Entretien E34 Nina

Age : 54 ans

Profession : Conseillère pédagogique

Diplômes : CAEEA (75), Licence Sciences de l'Education (97)

Nina : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Nina : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : bureau à l'inspection départementale

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant en difficulté" ?

Difficultés scolaires, économiques, adaptation, affectivité... obstacles.

Pouvez-vous expliquer davantage ce que recouvrent les mots que vous venez d'énoncer ? Difficultés scolaires...

Etant dans le système scolaire, c'est ce qui nous apparaît en premier. C'est à partir du moment où on a constaté des difficultés scolaires qu'on se demande d'où elles viennent. L'origine peut être dans le domaine affectif, dans le domaine économique ou dans ce que j'ai dû signaler. Pour moi, dans la vie c'est normal de rencontrer des obstacles et la difficulté vient du fait que l'obstacle n'est pas surmonté.

Vous avez parlé aussi d'adaptation, pouvez-vous préciser ?

Ça rejoint le mot obstacle dans la mesure où l'enfant ne s'adapte pas pour pouvoir surmonter les obstacles rencontrés... ou alors il s'adapte non à l'école mais à son univers familial et social. Il y a des enfants qui pour se protéger et protéger leur clan s'enferment dans des attitudes de non pactisation avec l'école qui masquent aussi de douloureux sentiments d'infériorité, de non conformité, des sentiments de honte. Le nombre d'enfants qui ont honte du regard des autres sur leur famille et sur eux-mêmes devient un problème sociologique nouveau dans nos classes, que l'école ne sait pas très bien prendre en compte.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer, d'en choisir un seul, et puis de raconter ce qui se passait et pour lui et autour de lui ?

Oui, je pense à un enfant qui est un enfant de ma famille. À l'école, il avait toujours l'air d'être absent. Il ne se sentait pas apparemment concerné. J'ai eu l'occasion de le garder, il était très intéressé par des tas de choses mais pas par le scolaire. Tout ce que je peux dire, au niveau de mes constats, c'est que sa maman avait eu elle-même des difficultés scolaires et qu'elle investissait énormément dans la réussite de son fils. Elle ne voulait pas qu'il reproduise ses difficultés à elle. Je ne veux pas faire une interprétation, mais disons que finalement on avait l'impression que c'était un engrenage, il était surchargé affectivement de l'inquiétude de sa maman. Je dirais que ça s'est soldé d'une certaine manière. Le père n'était pas souvent présent et l'enfant était très en attente de l'intérêt de son père puisqu'il était toute la semaine avec sa mère. Il avait une sœur. Apparemment le papa ne répondait pas non plus à l'attente de cet enfant et il sentait plutôt la pression de sa mère... alors qu'il était en attente de son père. Au niveau familial, c'était très difficile, très douloureux à gérer. La meilleure solution qui a été trouvée, c'est que cet enfant finalement a été placé dans un établissement, je crois que c'était au niveau de la cinquième, il y a dû passer un BEP et ou un CAP de lunetterie et il a trouvé du travail. Il a fait sa vie d'une façon tout à fait intégrée d'un point de vue socio-économique. Il a pris ses distances par rapport à sa famille, il est parti à l'étranger. Voilà un garçon qui avait un gros contentieux avec le milieu scolaire au niveau des études générales, il a trouvé une branche où il a pu faire une formation professionnelle suffisamment qualifiante pour qu'il ait du travail (...) voilà un gamin qui s'en est bien sorti parce qu'il a été pris en main. Les parents étaient désespérés, ils ne savaient plus comment faire, il y avait un affrontement permanent entre la mère et le fils... finalement ça s'est bien décanté. (...) Je connaissais les résultats scolaires de cet enfant et l'inquiétude de la mère, surtout son inquiétude, son angoisse. Lui, il était comme une huître dès qu'on commençait à aborder la question, il se fermait. Pour moi c'était d'autant plus sensible que quand sa mère était toute petite, c'est exactement l'attitude qu'elle avait. Je retrouvais dans le fils l'attitude de fermeture qu'avait la maman avec toute cette espèce d'imbroglio d'affectivité, de désir de réussite... dès qu'on a senti qu'il y avait un problème d'adaptation au milieu scolaire, les parents s'en sont occupés, même si le papa n'était pas souvent là. Il y a eu beaucoup d'hésitations, beaucoup d'errance... la maman était allée voir un psychologue scolaire. Comme elle était particulièrement inquiète, le psychologue lui a dit ou elle a compris d'une façon plus ou moins brutale que si son gosse avait des difficultés c'était de sa faute à elle. Ça n'a pas arrangé les choses. Finalement, elle a trouvé quand même les personnes qui ont réussi à l'aiguiller sur cette structure d'enfants en difficulté. C'était un internat. Le fait qu'il ne rentre pas chez lui, ça a été un point très positif. Quand il rentrait, tout le monde était content de se voir. Et la maman pendant le week-end était capable de ne pas se focaliser sur les résultats scolaires. Et avec la puberté, ça s'est arrangé. Je crois que c'est le type même d'un enfant intelligent - aujourd'hui il y a 24, 25 ans, on a du recul - mais il n'était jamais en phase avec sa mère et jamais en phase avec le milieu scolaire. Cependant, il a réussi à mener au bout une scolarité, une formation professionnelle jusqu'à s'insérer dans la société et à vivre de façon satisfaisante.

