Qu'est-ce qu'on t'a demandé d'abord ?"... Voyez des choses comme ça, ça aurait pu l'aider...

Quelles émotions vous animaient dans cette situation ?

Bien, la première chose, la première chose qui m'est venue à l'idée, c'est que j'étais saisi par le fait que rien n'était fait pour elle. C'est la première chose... D'ailleurs en entretien c'est la question que j'ai posée : "Est-ce que vous savez comment elle travaille, comment elle procède, qu'est-ce qui est fait pour elle ? " Et c'est cette absence de considération... ce qui se passait c'est qu'au fond l'enseignante comme souvent avait affaire à l'élève idéal présent en chaque élève et c'était pour des caractéristiques proprement inhérentes à l'enfant qu'elle ne s'accrochait pas et donc en quelque sorte l'institutrice était mise elle-même en difficulté... C'est comme ça que j'ai compris la situation et je me disais que peut-être il faut réamorcer les choses autrement, que les enseignants aient le souci de comprendre ce qui ne va pas chez un élève... en quoi consistent leurs difficultés, qu'est-ce qu'ils en pensent eux-mêmes...

C'était donc de l'incompréhension chez cette enseignante ?

Ah oui, je pense oui... je pense qu'elle était engoncée dans une routine professionnelle, disons qu'elle s'adressait à sa classe comme si elle s'adressait à une personne collective et ceux qui ne suivaient pas étaient réputés être en difficulté mais avec l'idée qu'il y avait là une responsabilité propre à l'enfant... Et ça, ça fait partie pour moi des choses inacceptables...

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

...Bien d'abord la mobilité, la souplesse, le partenariat... le partenariat y compris auprès de l'instituteur... le mot aide au sens où c'est un complément de quelque chose qui se joue essentiellement ailleurs et en l'occurence en classe... donc pas du tout une dépossession du problème à l'égard de l'enseignant... c'est-à-dire que c'est lui qui reste responsable de l'élève qu'il a dans sa classe et tout ce que peut faire le RASED, c'est de l'aide au sens complémentaire du mot.

Est-ce que vous pouvez raconter les dernières inspections que vous avez effectuées en RASED ?

Oui. Alors c'est très différent selon qu'on s'adresse au rééducateur, au psychologue ou au maître E.

Alors on va laisser de côté les psychologues... Je m'intéresse principalement aux maîtres E et G.

E et G. Alors les dernières inspections que j'ai en tête... qui ont donc forcément un caractère anecdotique... Ce qui m'a surpris dans les dernières rééducations, parce que je l'ai trouvé assez souvent ça... ce qui m'a surpris c'est que la salle, les jeux disponibles restaient toujours les mêmes quelque soit le cas d'enfant. Tout se passe au fond comme si l'enfant avait à se décider à un environnement qui lui restait invariant alors que je me disais que dans la mesure où il y a un projet d'aide on travaille sur un ciblage - puisque c'est une aide - et ce ciblage suppose qu'on veuille obtenir des réponses sur lesquelles on va travailler... ça c'est ce qui m'a le plus souvent étonné... Deuxièmement chose étonnante, c'est que quand on pose la question, on met en difficulté le rééducateur... La troisième chose qui m'a étonné, c'est comment dirais-je, la rapidité... un peu inconsidérée à mon avis avec laquelle ils se mettent à interpréter... ça, ça m'a beaucoup étonné... par exemple un enfant grimpait sur une échelle, il me dit : "Voyez, là il veut grandir"... Alors moi qui ne suis pas un rééducateur, je lui dis : "Quand il va descendre... (rires)... Tout ça pour dire qu'une interprétation ça ne se construit pas comme ça... Ou il faut qu'il puisse en rendre raison de manière plus sérieuse... Il y a une autre chose qui m'a beaucoup surpris, c'est le sentiment que ce sont des gens qui sont toujours en train de parler en terme d'écoute mais qui saisissent d'abord l'enfant à travers des schèmes qui sont les leurs, qui sont liés à leur profession... Quand vous voyez des rééducateurs s'ils ont été formés à Tours ou à Beaumont ou s'ils ont été formés à Bordeaux, ils n'ont pas les mêmes référents... théoriques... Et le sentiment qu'on a, c'est qu'ils enferment d'abord l'enfant dans leurs schèmes. Par conséquent, qu'est-ce qu'ils peuvent écouter dans l'enfant sinon les échos de ce qu'on peut appeler leurs a priori ? Et j'ai trouvé ça... très, très limité... Et je me disais c'est peut-être le résultat d'un an de formation et un an de formation c'est insuffisant si on veut développer une écoute qui soit véritablement une écoute libérée de tout a priori même théorique... Voilà pour ce qui concerne les rééducateurs. Pour ce qui concerne les maîtres E, je suis un peu ennuyé parce que les dernières inspections que j'ai pu faire n'étaient pas probantes dans la mesure où il m'a semblé que les prises en main pédagogiques étaient en régression par rapport aux théories générales...

Vous pouvez préciser ?

Ah oui... Par exemple, il s'agissait de faire aborder des textes par les gamins... alors ça se faisait toujours par le mot qui manquait, le mot incompris alors que manifestement nous avons tous des lectures lacunaires et nous construisons du sens dans une certaine approximation... dans un premier temps et ce n'est que lorsqu'on cherche véritablement quelque chose dans un texte qu'on est obligé de raffiner l'entrée dans la lecture et que là où on avait laissé des mots incompris de côté... peut-être on en avait maintenant besoin pour sérier davantage... mais il faut avoir une raison de le faire... Alors je suis resté assez perplexe là-dessus... Et je crois que le thème sous-jacent c'est celui au fond de ce que c'est qu'une pédagogie spécialisée si elle existe par rapport à la pédagogie générale... ça m'a renvoyé à cette problématique là...

