Entretien E32 Gwladys

Age : 44 ans

Profession : Formatrice à l'IUFM pour l'option E

Diplômes : Licence de psychologie, DEA de Sciences de l'Education, CAPSAIS E, CAFIMF.

Gwladys : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Gwladys : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Salle de l'IUFM

Durée : 1 heure et demie

Note : L'entretien s'est déroulé en deux parties. Il a été entrecoupé par le partage du déjeuner, moment où les échanges se sont poursuivis sans être enregistrés.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant difficulté" ?

Difficultés scolaires, difficultés familiales, difficultés sociales... difficultés d'adaptation, difficultés psychologiques.

Pouvez-vous développer ce que vous entendez par ce que vous venez d'évoquer ?

Pour moi un enfant en difficulté, on a souvent du mal à cerner les causes de ses difficultés. Souvent il y a plein de choses qui se recoupent... quand je pense à un enfant en difficulté, je pense à quelque chose de très global qu'on peut affiner à partir des raisons et des remédiations à faire pour que ça s'améliore... il y a quand même un regard assez global à avoir au départ. Difficultés scolaires, on voit à l'école qu'il y a des difficultés par rapport aux apprentissages. Qu'est-ce que ça veut dire ? On peut se poser la question. On voit aussi que les familles sont en difficulté. Les parents viennent parler d'un tas de choses ou alors elles sont en rupture avec l'école. On voit qu'il y a une problématique familles /école, familles /apprentissages ou familles /savoir... on voit aussi souvent que ce sont des familles en difficultés sociales, soit le père au chômage soit des difficultés d'ordre plus culturel, difficultés pour s'intégrer dans la société, difficultés d'images qu'ils ont d'eux-mêmes... (...) il y a aussi des enfants qui sont couvés, qui ont une place dans la famille... comment dire ? qui ont un rapport en symbiose à leurs parents, qui ont du mal quand ils sont à l'extérieur, à l'école, à la MJC, dans tout un tas d'activités de leur vie d'enfants, qui ne peuvent pas parce qu'ils n'arrivent pas à couper, donc ils n'arrivent pas à s'adapter à d'autres situations que la symbiose familiale, ça peut être une symbiose ou ça peut être autre chose... je l'ai vécu vis-à-vis de petites filles très fermées, complètement ficelées à leur mère, ou des femmes seules qui avaient une relation très symbiotique avec leur garçon... des tas de choses qui m'ont été dites, des tas de paroles de parents sur des choses de cet ordre... difficultés psychologiques, ça m'évoque des enfants en souffrance surtout, pour tout un tas de raisons, en souffrance par rapport à leur intégration, par rapport à leur vécu relationnel avec les adultes, avec les enfants, au niveau de l'apprentissage ou de ce qu'ils vivent avec les autres.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté, un seul, avec qui vous avez eu l'occasion de travailler ? Pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui se passait autour de lui, ce qui était fait pour lui etc. ?

Je vois une petite fille en moyenne section de maternelle, qui n'arrivait même pas à descendre les escaliers toute seule, qui était portée, amenée dans les bras par sa mère, qui était dans la difficulté à prendre de la distance, qui avait dans la classe du mal à s'adapter par rapport aux autres, du mal à accéder aux différentes activités, aux différents contenus d'enseignement... et à avoir de l'autonomie un minimum par rapport à l'apprentissage pour pouvoir agir. C'était une enfant très inhibée, qui avait beaucoup de mal à parler, à prendre position. Elle faisait par imitation d'une autre élève qui la maintenait sous sa coupe... Au niveau de ce qui a pu se mettre en place, il y a eu un travail avec la famille, un travail en lien aussi avec l'assistante sociale, un travail classe/ réseau sur des moments où elle était sortie de la classe avec d'autres enfants pour que des relations puissent se créer dans un plus petit groupe, en étant moins noyée dans la masse, pour commencer à amorcer un travail au niveau de l'autonomie y compris corporelle, s'habiller, et puis un travail de tutorat... qu'elle puisse prendre en charge, petit à petit, d'autres enfants dans la classe des petits. C'était lui donner une responsabilité, qu'elle-même puisse jouer un rôle de responsable par rapport à d'autres... C'est quelque chose qui avait très, très bien fonctionné parce qu'elle s'était du coup permis d'autres choses dans la classe en tant qu'élève. Il y avait eu toute une progression sur le comportement psychologique, le lien avec les parents, et puis au niveau compétences scolaires, un travail en lien entre maître E et enseignant de la classe... comment dire ? Sur des exigences, ce n'était pas un bébé, c'était une gamine comme les autres, c'est-à-dire des exigences et une aide pour atteindre ces exigences, qu'elle ne se trouve pas en échec mais puisse rentrer petit à petit dans les apprentissages avec un réseau de copains autour...