Je vais vous demander maintenant de proposer cinq mots ou expressions quand j'évoque le sigle RASED...

Ce qui me vient, c'est ras-le-bol... c'est raser comme araser... ce serait réseau bien sûr... ça n'a rien à voir avec l'éducation nationale, c'est le gazon ras, je m'aperçois que c'est plutôt négatif comme évocation, c'est l'idée de quelque chose de trop court, de mal taillé alors que je suis persuadée que le RASED fait des choses intéressantes... encore une évocation, rasoir.

Pouvez-vous expliquer ras-le-bol ?

Oui, c'est une association d'idée entre les enfants qui sont pris en charge et le RASED, c'est des enfants qui d'une façon ou d'une autre ont ras-le-bol de quelque chose.

Vous avez dit aussi raser, réseau...

Réseau, c'est un certain nombre d'éléments, de personnes qui se rencontrent et d'actions qui se conjuguent, autour d'un enfant. Et puis raser, peut-être faire table rase, évacuer tout ce qui ne va pas... essayer de recommencer quelque chose à partir d'une place nette. Rasoir, c'est couper, éradiquer, enlever...

Maintenant je vais vous demander la même chose, cinq mots, pour maître E...

J'ai toujours beaucoup de difficultés avec les différentes lettres du réseau. Maître E, ce sont ceux qui sont dans les classes de CLIS ?

Non, ce sont d'autres options A, B, C, D, DI... les maîtres E sont chargés d'aide à dominante pédagogique, soit en regroupements d'adaptation soit en classes d'adaptation qui existent encore.

Maître E, effectivement on a encore quelques classes d'adaptation qui fonctionnent de façon ouverte. Ce qu'on trouve positif, c'est quand les maîtres sont dans la classe avec les enfants parce qu'on estime que ces enfants s'ils sont déjà en difficulté le temps où on les enlève de la classe, même s'ils ont un traitement approprié, on n'est pas sûr que ce traitement approprié soit plus positif que ce qu'ils manquent pendant la classe. Et puis, il me semble que le regard d'une deuxième personne dans la classe, c'est à la fois stimulant et éclairant pour l'enseignant qui est là au jour le jour et que c'est bon pour les enfants d'avoir des regards différents, ça fait une charge affective un peu moins importante.

Que dois-je garder dans tout ça ? résultat incertain, regards différents ?

Plutôt résultats incertains hors de la classe, regards différents, soutien en situation... nécessité d'être dans la classe pour ne pas soustraire l'enfant à tout ce qui se passe dans la classe, de façon à ce qu'il ne sente pas un manque, la nourriture qu'on lui apporte en dehors ne va pas forcément compenser le manque qu'il va ressentir d'avoir été privé d'une partie de la classe.

