Entretien E37 Florian

Age : 50 ans

Profession : psychologue clinicien, chargé d'enseignement à l'Université, psychanalyste

Diplômes : DPP (équivalent du DESS en psychopathologie et clinique)

Florian : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Florian : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu de l'entretien : Cabinet du psychanalyste

Durée : 55 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

C'est un vocabulaire du symptôme dans lequel, en tant que clinicien, je ne me retrouve pas beaucoup. Ça recouvre un certain nombre de comportements, d'attitudes objectivables, repérables, je ne conteste pas mais c'est tout. Au-delà, ça ne me dit rien de plus. Sous cette expression-là, quand on travaille avec les gens de l'Education Nationale, il y a absolument tous les cas de figure. Ça n'indique rien sur le plan de la psychologie dynamique.

J'ai noté vocabulaire du symptôme, attitudes objectivables, pas d'indicateur. Voyez-vous autre chose à ajouter ?… Je vais vous poser une question identique à propos des réseaux d'aides spécialisées. Quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit quand j'évoque le sigle RASED ?

Alors, du côté de ma place de clinicien, ça évoque un lieu de dépistage… des enfants qui sont en difficultéavec eux-mêmes et qui le manifestent dans leurs difficultés avec les autres et avec l'Education Nationale, enfin ce qui leur est demandé à l'école… ça évoque pour moi des interventions possiblement précoces avec des enfants en souffrance psychique… Ces dix dernières années, c'est ce que les réseaux apportent… C'est leur malaise aussi, c'est peut-être pour ça qu'ils demandent de l'aide. Ils ont une place ambiguë, mais c'est toujours à l'endroit d'une ambiguïté qu'une demande se donne. Après, il faut la décrypter et l'éclaircir…

Par rapport aux groupes que vous avez constitués, pouvez-vous dire quelle a été la demande initiale qui vous a été adressée ?

Il y a un peu d'histoire à cette place que j'ai dans ces travaux de supervision des groupes, c'est des interventions à l'IUFM avec des maîtres G, des rééducateurs au moment où se sont regroupés rééducation psychomotrice et rééducation du langage, à Nanterre dans un centre à l'orientation un peu particulière. On m'a demandé d'intervenir sur des questions comme l'entretien, des choses comme ça. J'ai dit, non moi je ne sais pas faire ça par contre ce que je peux vous proposer c'est de faire expérimenter aux étudiants les enjeux psychologiques, les enjeux psychodynamiques, les enjeux imaginaires d'un entretien. Là j'ai quelque chose éventuellement à leur apporter, c'est-à-dire la réflexion sur ces enjeux imaginaires qui viennent mettre en panne des méthodologies bien connues sur l'entretien. Ces méthodologies ne m'intéressent pas. Elles existent, elles sont enseignées, ce qui est intéressant c'est que parfois, elles ne marchent pas. J'ai proposé de poser la question avec les étudiants de "pourquoi ça ne marche pas ?" et donc de repérer au delà des méthodes les enjeux inconscients qui se jouent très rapidement dans un entretien soit avec un enfant, soit avec des familles et que c'est peut-être là que parfois gît la difficulté de mener à bien un entretien et pas sur les apprentissages méthodologiques d'entretien. Voilà en quelque sorte comment je suis rentré dans cette affaire. Et après avoir vu quelques promotions d'étudiants, une fois qu'ils se sont retrouvés professionnels, c'est une démarche qui les a intéressés de reprendre, par rapport à leur pratique, un certain nombre de situations disant, "on est en panne dans un certain nombre de situations, est-ce que vous ne voudriez pas nous aider à comprendre pourquoi on est en panne, qu'est-ce qui nous met en panne de façon à relancer ces situations d'impasse soit directement dans la prise en charge des enfants, soit dans la prise en charge des parents, parfois il y a besoin de faire un accompagnement des parents, soit dans le travail avec les équipes d'enseignant. C'est sur ce projet là que j'interviens avec les rééducateurs ou les psychologues scolaires. Qu'est-ce qu'il y a d'inconscient, d'imaginaire qui fait blocage à des pratiques qui sont par ailleurs bien inventoriées, bien repérées qui logiquement devraient marcher. Si elles ne marchent pas c'est qu'il y a quelque chose qui se met en panne et ce que je propose c'est de travailler sur ce champ, sur cette alchimie un peu particulière qui fait qu'une relation est ce qu'elle est. Et qui est faite pour une part de l'intervenant, du professionnel, mais pour une part aussi bien sûr de ce que les clients mettent en jeu dans cette relation, mettant le professionnel dans des situations que j'appelle d'impasse.