Et dans cette perspective là, quelles seraient les différences entre maître E et maître généraliste ?

C'est précisément la question que toujours je me suis posé... Il me semblait moi que... ils devaient avoir des connaissances sur le fonctionnement cognitif des enfants qui étaient plus pointues et qui leur permettaient par exemple un certain nombre de procédures et en même temps qui leur permettaient de mobiliser un certain nombre de rémédiations mais des remédiations articulées à une pédagogie, pas des remédiations qui se "substituent à"... et je pense que du côté des formations peut-être il y a quelque chose qui pêche de ce côté là... Autrement dit dans le meilleur des cas, ce qui m'a toujours semblé... si je fais le bilan de mes inspections c'est qu'en définitive le maître E était appelé à faire une bonne pédagogie, sous réserve de ce que ça veut dire là où en classe il y en avait une pas très bonne... C'est le sentiment que j'ai...

Donc si j'ai bien compris, le maître E serait là pour pallier les manques du système...

Oui... oui, oui, oui... Alors que à tort ou à raison, moi je pensais qu'ils étaient là pour aider de manière plus décisive à éradiquer des difficultés d'apprentissage chez les enfants...

Alors si je dis maître E quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

...(rires)... Ciblage de la difficulté... Déjà il y a le mot ciblage... je crois qu'il y a aussi capacité d'analyse de la difficulté... Par exemple on a un travail d'enfant, un travail écrit... quels sont les types de difficulté révélés par cet écrit ?... En plus ces difficultés, est-ce qu'elles peuvent être dites normales donc à la portée du maître de la classe, même si lui pense qu'elles ne sont pas à sa portée ou est-ce que ce sont des difficultés qui montrent qu'il y a des choses sous roche à aller gratter ? Et qui feraient que finalement la difficulté scolaire ne serait plus que le précipité de problèmes qui seraient plus graves, en tous cas situés ailleurs... La troisième chose ce serait la capacité à rendre mobilisable chez l'enfant ce qu'il sait... aussi bien en termes procéduraux qu'en termes de savoirs... donc qu'il fasse des rapports en définitive entre le travail qu'il a à faire ici et maintenant et puis ce qu'il sait déjà... Il y a peut-être quelque chose dans ce rapport là qui est à corriger... Je crois aussi que naturellement en ce qui concerne le maître E, c'est une option... par exemple je crois beaucoup plus au regroupement d'adaptation qui est provisoire, qui cible des difficultés... Il y a une élection de la difficulté plutôt que... aux classes d'adaptation qui répètent plus ou moins ce qui se fait dans la classe parallèle... Le quatrième point, on revient à ce que je vous disais pour les G, je crois beaucoup au rapport des enfants avec les codes... Ce que j'appelle des codes, c'est-à-dire des modes d'entrée dans des problématiques... Je crois qu'il y a à agir sur plusieurs fronts... sur le front cognitif bien entendu, c'est-à-dire l'entrée dans les apprentissages avec toute la capacité de modifiabilité qu'implique cette entrée là... Et puis ça passe aussi par des modifications comportementales... c'est par exemple la façon de présenter un cahier, la façon de rendre lisible ce qu'on fait, la façon de finir par croire à l'intérêt de ce qu'on fait, ça suppose aussi chez l'enseignant que lorsqu'il valorise un travail, lorsqu'il fait un affichage par exemple, il y ait une raison d'être à cet affichage et qu'il soit respectueux de ce qu'on attend de l'élève en termes finalement de productions scolaires... Par exemple qu'on ne mette pas n'importe quoi au motif que ça va encourager... Je crois qu'il faut travailler en grandeur réelle, c'est-à-dire que quand ce n'est pas beau, eh bien ce n'est pas beau... Il faut qu'il accepte mais quand c'est beau alors là en revanche, il faut le valoriser... et qu'il prenne conscience des raisons pour lesquelles on peut considérer que c'est présentable...

Et maintenant, si je dis maître G, quels sont les cinq termes qui vous viennent à l'esprit ?

Alors... naturellement ma réponse va être pénétrée des schèmes de ce que je sais du fonctionnement des rééducateurs... Ce qui paraît important et ce que en quoi je suis assez enclin à croire, c'est un moment de rupture avec la classe... Un moment de rupture pour quoi ? Eh bien pour permettre à l'enfant de se resituer dans ce qu'on appelle l'entrée dans la culture parce que je crois que c'est ça la problématique rééducative en quelque sorte...

Vous pouvez préciser davantage ?

Oui, par exemple... disons que canoniquement les enfants qui vont en rééducation ce sont ceux qui présentent ici et maintenant une inappétence scolaire mais pas seulement scolaire. Je crois qu'il y a un blocage relatif aux apprentissages... Ils ne rentrent pas dedans... non pas parce qu'ils en sont incapables mais parce qu'ils sont tourmentés par autre chose ou parce qu'ils ont des intérêts ailleurs, qu'ils ne trouvent pas d'entrée scolaire pour les motiver scolairement... D'autre part ça peut être lié aussi... Il s'agit d'enfants qui ont peut-être peur d'apprendre également parce que finalement il faut oser apprendre et que pour oser apprendre, il faut être rassuré, il faut avoir une certaine confiance en soi, il faut lire cette confiance dans le regard des autres, dans le regard des enseignants, dans le regard des petits collègues... Il me semble qu'il y a cette composante forte... Il me semble également que pour accepter cette entrée dans la culture, il faut se resituer par rapport à ce qu'on appelle la loi... Et je suis très intéressé par la loi fondamentale qui est constitutive du cadre rééducatif à savoir "pas de violence"... On ne se blesse pas, on ne blesse pas les autres et là je crois qu'on ramène l'enfant à quelque chose qui est fondamental dans la mesure où l'observance de la Loi, c'est le fondement de la société civile... Alors l'intérêt de cette coupure avec la classe c'est de remettre à leur place ce qu'on appelle les règles... Et qui sont un peu tout le catalogue des arbitraires qui peuvent rebuter les enfants parce qu'ils n'en comprennent pas le sens... Je crois que la Loi, on ne peut pas la discuter, mais les règles on peut les discuter... Et bien souvent dans les pratiques de classe c'est l'inverse qui est fait. Il me semble que le moment rééducatif, c'est un moment qui peut rompre, renverser ça et c'est une des raisons pour lesquelles il faut bien considérer que l'aide ne peut être que complémentaire de celle des maîtres, il faut que le maître le comprenne aussi ça... parce que s'il ne le comprend pas, on remet l'enfant dans la situation qui finalement lui a fait rejeter l'école...