Puis-je garder danger de sortir ?

Oui, je pense que c'est un danger de sortir...

Une dernière chose encore pour le maître E ?

Peut-être une patience supplémentaire, du fait que l'enfant, il ne l'a pas toute la journée. Quand on n'a pas six heures par jour un enfant en difficulté, on est capable de renouveler son regard toutes les fois qu'on l'aborde. Alors que l'enseignant qui l'a tout le temps, il y a parfois une tendance à l'overdose.

Quels sont les différences entre la fonction du maître E et la fonction du maître généraliste dans sa classe ? Parce qu'ils sont tous les deux chargés de pédagogie...

Tout à fait. Ce qui me semble primordial, c'est la liaison entre les deux, le fait de travailler ensemble, en commun, d'accorder ses violons vis-à-vis de l'enfant. Accorder ses violons, ça ne veut pas dire avoir la même attitude mais on peut au contraire dissocier les attitudes, l'un peut prendre un rôle et l'autre un rôle différent pour voir d'abord quel est celui qui convient le mieux et s'adapter.

Avez-vous eu l'occasion de préparer des maîtres E à leur diplôme ou d'en rencontrer sur le terrain ?

Je n'en ai jamais préparé au diplôme mais j'en ai parfois rencontré sur le terrain. Je trouvais que justement le maître E quand il s'attache à un enfant, il arrive à détecter immédiatement le petit grain de stable qui achoppe avant que l'enfant soit passé de l'obstacle à l'échec. Il peut suivre la progression de l'enfant et détecter ce qui est parfois imperceptible pour le maître de la classe. C'est vrai, en regroupement d'adaptation, il y a plusieurs enfants en difficulté, mais il y a possibilité à certains moments de se focaliser plus sur l'un ou sur l'autre. Le fait qu'il y ait une coresponsabilité, deux enseignants sur un enfant, ça dédramatise peut-être aussi l'investissement du maître titulaire de la classe sur chaque enfant. Je n'ai pas suffisamment l'occasion de voir fonctionner les maîtres E pour avoir des souvenirs très nombreux, d'autant plus que moi je vois surtout des débutants qui n'ont pas souvent les maîtres E dans la classe.

Maintenant si je vous dis maître G quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Il faut que vous me disiez ce que font les maîtres G actuellement.

Ils sont chargés d'aide à dominante rééducative.

Ce sont ceux qu'on appelait les rééducateurs ?

Oui.

Eux, ils prennent les enfants en petit groupe, pour ceux que j'ai connus et que je connais, ils font de la rééducation plutôt pédagogique. J'en ai vu fonctionner plus en maternelle qu'en élémentaire. Peut-être que le danger, me semble-t-il, c'est un peu le même que celui du soutien scolaire, hors temps scolaire c'est-à-dire que quand un enfant ne comprend pas, ce n'est pas en lui ré- expliquant et en lui ré- expliquant la même chose qu'on va l'aider, mais en faisant des activités qui sont liées à sa difficulté, mais pas forcément très scolaires. Je crois que le maître G doit trouver des formules qui ne soient pas trop scolaires pour faire aborder les problèmes scolaires d'une autre façon.

Que dois-je garder comme mots ou expressions ?

Alors, maternelle ou cycle 1 /cycle 2, pas de "réchauffé" des activités scolaires c'est-à-dire détour, je ne veux pas mettre ludique dans la mesure où ça recouvre tout et rien. Par contre, je reste persuadée que c'est en prenant des activités qui plaisent à l'enfant qu'on peut les rattacher à des apprentissages. L'utilisation de son intérêt pour le jeu… c'est comme ça qu'on peut l'amener progressivement à affronter l'inconnu et à y trouver de la satisfaction. Je retiendrais déclencher l'envie d'apprendre... et rattacher aux apprentissages.

Une dernière chose ?