Pouvez-vous prendre un exemple précis d'une situation qui a été apportée dans un groupe d'analyse de pratique ? Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui a été dit ? Comment avez-vous analysé la situation ? etc…

Oui, on ne peut pas en rendre compte, il faudrait travailler sur une situation clinique qui a été proposée en présence de la personne. Mais grosso modo, on revient à la question que vous me posiez tout à fait au début, la difficulté scolaire… Ce qui est proposé aux rééducateurs, ce sont des enfants en difficulté scolaire. Les aider par rapport à cette difficulté au sens strictement scolaire, c'est nécessairement revenir dans les enjeux que représente pour un enfant la situation d'apprentissage. Donc, c'est répéter dans le cadre de "la rééducation" la même chose que ce qui vient de se passer dans la classe. Par définition, si on se dote des mêmes outils que ceux qui ont cours dans la classe, même en les rendant individualisés etc… on va buter sur les mêmes difficultés. Ces difficultés, par hypothèse, on peut penser qu'elles sont transférentielles d'une part de la famille à la classe et de la classe à la rééducatrice. Donc, la compréhension des difficultés d'apprentissage de la lecture renvoie chez un enfant à la difficulté de décrypter un certain nombre de signes qui sont des signes consensuels, convenus. Mais l'endroit où l'enfant apprend à décrypter des signes, c'est d'abord dans sa famille. Il y a un certain nombre de signaux, externes ou internes d'ailleurs, que l'enfant petit à petit apprend à décrypter dans la famille. Ce qui fait qu'il va lire telle émotion, au sens motionnel du terme, en y mettant tel sens. Pour ça il est aidé par ses parents. Si ça ne s'est pas fait dans l'espace familial, je pense que ça vient se transposer sur la lecture qui est exactement le même canevas. Si on ne lui a pas appris à lire ses signes internes, il n'y a pas de raison qu'il arrive à lire les signes de l'écriture. Il me semble que si le rééducateur veut être efficace, il me semble qu'il faut qu'il saisisse, qu'il comprenne que le problème n'est pas l'apprentissage de la lecture mais que cet enfant n'a pas appris à lire un certain nombre de signaux qui lui sont internes et s'il veut l'aider pour la lecture, c'est à lire ses signaux internes qu'il va devoir s'attacher. C'est le déblocage de cet enjeu imaginaire-là qui va permettre le travail rééducatif au sens strict, de la remise en route de la capacité à lire.

Dans le système d'aides actuelles, il existe deux dominantes, l'aide à dominante pédagogique et l'aide à dominante rééducative. Quand je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots que ça vous évoque ?

