Entretien E36 Gilberte

Age : 46 ans

Profession : Conseiller technique AIS auprès de l'IEN, secrétaire de CCPE

Diplômes : CAEI option Déficients Intellectuels

Gilberte : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Gilberte : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : bureau de la secrétaire (dans un collège)

Durée : 40 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression enfant en difficulté ?

Orientation, soutien, projet, dossier... solution.

Pouvez-vous préciser les termes que vous avez choisis ?

Orientation, c'est trouver la structure adaptée quand l'élève ne peut plus rester dans le circuit ordinaire. Soutien, c'est arriver à diminuer la difficulté ou à trouver une solution, c'est un soutien pédagogique. Projet, c'est un projet d'intégration face à la difficulté, accepter la différence et faire en sorte que l'enfant puisse progresser à sa mesure. Ça peut être le projet de l'enseignant pour tel élève en particulier, comme les PPAP de la circulaire d'octobre 98, ça peut être aussi les PEI de la circulaire de 82 pour les élèves présentant un handicap. Le projet, c'est élémentaire, il se trouve concrètement dans un dossier de travail. Dossier, c'est important de rassembler les pièces utiles, c'est mon travail mais c'est aussi celui des directeurs qui gardent les traces de ce qui a été fait pour ceux qui décrochent. Les dossiers du psychologue ou du RASED aussi, qui font tout un travail en amont, avec la famille surtout. Parce qu'une observation ou une décision non consignée est une observation perdue, et tout est à refaire ou à réinventer. Solution, c'est quand il y a de la place... donc la solution ce n'est pas forcément évident.

Pouvez-vous présenter le cas d'un enfant en difficulté scolaire, un seul, que vous avez l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle ?

Une qui me semble parlante, une qui m'avait frappée, en classe de perfectionnement, c'était une petite trisomique... finalement on a fait des projets d'intégration bien avant l'heure avec le psychologue scolaire, c'était en 1982. C'était assez parlant de travailler avec cette enfant qui avait apparemment toutes les capacités pour apprendre à lire etc.. On s'est vite trouvé bloqué lorsqu'on est arrivé à tout ce qui était sons etc. mais ça a été une intégration avant l'heure. J'étais seule et j'ai eu du mal avec cette classe de perfectionnement, j'ai eu du mal à la faire accepter. Tout le monde a connu ça, le préfabriqué au fond de la cour... après c'est la relation entre adultes qui fait accepter les enfants de la classe de perfectionnement... si ce n'est pas au fond de la cour, c'est au fond du couloir... (rires)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Pas RASED, réseau d'aide, je préfère... je vais revenir à soutien, solution, aide et puis peut-être travail en équipe... orientation éventuelle vers des soins extérieurs.

Pouvez-vous préciser ?

Je vais essayer... soutien, c'est trouver d'où vient la difficulté et essayer de faire progresser l'enfant. Le soutien c'est uniquement en direction de l'enfant. Solution, c'est chercher l'apport d'outils, permettre ou favoriser les progrès de l'enfant. Et aide, il y en a trois, en direction de l'enseignant, de l'enfant et des parents. Il y a aussi travail d'équipe et ça reprend complètement ce que j'ai dit. On ne peut pas travailler séparément, chacun dans son coin, pour un même enfant. Forcément, il faut une collaboration en associant les parents dans la mesure du possible.

Et orientation vers des soins extérieurs ?

Disons que c'est à travers le dialogue. Il faut tout un travail d'équipe pour arriver à convaincre les parents de l'utilité de l'orientation vers l'extérieur. Les parents entendent facilement orthophonie, mais à la longue, ils peuvent arriver à comprendre autre chose. (Pause cigarette...) Dans mon secteur, le réseau travaille réellement en équipe parce qu'ils se rencontrent deux fois par semaine. Dans le réseau précédent où j'étais, j'étais seule parce que le maître G et le psychologue étaient plus loin, à une vingtaine de kilomètres. Il y a des endroits où les collègues de réseau sont complètement isolés, le maître E en particulier, parce qu'il est décalé. Dans les textes, le maître E n'a pas d'heure de synthèse, alors il participe ou il ne participe pas aux synthèses, il n'est pas tenu d'y assister. Et puis, il y a peut-être aussi la volonté des équipes... je ne sais pas où on en est maintenant. Par exemple, là où j'étais avant, il y avait plus de maîtres E que de maîtres G. Alors, l'équipe, ça désignait plus une somme d'individus répartis sur le territoire et travaillant en parallèle, ce n'était pas vraiment une équipe (...)