Je mettrais importance des pairs parce que le petit groupe qu'il prend, les échanges dans le petit groupe peuvent être très importants.

Pouvez-vous me parler de la différence que vous percevez entre maître E et maître G?

J'avoue que les différences, à part leur mode de fonctionnement dans la classe ou en petit groupe, personnellement je ne les connais pas suffisamment pour avoir la subtilité des deux.

Avez-vous le souvenir d'un élève qui était pris en charge et pouvez-vous raconter la façon dont ça se passait pour lui ?

Mes souvenirs ne sont pas assez précis pour que je puisse répondre de façon honnête. Ça remonte quand j'étais en maternelle et que les rééducateurs intervenaient avec les moyens et surtout les grands. (...)

Parmi les jeunes professeurs des écoles que vous suivez en a-t-il qui sont dans la nécessité de travailler avec le réseau à propos d'un ou deux enfants de leur classe ?

Oui, ça arrive...

Pouvez-vous choisir un enfant en particulier et puis décrire ce qui se passe concrètement entre le professeur, le réseau, les parents etc. ?

A partir du moment où un enfant bénéficie d'une aide de la part d'un rééducateur, c'est déjà que les parents ont pris conscience que leur enfant a des difficultés. Je crois c'est quelque chose de très important parce qu'une des tâches les plus ingrates que l'on a à faire quand on voit un enfant en difficulté, c'est, au-delà de la difficulté elle-même, de préparer les parents à assumer ces difficultés, que ce soit des difficultés légères ou que ce soit des difficultés plus importantes. Le fait de déceler quelque chose et d'aider les parents en à prendre conscience pour qu'ils puissent l'assumer par la suite si ça devient lourd, c'est important. L'enseignant d'une classe ordinaire, parfois se demande s'il a bien le bon pronostic. C'est important d'avoir quelqu'un du réseau pour authentifier son diagnostic sans le minimiser ou le grossir. L'enseignant est réconforté par le fait qu'il y ait quelqu'un du réseau capable de répondre à sa première demande : « Est-ce que j'ai la berlue ? Est-ce que cet enfant est réellement en difficulté ? Est-ce que ça vient de moi ? Est-ce que ça vient de lui ? D'où ça vient ? Quelle est la proportion de difficulté inhérente à notre relation ou propre à chacun de nous ? Etc. ». Les débutants sont sensibles au fait qu'il y ait quelqu'un qui apporte un regard autre que le leur et qui les encourage ou les réconforte.

Avez-vous été témoin des liens de travail ? Avez-vous participé à une rencontre entre le professeur débutant et quelqu'un du réseau ?

Ça a été très épisodique... Ce n'est pas quelque chose que je constate tous les jours parce que quand je viens dans la classe, les rééducateurs ne sont pas forcément présents. Si je viens à l'improviste, ce qui m'arrive assez souvent, je vois assez peu le réseau et si j'ai à revenir, on prend rendez-vous justement à un moment où l'enseignant sera seul dans sa classe.

Les jeunes pourraient vous en parler, même si vous n'y assistez pas...

Les échos que j'en ai, les jeunes sont satisfaits d'avoir une personne ressource. Même en début d'année, il y a des enfants qui leur posent problème. Je leur dis toujours : « si vous avez des interrogations vis-à-vis d'un enfant, il vaut mieux signaler cet enfant », puisqu'il faut le faire très rapidement, avant la Toussaint, quitte à dire après, quand quelqu'un du réseau prendra contact avec vous : « ça s'est stabilisé, on a résolu les problèmes ou bien alors j'aimerais plus d'éclairage ». Il vaut mieux tirer la sonnette d'alarme un peu trop tôt que s'enferrer dans une situation qui dégénère. Je les incite à faire appel, à signaler tout de suite. Dans l'ensemble, les enseignants me disent : « j'avais des difficultés avec un enfant, j'ai vu quelqu'un du réseau et maintenant je sais mieux m'y prendre avec cet enfant... on a jugé qu'il n'y avait peut-être pas besoin d'une aide en continu mais les quelques indications qui m'ont été données ont été efficaces ». Les seules plaintes que j'entends, c'est quand les gens n'arrivent pas à répondre à la demande parce qu'ils ont trop de travail ou qu'ils arrivent pas à répondre suffisamment rapidement. Dans l'ensemble, les gens du réseau sont bien perçus, ils sont attendus.