Rupture, inappétence, peur d'apprendre, loi et règles, est-ce que voyez encore d'autres points pour le maître G ?

Oui... de manière plus générale, pour le maître G plus spécifiquement, je pense qu'ils ont un travail important à faire en amont de ce qu'on appelle les prises en charge rééducatives. Lorsqu'on lit les textes relatifs à l'organisation en cycles de l'école, à l'institution du projet de l'école... tout ça ça part de la loi de 89 en définitive... on s'aperçoit que les membres des réseaux d'aide sont présents de manière significative dans la mise en place du projet d'école dans sa construction, dans l'organisation en cycles de l'école et dans les pratiques dont ils sont pratiquement toujours absents parce qu'ils focalisent leur attention sur la prise en charge... Or ce qui est intéressant dans l'organisation en cycles, dans la construction du projet d'école, c'est que ce sont autant de façons pour l'école de prendre en compte les difficultés d'élèves dans une perspective préventive... c'est-à-dire de prendre en compte l'hétérogénéité du public scolaire accueilli... Or le problème est le suivant : l'école a donc un certain nombre de dispositifs de prévention de la difficulté inscrits dans les textes mais ces dispositifs ne sont pas fonctionnels... Donc il me semble qu'il faut prendre au sérieux la place institutionnellement marquée des réseaux d'aides dans ces dispositifs pour qu'ils aident précisémment à les rendre fonctionnels... L'hypothèse est la suivante : si on arrive à rendre fonctionnelles toutes les aides que l'école est capable d'apporter aux élèves peut-être alors qu'il y aura moins besoin de prises en charge... Donc à ce moment là le réseau d'aides jouerait davantage son rôle préventif... L'idée étant qu'au fond - et ça je crois que c'est le propre de l'AIS - il s'agit essentiellement d'éviter à l'enfant premièrement de sortir de la classe et deuxièmement tirer le meilleur bénéfice possible de sa scolarité... donc il faut jouer sur tous les claviers et attendre...

Est-ce qu'il y a des différences entre les fonctions de maître E et de maître G ?

Disons qu'il y a une différence majeure, c'est le fait que le maître G a besoin de cette coupure symbolique entre la classe au sens scolaire et puis la prise en charge au niveau rééducatif... Alors que le maître G reste dans le scolaire... pardon le maître E reste dans le scolaire, sur le ciblage de la difficulté... Cela dit peut-être que c'est se faire une représentation trop réduite de la difficulté et puis peut-être qu'il faudrait intervenir sur un ensemble plus large... ce qu'on appelle finalement la globalité de l'enfant... Il est important de noter à cet égard que la finalité du maître E, la finalité de son action, comme la finalité de l'action du maître G sont exactement les mêmes... Ce sont simplement les moyens, les détours, les supports qui changent... Disons que le maître G, lui, va plus intervenir au plan de la motivation et de la disponibilité de l'élève... même vis à vis de lui-même... alors que le maître E aurait une action peut-être, mais je ne pense pas qu'elle puisse se limiter à ça, plus technique dans le mode de fonctionnement cognitif...

Y'a-t-il une filiation historique de cette distinction ?

Oui, mais c'est très compliqué... On peut parler de la distinction entre RPP et RPM, elle qui passait déjà par un clivage entre ce qu'on appellera l'âme et le corps en termes philosophiques et donc qui a abouti à une formule en ce qui concerne les rééducateurs qui les groupe dans une même formation qui est la formation G et à partir du moment où se trouve prise en compte la globalité de l'enfant donc on ne divise pas entre ce qui est corporel ou comportemental d'un côté et ce qui serait psychologique, psychique de l'autre côté... Effectivement avec la formation des maîtres E, il y a un certain brouillage des pistes, on peut se demander jusqu'à quel point cette séparation est légitime...

Est-ce qu'il y a des différences de clientèle entre maître E et maître G ?

La différence de clientèle, c'est le problème de l'indication que vous posez là derrière... Normalement il devrait y en avoir une, si par exemple il y a... ça reste à démontrer... une différence substancielle entre maître E et maître G, autrement dit qu'est-ce le maître E ne pourrait pas faire en termes de rééducation, étant donné sa formation, inversement qu'est-ce que le maître G ne pourrait pas faire en termes pédagogiques... Or ils sont tous enseignants d'abord... Moi, je crois qu'à un certain niveau cette distinction perd de sa pertinence, en revanche, il me semble qu'il faut que les uns et les autres, à supposer qu'à terme - on ne sait jamais - ils reçoivent la même formation, qu'ils soient capables de faire des dosages qui soient différenciés... C'est plus une question de dosage dans les entrées qu'une question de terrain électif...

Existe-t-il des glissements de pratiques sur le terrain entre E et G ?