Vous comprenez, on est à ce point de passage, ce point d'articulation entre le pédagogique et le thérapeutique. Soit pédagogique, soit rééducatif mais rééducatif c'est encore rééducatif ou thérapeutique. Vous sentez bien qu'il y a un point de conflictualité. Mais je pense que c'est un point de conflictualité interne à tout sujet de se dire ce dont je manque, c'est de choses dans la réalité extérieure, de choses concrètes qu'on va pouvoir m'apporter parce que celles qu'on me donne ne sont pas suffisamment bonnes et là on reste dans le pédagogique, c'est à dire dans l'actif, le comportemental et puis il y a une autre façon de se poser le problème. Si ça ne va pas, c'est qu'il me manque quelque chose mais dans l'interne, à l'intérieur de moi, quelque chose qui ne serait pas de l'acte mais de la pensée. Si je n'y arrive pas c'est que je n'arrive pas à penser quelque chose. Dans l'autre cas, si je n'y arrive pas c'est que je ne reçois pas assez de choses de l'extérieur. Vous sentez la différence ? Il me semble que ce point de conflictualité est interne à tout sujet. Il me semble qu'on est toujours tenté de se dire : "je ne pense pas et j'attends que les autres me donnent ce dont j'ai besoin", soit "je pense pour aller me doter moi-même de ce dont j'ai besoin". Ce point de conflictualité interne, il me semble qu'il se déplace de la maîtresse sur le maître E, puis du maître E sur le maître G, puis du maître G sur le psychothérapeute mais c'est toujours ce point de contradiction. Quand on travaille avec les équipes, on sent bien que c'est un point de conflit institutionnel, aussi à l'intérieur de l'Education Nationale. Chacun demande à l'autre : "alors, tu fais quoi ?" "tu fais mieux que moi là où je suis en échec ou tu fais autre chose ?"… C'est entre la maîtresse et le maître E, c'est entre le maître E et le maître G, c'est un débat dont on ne peut pas se débarrasser. Il me semble que c'est un débat interne au sujet qui se trouve mis en scène, de façon presque psychodramatique au sein des institutions et de l'Education Nationale en particulier pris dans cette problématique de savoir s'il faut faire des pédagogies plus adaptées ou au contraire aider les enfants dans leurs difficultés intérieures. Mais ça ne répond pas à votre question parce qu'on reste dans un conflit il me semble à prendre en tant que conflit comme significatif de entre guillemets "l'enfant en difficulté". Ce conflit entre les enseignants ou entre les catégories de l'Education Nationale, il me semble que c'est le conflit interne aux enfants de savoir qu'ils sont comme ils sont parce qu'on ne les a pas assez aimés ou parce qu'ils ont une représentation interne de leurs parents dont ils ne supportent pas qu'elle soit en écart avec le rêve de parents merveilleux qu'ils avaient à l'origine. Moi, clinicien, je fais le choix de travailler sur la difficulté de l'enfant à faire le deuil de parents merveilleux. Je fais l'hypothèse que ça va lui permettre d'accepter la maîtresse comme elle est et si par contre à lui en donner plus sur x ou x modalités d'une certaine façon, on lui dit qu'il a raison d'attendre que les adultes soient des adultes merveilleux qui vont tout lui donner. Quand on dit "la maîtresse ça ne suffit pas, on va te donner en plus ", on confirme cette idée que les parents ça doit pouvoir tout donner ce dont l'enfant a besoin et on ne le confronte pas à ses difficultés qui est le propre de n'importe quel enfant d'avoir à faire le deuil de ses parents imaginaires et d'accepter les parents réels qu'il a.

Si je pousse votre raisonnement à l'extrême, on pourrait dire que le maître E a une fonction un peu dangereuse …

Pour le clinicien que je suis, oui. C'est pour ça qu'il me semble intéressant de réfléchir avec des gens qui sont engagés, parce qu'ils existent de fait. Il ne faut pas rêver, on ne va pas les annuler du jour au lendemain, mais il me semble intéressant de réfléchir avec les gens qui sont, à cet endroit là, conviés à donner un plus à l'enfant pour leur faire repérer leur faim, dans quel enjeu les enfants, de fait, sont pris avec eux et comment il faut qu'ils évitent, bien qu'en donnant de l'aide, de se prendre les pieds dans cet enjeu imaginaire toxique pour l'enfant.

Avez-vous eu l'occasion de travailler avec des maîtres E ?

Non, c'est vrai les demandes viennent des maîtres G, des psychologues scolaires.

Dans la comparaison, si je dis maître G quels sont les cinq points que vous pourriez retenir ?