Si j'ai bien compris, c'est vous en tant que maître E qui vous étiez occupée de cette petite fille ?

Oui, c'est ça.

Comment avait été décidée l'indication d'une aide de type E plutôt que G ?

Alors, il y avait déjà eu une aide de type G qui avait été mise en place en début d'année... ça été un faisceau d'aides... au fur et à mesure qu'il se passait des choses, on a réajusté. Il y a d'abord eu pendant un trimestre et demi une aide de type G avec un travail en lien avec la famille. Et puis, ça n'évoluait pas. La rééducatrice qui l'avait pris en charge trouvait que le trop petit groupe dans lequel elle était ne lui avait pas permis d'avancer. On s'est dit qu'en apportant des choses au niveau des apprentissages, ça pourrait aussi permettre de débloquer en parallèle. En lien avec la maîtresse, on avait dit : « on va essayer autre chose »... il y avait déjà eu un chemin de fait, mais ça plafonnait. Donc on a donné cet axe plus au niveau des apprentissages pour l'aider à reprendre sa place dans la classe. On avait travaillé au niveau du langage, au niveau des puzzles, donc des choses très concrètes parce que c'était plus facile pour elle, des choses qui ne demandaient pas un investissement au niveau du langage. On avait travaillé beaucoup à travers le dessin, à travers les puzzles, les jeux mathématiques de positionnement et en même temps un travail sur le langage. On essayait de le lier c'est-à-dire de plus en plus débloquer la parole. Mais c'était dans un groupe plus grand.

Il y avait combien d'enfants ?

Ils étaient cinq. Avec le maître G ils étaient deux. Même, un moment elle a été prise toute seule. Après le maître G a dit : « non, c'est important pour cette petite fille... » donc elle l'avait mis avec un petit garçon, puis finalement elle avait fait un petit groupe de trois. Il y a eu toute une progression... et puis à un moment, elle pensait qu'il fallait faire un travail par les apprentissages. Elle aussi elle travaillait... mais je ne connaissais pas exactement le contenu de ces séances.

Vous en parliez en synthèse ?

Je n'ai pas suivi l'évolution de manière très précise, les synthèses, c'était plutôt la rééducatrice avec l'enseignant et avec la psychologue mais c'est seulement quand s'est posée la question : « Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir une autre action ? », que je suis arrivée dans la synthèse.

Vous participiez irrégulièrement aux synthèses ?

C'était spécifique pour cette petite fille... En début d'année il y avait un travail sur comment on se partageait le travail, comment on faisait l'évaluation de départ... mais je n'y ai pas été associée sur la durée.

Quels étaient les liens avec l'enseignant ? Quels étaient les échanges ? Comment travailliez-vous ensemble ?

Les échanges n'étaient pas très nombreux mais à certains moments clé, on se rencontrait. C'était un peu des retours de comment elle réinvestissait des choses dans la classe. Mais c'était ponctuel. Si vous voulez, ça s'est passé assez en fin d'année puisqu'il y a eu tout l'autre travail avant. Il n'y a pas eu un gros travail parce que ça arrivait dans un processus déjà engagé et puis le maître E était davantage sur des problèmes de CP, CE1... c'est parce qu'il y avait aussi un groupe qui existait, qu'on avait trouvé ce biais.

Ce travail était-il satisfaisant ? Quel est votre jugement a posteriori ?