Alors j'ai surtout vu ça en CMPP... En CMPP j'ai vu des rééducateurs qui faisaient proprement ce que j'aurais bien vu faire moi avec des maîtres E, c'est-à-dire des séquences pédagogiques... Mais là encore une fois, sur le plan pédagogique on revient un peu aux limitations dont je vous ai parlé tout à l'heure... Je n'ai jamais été vraiment convaincu par ce que j'ai vu...

Y a-t-il une fonction qui joue un plus grand rôle ? Si oui pourquoi ?

Ah moi... ce que je crois... entre aide G et puis aide E... Ce qui joue le plus grand rôle, c'est la capacité d'allier les deux.

Vous pouvez concevoir une fonction unique qui allierait les deux types d'aide ?

Oui, mais il appartiendrait aux personnes de voir où il doit se situer, c'est-à-dire quelle polarité il mobiliserait... parce que quelquefois, un enfant n'est pas en difficulté parce que sur le plan cognitif quelque chose le bloquerait mais simplement parce qu'il est ailleurs, parce qu'il a d'autres intérêts et là il est évident que l'aspect rééducatif est intéressant... mais cela dit pour réintroduire un enfant dans une perspective d'apprentissage, il faut aborder les apprentissages... peut-être qu'il faut les aborder autrement et là on touche les pratiques de classe... parce que ça ne sert pas à grand-chose si par exemple le maître spécialisé le fait seul... Il faut qu'il y ait un relais avec la classe... Moi je crois que, au fond, je serais même tenté de dire que moins il y aura de prises en charge spécialisées mieux l'enfant se portera... Mais en revanche il faut poser le problème du rapport au savoir de façon suffisamment général pour essayer de voir où et de quel côté il faut agir : Est-ce que c'est l'aspect procédural ? Est-ce que c'est l'aspect dont je parlais tout à l'heure à savoir la motivation cognitive ? Est-ce que c'est l'absence de code ?

Quels seraient à votre avis les inconvénients d'une fonction unique ?

...

Vous n'y voyez que des avantages ?

Non, non, non... Mais par ailleurs je me dis que quelquefois qu'il y ait une diversité de personnes, de polarités, ça ne fait pas non plus de mal forcément... Il y a plus ou moins... La dérive la plus courante c'est qu'on ne finisse par faire que ce qui intéresse en définitive... Et donc par oblitérer chez l'enfant quelque chose qui va mal et puis qui ne sera pas entendu parce que précisément ça ne rentre pas dans les... schèmes du praticien... Donc d'une certaine façon, je crois qu'on pourrait pallier... Voyez quand on dit par exemple à un certain moment qu'on peut s'interroger... "S'interroger", je n'ai pas de certitudes là dessus, sur la pertinence de la distinction tranchée entre l'abord E ou l'abord G... mais ce que je pense c'est que si les gens travaillent vraiment en réseau, c'est-à-dire ensemble... s'il y a une souplesse de fonctionnement suffisante pour que l'ensemble des aspects soit pris en compte, je crois que ce n'est pas mal...

Le système actuel peut être maintenu

(me coupe)... il peut être maintenu mais amélioré...

Et comment pouvez-vous imaginer cette amélioration ?

Alors... je peux l'imaginer à partir d'une... je crois qu'il faut partir des pratiques de classe... C'est-à-dire de l'endroit où se manifestent les difficultés... C'est là qu'elles se voient... Il y a quelque chose dont je n'ai pas parlé tout à l'heure mais ce sont les études dirigées... D'abord il y a le mot études au sens même de "étudiant", c'est-à-dire que c'est l'enfant qui doit étudier... Pour qu'il étudie, il faut qu'il ait une documentation à sa disposition, qu'il sache où aller chercher ce dont il a besoin mais pour que ce soit disponible, il faut que dans la pédagogie normale, il soit déjà dans ce bain là... A partir de ce biais là vous avez une réinterrogation possible sur les pratiques pédagogiques... Dans les études dirigées, il y a un autre mot qui est très important, c'est le mot "dirigées"... Il y a là une formule d'aide... Moi, je verrais très bien par exemple que des rééducateurs ou des maîtres E voient un petit peu comment les enfants procèdent et qu'ils les aident là et avec le maître... C'est-à-dire trouver des formules à partir desquelles dans des situations de classe, dans les situations mêmes où les enfants manifestent leurs difficultés eh bien qu'il y ait là des personnes qui soient susceptibles d'apporter leurs aides... Les aides qui sont apportées ailleurs et dans un temps coupé de la manifestation de la difficulté, je pense que ça, ça fait quand-même problème...

J'aimerais qu'on revienne sur les référents théoriques dont vous avez parlé tout à l'heure, qui divergent selon les centres de formation. Est-ce que vous pouvez donner des lignes propres à chacun ?

Dans le détail, ça me paraît difficile... Ce que je peux vous dire, c'est que bien souvent, sur le plan rééducatif, vous avez plusieurs écoles qui s'affrontent. Vous en avez une qui dit : "La rééducation se fonde sur la psychanalyse"... D'accord... mais ça ne résoud pas le problème... parce que de quelle psychanalyse parle-t-on ?... C'est quand-même (rires)... un problème... Même si ça se fonde sur la psychanalyse, ça veut donc dire qu'on va mobiliser des concepts, mobiliser un type de savoir-faire mais quelle est sa nature ? On fait quoi exactement avec un an de formation ? Vous avez ceux qui considèrent que la psychanalyse c'est une chose mais qu'on peut très bien comprendre ça dans les termes d'une psychologie clinique... Vous en avez donc qui ont une définition purement clinique de la rééducation. Alors les effets qui sont finalement des dérives, c'est que quand on parle de réussite, d'abord elle n'est jamais évaluable, parce qu'ils se refusent à l'évaluation... la plupart du temps... La question, c'est que la réussite rééducative pour prendre cet exemple là, ce n'est pas ce qu'attend l'école... Ce qu'attend l'école, c'est la réussite scolaire, ce qui est tout autre chose... Le problème, c'est comment on va convertir une réussite rééducative en réussite scolaire? Alors il est évident que si on se veut purement clinicien ou si on se prend pour un psychanalyste, c'est une démarche qu'on ne fera pas et les raisons pour lesquelles l'évaluation est quasiment impossible se comprennent à ce niveau là...