Savez-vous comment travaillent ensemble les gens des réseaux que vous côtoyez de temps en temps ?

Les gens des réseaux entre eux ?

Oui...

Par exemple à Thirot, il y a une classe d'adaptation ouverte, à Combres il y a aussi des enfants qui passent une partie de la journée avec un maître de réseau. (...) Mais je ne sais pas quelle est la fréquence des rencontres. Je ne sais pas comment ils sont répartis, pourquoi ils vont avec le maître E plutôt que le maître G. Je n'en sais rien du tout. D'abord on n'a pas toujours des réseaux complets. Il a toujours manqué soit un psychologue scolaire soit un maître E. Donc je ne sais pas de façon précise...

Je vais vous demander encore cinq mots pour la réussite à l'école...

Un enfant qui réussit à l'école, c'est un enfant qui est conscient qu'il apprend, il est conscient de ses apprentissages. C'est important, c'est primordial, il faut toujours que l'enfant se sache ce qu'on attend de lui. Quand il connaît l'objectif, quand il connaît le but, il arrive à trouver le chemin pour l'atteindre.

Je peux garder : « conscience d'apprendre, connaître le but » ?

Oui, conscience d'apprendre et connaître le but pour trouver les moyens. Quelqu'un qui réussit, c'est quelqu'un aussi qui connaît le sens de l'effort. C'est quelqu'un qui a confiance en lui en sachant qu'on a des limites et qu'on peut les reculer donc confiance en soi, connaissance de ses limites et possibilité de les reculer. (...) Aussi, durée, intensité de la concentration et retour sur une tâche.

On parle d'une réforme prochaine des réseaux, quelle position soutenez-vous par rapport à ça ?

Ça dépend de ce qu'on veut réformer...

C'est suite aux rapports Gossot et Ferrier. Les réseaux ne donnent pas entière satisfaction. Il y a beaucoup de bruits qui courent... réunir les E et les G dans une même spécificité, les inciter à travailler dans la classe etc.

Ne connaissant pas tout des spécificités des maîtres et des maîtres G, je me sens très mal placée pour émettre une opinion. Que l'efficacité des réseaux ne soit pas celle que l'on attend, je pense qu'on n'est jamais efficace autant qu'on le souhaite quel que soit le domaine mais à partir du moment où l'on veut intégrer les enfants qui ont des difficultés, qui ont des handicaps, ça me semble bien difficile de le faire sans avoir une aide extérieure. L'enseignant ne peut pas gérer et à la fois le nombre et la spécificité des difficultés, en tout cas il ne peut pas la gérer de façon satisfaisante pour tous. On sait que les enfants qui ne sont pas en difficulté, eux, ils arriveront toujours... la charge affective de l'échec ou de la réussite des enfants, pour que le maître puisse être efficace dans la durée, il faut que cette charge, il la partage avec quelqu'un d'autre. (...) Le travail en cycle a peut-être permis d'obliger, au sens positif du terme, d'obliger les gens à travailler ensemble et à prendre conscience que l'addition des ressources, c'est plus qu'une addition. On est plus intelligent à plusieurs et le produit final est supérieur à la somme des intelligences me semble-t-il. Le travail en cycle, c'est sûr que c'est une façon d'être meilleur tout seul.

Est-ce que sur votre secteur ça fonctionne bien ?