Quand je dis maître E, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Soutien, rencontres régulières avec l'enseignant, pédagogie de la réussite, apprentissages scolaires, cycle 2.

Pouvez-vous préciser ? Soutien...

Soutien, à ce niveau-là, ce que je faisais, en plus c'était la fin de la classe de perf... on avait remis les gamins dans les classes normales. Je connaissais leur niveau, les collègues aussi, donc on arrivait à faire le maximum pour qu'ils puissent rattraper le retard. C'était des rencontres quotidiennes... on n'avait pas de projet... il y en a, que j'ai pris longtemps de façon à aller le plus loin possible avec eux. Il y en a qui s'en sont sortis, qui ne se sont pas retrouvés en SEGPA, c'est déjà ça, qui ont pu suivre après, normalement. Mais c'est forcément, pas des rencontres quotidiennes, mais des rencontres régulières, quasi quotidiennes avec les collègues, individuellement. Mais c'est vrai, qu'à ce moment-là, le travail se cantonnait sur deux écoles.

Pédagogie de la réussite ?

Ça fait partie... un gamin réussit forcément si on lui donne les moyens de réussir. À aucun moment, un gamin ne réussira pas ce qu'il fait... je ne supporte pas qu'on mette les gamins au pied du mur... ça me fait penser au problème de robinet... (rires)

Pouvez-vous préciser ?

Vous savez, vous remplissez une baignoire, elle se vide de l'autre (rires), c'est complètement idiot, savoir en combien de temps elle va se remplir... vous n'avez pas connu ça comme problème ?

Non, non... et apprentissages scolaires ?

En principe, c'est ce qui est ciblé au niveau du soutien, ils font du scolaire, lecture et mathématiques.

Et cycle 2 ?

Il vaut mieux travailler sur le cycle 2 que sur le cycle 3, commencer éventuellement en grande section maternelle pour tout ce qui est graphisme etc.

Pouvez-vous revenir sur les rencontres que vous aviez avec les enseignants quand vous étiez en regroupement d'adaptation ? Quelle était la teneur de vos entretiens ?

La teneur, c'était... on travaillait sur ce que la classe allait faire et qu'on permettait de rattraper le retard, essayer de comprendre, de voir où ils en étaient. Par exemple la division en CM, il fallait qu'on passe par tous les stades préliminaires avant de faire une division, on travaillait sur tout ce qu'ils ne savaient pas faire mais on allait à l'essentiel de façon qu'ils puissent... donc on se voyait régulièrement pour voir où ça en était. La collègue évaluait, j'évaluais et on comparaît nos résultats.

Quels étaient les liens entre ce qui se passait en classe et en petit groupe ? Est-ce qu'il y avait des échanges par exemple de travaux entre le petit groupe et la classe ?

Des échanges de travaux... par exemple un travail à finir dans la classe à un moment où les copains faisaient quelque chose de plus difficile. Je ne les prenais pas pendant trois heures d'affilée, c'était toujours comme pour n'importe qui en réseau, des séquences de 40 minutes maximum, travail pas fini ou la maîtresse ayant besoin que cet enfant-là fasse autre chose, il existait un système de fiches qui se promenait d'un côté à l'autre.

Si je dis maintenant maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Rééducation motrice, je pense que c'est vrai, mais j'ai très peu travaillé avec des maîtres G alors je ne peux pas dire, là vous m'ennuyez énormément... maître G. ? Cycle 1, peut-être, éventuellement langage ou vocabulaire par rapport aux petits mais ça rejoindrait peut-être plus le travail d'un maître de CRI... peut-être socialisation en petit groupe... un cinquième ? Ce que je disais tout à l'heure, c'est que j'étais bien seule, j'ai très peu travaillé avec des maîtres, alors méconnaissance et puis, je n'ai pas de formation... (rires) ce n'est pas la peine que je précise, sauf pour cycle 1. A mon avis, pour tout ce qui est développement psychomoteur, c'est très utile quand ils sont petits.

En quoi la différenciation des spécialités en deux aides E et G vous semble-t-elle pertinente ?

Que les aides soient divisées en deux parties, je n'y vois pas beaucoup d'intérêt. C'est vraiment un problème de formation entre les enseignants G et les E. Si la formation était commune, peut-être que ça éviterait aussi aux collègues de faire les déplacements et peut-être que ça permettrait de gagner du temps pour débuter les prises en charge.

On parle d'une réforme prochaine des réseaux. Quelle position soutenez-vous par rapport à cette perspective ?