Est-ce qu'il y a encore d'autres orientations repérables ?

Oui... Il y a une autre orientation qui essaie de concilier et c'est là que les pistes peuvent se brouiller entre les fonctions E et G, c'est une tentative de conciliation entre une démarche clinique et une démarche cognitive... Comment ça devrait se travailler ? Eh bien par exemple lorsqu'une prise en charge arrive à terme, il faut peu à peu s'orienter vers des situations scolaires c'est-à-dire des situations où l'enfant peut révéler quelque chose de lui, peut révéler quelque chose de ses progrès, de son mieux-être... parce qu'après tout l'idée sous-jacente, c'est que les rééducateurs disent : "S'il se sent mieux, il apprendra"... Ce n'est pas vrai, ce n'est pas aussi mécanique que ça... Encore faut-il le réinstaurer ou le réinstaller dans un processus d'apprentissage, de façon qu'il en tire bénéfice... Et je crois que tant que cette connexion là n'est pas faite, le travail n'est pas achevé... même du côté du personnel spécialisé...

Si on revient au RASED, est-ce que vous pouvez présenter la typologie des tâches qui sont effectuées tout au long de l'année ?

Généralement, ils font une observation des enfants dans les classes... ça c'est quelque chose qui est discuté aussi parce que quelques fois ça prend tout un trimestre pendant que ceux qui sont sur la liste d'attente pour être pris en charge attendent... D'autre part la faiblesse de cette procédure c'est qu'elle s'attache à considérer des enfants qui a priori n'en ont pas besoin et c'est du temps perdu pour ceux qui en auraient besoin, puisque par ailleurs ils se disent saturés... Leur argument à eux c'est de dire : "Oui mais finalement l'enseignant ne voit pas tout, nous, nous pouvons voir des choses que l'enseignant ne voit pas"... C'est important d'entendre des choses comme ça parce que ça veut dire qu'ils ont des indicateurs... Seulement là où le bas blesse, c'est quand on leur demande d'expliciter ces indicateurs, en vue de voir comment ils vont travailler dessus, là, vous n'obtenez rien du tout... Donc, je suis vraiment très, très sceptique sur ces moments d'observation... Moi, ce que je crois comprendre dans cet exemple là, c'est que, au fond, les enseignants connaissent les enfants. Ils ont même une certaine sûreté de jugement même s'il faut relativiser, même s'ils ne savent pas trop quoi dire au-delà mais ils sentent bien quand un enfant est fragile ou pas... Je crois que là-dessus il faut leur faire confiance, mais... il faut que l'enseignant soit capable de considérer aussi l'enfant qui ne l'embête pas... c'est-à-dire qu'il prenne au sérieux la difficulté de quelque nature qu'elle soit en quelque sorte... et qu'à partir de là il développe les procédures qui vont aboutir aux aides même si ces aides ne consistent pas en première approximation dans une intervention directe auprès de l'enfant... Donc généralement... les RASED commencent par ce type d'intervention... Alors le deuxième temps, c'est celui des prises en charge... Ils font normalement des projets d'aide... ces projets d'aide ont tendance à confisquer l'enfant, à travailler de leur côté et ça ce n'est pas la commande de l'école... La commande de l'école c'est un projet d'aide unifié et unifiant...

Et comment peut-il s'effectuer correctement ?

Alors, il y en a... Il y a un travail qui se fait avec les enseignants de façon assez diverse... Vous savez qu'il n'y a pas de temps institutionnel prévu notamment pour que le maître d'adaptation puisse participer aux synthèses ou aux discussions... Je pense que c'est un faux problème... Il suffit de le demander, on l'obtient ce temps... alors beaucoup se débrouillent par exemple pour discuter des cas entre midi et une heure et demie par exemple... Je crois qu'il existe des moyens intitutionnels de faire des choses qui sont plus sérieuses, parce que le faire comme ça à des moments perdus, c'est consacrer en quelque sorte la séparation les enseignants d'un côté, les réseaux d'aides de l'autre... Ce qui veut dire au fond que les réseaux d'aide ont très souvent tendance à fonctionner sur le modèle des GAPP... Il y a là dans le réseau un concept nouveau qui n'est pas encore assimilé, assumé, je crois... Ce qui est présent dans le concept de réseau, c'est l'idée d'éléments flexibles, mobiles, souples... devant intervenir là où il y a de la difficulté et de manière concertée...

Et que faudrait-il faire pour améliorer le système ?

