Entretien E38 Timothée

Age : 62 ans

Profession : Conseiller Principal d'Education à la retraite, psychanalyste

Diplômes : CAP d'instituteur, maîtrise de Philosophie, DEA de Sciences de l'Education, DEA et DESS de psychologie et pathologie clinique.

Timothée : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):
Timothée : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44):

Lieu de l'entretien : Cabinet du psychanalyste

Durée : 1 heure

Note : Timothée m'a aimablement proposé une rencontre ultérieure pour pouvoir me présenter des situations dans leurs détails.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Alors spontanément je dirai "ça ne parle pas", l'agir, traumatismes archaïques, fonction père, fonction mère.

Pouvez-vous développer chaque idée ? Par exemple "ça ne parle pas"…

Oui, c'est un enfant qui n'a pas la capacité d'élaborer, de mettre en mots ses émotions, ses affects, ce n'est pas forcément parler au sens courant du terme parce qu'il peut très bien beaucoup parler et ne pas parler vraiment. Agir, c'est la conséquence de ça ne parle pas. Si ça ne parle pas, ça va passer par l'agir, ça va passer par le corps par des actes violents par exemple ou par des somatisations.

Vous avez dit aussi traumatismes archaïques…

Oui, je crois que les enfants dont l'AIS s'occupe sont des enfants qui ont une problématique œdipienne mal résolue ou plus fréquemment encore, une problématique de coupure plus ancienne où les traumatismes se sont passés entre l'environnement et eux avant l'œdipe.

Vous avez dit aussi fonction père et fonction mère...

Oui, c'est parce que ces fonctions n'ont pas joué leur rôle que ces traumatismes ont eu lieu.

Je vais vous poser une question identique à propos des réseaux d'aides spécialisées. Quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit quand j'évoque le sigle RASED ?

Générosité, difficultés, manque de moyens, manque de formation, manque de complémentarité.

Je vais vous demander de préciser davantage… Générosité…

Oui, les personnes que je vois sont des personnes généreuses. Elles viennent faire de l'analyse de pratique, au minimum sur leur temps de travail ou alors sur leur temps libre en payant personnellement leur participation. J'ai des groupes qui viennent en dehors de leur temps de travail et en payant. C'est surprenant et je trouve dommage que ce soit surprenant. Or ce sont les seuls dans l'Education Nationale qui soient vraiment demandeurs de remise en question. C'est peut-être parce que ces personnes tombent sur de situations vraiment difficiles… Et il y a de l'émotion quand elles parlent d'un enfant qui ne va pas bien… Je veux dire qu'il y a une certaine générosité.

Vous avez dit aussi difficultés…

Je crois que ce sont des métiers difficiles pour tout ce que j'ai dit… S'occuper d'enfants en difficulté, c'est en soi difficile. Mais il y a aussi la question des demandes. Plus ça va, plus je m'aperçois qu'on leur fait jouer un rôle contestable… Les familles sont ce qu'elles sont et surtout l'école leur demande n'importe quoi. La plupart du temps ces personnes, elles s'occupent… - C'est beaucoup de femmes mais il y a aussi malgré tout quelques hommes, donc chaque fois que je dis elles, c'est les personnes -, elles s'occupent de situations qui pourraient être à mon sens largement gérées au niveau de la classe si une pédagogie était adaptée, s'il n'y avait pas de forcing pédagogique etc… On a l'impression que chaque fois qu'il y a quelque chose qui ne va pas, c'est elles qui… On envoie l'enfant comme pour… pas s'en débarrasser mais c'est la solution de facilité… Des institutrices en maternelle qui par exemple font du forcing pédagogique et qui dans leur signalement mettent "aime trop jouer" alors que l'enfant a quatre ans, vous voyez bien que ça fait quand même sourire, ce n'est pas "manque d'attention" etc…Alors hop, on le signale au réseau alors que la maîtresse devrait d'abord se remettre en question et ne pas accuser l'enfant pour une difficulté qu'elle provoque…