Il me semble que d'abord majoritairement les maîtres G sont dans des prises en charge individuelles. Du coup, ils sont beaucoup plus la cible des enjeux transférentiels des enfants parce que ce n'est pas dilué. Je crois qu'ils reçoivent beaucoup plus directement l'impact des difficultés relationnelles, des difficultés internes des enfants, donc d'une certaine façon, ils sont plus à découvert, ce qui me ferait dire aussi qu'ils sont plus demandeurs d'y comprendre quelque chose parce qu'ils sont percutés directement par l'inconscient de l'enfant, par les enjeux de la répétition. Ils font bien leur boulot et puis à un moment l'enfant les remet dans cette situation eux aussi d'être en échec. La maîtresse était en échec, elle a passé la main en disant "toi, tu vas voir ce que tu vas voir, tu vas aussi, toi, être mis en échec par moi". Et c'est lui qui va être rejeté, donc il semble à ce moment-là qu'il peut dire "moi je n'y arrive pas donc il faut que je passe la main au psycho du CMP, ce qui est classique" mais il semble bien que le psycho du CMP, c'est dans la même histoire qu'il va se prendre aussi. Tant qu'à faire plutôt que de prendre un relais de plus, peut-être que ça peut se travailler auparavant. Je pense que la situation individuelle, le fait qu'ils sont un peu plus dégagés des enjeux de la répétition pédagogique, et puis ils deviennent plus la cible, à découvert d'être télescopés par l'inconscient de l'enfant et d'être ébranlés dans leurs certitudes professionnelles. Il y a des gens qui ont le sentiment de bien faire leur boulot et puis qui se trouvent mis en échec par des enfants. Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que je suis assez formé ? Il faut que j'aille me former… Si on part dans une histoire comme ça, on part de travers… De toute façon, cet enfant-là dit aux adultes : tu vois, tu n'es pas capable de bien m'élever". C'est ça qu'il faut travailler. Une difficulté, c'est comment comprendre les enjeux transférentiels dans lesquels est un enfant et pour autant tenir le cap qui est le mandat que l'institution Education Nationale me donne. Ils ne sont pas payés pour être psychothérapeutes. Pourtant, pour mener à bien leur travail de rééducateur, il faut qu'ils comprennent quelque chose des enjeux transférentiels. Après la difficulté, c'est comment dans le champ d'intervention qui est le mien, je vais pouvoir signifier à l'enfant des choses autour de la question du transfert mais sans interpréter puisqu'ils ne sont pas payés pour ça. C'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup avec les pédagogues parce que je travaille aussi avec des enseignants de petite classe et quand ils sont en difficulté, ils disent : "Que faut-il qu'on fasse ?". Et je réponds "A mon avis il n'y a rien à faire". Par contre, on peut essayer de penser quelque chose, de penser autrement les difficultés de cet enfant avec comment ils renouvellent leurs capacités à le faire. Et il n'y a pas besoin de leur dire ce qu'il faut faire mais simplement de se représenter l'enfant autrement et en particulier dans sa souffrance et dans sa souffrance avec sa famille, ça vient relancer l'action pédagogique spontanément : "Ah, on va pouvoir faire comme ceci ou comme cela". Le suivi au long cours montre que quand on relance l'action au long cours de cette façon-là, éclairée par un détour par la psychologie clinique, sans pour autant virer sa cuti en se faisant psychothérapeute alors qu'on est payé comme instit, ça permet petit à petit que l'enfant se dégage de la répétition et retrouve un peu d'appétit pour la chose scolaire. Le point difficile, c'est de ne pas confondre, de ne pas amener les pédagogues dans une position de confusion avec la position du psychologue. Ils ont leur place spécifique, il me semble que je peux les aider à penser quelque chose et à les accompagner dans la relance d'une activité pédagogique, mais non pas à les amener à virer à la position psychothérapique parce qu'elle est idiote pour eux et que les parents ne leur demandent pas d'être psychothérapeutes. Donc, il faut garder le cap du pédagogique, mais une pédagogie qui pourrait être éclairée par un détour par la compréhension clinique. Ça reste une pédagogie, elle n'est qu'éclairée, elle n'est pas mutée, changée en autre chose.