J'ai toujours trouvé qu'avec l'école maternelle il y avait des choses plus faciles que le travail de maître E avec l'école élémentaire. Le lien avec les familles existe de manière plus forte, mais ça dépend peut-être des équipes et des écoles et je ne veux pas systématiser. Je parle de ce que j'ai vu, c'est peut-être aussi parce que je suis issue de l'école maternelle et que je connais mieux le fonctionnement des collègues (...). Par rapport à cette petite fille, ce qui a bien fonctionné, c'est qu'il a pu y avoir une évolution au niveau des prises en charge. C'était quelque chose de dynamique, il y a quelque chose qui s'était cherché, on n'avait pas figé quelque chose... ce qui était bien aussi, c'est que l'enseignante dans la classe avait ce souci aussi, alors que d'autres collègues parfois, par exemple des CE1 ou autres, s'en désintéressent plus ou moins parce que les enfants font ce qu'ils peuvent... alors que là, il y avait un souci dans les paroles de l'enseignante pour être en cohérence avec ce qui avait été mis en place. Ça c'était positif. Par contre, pour un suivi plus précis, on était quand même chacune de notre côté, un peu en parallèle.

Est-ce que c'était gênant pour l'enfant et pour ses progrès ? Je veux dire, est-ce quelque chose de négatif qu'il faut revoir ou au contraire est-ce quelque chose de bénéfique ?

Dans ce cas-là, je ne pense pas que ça a été négatif. Je pense qu'il y a des tas de cas où ça peut être très négatif.

Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

S'il y a un manque de cohérence, si ce qui se passe au niveau du maître E, ce n'est pas intégré par l'enseignant de la classe, si les exigences sont décalées, si au niveau des évaluations l'enseignant de la classe est très normatif alors que le maître E essaie de s'appuyer sur les progrès, d'encourager etc. s'il y a un trop gros décalage entre les deux et que les enseignants ne peuvent pas en parler entre eux, il me semble que ça peut être dommageable. Un gamin qui se trouve dans cette situation, d'essayer de reprendre confiance en lui dans du travail scolaire avec le maître E et qu'il se retrouve, j'allais dire sabré dans son évolution, chaque fois qu'il y a quelque chose qui ne va pas par son enseignant, c'est difficile à vivre, il y a comme un clivage entre deux lieux et deux attitudes... mais dans d'autres cas, le fait que ça soit un peu séparé, ça permet à l'enfant d'avoir des lieux où il se retrouve de manière différente, où il puisse être apprécié de manière différente... je ne sais pas... il y a des cas où c'est vraiment problématique et des cas où ce n'est pas gênant... ce n'est pas très précis ce que je dis (rires).

Si j'évoque le sigle RASED, quels sont les cinq mots ou expressions que vous pourriez retenir ?

Aide aux enfants, aide aux enseignants, travail d'équipe, il me semble que c'est indispensable... ce qui est important c'est que le réseau est centré sur une école, ce n'est pas quelque chose de déconnecté, c'est un dispositif d'école... je dirais aussi tout ce qui est aspect relationnel avec les collègues, savoir se faire accepter, savoir construire la confiance entre les différentes personnes. C'est être dans une relation de confiance, qui ne serait pas ressentie comme : « Il y a des experts et d'autres qui ne le sont pas », enfin tout ça... trouver une complémentarité.

Pouvez-vous préciser davantage ce que vous revenez de dire aide aux enfants, aide aux enseignants...

Aide aux enfants, c'est tout ce qui est prise en charge de la difficulté, il y a un réseau donc les prises en charge sont diversifiées, mais elles présentent aussi un caractère global parce qu'il y a une réflexion commune sur ce qui est constaté dans l'école par rapport aux enfants et par rapport aux apprentissages eux-mêmes. Aide aux enseignants, je trouve qu'il y a un côté réflexion, accompagnement par rapport à la difficulté. Lorsque j'étais enseignante, j'avais beaucoup d'intérêt pour échanger avec les collègues du réseau. Je trouvais que c'était enrichissant d'avoir l'avis de personnes extérieures, de pouvoir discuter d'un enfant en particulier... quand la connexion peut se faire, c'est intéressant d'avoir des gens qui ne sont pas enseignants... non, qui ne sont pas plongés dans le quotidien de la classe et qui peuvent avoir un regard autre. Travail d'équipe ça rejoint le travail dans le réseau. Le psychologue est un point d'appui, le rééducateur a une autre manière d'aborder les choses, le maître E une autre. Il y a une complémentarité, une réflexion en commun... et puis il me semble aussi que le réseau est au service d'une école ou de plusieurs écoles... pour s'intégrer dans un projet d'école, pouvoir avoir une parole sur les enfants dans la construction de ce projet. Tout ce qui peut se construire autour de ça me semble important. Il n'y a pas que des enseignants directement dans les classes. Mais ils sont secondés par d'autres collègues qui sont des collègues, qui ne sont pas des personnes extérieures... ce n'est pas du partenariat extérieur, c'est vraiment... ils font partie de l'école.