Vous avez dit aussi manque de moyens…

Oui, manque de moyens parce qu'elles sont trop peu nombreuses ces personnes. A mon avis on leur envoie des enfants qui ne devraient pas y aller mais attention il y en a d'autres qui sont laissés de côté et qui devraient y aller. De toute façon, il y en a des enfants en difficulté, notamment avec les problèmes sociaux que nous rencontrons… Je trouve qu'il n'y a pas assez de réseaux et beaucoup de réseaux incomplets, beaucoup trop de réseaux incomplets…

Vous avez dit aussi manque de formation…

Oui, je crois que la formation initiale n'est satisfaisante pour aucun métier, le psychologue clinicien, il ne sait rien, tout le monde ne sait rien à la sortie de formation. Je suis très critique par rapport à la formation initiale mais ensuite on ne donne pas tellement l'occasion, si ce n'est pas vraiment une volonté farouche de se former, il n'y a rien qui est proposé. Les psychologues scolaires, c'est pareil, c'est eux qui s'organisent pour se retrouver, pour payer, pour se faire payer si éventuellement ils peuvent, s'ils trouvent des crédits, pour payer une supervision. Ce n'est pas normal…. Une supervision, ce devrait être quelque chose qui va de soi dans des métiers comme ça.. Ça devrait être contractualisé, si on fait rééducateur, on devrait faire une supervision… les psychologues scolaires aussi… Et puis les réseaux sont incomplets, de plus en plus, ça ne facilite pas l'identification de chaque fonction, il manque l'un, il manque l'autre, alors qu'au départ c'est une structure qui doit fonctionner à trois.

Vous avez dit aussi manque de complémentarité…

Oui complémentarité dans le sens du manque. Ce que je perçois c'est que beaucoup de réseaux, pas tous, là il faudrait faire la nuance, dans beaucoup de réseaux on n'a pas l'impression qu'il y a un travail d'équipe sur une famille ou sur un enfant alors qu'au départ, il me semble que c'était ce qui était visé. Je ne connais pas les textes par cœur mais il me semble que c'était ça… Mais ils sont tellement débordés… D'abord certains se plaignent du caractère individualiste des maîtres ou de tel ou tel dans le réseau. Malheureusement ce sont les psychologues qui sont souvent accusés de travailler pour eux, dans leur coin… Il y a ça et puis le fait qu'ils sont tellement débordés qu'ils manquent de temps et hésitent à prendre une heure pour se rencontrer et travailler ensemble.

Pouvez-vous relater une situation d'enfant qui a été présentée dans le cadre d'un groupe d'analyse de pratique ? Dire quelles étaient les préoccupations de l'enseignant, comment vous avez réagi, comment ont réagi les autres membres du groupe etc…

(…) Sans dossier, je vais parler d'un cas assez ancien, parce qu'il était amusant. La situation se passait dans un institut de rééducation. Il n'y a que des institutrices femmes et puis un instituteur homme. L'instituteur homme présente le cas d'un garçon et dit tout de suite qu'il ne peut plus le supporter, que c'est vraiment insupportable, absolument insupportable, qu'il a envie de le casser, de l'étrangler tellement cet enfant est insupportable… Les autres au contraire ont un autre éclairage. Ils le présentent comme un petit page… au fur et à mesure que la colère de l'autre s'amplifiait contre ce petit garçon. Je ne me souviens plus bien comment ça s'articulait (…) La séance d'avant, il y avait eu un conflit dans cette équipe – ça ne veut pas dire qu'ils ne s'entendaient pas très bien -, un conflit parce qu'il y avait eu un jour de grève et que ce jour-là une personne avait été mise à l'écart et que ça interférait en plein milieu d'une situation d'enfant. Et là, il était incontestable que ce qui se rejouait, c'était que le monsieur rejouait quelque chose de la castration à travers l'enfant… le détail je ne peux plus vous le dire mais si ça vous intéresse je l'ai écrit… C'est intéressant de voir comment – ce gamin, était insupportable c'est sûr – comment un cas d'enfant vient s'articuler dans le fonctionnement même d'une équipe et comment ça se dé-canule quand tout est remis à sa place… (…)

A partir de votre expérience de groupe d'analyse de la pratique, quelles sont les difficultés rencontrées par les enseignants spécialisés en réseau pour articuler leur travail entre eux ? Qu'est-ce qui semble ressortir dans ce que vous entendez habituellement ?