Si je poursuis votre raisonnement, si les enseignants étaient en capacité de réfléchir sur leurs pratiques, est-ce qu'on aurait encore besoin des maîtres G par exemple ?

C'est une hypothèse intéressante. Je pense en effet qu'il y a un certain nombre de situations qui ne viendraient pas au maître G et qui pourraient être réglées, au sens de réglage, pas au sens de "on s'en débarrasse", qui pourraient être réglées dans l'espace groupal de la classe.

Comme si le maître G venait pallier certaines difficultés du système ?

Oui, mais pallier les difficultés à penser des intervenants qui sont là. Et ce n'est pas une critique que je leur fais, c'est que ce n'est pas prévu dans le système qu'on puisse réfléchir. Ce que le système prévoie, c'est qu'on fasse, c'est-à-dire qu'on produise de l'apprentissage scolaire. Mais pour produire de l'apprentissage scolaire, il me semble qu'il faut se doter d'un espace de pensée.

A travers votre expérience dans les groupes, que pouvez-vous dire de l'articulation entre le travail de rééducateur et celui de l'enseignant ?

Il me semble que ce que je pourrais dire c'est que le rééducateur est souvent en place d'accompagner l'enseignant dans sa difficulté avec l'enfant en raison de lui ce qu'il a pu voir de cet enfant-là mais éventuellement sous un autre jour. C'est souvent surprenant de voir les maîtres G dire : "On me l'a adressé parce qu'il était complètement instable, impossible de le tenir et avec nous il est d'une passivité ! Et c'est la même chose. Seulement que l'enseignant ait le renvoi que cet enfant n'est pas seulement l'élève dans la classe que l'enseignant, lui, il voit mais c'est aussi un enfant qui en relation avec un adulte, ailleurs, peut montrer une autre facette, ça, ça fait déjà changer le regard que l'enseignant porte sur l'enfant. Il me semble que ça relance aussi l'activité. Si on se met à plusieurs, on ne prend plus l'enfant pour son symptôme, mais on va le voir sous différents aspects et peut-être comprendre que le symptôme cache autre chose, une souffrance, une difficulté, ou une histoire familiale complexe et que de restituer ça à l'enseignant, ça lui donne une autre façon de se représenter cet enfant et ça peut relancer l'action pédagogique à son égard. C'est comme si… comment dire ? comme si le maître G pouvait se faire l'avocat d'une partie de l'enfant que par définition il ne peut pas montrer dans le groupe classe. Puisque lui est engagé dans une relation individuelle et moins engagé dans la nécessité d'avoir des résultats etc. peut découvrir cette partie-là. Et s'il la redonne au pédagogue, ça réouvre sa compréhension de l'enfant et ça, ça peut relancer, à condition que l'on sorte de cette rivalité dont on parlait tout à l'heure : "je n'y arrive pas, donc toi le super instit tu vas y arriver". Là vous voyez, ça va être la guerre"… "tu as tort, moi j'ai raison", non ni l'un ni l'autre n'a tort ou raison, mais à deux, ils voient deux facettes de l'enfant et il y a un intérêt à penser que si on prend en compte ces deux facettes, on va pouvoir plus aider cet enfant que si on le considère juste comme un élève.

Etes-vous au courant des perspectives de réforme des réseaux ? Peut-être avez-vous entendu parlé dans vos groupes des rapports Gossot et Ferrier ?

Non.

Des mesures vont probablement être prises prochainement… Notamment suite aux rapports Gossot et Ferrier, une demande très forte est faite aux maîtres E et G, surtout aux G, de travailler dans la classe en lien étroit avec l'enseignant. Quelle est votre position à ce sujet ?