Je crois que ça commence d'abord par le fait de construire... une politique départementale de l'adaptation... une politique départementale de l'adaptation, ça veut dire à l'échelle du département où sont les difficultés... Pour savoir où elles sont, sur quels indicateurs on va se fonder... Alors parmi les indicateurs importants, il y a les évaluations CE2, au tout début du troisième cycle et qui fait le bilan de ce qui s'est passé avant... C'est très très peu utilisé en général et c'est dommage parce que par exemple on apprend avec les résultats de 97 que 10 % d'élèves en début de CE2 sont en grande difficulté scolaire... avec les critères de la direction de l'évaluation et de la prospective, c'est-à-dire pas d'acquisition des compétences de base, ni en calcul, ni en français, ni en lecture... ça veut dire qu'ils sont en échec, dès le début de leur scolarité, pour ainsi dire... ça, ça ne représente que la difficulté grave... Lorsque des enfants n'ont pas d'acquisition de compétences en calcul mais qu'ils en ont en français, ils sont seulement réputés être en difficulté moyenne... ou l'inverse... Donc on arrive à un chiffre extrêmement important et naturellement ces résultats interrogent sur ce qui se passe avant... non pas qu'il faille dire : "l'échec scolaire est le résultat des pratiques d'école depuis la maternelle", non... ce serait faux de dire que l'école ne sécrète pas de difficulté mais dire qu'elle la sécrète toute ce serait tout aussi faux. En revanche la question qui se pose à elle, c'est : "Comment peut-on limiter ces dégats le plus tôt possible ?", "Comment peut-on éviter que des gamins qui arrivent en CP soient déjà dans la difficulté ?"... C'est là qu'on s'aperçoit que ce qui peut se faire au niveau de la construction du projet d'école et le projet d'école se fait sur la base d'une analyse diagnostic... donc la prise en compte des difficultés à la hauteur de l'école avec le recensement de tous les moyens dont l'école peut disposer pour lutter contre cette difficulté... y compris en termes organisationnels... Il me semble que si tout ce travail était fait et il ne peut se faire que si tout le monde travaille ensemble... il faut qu'il y ait les enseignants, les conseillers pédagogiques, les réseaux d'aide mais qu'il y ait eu aussi un travail préalable en termes de politique départementale... travail sur les indicateurs... On va se donner un objectif... On s'aperçoit que nombre d'écoles paraissent avoir au titre des évaluations nationales tel ou tel type de difficulté par exemple en français, eh bien on va essayer de travailler là-dessus...

Et quelle importance accordez-vous au travail effectué avec les familles ?

Le travail effectué avec les familles devrait se faire très, très en amont... Vous mettez le doigt sur un aspect important du partenariat... L'école actuellement connaît ou traverse une crise de crédibilité même du savoir scolaire... Je crois que les familles sont très, très importantes dans cette perspective parce qu'il faudrait au fond que les enfants puissent trouver les mêmes types d'attitude face au savoir et à l'école et dans les familles... autrement dit que les familles s'intéressent à l'école mais il faut aussi que l'école s'intéresse aux familles... en préservant les identités et en respectant les prérogatives de chacun...

Est-ce qu'il y a des différences repérables entre les relations maître E/famille et maître G/famille ?

Alors celles que je peux percevoir dans les échos qui me reviennent parce que je n'ai pas d'expérience directe, c'est que les familles... prennent beaucoup mieux les conseils, les avis, les perspectives de prises en charge en adaptation parce que tout ça c'est de la cuisine d'école... ça reste à l'école et ça ne les met pas en danger... A partir du moment où il y a une hypothèse de prise en charge rééducative, les rééducateurs disent : "il faut aller chercher non plus l'élève mais l'enfant"... à partir du moment où l'on se saisit de l'enfant, il faut l'accord des familles... Donc les familles savent et surtout avec les hypothèses cliniques ou psychanalytiques que véhiculent ces... professionnels... ça peut les mettre mal à l'aise... ça diffuse une aura significative qui peut parfois être assez sinistre... Il faut du talent... Je crois qu'il faut se rappeler qu'ils sont d'abord enseignants pour pouvoir travailler utilement avec les familles... parce que c'est vrai que faire venir une famille au motif des difficultés de l'élève, ce n'est pas facile du tout à entendre...

Est-ce qu'il y a des évaluations de résultats pour les enseignants spécialisés ou non ?

On se bat beaucoup là-dessus... Moi, je suis allé dernièrement à Niort pour une opération qui consistait dans : "Comment engager des procédures d'évaluation qualitatives des résultats de réseau"... ce qui m'intéresse c'est que la qualité du travail de réseau doit pouvoir être traduite en termes de réussite scolaire... Donc quels indicateurs ?... Je dois dire que j'ai dû faire face à des discours de résistance terribles... c'est-à-dire que chaque fois les gens dans leurs questions changeaient de terrain... alors c'était du style : "Moi comme psychologue, je ne me reconnais pas comme psychologue scolaire parce que c'est limiter l'apport psychologique etc... Nous ne pouvons pas raisonner, nous savons, nous quels sont nos indicateurs... Nous ne pouvons pas les dire comme ça... ça ne se déploie que dans les situations"... Enfin bref tout se passe au fond comme s'ils disaient : "C'est la pureté théorique et pratique de notre regard qui est incommunicable à qui n'est pas de la famille, à qui ne fait pas partie de la tribu"... Bref, c'est inévaluable... Les méthodes pour contourner ces résistances... je crois qu'il faut y aller... à la longue... Et peut-être qu'il y a des préalables... Je crois que pour poser bien le problème de l'évaluation, il faut remettre les réseaux dans la définition qu'ils ont trop tendance à quitter... C'est-à-dire que si on arrivait par exemple à faire du travail en classe avec le maître de la classe... si on arrivait à poser le problème de la difficulté ensemble... ensemble mais avec les éclairages croisés qui résultent de la distinction, de la différence des formations, là on pourrait aboutir à quelque chose d'intéressant et d'enfin dicible... Je pense que ce serait un préalable...

Comment est-ce que vous conceviez votre rôle d'IEN au sein du RASED ?