Vous vous centrez sur le réseau, pas les CLIS, pas les établissements.

Oui, enseignants maîtres E et maîtres G… Pouvez-vous identifier à travers les cas d'enfants présentés quelles sont les difficultés d'un travail en commun ?

La grosse difficulté qu'on entend, c'est : "Est-ce que c'est à moi à faire ça ?" C'est-à-dire : "Est-ce que cet élève relève de mes compétences ?". Et chaque fois j'ai un mal fou pour montrer que peu importe, là n'est pas la question, que cet enfant a besoin d'une aide spécifique et que c'est déjà quelque chose qui les met… Il y a une forte angoisse à l'idée de faire le travail de quelqu'un d'autre, pas dans un sens pervers c'est-à-dire "ce n'est pas à moi à faire ça", mais au sens "d'être toxique" parce que ce n'est pas la bonne indication. Et ça, ça touche beaucoup plus les maîtres d'adaptation que les rééducateurs. Les maîtres d'adaptation sont constamment dans cette question. Est-ce que ça relève de ce que je leur fais faire ? Ils ont affaire à des pathologies lourdes, et ils pensent que c'est au psychologue et éventuellement le rééducateur qui devraient les avoir et eux ils continuent à faire, ils ont l'impression de faire du forçage pédagogique… Là, c'est mon point de vue, je crois qu'ils se trompent. Le fait de prendre tel enfant aussi perturbé soit-il avec un ou deux autres et de faire un travail qui soit spécifique et tienne compte de son rythme, ça ne peut être que… évidemment si on s'attend… ça c'est la deuxième difficulté, les collègues s'attendent un peu au miracle. Ils ne voient pas que c'est une action d'ensemble, qu'il y a le CMP, qu'il y a eux, qu'il y a les parents et puis que les progrès sont lents. Nous, dans notre métier, on est tout ébaudi de joie quand on voit un tout petit signe, alors qu'eux attendent de ces enfants des progrès spectaculaires. C'est un peu mêlé ce que je vous dis mais c'est aussi articulé parce que c'est le fait de ne pas avoir de résultat qui leur fait penser que ça vient peut-être d'eux. Du coup, culpabilité, non seulement ce n'est pas à eux de faire ça mais c'est ce qu'ils font qui est toxique… C'est ce qui revient le plus souvent, l'incertitude du bien fondé de ce qui est fait, la culpabilité et la tentation de passer le relais à d'autres... surtout chez les gens qui sortent de formation, et dans les réseaux. Dans les CLIS, on n'entend pas ça… L'indication est faite avant et le maître fait ce qu'il peut avec ses élèves.

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Maître E, c'est l'adaptation… Alors je dirais inquiétude, collectif, pédagogique, efficacité… Je les sens inquiets, se sentant responsables de ne pas renvoyer l'enfant dans sa classe avec des compétences qui étaient à l'origine du signalement, se posant des questions au niveau de la composition des groupes, au niveau de leur efficacité etc… C'est tout ce questionnement qui leur est spécifique… Gardez questionnement... Je les trouve beaucoup plus inquiets que les maîtres G.

Dans la comparaison, pouvez-vous retenir cinq mots pour maître G ?

Solitude, psychanalyse, inquiétude mais ce n'est pas la même inquiétude que les maîtres d'adaptation, c'est une remise en question, ce n'est pas pareil… conflit avec les psychologues, et puis femmes, j'expliquerai tout à l'heure.

Est-ce que vous pouvez développer davantage ?