De plus en plus... (...) les enseignants sont d'abord un peu frileux, parce que se lancer dans une rencontre où les collègues vont pouvoir porter un regard sur ce qui s'est fait dans la classe, c'est toujours un peu traumatisant au départ. Et puis, je crois que ça les fait grandir, ils apprennent à accepter ce regard et à partager avec les autres. Ils sont moins timorés, il me semble... souvent les enseignants pèchent par excès de modestie, ils n'aiment pas donner à voir ce qu'ils font parce qu'ils ont toujours peur de ne pas à être à la hauteur et le fait de travailler en équipe, ça les fait sortir de leur cocon et ça leur prouve qu'ils sont bien mieux qu'ils ne pensent. Dans une école, le travail en cycle oui, tout comme le travail avec le réseau, ça me semble quelque chose de porteur, de ce point de vue là. Je vois l'évolution aussi au niveau des projets d'école. A partir du moment où on a incité pour ne pas dire obligé les gens à avoir des projets ensemble, finalement, on a mis en place, non pas mis en place... mais on les a obligés à prendre conscience et à valoriser leurs ressources propres.

On dit que l'enseignant et le premier acteur de la mise en place d'une aide en direction des enfants difficultés. Comment percevez-vous cette affirmation sur le terrain, à travers votre travail ?

Je crois qu'en réalité ça rejoint la philosophie qu'on a de la vie. J'ai tendance à dire à mes jeunes enseignants : « il faut que vous ayez l'intime conviction de votre utilité » comme dans les histoires criminelles, il faut avoir l'intime conviction de son utilité et la modestie de se dire : « je peux me tromper ». Mais ce n'est pas parce que je peux tromper qu'il ne faut rien que je fasse. Vis-à-vis de l'enfant, si chaque enseignant arrive, je ne dirais pas six heures sur six parce que ce n'est pas facile, mais arrive à regarder l'enfant comme une personne à part entière et non pas comme un modèle réduit, je crois que ça facilite grandement les choses. J'avais tendance à essayer en maternelle d'accorder à chaque enfant trente secondes à une minute d'écoute dans la journée, mais ce n'est pas une question de quantité mais de qualité... je crois que quand on arrive à établir une relation vraiment d'individu à un individu, une minute dans la journée ça recharge les batteries de chacun et ça gomme un peu l'aspect artificiel de la relation scolaire dans une classe... C'est comme ça que je le vois, mais c'est applicable en dehors de l'école. Pour moi l'attitude de l'enseignant dans sa classe est avant tout au-delà des connaissances, au-delà des savoirs savants, elle est la façon d'être de l'enseignant... le respect de la personne, ce n'est pas une question d'âge de la personne, c'est une question... on l'a ou on ne l'a pas... Ce n'est pas toujours évident, il y a des moments où on oublie soi-même... on est pris par tout ce qui est émotionnel et ça, l'émotion... on peut avoir toutes les bonnes résolutions, tous les raisonnements logiques pour dire : « il ne faut pas », raisonnements et émotions, c'est parfois contradictoire.

Sur un plan plus concret, quelle est la place des études dirigées ?

Là, on a touché quelque chose d'important parce que justement pendant très longtemps on laissait à l'initiative de l'enseignant, et l'intuition des causes des échecs, et l'intuition de la remédiation. En essayant d'instaurer les études dirigées et d'analyser les procédures de travail des enfants, on s'est aperçu, par exemple si un exercice n'était pas réussi, ce n'est pas parce qu'on ne savait pas le faire mais déjà parce qu'on n'avait pas compris la consigne, parce que les mots ne disent pas, contrairement à ce qu'on pense, tout à fait la même chose pour chacun et qu'on bute parfois sur des compréhensions de départ et non pas sur des incompréhensions de fond. Je connais des enseignants qui ont travaillé sur pourquoi l'exercice est faux, à quel endroit... qu'est-ce qui s'est produit... qui ont travaillé notamment sur les consignes et leur compréhension... je crois qu'au niveau de la méthodologie il y a quelque chose d'important à creuser.

J'ai interrogé jusqu'à présent une vingtaine d'enseignants. Très peu parmi eux connaissent les études dirigées, très peu les pratiquent... j'aimerais savoir s'il existe une formation aux études dirigées pour les jeunes.