Ça me paraît être une erreur… ça me paraît une erreur parce qu'il me semble que une fois de plus, mais c'est toujours comme ça au niveau des institutions, une fois de plus on va gommer une différence et comme toute différence, évidemment, elle est conflictuelle. Donc plutôt de penser comment ce conflit est dynamique et rend compte de la vie, parce qu'il n'y a pas de vie sans conflictualité, on va dire pour qu'il n'y ait plus de conflit, on va aller dans le sens de la demande, c'est-à-dire qu'on va faire qu'au fond tout le monde devienne pareil, alors un peu plus, un peu moins pédago… comme tout le monde dans la classe. Alors là, évidemment, le conflit va disparaître mais cette possibilité d'aide de l'enfant dans le système actuel disparaît aussi puisque tout le monde devient pareil. L'enfant n'aura pas l'occasion de montrer autre chose au rééducateur ce qu'il peut faire actuellement parce qu'il n'est pas dans le même contexte, il n'est pas soumis à la pression pédagogique, il n'est pas dans une situation groupale, tous ces éléments-là vont passer à la trappe et on aura encore un élargissement de l'enfant élève alors qu'il me semble qu'il y avait l'élève d'un côté et l'enfant de l'autre. Un des conflits des enfants, c'est de savoir comment ils arrivent à tenir ces deux bouts, l'élève et l'enfant. L'organisation éventuellement conflictuelle entre le rééducateur et l'instituteur pouvait rendre compte de la conflictualité interne de l'enfant. Si l'un et l'autre se rapprochent pour devenir identiques, l'institution n'aura plus l'occasion de permettre à l'enfant de la donner à voir.

C'est une première tendance sur le terrain. Mais d'autres rumeurs donnent à penser un éclatement du réseau. D'une part, les maîtres E pourraient être rattachés aux équipes pédagogiques et devenir comme des maîtres supplémentaires. D'autre part, le psychologue et le rééducateur pourraient être rattachés à l'IEN et constituer un Centre de ressources. Dans cette perspective, comment voyez-vous la position du rééducateur comme personne ressource par rapport aux équipes enseignantes ?

Le réseau cesserait d'être un réseau parce qu'il n'y aurait plus le maître E et un seul type d'aide ?

Oui, et la fonction du maître G serait d'aider explicitement autant les enseignants que les enfants.

Ça, ça me paraît plus intéressant, parce qu'au fond, on pourrait avoir des points de vue diversifiés et clairement différents. Il me semble qu'un enfant saurait à quoi il a affaire. Si c'est un maître qui est là pour lui apprendre des choses ou si c'est une personne ressource qui est là pour essayer de l'aider et de l'aider à penser sa difficulté. Ce qui est compliqué pour un enfant, c'est quand il ne sait pas ce que lui demande la personne en face de lui. Au fond, un maître, ça demande d'apprendre. Quand ça va pas, on va voir quelqu'un d'autre mais qui ne va pas faire la même chose, sinon, ça sert à rien. Par contre, ça ne va pas, on va essayer d'aller voir quelqu'un d'autre pour essayer de comprendre comment ça se fait que ça ne va pas et comment tu pourrais faire en sorte que ça aille mieux avec le maître, il me semble que c'est clair, que l'enfant sait à quoi s'en tenir. Il a deux parents à ce moment-là. Il n'a pas des parents mélangés dont on ne sait pas qui est le père, qui est la mère, qui fait l'un, qui fait l'autre, pour prendre une métaphore. Mais je pense que c'est quelque chose d'un peu comme ça.

Il est dit dans les textes que l'enseignant dans sa classe est le premier acteur des aides à mettre en place. A travers vos groupes d'analyse de pratique, que percevez-vous de ces actes-là, qui sont posés ou non ?

(…)

Avez-vous une idée des ouvrages ou auteurs principaux étudiés lors de la formation E ?

Aucune idée.

Même question pour la formation G ?

Aucune idée mais je sais ce que je leur conseillerais.

Vous pouvez préciser ?