Solitude, parce que c'est quelqu'un qui travaille seul, c'est l'impression que ça me donne. D'abord, il est seul avec un enfant, ça change, il se pose pas mal de questions, avec un pas toujours parfois deux ou trois pour des raisons stupides d'efficacité… Ils travaillent quand même souvent avec un enfant seul. Ils travaillent aussi à un niveau qui n'est pas de forçage pédagogique, ils travaillent sur des fondamentaux, c'est pour ça que j'ai dit psychanalyse, ils ont senti rapidement leurs limites, il n'y a qu'à voir le programme de leurs colloques, ils ont ressenti la nécessité… ils ne sont pas formés, leur formation est théorique, il y en a très peu qui sont analysés et ça reste quand même conflictuel avec le psychologue, qui fait quoi ? Entre le psy et le rééducateur… Chacun a une espèce de difficulté à trouver son créneau par rapport au domaine psy. Il y a beaucoup plus de sérénité, moins d'angoisse que le maître E, une nécessité de remise en question, ce sont les personnes qui demandent le plus de formation, d'analyse de pratiques, des choses comme ça…

Vous avez également dit femmes ?

Femmes parce que je n'ai pas vu d'hommes, très, très peu d'hommes comme rééducateurs, alors que j'en ai vu comme maîtres E (…) C'est une appréciation subjective en fonction des gens que je rencontre. J'ai plusieurs ensembles de réseaux, là, il y a zéro hommes dans les groupes d'analyse de la pratique… Ailleurs, j'ai un homme… Par contre, je suis intervenu une journée dans une autre circonscription où ils étaient tous là et là il y avait des hommes (…)

Vous avez abordé tout à l'heure les éléments qui entravaient le travail d'équipe de réseau, voyez-vous au contraire des éléments favorisant l'articulation des aides ?

Je crois que l'analyse de la pratique par réseau fait faire des bonds de ce point de vue. A Limoges par exemple, il y avait trois réseaux. Les rééducateurs et maîtres E ne connaissent pas l'enfant et sa famille dont on parlait mais parlent et élaborent entre eux dans l'analyse de la pratique. Elle permet à ce moment là de parler sur un registre qui n'est pas celui qu'ils auraient en concertation, leur permet de réfléchir ensemble sur une situation donnée, sur la façon dont ils réagissent et ils le disent dans les bilans, ils ne se voient plus de la même façon… Ce n'est pas tout à fait le même travail et je pense qu'ils en perçoivent mieux l'esprit et les particularités dans le concret d'une situation.

Vous parlez de différence entre les concertations ou les synthèses qui sont obligatoires et l'analyse de pratique. Pouvez-vous expliquer davantage ?

Ça n'a rien à voir (rires)…

Pouvez-vous dire alors quelles sont les différences au niveau des objectifs et au niveau des retombées au quotidien ?

L'objectif principal de l'analyse de pratique, c'est de mettre en évidence l'essence, au sens de ce qui n'apparaît pas à l'œil nu, des difficultés que l'on rencontre. L'objet de travail, ça va être l'interrelation entre un enfant et un professionnel sur le plan de l'analyse des affects qui traversent la relation. En synthèse, on objective l'enfant, c'est-à-dire qu'on fait comme si l'enfant était un objet, on fait de la psychologie. A la manière d'un tas d'éclairages, il y a le sociologue, le psychiatre, l'instituteur qui peuvent dire leur mot. L'enfant est réifié comme si c'était un objet scientifique, chacun lance une bille sur un plan incliné et chacun contribue ainsi à la synthèse. (…) Les temps de concertation devraient aboutir – de toute façon, on ne travaille pas sur l'interrelation -… Je ne veux pas dire que l'interrelation est complètement marginalisée quand on fait de la synthèse ou de la concertation, mais ce n'est pas l'objet du travail. De plus en synthèse ou en concertation, il me semble qu'on devrait arriver à des décisions ce qui n'est pas du tout l'objectif de l'analyse de la pratique. L'objectif de l'analyse de la pratique, c'est être de plus en plus clair soi-même sur ses propres réactions lorsqu'on rencontre la pathologie. Si on prend une image, c'est un peu comme le taekwondo. C'est un art martial où on apprend à effectuer des gestes de combat à une très, très grande lenteur. A force de les effectuer à une très grande lenteur, le jour où on a à s'en servir, ils vont sortir comme ça à une très grande vitesse, comme des éclairs et bien adaptés à la situation. Alors, la comparaison avec l'analyse de pratique… si régulièrement, on prend un temps pour mentaliser, pour élaborer à partir des affects ressentis par soi ou par quelqu'un d'autre qui les expose à propos d'une situation inattendue, au bout de deux, trois ans quand on va avoir une situation inattendue, on va gérer ces affects, on va en faire quelque chose. Voilà le but de l'analyse de pratique, ce n'est pas du tout le but de la synthèse.