Moi, sincèrement je pense que le réseau a complètement lieu d'exister dans la mesure où il travaille en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques des écoles. Si le réseau, c'est prendre un gamin dans la classe pour soulager, ce n'est pas du domaine du réseau ça. Les enfants qui ont des difficultés de comportement et qui ne sont plus supportés, ça n'a pas lieu d'être. Mais par contre, il faut un travail régulier avec les équipes d'enseignants, et si les enseignants l'acceptent, un travail dans les classes, en atelier par exemple, même si c'est avec des enfants qui ne sont pas forcément le plus en difficulté, mais ça, ça ne passera pas encore. À mon avis, c'est difficile à passer... il faut que les collègues acceptent quelqu'un dans leur classe. Et ça, c'est un problème de relations humaines...

Si je vous entends bien, ce n'est pas une réforme de plus qui fera changer les façons de procéder...

Non, non, ce n'est pas une réforme... il s'agit de la personnalité de chacun et puis après c'est aussi les affinités entre les gens du réseau et les enseignants... mais, même si on est bien copain avec quelqu'un, ce n'est pas évident d'accepter que les gens du réseau rentrent dans la classe sachant que pour moi les enseignants restent très individualistes en se plaignant qu'ils sont seuls dans leur classe. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de réunions de cycle où les gens s'ouvrent... d'où la difficulté de ces réunions de cycle, je pense, mais ça fera peut-être avancer les choses...(rires)

Pourquoi est-ce si difficile à votre avis, pour un enseignant, de s'ouvrir ?

Je pense que c'est difficile parce que le travail de l'enseignant n'est jamais fini... et on n'est pas sûr de bien faire. Alors, c'est plus facile d'accuser le gamin, de ne rien montrer de soi et d'éviter la critique. Comme ça, le sentiment de culpabilité, le doute quand on ne sait pas comment faire avec un élève peut rester supportable. Certains, c'est sûr ne peuvent prendre le risque de perdre la face...

Au niveau de votre fonction de secrétaire de CCPE, quelle visibilité avez-vous du travail du réseau à travers les dossiers d'enfants traités en CCPE ?

Eh bien, on n'a pas beaucoup de traces de ce qui a été fait. On en a très peu, dans la mesure où les feuilles scolaires remplies par les enseignants n'indiquent rien. Ils oublient d'associer les gens du réseau qui ont pris les enfants en charge. Si, ils mettent éventuellement « aide du réseau » mais, c'est peut-être parce que la fiche est faite comme ça. En discutant avec une psychologue scolaire, c'est vrai que ce sont les psychologues scolaires qui ont la mémoire des dossiers qu'on traite en CCPE, parce qu'ils ont vu les enfants plusieurs fois... il faudrait arriver à pouvoir mentionner le travail au moins en temps, en nature et en nombre de prises en charge... ou alors, il faudrait que les enseignants arrivent à remplir ces feuilles en équipe ou avec les collègues du réseau. Pour l'instant, les procédures qui permettent le recueil de renseignements relèvent de stratégies individuelles que ce soit les enseignants ou le psychologue.

Mais le psychologue fait partie du RASED. Ne peut-il pas trouver les renseignements souhaités auprès de ses collègues du réseau ?

Oui, mais ça dépend comment fonctionnent les réseaux et comment le psychologue travaille avec les autres. Le psychologue reçoit des listes de gamin des écoles pour la CCPE. Ou il traite ça en orientation potentielle ou, si ce sont des enfants vus en synthèse, il peut associer ses collègues. À lui, la charge d'établir l'historique des aides ou de ce qui a été dit en synthèse et de remplir le document nécessaire. Je pense que les gamins qui sont orientés en CCPE, c'est plus le travail des enseignants avec le réseau, quelle que soit la personne du réseau, maître E, maître G ou psychologue... par rapport au suivi. (...) Ce n'est pas une perte de temps, on n'est pas forcé de se rencontrer pendant trois heures pour ça... ça peut être bref tout en étant très sérieux, encore faut-il qu'il existe des traces des aides mise en place pour un gamin du cycle 1 au cycle 3... parce que les équipes peuvent changer et les renseignements disparaître...

Pouvez-vous détailler ce que vous attendez dans cette feuille jaune ?