Moi, j'ai vu des jeunes qui vraiment recherchaient... je ne sais pas si à l'IUFM ils ont une formation pour ça, je n'en sais rien mais je connais des personnes qui mettent en place une analyse des pratiques des enfants, une sorte d'auto évaluation. Souvent pour construire un travail, ils fabriquent une sorte de grille. Ce qu'ils constatent, c'est que la grille de production d'un travail aide ceux qui sont en difficulté... parce qu'ils reprennent tous les items de la grille et ils regardent si dans ce qu'ils produisent, ils n'oublient rien et vont dans le même sens. Par contre pour les enfants qui ne sont pas en difficulté, il semblerait que la grille arrive seulement en fin de parcours pour l'évaluation c'est-à-dire qu'ils vérifient s'ils ont rempli le contrat. Mais ils n'ont plus besoin de la grille. C'est un peu comme si c'était une rampe. La rampe, elle aide de celui qui a du mal à monter. Celui qui va bien n'en a pas besoin mais elle est toujours là le long de l'escalier... je vois des jeunes qui se sont penchés sur la méthodologie et qui manifestement ont travaillé là-dessus. Je connais aussi des enseignants déjà chevronnés qui le faisaient aussi par des attitudes individuelles différentes selon les enfants. Un enfant, suivant sa façon de réagir devant la réussite ou devant l'échec, ils vont être par exemple beaucoup plus exigeants avec certains, ils ne vont rien laisser passer parce que c'est un enfant qui a besoin d'être un peu plus cadré, qui peut mieux faire comme on dit, et puis un enfant qui aura plus de difficultés, ils vont valoriser la moindre petite réussite en l'amplifiant. C'était déjà un embryon de travail sur la méthodologie et la personne des enfants.

Que pensez-vous du rôle que l'on fait jouer aux aides éducateurs à partir de votre expérience professionnelle ?

Ceux que je vois fonctionner, j'en ai vu d'assez près puisque les écoles qui en ont fait la demande ont généralement bien réfléchi parce qu'elles savaient qu'elles s'engageaient à un travail supplémentaire. Il ne s'agissait pas de lâcher les aides éducateurs en disant que ce serait des sous emploi qui viendraient donner un coup de main, non. On les a obligés à réfléchir auparavant. Et ils savaient qu'ils s'engageaient. A Thiron, j'ai une aide éducatrice qui est spécialisée dans le domaine scientifique et technique, qui a un travail avec les classes pendant le temps scolaire et qui assure des ateliers en dehors du temps scolaire. Elle vient ici à l'inspection une demi-journée par semaine pour faire le lien entre toutes les activités scientifiques de la circonscription et celles des classes. Ça nous a permis à nous au niveau du travail d'avoir une qualité de réalisation et d'intervention qu'on n'aurait pas pu avoir si on ne les avait pas eus. Je trouve qu'ils ont une place, ils ont tout à fait leur place. Autre expérience dans les classes rurales. Un aide éducateur est partagé entre 4 écoles. Aussi c'est un lien, parce qu'il mène avec les enseignants le même projet sur quatre écoles différentes dans un domaine spécifique. C'est vraiment le lien, c'est lui qui dynamise les projets parce qu'il a un regard à la fois intérieur et extérieur. Les enseignants sont sensibles à ce regard intérieur et extérieur, c'est une stimulation pour les enseignants, c'est un lien... partout je les vois intervenir avec efficacité. Ils cristallisent les possibilités des enseignants qui n'étaient pas exploitées, parce que les enseignants finalement sont capables de faire beaucoup de choses, d'aller au-delà des heures de travail qui sont dues. Ils vont souvent beaucoup plus loin que ce qu'on exige d'eux. D'avoir une aide, de se sentir moins seul à apporter le fardeau de l'obligatoire et de ce qui vient en plus... je crois que ça les stimule et les soutient.

Pourrait-on dire que le réseau a cette même fonction, de cristalliser les énergies, de dynamiser les équipes ?