C'est un petit peu tout ça... Lorsqu'un inspecteur aborde un RASED, il se heurte tout de suite au problème des identités professionnelles... parce que ce sont des gens qui sont pleins de troubles identitaires... en clair, "Je suis rééducateur, je ne suis pas enseignant"... "Je suis psychologue scolaire, je ne suis pas enseignant"... Alors ce n'est pas vrai absolument ce que je vous dis, vous en avez qui jouent bien, qui essaient de jouer la carte complète de leurs compétences mais très souvent et c'est ça qui rend l'évaluation très très difficile, c'est qu'ils ne la jouent pas... Donc première chose, troubles identitaires... Et naturellement nous, nous mettons l'accent sur réussite scolaire donc sur la polarité enseignante des aides donc on renforce en quelque sorte ce trouble... puisque eux, c'est de l'autre côté qu'ils veulent être... Le deuxième obstacle, c'est l'incompétence notoire de l'IEN... C'est-à-dire, "Je suis rééducateur, tu n'es pas rééducateur, tu ne comprendras rien à ce que je fais"... "Déjà ce que je peux te dire, c'est tout juste si tu pourras comprendre"... Ce n'est pas complètement non plus sans fondement... Ce que je pense, c'est qu'il faut un effort du côté des IEN pour comprendre quelle est la spécificité des fonctions... Je crois aussi qu'il faut que ce soit une rencontre... Toute la difficulté c'est de ménager une rencontre heureuse, c'est-à-dire où l'IEN peut être mis en confiance par rapport aux personnels spécialisés mais où les personnels spécialisés peuvent se sentir eux aussi en confiance professionnelle... ça c'est vraiment un préalable relationnel... qui permet peut-être aussi d'avancer...

Quand vous étiez en circonscription, vous passiez combien de temps pour le réseau, en volume horaire annuel ?

J'y passais pas mal de temps, alors en volume horaire, je serais bien en peine parce que c'est en quelque sorte dilué dans l'année et puis c'est distribué dans des tâches qui sont très différentes... Vous avez d'une part les inspections individuelles des personnels... donc en situation sauf les psychologues scolaires... D'autre part vous avez ce qu'on appelle les animations pédagogiques ou les conseils de directeur ou les tâches de formation que vous leur proposez et puis troisièmement il y a la constitution d'une équipe départementale... Là il y a des options à prendre... Comment on la constitue ? Est-ce que ça va être des représentants des différents secteurs où se déploient les réseaux ? Et ça prend énormément de temps parce que si c'est par représentation, chaque fois il faut des aller-retours mais je crois qu'il faut prendre aussi ce temps parce que ce qui se fera au niveau de la commission départementale sera susceptible de bénéficier d'une représentativité effective... Tout ça prend pas mal de temps...

Vous pouvez le chiffrer ?

... C'est très, très difficile... Je ne me suis jamais posé la question sous cette forme là... Pour la réunion départementale... si je parle en termes de réunions, ça dure trois heures, trois fois trois neuf mais il y a tout le préalable, le circuit entre les réseaux eux-mêmes... le traitement des dossiers que l'on reçoit (...) alors ensuite les IEN doivent préparer avec leur personnel les endroits où ils vont aller puisque vous savez il y a la définition de zones prioritaires alors sur quoi on va définir la priorité ? ça, ça ne peut se faire qu'avec eux... Chaque fois il faut compter l'après-midi ou la matinée... trois heures... Une inspection de réseau, si par exemple vous avez trois personnes, ça vous prend un jour et demi... (...) Voilà les raisons pour lesquelles j'ai du mal à vous parler en termes de chiffres horaires...

Si on considère davantage le pôle formation, pouvez-vous citer les 3 livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Pour la formation E, je sais que... (rires)... Piaget, Vygotsky, Bruner... mais il y en a d'autres...

Vous verriez ces trois auteurs principaux dans tous les centres où il y a des divergences ?

Je crois que ça se multiplie maintenant... ça fait partie de la culture transversale... Il faudrait peut-être Wallon et beaucoup d'autres... Les bibliographies sont assez écrasantes...

Et pour les G ?

Là je sais qu'il y a De la Monneraye... alors là pour les G, je suis nettement moins au courant... mais je crois qu'ils passent eux aussi par ces auteurs là bizarrement...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

... Pour moi, c'est... se montrer apte à apprendre, c'est un premier critère... Deuxièmement être capable de mobiliser ce que j'appellerais des codes d'époque... mobiliser des codes d'époque, ça veut dire disposer des notions majeures qui font comprendre l'époque où on est... Par exemple quand on dit moderne savoir ce que veut dire moderne... ça connote l'individualisme, et donc à partir de là un certain nombre de problèmes... A partir du moment où on trouve de l'individualisme, ça veut dire que dans ce contexte on peut penser la liaison sociale, le lien politique... Voilà, c'est ça que j'appelle les codes d'époques, ce sont au fond les concepts majeurs qui permettent de comprendre une époque et ses problèmes... On peut le traduire autrement, savoir par exemple ce que c'est que le baroque par rapport au classicisme... des choses comme ça... c'est-à-dire des repères qui sont mobilisables et qui montrent que la culture est vivante et qu'elle permet à l'individu de se situer... Le troisième point ce serait... l'autonomie... pas seulement au niveau de l'individu empirique, la capacité de se débrouiller, mais l'accès à l'universel... réussir c'est aussi comprendre que la raison que cherche à promouvoir l'école n'est pas suffisante au bonheur de l'homme, parce qu'après tout on peut orienter le savoir vers des causes qui sont plus ou moins intéressantes... pour l'humanité elle-même... Et puis l'autre sens du mot réussir, je n'aime pas beaucoup cette notion parce qu'elle est essentiellement confuse, c'est les valeurs d'épanouissement... Alors à la fois elle contient le reste, ce qui permet à un individu d'être suffisamment souple, flexible pour comprendre son époque, en avoir une intelligence un peu anticipatrice qui lui permet d'être en phase avec son époque mais parce qu'il le veut bien... Ce n'est pas l'idée d'une adaptation au sens où on rend conforme... C'est au sens où on est capable de décider soi-même de ses valeurs, où on est capable de vivre aussi bien selon des habitudes de vie collective mais aussi sensibilisé à la fonction des principes, être capable de dire "là, c'est moi qui veux", " j'impose ma volonté", c'est ma volonté qui va organiser mon expérience et non pas mon expérience qui va entraîner ma volonté... Réussir, c'est tout ça et ça ne peut pas être indépendant d'un dernier point, d'un savoir vivant, mobilisable...