Le niveau en lecture le niveau en maths etc. mais il y a tout ce qui concerne le comportement, les aides, les relations avec la famille... ce n'est pas forcément marqué, on nous écrit généralement : « La maman vient régulièrement prendre des nouvelles à l'école » mais ce n'est pas un travail de fond. À mon avis, les collègues ne prennent pas le temps d'aller au fond des choses. On trouve plus de choses dans les feuilles du psychologue. Ils peuvent retranscrire les entretiens avec la famille... Et c'est très important d'avoir des éléments précis... ça aide à prendre une décision réfléchie et argumentée. C'est quand même l'avenir du gamin qui est en jeu…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour-vous la réussite à l'école ?

En général ?

Oui, oui...

Il n'y a rien qui me vient... Pédagogie différenciée... 5 mots, je vais avoir du mal à en trouver cinq... Centre d'intérêt, je parle des enfants c'est clair.

Mais ça peut aussi concerner les enseignants, c'est libre, ce sont des associations d'idées...

(rires)... Réussite à l'école ? Projet... Je suis très ennuyée... On peut s'arrêter à trois ?

Oui, oui... Pouvez-vous alors préciser pédagogie différenciée ?

On aurait pu dire pédagogie de la réussite mais ça va avec... Disons adapter la pédagogie à chaque enfant, chacun n'étant pas forcément au même niveau que son petit voisin... Et puis après on regroupe par niveau, par centre d'intérêt. Donc centre d'intérêt ça va avec, si les enfants sont intéressés ça marche mieux que si on leur colle des choses, je reviens à mes problèmes de robinet... (rires) des choses complètement inintéressantes ou des pages complètes de bled... Mais vous n'avez jamais fait ça quand vous étiez petite ?

Je n'en ai pas le souvenir...

C'était vraiment très intéressant (rires)...

Vous avez dit aussi projet...

Projet, c'est tenir compte du projet individuel de l'enfant par rapport... A l'école primaire ce n'est peut-être pas tellement évident, le projet c'est peut-être plus son intérêt par rapport à certaines matières... la lecture ou les maths typiquement scolaires, ce n'est pas toujours intéressant, on peut apprendre à lire en passant par d'autres choses, changer les centres d'intérêt... Disons que les trois termes se rejoignent.

On dit que la première aide à apporter relève de la responsabilité de l'enseignant de la classe. Que pouvez-vous dire à ce sujet en partant de vos observations de secrétaire de CCPE ?

… A mon avis c'est l'unique but de l'enseignant, arriver à aider n'importe quel enfant dans n'importe quelle situation, c'est-à-dire trouver les moyens de comprendre, de réussir... pédagogie différenciée... Mais quand on entend aide, on sous-entend aussi difficulté. Mais il n'y a pas que ceux-là qu'il faut aider, il peut y avoir aussi des élèves brillants à aider, c'est forcément réfléchir et travailler, faire attention à ce qui se passe pour chaque individu de la classe.

Mais concrètement quels constats pouvez-vous faire à partir de ce qui est dit en réunion de CCPE à propos des dossiers traités ?

Pas grand chose de précis, ils disent individualiser au maximum, de façon à ce que ces élèves puissent se sentir bien dans la classe... mais eux ne se sentent pas bien... je suis très dure avec mes collègues...

Comme vous le dites, il existe des dysfonctionnements puisque l'école ne parvient pas à réussir avec tous. Quelles seraient vos propositions pour que les aides soient plus efficaces ?

Déjà un problème d'effectif au niveau des classes. Il existe encore des classes chargées sur le secteur et puis peut-être en terme de moyens, pouvoir donner à chaque classe les outils nécessaires et modernes qui font gagner du temps, tout en sachant qu'il peut y avoir le choix d'un enseignement traditionnel mais en ayant la possibilité de fonctionner en groupe avec un petit effectif, en tournant... Comme ça, les enfants verraient tout, tous les outils, on est en retard, ne serait-ce qu'en informatique...

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je pense que les réseaux ont besoin d'exister à condition que les collègues acceptent complètement le travail avec eux. Le réseau travaille essentiellement sur la difficulté mais est-ce qu'on ne pourrait pas se poser la question aussi des enfants précoces... Il y a peut-être aussi d'autres pistes. La difficulté est un problème de comportement pour ces gamins-là... ça peut aussi faire dysfonctionner un groupe classe, c'est juste une remarque... je n'ai pas de solutions pour ce genre d'enfants...

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler en ce qui concerne les aides spécialisées à l'école ?...

Non, j'ai tout dit. La chose essentielle pour moi, c'est le travail d'équipe mais ça passe aussi par l'impulsion que peut donner le directeur d'école... C'est tout ça... Si ça ne passe pas, rien ne peut se faire...