Pas tout à fait, d'une certaine manière comme les aides éducateurs sont sous leurs ordres, la relation n'est pas tout à fait la même. Ils se sentent, il me semble, plus responsables de ce que font des aides éducateurs alors que la responsabilité avec les maîtres spécialisés est plus partagée, est sur pied d'égalité. Ils ont les aides éducateurs en charge alors qu'avec des personnes du réseau, il y a partage égalitaire des responsabilités. Ceci dit, le fait d'être plusieurs, c'est de toute façon une aide. Pour les gens du réseau, sentir son travail valorisé parce que l'enseignant constate des progrès ou demande un avis c'est aussi important. Le fait d'être reconnu en tant qu'intervenant auprès des enfants, c'est important.

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous quelque chose à rajouter à propos des aides spécialisées à l'école ?

En tant que conseillère pédagogique, j'ai peu affaire aux gens du réseau, certainement pas assez. On sert d'intermédiaire. Quand les enseignants sont désemparés, ils disent : « à qui je peux m'adresser ? ». On les aiguille sur le réseau et le retour qu'on en a, c'est : « le réseau n'est pas suffisamment libre, pas suffisamment disponible ». Aujourd'hui même j'ai eu un appel d'une école pour une famille nombreuse, la maman est toute seule, elle perd un peu les pédales, elle a été hospitalisée pour une dépression. Les enfants ont été placés chez une assistante maternelle et les deux petits perdent complètement pied. Ils sont prostrés et les institutrices ne savent plus à qui s'adresser pour résoudre ce problème. Elles ont fait appel au psychologue scolaire qui leur a dit qu'il était surchargé de travail, qu'il ne pouvait pas. Elles ont appelé l'assistante sociale de secteur qui est toujours absente ou débordée. Elles restent toutes seules avec leurs problèmes. Elles se demandaient si elles devaient faire un signalement. Elles étaient désemparées... si au niveau des réseaux, il y avait soit des personnes supplémentaires, soit des personnes plus disponibles jusqu'au bout de l'année... ça aiderait les enseignants. (...) les gens du réseau sont bien perçus, trop bien perçus puisqu'on en manque, et qu'ils n'arrivent pas à répondre aux demandes sur le plan administratif, c'est une sécurité, et sur le plan affectif pour réconforter les enseignants qui sont un petit peu dans l'indécision, dans l'attente, dans des problématiques d'intervention auprès des enfants. Quand un enfant va mal, on ne sait jamais s'il faut essayer de minimiser les choses pour qu'elles ne prennent pas de l'ampleur ou bien intervenir, pour résoudre le problème avant qu'il ne devienne envahissant.

J'ai une dernière question facultative... en quoi votre fonction de conseillère pédagogique est-elle importante pour vous ?

S'il n'y avait pas de conseiller pédagogique, le monde tournerait peut-être aussi bien. Et pourtant je me dis que je travaille à plein temps et que je n'ai pas l'impression de perdre mon temps. Actuellement mon rôle le plus important, celui sur lequel je passe le plus de temps dans l'année, c'est celui de créer des liens entre les enseignants pour qu'ils travaillent ensemble. Au premier trimestre, par contre, le rôle prioritaire dans les textes c'est l'aide aux débutants. Je trouve dans une situation où j'en ai tellement que je ne me fais aucune illusion sur l'aide réelle que j'apporte. Avec 35 débutants, je leur fais chacun une visite. Si tout va bien je n'en fais qu'une. C'est plus un rôle d'encouragement et de réconfort. Là où il y a des gros problèmes, j'y vais plusieurs fois (...). On les aide à faire la part des choses. Et on a du temps pour trouver des réponses à leurs questions, réponses qu'on peut leur soumettre et dans lesquelles ils trouveront celle qui leur convient à eux. Je crois qu'on n'a pas une réponse, mais plusieurs (...). On est souvent surpris que les gens ne se connaissent pas mieux. On est le lien entre la théorie et la pratique, et le lien entre les gens. C'est ce qui me semble important dans la fonction.