Pouvez-vous maintenant retenir cinq mots pour maître E ?

Je vais dire apprentissages, parce que l'objectif est d'arriver à ce que ça puisse se faire... je vais dire écoute, dans un sens assez large c'est-à-dire la prise en compte de ce qu'est l'enfant globalement... je ne sépare pas la prise en compte globale des apprentissages. A la fois je mets en premier les apprentissages parce que c'est l'objectif vraiment du maître E mais à la fois je ne le sépare pas de l'enfant en tant que personne qui a un tout un tas de facettes... je dirais aussi personne ressource, dans une complémentarité avec l'enseignant, quelqu'un qui aurait le souci, mais pas plus... parce que les collègues de terrain aussi..., mais bon quand même d'être au courant de l'évolution des recherches, des connaissances sur l'enseignement, il me semble que c'est quelqu'un qui devrait être à la pointe de ça... je dirais aussi membre d'une équipe.

Je vais vous demander la même chose pour maître G...

J'aurais tendance à dire la même chose...

Je peux reprendre exactement les mêmes mots...

C'est sur le "comment" qu'il y a des choses qui changent mais le premier objectif c'est de faire entrer l'enfant dans les apprentissages. Après, sur le comment faire, prise en compte de la vie de l'enfant… Alors que le maître E en tient compte, le maître G utilise ça aussi dans ce qu'il va faire. Il va s'appuyer sur cette globalité de l'enfant. Je vais dire aussi confiance en soi, celle de l'enfant pour lui-même, mais le maître E aussi... le maître E l'intègre dans sa pratique c'est-à-dire qu'il est toujours dans un respect, dans une construction de cette confiance en soi alors que le maître G c'est central. Et puis restauration de l'enfant dans sa personne même. Ce n'est pas antagoniste avec ce que fait le maître E qui va mettre en place aussi cette direction de manière très forte. Et puis membre d'une équipe, sûrement.

A vous écouter, j'aimerais que vous expliquiez comment vous voyez les différences entre le maître E et le maître G ? Pourriez-vous reprendre le cas d'enfant que vous avez exposé tout ailleurs ?

Si vous voulez, qu'on soit maître E ou maître G, il me semble qu'il y a des choses communes. Ce sont : avoir un regard global sur l'enfant et analyser ses difficultés pour pouvoir y remédier. Après, effectivement, sur les choix des stratégies, selon les difficultés que l'on va percevoir, on va plus avoir des stratégies pédagogiques et on va s'appuyer dessus pour travailler sur l'image de soi, sur la restauration de la personne etc., on va prendre le détour... pas le détour mais on va l'inclure dans la construction des apprentissages de manière très concrète c'est-à-dire qu'on va l'avoir dans la tête en arrière-plan. Le maître G au contraire va pouvoir à certains moments plus se déconnecter de l'apprentissage lui-même en tant que tel et inclure... qui va permettre l'expression... de difficultés y compris relationnelles, soit par rapport aux savoirs, soit par rapport à l'enseignant, soit par rapport aux parents, soit par rapport aux copains... qui vont faire un verrouillage qui empêchent d'accéder aux apprentissages (...).

Et par rapport à la petite fille, quelles étaient les différences d'approche ?