Je citerai Winnicott tout de suite, c'est-à-dire le travail sur le jeu, c'est-à-dire comment des activités sociales sont aussi des activités imaginaires pour l'enfant et comment l'enfant, à l'école est en représentation. C'est un théâtre. La scène de l'école est là et il vient jouer un certain rôle. Et il n'est pas ce rôle mais il y joue ce rôle-là et après on peut se demander pourquoi il ne joue pas bien ce rôle-là ou qu'il le joue trop bien ou on voudrait qu'il le joue mieux etc… Mais il n'est pas que ça. On ne peut pas réduire l'enfant à ce qu'il montre, parce que l'école c'est dans le "montrer", dans ce qu'il montre aux adultes à cet endroit-là. Il est autre chose donc, tous ces travaux sur jeu et réalité, toutes ces choses-là, les travaux de Françoise Dolto "Tout est langage", vraiment l'enfant ne fait pas que communiquer, il parle à l'aide de toutes ces choses qu'on lui demande à l'école, c'est une façon de parler, la réussite, ce n'est pas un en soi, mais c'est quelque chose adressé à quelqu'un et à qui se cache derrière ce quelqu'un il va dire ceci ou dire cela. Ce n'est pas qu'il est bête ou qu'il n'est pas bête, c'est qu'il a envie de dire à celui qui se cache derrière la maîtresse ceci ou autre chose. La débilité en soi ça n'existe pas, c'est une façon de ne pas vouloir savoir des choses ou de ne pas vouloir dire des choses. C'est un symptôme, ce n'est pas une caractéristique génétique de l'enfant. C'est l'objet d'une relation.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Question difficile… En principe l'école est montée sur le système du social. Donc je crois qu'il y a une grande majorité d'enfants dont on peut dire que c'est d'un bon pronostic par rapport à leur réussite dans la société. Ils sont bien adaptés au fond à ce que la société va leur demander. Seulement ça ne suffit pas de dire ça parce que je pense qu'il y a des réussites à l'école qui sont à prendre comme des signes symptomatiques chez un certain nombre d'enfants c'est-à-dire qui sont des positions d'allégeance, de soumission d'enfants qui ont une grande habileté à se conformer à ce qu'on leur demande et que ça peut, à un moment complètement s'effondrer, complètement casser pour laisser la place à tout le contraire. Donc dans la majorité des cas, d'accord pour dire que c'est un bon pronostic de la réussite sociale sauf que pour un certain nombre d'enfants, on pourrait presque dire que c'est une trop bonne réussite (rires)… Un enfant, ça ne doit pas trop bien réussir à l'école… ça doit en prendre et en laisser, s'intéresser à des choses et à en laisser d'autres etc… ça c'est "normal". Une trop bonne réussite, c'est toujours interrogeable… au sens de : "Qu'est-ce que l'enfant passe dans l'investissement scolaire qu'il devrait passer aussi ailleurs ?" Un enfant qui montre qu'il a bien plus envie d'aller jouer avec les copains que d'apprendre ses leçons, ça me paraît en bonne santé. Un enfant qui montrerait qu'il ne peut passer sa vie qu'à apprendre, dès qu'il est chez lui par exemple il est devant l'ordinateur, enfin… ça peut faire un surdoué mais symptomatologiquement les surdoués sont des enfants qui sont en très grave difficulté interne. Suffisamment, comme dit le père Winnicott, mais pas trop… (rires)

J'ai épuisé mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les réseaux d'aides spécialisées à l'école ?

Je trouve que les aides spécialisées sont un relais tout à fait important pour les cliniciens qui s'occupent d'enfants. Elles ont leur place à condition que les gens, les rééducateurs etc. aient bien conscience de la place qu'ils ont et qu'il n'y ait pas de confusion des espaces. Pas plus qu'un rééducateur est à confondre avec un enseignant, ce n'est pas un enseignant, de la même façon, il n'est pas à confondre avec un psychothérapeute. Il a pourtant la place tout à fait importante au sein de l'Education Nationale de réintroduire du sens en deçà des comportements et de le signifier aux enseignants qui n'ont pas le temps, pas le loisir, éventuellement pas la formation pour se rappeler dans le quotidien d'une prise en charge groupale que ces comportements peuvent avoir un sens. Ce sont des personnes ressources tout à fait importantes et ils ont leur place entre le pédagogique et le thérapeutique.