Je ne sais pas si vous savez mais les heures de synthèses ne sont pas obligatoires pour les maîtres E. Est-ce que vous en avez des échos ?

Non, parce que je fais tellement la distinction entre la synthèse et l'analyse de pratique, je crois qu'ils n'osent plus me parler de synthèse. Je ne veux pas que ce soit de la synthèse, que ce soit de l'étude de cas. Dans l'analyse de la pratique, quelqu'un, on ne sait pas à l'avance, quelqu'un en a plus gros sur le cœur, parce qu'il y a eu une situation qui lui est restée là. C'est ça qu'on va travailler. Il va la dire, on va lui poser quelques questions pour en savoir un peu plus et ensuite on va élaborer ensemble, on va essayer de comprendre ensemble ce qui a pu se passer dans cette situation entre un enfant, un enseignant ou etc, dans cette situation pour qu'à la fin il y ait ce malaise qui ait persisté. Après qu'est-ce qu'on doit faire ? Ce n'est pas le plus important. Si ça vient bien, si ça coule de source, que l'on trouve une remédiation, peut-être si tu faisais ça, on ne va s'en empêcher, mais le but ce n'est pas la remédiation, c'est l'exercice lui-même qui est important.

Il est dit dans les textes que l'enseignant dans sa classe est le premier acteur des aides à mettre en place. A travers vos groupes d'analyse de pratique, que percevez-vous de ces actes-là qui sont posés ou non ?

Alors là, il y a des conflits absolus. Il y a des conflits absolus, parfois un peu de coopération. Ce sur quoi je reste, c'est beaucoup plus de conflits que de coopération.

Pouvez-vous expliquer ?

Le fait d'avoir choisi de faire de l'analyse de la pratique, mais il y en a certainement d'autres qui se remettent en question d'une autre façon, fait que le regard sur l'enfant est différent. Ce que je vois, c'est qu'il y a des écarts terribles entre le regard… je le vois aussi dans le groupe d'enseignants qui fait de l'analyse de la pratique, c'est-à-dire j'ai là un groupe de collègues d'école maternelle et CP. Eux, ils en arrivent aux même choses, il y a une situation de conflit latent avec les autres collègues parce que le regard sur l'enfant n'est pas le même. Je crois d'ailleurs qu'avec les membres des réseaux, il n'était déjà pas le même avant.

En quoi consiste cette différence de regard ?

Je me demande si ce n'est pas une question de différence de position éthique. Je me demande si ce n'est pas à ce niveau de profondeur.

Vous pouvez donner un exemple concret ?

Non, là il faudrait que je retrouve mes notes…

Vous avez parlé de conflit mais aussi de coopération. Est-ce que vous pouvez en parler davantage ?

La coopération avec les enseignants ? Comme ça, je ne vois pas. Je sais qu'il y en a si je regarde mes notes, j'en trouverai. La plupart du temps, surtout les maîtres E peuvent convaincre l'enseignant d'agir autrement, d'être patient etc… J'ai plus de choses comme ça qu'une coopération. Même quelquefois, j'entends dire – parce qu'ils se connaissent tous – "Ah, c'est bien parce que, l'année prochaine, cette petite n'aura pas Mme Tartempion"… Moi, j'ai plus ce retour-là, plutôt que "avec tel collègue, impeccable, ça marche bien, on élabore un projet commun pour tel enfant"…

Connaissez-vous les projets de réforme actuels ?… Il est question de modifier les fonctions des professionnels au sein des réseaux ou de transformer les réseaux eux-mêmes en Centre de ressources, ayant un rôle clairement explicité auprès des enseignants. Qu'en pensez-vous ?