Le premier objectif était de travailler, en ne sachant pas ce qui a été fait très concrètement dans les séances... mais si au départ le choix avait été fait du maître G, c'est que c'était plus un problème d'inhibition, de repli, d'absence de désir de grandir... donc le travail était plus axé sur cette facette du problème. Il y a des choses qui ont évolué mais qui se sont mises à stagner un moment. L'écart s'est creusé avec les autres parce qu'elle ne se mettait pas en situation d'apprendre et à participer aux activités. Grâce au travail avec le maître G petit à petit, elle s'est mise à participer un peu plus mais elle s'est trouvée en situation d'échec donc ça a été une aide dans cette rentrée dans les apprentissages, de manière plus pointue pour que ce début d'élan ou d'envie qui commençait à arriver ne soit pas contrecarrée par des situations d'échec, parce qu'elle n'était pas du tout au même niveau que les autres enfants. Cette deuxième aide a permis aussi d'améliorer la confiance, une fois que cette situation d'investissement premier, comme si un palier c'était débloqué, après l'aide s'est portée, je ne vais pas dire de manière plus technique parce que ce n'est pas ça, mais une aide dans l'entrée dans l'apprentissage, dans le parcours au niveau des apprentissages. (...)

Avez-vous été témoin de glissements de pratique, c'est-à-dire des maîtres E qui fonctionneraient comme des G et inversement ?

C'est souvent... je trouve que les E, parfois selon les personnes, ont du mal à se centrer sur l'apprentissage. Ils ont tendance à perdre de vue cette finalité et à travailler... du coup ils glissent sur un fonctionnement plus flou qui n'est pas forcément un bon fonctionnement de G non plus mais qui est une espèce de no man's land où tant qu'on est bien avec les gamins et que les choses se passent bien... c'est important parce qu'ils sentent qu'au niveau relationnel il y a quelque chose d'important... mais c'est cadré. C'est ni l'un ni l'autre et c'est dommageable. Par contre, je vois des maîtres E qui restent bien centrés sur leurs objectifs et qui intègrent tout le reste, ça je trouve que c'est très intéressant de voir le lien qu'il peut y avoir et de s'en servir comme d'un levier. Au niveau des rééducateurs, il y a des tendances très différentes selon les personnes, selon les demandes de l'inspecteur, selon la pression des collègues sur le terrain... il y a des pratiques extrêmement différentes depuis des gens qui se prennent pour le psychologue ou un thérapeute et qui vont creuser des choses personnelles des gamins. À mon avis c'est dangereux. Bien qu'ils s'en défendent, ils sont quand même parfois sur ce terrain là, comme les gens qui sont parfois eux-mêmes psychothérapeutes dans le privé. Il y a une confusion des rôles qui devrait absolument s'arrêter... Après il y a des maîtres G qui sont convaincus que la rééducation avec un enfant seul est la seule manière de faire, ils superposent la forme et le fond c'est-à-dire que leur conception du fond c'est que la forme ne peut être qu'individuelle. Ça me semble dommageable aussi parce qu'il me semble qu'il y a tout un tas de choses qui peuvent être faites soit en petit groupe, soit dans la classe... en particulier avec les gamins qui ont des problèmes au niveau de la piscine, il pourrait y avoir... travailler avec les mêmes objectifs mais avec des moyens, une structuration des groupes ou des moments d'intervention différents, je trouve que ça ouvrirait plein de palettes. Si on se posait la question : « Qu'est-ce qu'on veut obtenir sans barrer telle ou telle manière de fonctionner a priori ?», si on cherchait comment on peut atteindre par diverses manières cet objectif, il me semble qu'on serait plus dans le vrai.

Vous parliez du travail dans la classe, comment voyez-vous cette possibilité de faire, que ce soit pour le maître E ou le maître G ?