Comment voyez-vous l'avenir des RASED ?

Moi, je vois l'avenir des RASED un peu dans les termes dont je vous ai parlé tout à l'heure... Ce que je pense c'est qu'il faut les développer vers la définition d'un partenariat plus effectif d'une part... deuxièmement qu'ils orientent leurs actions vers ce que j'appelais les systèmes de prévention en amont des hypothèses de prise en charge, c'est-à-dire qu'ils prennent conscience que finalement leur premier travail, c'est justement d'éviter aux gamins de les prendre en charge... Ce sont les deux traits majeurs...

Si on sort du champ spécialisé, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

On revient à ce que je vous ai dit tout à l'heure, l'organisation en cycle, les études dirigées, c'est-à-dire tout ce qui peut permettre à l'enseignant d'assumer l'hétérogénéité du public scolaire... je crois que ça passe par des formations que tout enseignant est capable de suivre... Si on veut sérieusement parler d'aide dans la mesure où ça suppose qu'on s'intéresse aux individus, je ne vois pas très concrètement comment on peut le faire avec une classe de trente ou trente-cinq... Il faut trouver des moyens - même pour les décloisonnements, j'ai vu des décloisonnements faits par des gens de bonne volonté mais ils se retrouvaient avec des groupes de trente ou trente-cinq, c'est plus un décloisonnement... Si on veut faire le pari de s'intéresser aux individus, ça peut être aussi des groupes... répartis par familles, pas des groupes de niveau... parce que c'est retomber dans les filières... mais ce qu'on appelle les groupes de besoin, ça me paraît très, très précieux à certains moments... Des enfants pourraient être réunis là pour résoudre un problème particulier qui est le leur, mais une fois que c'est terminé, ils rejoignent la classe... Evidemment ça suppose que les groupes ne soient pas constitués n'importe comment... Quel va être le statut des autres ? Il faut qu'il y en ait un qui sache un peu plus que les autres mais pas trop etc... Tout ça doit être raisonné... D'autre part les groupes on ne les fait pas n'importe quand... l'idée classique de la classe n'est plus compatible avec la réalité des élèves d'aujourd'hui... Je sais aussi qu'il y a de fantastiques machines de guerres contre ce qu'on appelle l'inculcation, la pédagogie dite frontale... Il y a des moments, il faut le faire et puis quand ce n'est pas opérant, il faut faire autre chose... autrement... Les aides doivent être définies à partir de la compréhension des difficultés de l'enfant...

Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

(rires)... Je vous résume l'essentiel... Il me semble qu'il s'agit pour l'école de s'adapter au public mais de s'adapter pour avoir des chances de faire passer les exigences nationales pour tout le monde, c'est-à-dire qu'il faut que l'école soit exigente, qu'elle exige le mieux de chaque enfant même en difficulté... Tout ce qui ramène à une révision à la baisse des exigences... c'est une capitulation... Je crois beaucoup à la vertu mais pas seulement du savoir, on travaille toujours à partir de quelque chose... On est toujours dans un bain... Il faut mener finalement les enfants à la maîtrise, la compréhension du bain dans lequel ils sont, c'est la seule façon de les rendre autonomes, c'est-à-dire capables de faire dériver leurs actions de principes...

Une dernière question à laquelle vous êtes libre de répondre ou non... Pour quelles raisons êtes-vous devenu inspecteur ?

(rires)... En vérité, il y a des raisons qui sont de tous ordres... Je vais commencer par les raisons les moins anecdotiques... Quand on est enseignant dans sa classe, on a une vue extrêmement simplifiée, extrêmement réductrice du système scolaire... On ne comprend pas les choses... Si on veut les comprendre, il faut se décentrer, il faut aller ailleurs... C'est déjà une raison... En même temps c'est rétrospectif ce que je vous dis... Je ne suis pas sûr que je le soupçonnais avant... Ce que je savais, c'est que je ne connaissais que très, très peu de choses du système dont pourtant je vivais... Deuxièmement, je crois que si vous ne pensez pas que vous pouvez avoir une action transformatrice, ça ne sert à rien... Mais avoir une action transformatrice ça suppose aussi passer par un certain style de rapport avec les enseignants... S'il n'y a pas une sympathie de fond pour eux... s'il n'y a pas cette conscience... parce que personne n'est porteur de vérité... Alors s'il n'y a pas cette certitude qu'il y a une nef et que nous sommes tous dans la même nef... il faut faire en sorte qu'elle dérive le moins possible... à chacun au poste où on est... mais ensemble... Je suis très, très convaincu de ça... Si vous arrivez à rencontrer les gens et puis si les gens vous rencontrent on peut faire pas mal de choses ensemble... J'ai toujours été saisi par le fait que... j'ai vu des établissements extrêmement volontaristes, ils ont toujours eu des résultats spectaculaires et je pense que les choses, il faut les vouloir, il faut vraiment les vouloir... Cela dit, il y des raisons plus anecdotiques... Quand vous avez six classes en philo, trente, trente-cinq élèves... pour le bac... il faut qu'ils écrivent... ça veut dire qu'il faut corriger et vous finissez par être noyé sous un océan de copies et à force vous ne pouvez plus lire et vous-même, vous sentez que vous n'avancez plus... Besoin d'air, de souffler, de prendre une distance... et je crois que le fait de préparer le concours républicain permet de retrouver ce souffle...