J'ai dit depuis toujours que le rôle premier des psychologues – ils ne sont pas tous d'accord avec moi mais ils peuvent témoigner – que leur rôle premier devrait concerner les enseignants plus que les enfants. Les enfants qu'on leur confie, ils peuvent les voir deux fois, ils les envoient au CMP et c'est une plaisanterie. Ça ne veut pas dire grand-chose. En revanche, un travail auprès des collègues, ça me paraîtrait plus opportun. Je vois bien ce rôle pour les psychologues mais pas pour les maîtres E et les maîtres G mais pourquoi pas… Ce qui ne serait pas illogique, c'est que les maîtres E restent dans les écoles, à condition que chaque réseau soit vraiment composé d'un psychologue, d'un maître E et de plusieurs maîtres G parce qu'il y a des tas de réseaux sans rééducateur ou sans maître E ou sans psychologue… Ce qui ne serait pas une mauvaise solution, c'est que le maître E soit davantage articulé à l'enseignant et qu'on sorte l'enfant vers autre chose pour le maître G. D'ailleurs, ça se fait déjà il me semble. Il faut une autorisation des parents pour une rééducation alors que pour le maître d'adaptation il ne faut rien. On voit bien…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

(incompréhensible) Je n'aime pas le formalisme de l'école, ceux qui embrassent l'école dans des missions multiples. L'école c'est l'éducation intellectuelle, c'est la formation, c'est la socialisation. La réussite à l'école, c'est si ces trois pôles sont réunis et satisfaisants. C'est tout. Je peux dire quelques mots sur les trois mais je n'en vois pas d'autres et je me refuse même à voir autre chose parce que les institutions ont été formées… c'est vrai qu'on ne peut pas découper les gens en tranches de saucisson mais le pôle affectif, religieux, ce n'est pas l'école, c'est d'autres institutions. L'école c'est ça, l'éducation intellectuelle, la formation, la socialisation. L'éducation intellectuelle, c'est facile à comprendre et Dieu sait si on en est loin, mais on est loin pour tous…

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Je trouve que ça a été une belle idée. Je ne voudrais pas que ça change. Qu'il y ait des aménagements, par exemple comme je l'ai dit tout à l'heure, le maître d'adaptation plus près des collègues, traiter les conflits avec les psychologues scolaires, je lis des articles et je sais qu'ils ne sont pas toujours très contents sur la façon dont… mais ça, ça va se décanter, mais moi l'idée de réseau me paraît bonne à condition que les tâches soient de plus en plus ciblées, qu'il n'y ait pas de chevauchement, qu'il y ait le moins de chevauchement possible ou alors que les chevauchements fassent l'objet de concertations indispensables entre les personnes. Le chevauchement pourquoi pas ? Mais c'est le non dit qui fait problème. C'est une forme de travail qui me paraît intéressante. Je ne vois pas pourquoi on supprimerait les réseaux… Sauf pour des raisons économiques. Pour l'instant, c'est ça. Le nombre de postes diminue. Par contre ce que je souhaiterais c'est que les réseaux jouent non pas les pompiers… Si vous voulez, il y a des tas de situations qui apparaissent de telle sorte qu'il y a un manque de compétences de la part du maître qui déclenche une difficulté et qu'on envoie au réseau. C'est là où je parle de pompiers, et là il y a des progrès à faire. Je vous assure qu'il y a beaucoup de situations de ce type-là dans les écoles banales. Et en particulier à l'école maternelle… La difficulté est venue d'un manque de compétences du maître ou de la maîtresse ordinaire qui déclenche une difficulté et hop, c'est le réseau qui arrive.

C'est terrible ce que vous dites là parce que dans cette perspective le rôle du réseau c'est de colmater les défaillances du système…

Oui, tout à fait. J'en ai l'impression. Pas tout le temps mais j'ai l'impression que ça arrive souvent, d'où d'ailleurs l'espèce d'amertume des gens des réseaux vis à vis des maîtres ou des maîtresses.

J'en ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Il me semble qu'on a déjà bien fait le tour de la question… Mais je reste à votre disposition…