Je pense que sur des choses ponctuelles, précises, définies avec l'enseignant... par exemple, j'ai vu faire un collègue maître G qui intervenait à un moment dans la classe d'une collègue qui avait de grosses difficultés relationnelles avec le groupe de gamins, une classe très difficile où elle ne s'en sortait pas, où il y avait vraiment de la violence... Le fait de travailler en doublette avec un regard extérieur, avec quelqu'un qui permette de mettre des mots sur des choses... a permis d'apaiser cette situation. La collègue disait au départ : « il y a au moins cinq gamins qui relèveraient d'une prise en charge du maître G » et du fait de cette intervention bien ciblée dans le temps, sur des objectifs précis avec un contenu prévu ensemble, le climat global s'est apaisé et finalement les gamins qui soit disant auraient relevé d'une aide ont pu rester dans leur classe, se recaler par rapport aux autres... C'est un exemple, mais à certains moments, quand on travaille sur du relationnel ou du comportemental compliqué ou difficile, il y a des choses qui sont de l'enfant lui-même en tant que personne et puis il y a des choses qui sont dues à la situation du groupe classe ou d'un groupe d'enfant dans le groupe classe ou une relation du groupe classe par rapport à l'enseignant... et qui demandent un traitement un peu différent, au lieu de sortir le gamin, de traiter juste le côté personnel de l'enfant. Il y a des fois où c'est nécessaire, l'un n'exclut pas l'autre.

Voyez-vous des limites ou des incompatibilités au travail d'un maître spécialisé dans une classe ?

Je pense qu'il ne faut pas qu'il soit perçu comme un instituteur supplémentaire ou un intervenant extérieur. Je pense qu'il faut cadrer le travail pour qu'il puisse garder sa spécificité, qu'il ne soit pas perçu par les gamins comme le maître de musique ou... je pense que c'est important parce que quand il y a besoin de lui d'une manière plus individuelle ou en petit groupe, il faut quand même que les enfants puissent le percevoir comme un autre enseignant, pas comme un intervenant extérieur. Ça c'est une limite. S'il intervient dans la classe, c'est deux enseignants qui interviennent et ce n'est pas l'enseignant de la classe et un intervenant extérieur. Il faut faire très, très attention sur le statut... après, tout dépend des cas, du pourquoi on vient travailler dans la classe, de comment, est-ce que c'est en observation, après pouvoir rebondir sur ce qu'il a vu où ce qu'il a pu travailler dans le cadre d'un groupe et pouvoir le reprendre dans un travail plus individuel, après tout dépend du pourquoi et du comment de son intervention dans la classe.

Y a-t-il une fonction, entre E et G, qui joue un plus grand rôle ?

Non, très clairement non. Je serais presque pour - mais peut-être faut-il faire attention - pour une formation polyvalente complète d'enseignants qui seraient ni E ni G et qui pourraient décider à certains moments selon les groupes qu'ils prennent, selon les enfants, selon la situation, d'intervenir plus une certaine manière ou plus d'une autre mais en ayant une bonne formation sur les deux champs et sur les deux spécificités, avoir des super maîtres... je ne sais pas... je trouve qu'on y gagnerait. L'enfant, je ne pense pas qu'il perçoive vraiment la différence. Finalement je ne sais pas... mais l'enfant est rarement confronté aux deux en parallèle, donc je ne pense pas qu'il construise quelque chose de différent, encore que... ce n'est pas très clair.

On parle d'une réforme prochaine à propos des réseaux. Quelle est votre position à ce sujet ?

La réforme a deux volets. Le premier, c'est de dire les maîtres E et G pourraient être polyvalents. Le second, c'est qu'il faut qu'ils soient dans les classes. Je pense que c'est tout autant une bêtise de dire le maître E doit être à côté que de dire le maître E doit être dedans. Il faut ouvrir les perspectives pour que le maître E puisse être aussi dedans et ne pas rester trop fermé comme il l'est trop souvent actuellement mais il ne faut pas dire non plus il sera tout le temps dedans. À certains moments, il peut être judicieux, pertinent qu'il soit dehors pour certains enfants dans certains cas etc. Si on dit il faut qu'il soit dedans, c'est peut-être qu'il y a un échec sur la coopération entre les enseignants c'est-à-dire qu'on n'a pas réussi... le cas que je décrivais tout à l'heure... tout ce que j'ai vécu, finalement je n'ai pas pris un cas très représentatif des situations les plus habituelles. A mon avis, ça c'est plutôt mieux passé que ce qui se voit habituellement, c'est parce que je suis parti sur un cas d'enfant. Si vous m'aviez demandé un cas de travail global, j'aurais pris un cas plus représentatif de ce qui se passe ou de ce que j'ai rencontré... il faut trouver des solutions pour que cette collaboration puisse se faire. Mais de la même manière qu'on n'a pas décrété les cycles où les projets d'école par une loi, on a dit : « tout le monde devrait faire un projet d'école, tout le monde devrait travailler en cycle », on voit bien que sur le terrain, ça n'est pas passé. Si c'est ça, l'état d'esprit du législateur de dire que les maîtres doivent travailler dans les classes parce que ce dispositif va permettre que les gens se parlent et qu'il y ait une coopération, à mon avis, on va au-devant des mêmes problèmes parce que ça ne se décrète pas. Je pense que l'idée de départ c'était ça, il y a besoin de trouver une cohérence dans les classes à certains moments. Si le maître E est par principe dans la classe, l'enseignant ne peut pas refuser complètement de travailler avec lui, il y aura un apprivoisement mutuel qui va être plus institutionnalisé.

Si un ordre d'en haut n'atteint pas le but recherché que faudrait-il mettre en place pour qu'une collaboration soit effective et efficiente pour les enfants ?

Je pense qu'il faudrait arriver à se faire des stages d'école multicatégoriels, réseaux compris, qui soient performants. La formation continue prévoit des stages sur des sujets particuliers, ciblés et puis elle prévoit des stages d'école où les gens se sont un peu livrés à eux-mêmes, où l'important c'est de mettre les gens ensemble pour que ça cogite... avec un peu de médiation, mais pas de... souvent je me suis dit : « il faudrait un accompagnement réel des équipes (...) ». Il me semble que les gens prendraient d'habitude de travailler ensemble, de construire ensemble, de réfléchir ensemble et donc plus ou moins de s'apprivoiser (...). Il y aurait plus de confiance, moins de peur du jugement des autres... il faudrait que les équipes apprennent à travailler ensemble, en dehors de la présence des gamins.

Les textes prévoient pourtant un travail d'équipe dans les écoles. Comment se fait-il qu'il ne se mette pas en place ?

Je pense qu'il y a la peur du jugement des autres. Il y a beaucoup d'enseignants qui ne veulent pas que le maître E rentre dans leur classe, tout comme ils ne veulent pas que le conseiller pédagogique rentre dans leur classe... parce qu'ils ont l'impression qu'il va y avoir un jugement par rapport à leur travail, ce qui n'est pas complètement faux parce qu'à partir du moment où vous parlez d'une pratique, vous émettez un avis, ce n'est pas un jugement mais c'est quelque chose qui peut déranger... il faudrait qu'il y ait une certaine réciprocité, que l'un et l'autre puisse avoir une parole sur ce qui se passe des deux côtés... je ne sais pas pourquoi il y a cette difficulté... peut-être parce qu'institutionnellement, on n'est pas tellement jugé au mérite. Que l'inspecteur vienne dans la classe, que ça se passe bien ou que ça se passe mal, en gros, il n'y a pas de grandes répercussions... comme s'il y avait quelque chose dans la tête qui se passait, une sorte d'auto comparaison des gens les uns par rapport aux autres... peut-être un besoin de reconnaissance qui n'est pas satisfait institutionnellement donc ça fait mal quand vous avez un collègue qui vous dit des choses pas très positives ou vous avez peur que ça fasse mal... il n'y a pas vraiment de reconnaissance institutionnelle donc il y a besoin de ne pas se laisser déstabiliser (rires)... je ne sais pas, je réfléchis tout fort.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

… ça m'évoque de l'intérêt pour l'apprentissage, pour le savoir, ça m'évoque de la confiance en soi... il y a aussi tout le côté plaisir et investissement... ça m'évoque aussi des différences sociales, c'est plus facile pour une certaine catégorie des gamins de pouvoir s'investir, de trouver de l'intérêt etc. ... je l'ai pris du côté des gamins ?

C'est comme vous l'entendez, je n'ai rien précisé...

D'accord (rires)... (...) ça m'évoque aussi toute une dimension de se projeter dans l'avenir, d'avoir envie de...

On dit que l'enseignant est le premier acteur de l'aide dans la classe. D'après votre expérience professionnelle que pouvez-vous en dire ?

Il y a tout le problème autour de l'individualisation pédagogique, il y a quand même beaucoup de freins... il y a une conception de l'enseignement qui majoritairement toujours est un modèle transmissif avec la classe en face, en entier. Le fait d'avoir le calme dans la classe, d'avoir le moins de bruit possible... je trouve que dans la tête de beaucoup d'enseignants ça ressort, il ne faut pas qu'ils aient de problèmes quoi. Il faut qu'ils tiennent leur classe, c'est normal. Qu'on soit dans une pédagogie plus active ou dans une pédagogie transmissive, dès qu'il y a le bazar, personne n'apprend... il faut organiser des choses. Mais qu'est-ce que ça veut dire organiser ? Au niveau intellectuel ou au niveau des valeurs, il n'y a pas beaucoup d'enseignants qui disent qu'il ne faut pas individualiser, tenir compte des difficultés particulières des enfants, je pense que là-dessus tout le monde est d'accord. Après c'est une difficulté parce qu'on rentre dans la complexité. Quand un enseignant est face à une classe et qu'il transmet un savoir, quand il a cette conception-là, c'est de l'ordre d'un schéma très simple et très simpliste. Il y a une linéarité... on déroule un truc et puis ce qui ne passe pas... on va aider, il y a l'enseignant qui fait ça dans un bon état d'esprit. Après quand on rentre dans un autre fonctionnement, ça remet beaucoup de choses en cause parce qu'on rentre dans le domaine de la complexité où les choses... il n'y a jamais de solution unique, ça demande de se sentir entrepreneur ou inventeur de situations ou de dispositifs ou de démarches, à l'écoute... on est plus dans des choses cadrées d'avance, on est dans « le tenir compte au fur et à mesure de ce qui se passe ». Ça amène de l'inquiétude, un déséquilibre parce qu'on n'est jamais sûr... donc l'aide, ça se fait, mais plus à dose homéopathique. Dans ce que je vois... c'est-à-dire oui on va donner un coup de main, on va ré-expliquer un exercice, on va prendre un petit moment en fin de journée, on va prendre quelques gamins... il me semble que la première possibilité c'est de plaquer des dispositifs ponctuels qui ne changent rien à la structure globale. Et puis la deuxième chose qui se fait aussi, c'est la prise en compte relationnelle : « on ne se moque pas » avec le souci que le gamin en difficulté ne soit pas jugé... l'enseignant lui manifeste une attention particulière. C'est déjà beaucoup. Quand il y a ces deux volets, ce volet ponctuel et ce volet de respect de chacun, le passage à plus me semble très difficile encore aujourd'hui... ça demande des qualités professionnelles et humaines très grandes, rarement travaillées ensemble institutionnellement.

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Il y a tout un tas de bouquins de Meirieu mais ce n'est pas plus E autre chose... il y a le livre sur les réseaux de Guy Hervé, au CDDP de La Marne "les enfants en difficulté", c'est du spécifique E, quand on dit E, ils ont aussi l'US1, donc il y a le livre de Lesain-Delabarre sur la connaissance de l'AIS, autrement des bouquins de pédagogie qui sont plus spécifiques, un livre canadien sur le jeu comment faire des détours en pédagogie... mais il y en a plus que trois...

Je vais vous poser la même question pour les G...

Pour E il y a aussi les livres de Gillig, dont un qui est plus pour les G "l'aide aux enfants en difficulté à l'école". Pour les G, il y a aussi le dernier Guillarmé "la réussite de l'enfant en difficulté" et aussi celui de Guillarmé sur l'évaluation des pratiques rééducatives...

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je ne sais pas... je poserais plutôt la question comment voyez-vous l'avenir de l'école parce qu'ils font partie de l'école et de l'évolution de l'école. Ou bien ils arrivent à vraiment s'intégrer et coopérer et être des relais et alors ils ont sans doute un avenir qui n'est pas bouché, ou bien ils restent trop repliés sur eux-mêmes avec des certitudes et là j'ai peur qu'au niveau institutionnel, les perceptions institutionnelles les condamnent au moins en partie.

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres choses à rajouter sur les aides à l'école ?

Non, non...