Entretien E40 Stanislas

Age : 28 ans

Profession : Maître E

Diplômes : Maîtrise de Sciences Naturelles, CAPE

Stanislas : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Stanislas : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : à mon domicile

Durée : 1 heure

(...) C'est le petit job de surveillant que j'avais qui m'a donné envie de devenir enseignant en lycée ou collège parce que je trouvais que j'avais une très bonne relation avec les élèves puis ensuite avec l'armée qui s'est insérée dans le cursus universitaire, je suis ressorti en me disant que je ne pouvais plus reprendre la biologie, on nous en demandait trop en CAPES – ayant perdu le fil pendant un an – donc j'ai fait une demande pour rentrer à l'IUFM pour le CAPES de bio et pour le CAPE – pour être prof d'école – et je n'ai été accepté que pour prof d'école et maintenant, je ne regrette pas parce que c'est très bien... Et je pense que vu les problèmes en lycée et en collège actuellement, j'aurais du mal à gérer ces difficultés.

Qu'est-ce qui vous a disposé à prendre un poste de maître E ?

La proposition qu'on m'a faite. L'expérience me tentait. Comment dire ? Je me disais que le métier d'enseignant, je le ferais bien une dizaine d'années et puis j'évoluerai vers autre chose. Je pense que ça peut être une évolution possible ultérieurement. C'est une façon de connaître le système et plus tard pourquoi pas je travaillerai avec des enfants en difficulté.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous cette expression "enfants en difficulté"?

(rires)... un enfant qui n'est pas à l'aise dans la classe, il a un blocage quelque part - problèmes familiaux, problèmes au niveau du scolaire etc - qui manque de confiance, qui n'accepte pas l'échec c'est-à-dire qui en a peur parce qu'on le sanctionne pas mal dans l'école...

J'ai retenu : "pas à l'aise, blocage, problèmes, manque de confiance et peur de l'échec". Ce choix résume-t-il bien vos propos ?

Oui, oui...

Pouvez-vous maintenant retrouver le visage d'un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et raconter ce qui se passait avec lui ?

Difficile... parce qu'à Pélussin, l'an dernier j'avais un enfant dont le comportement me posait problème, il n'était pas en échec scolaire et cette année je ne rencontre que des enfants en difficulté scolaire...

Pouvez-vous en choisir un, celui qui vous touche le plus ?

Il y en a une oui, elle n'attend rien de l'école, elle ne voit pas le but, elle n'a pas envie d'apprendre pour le moment, on n'y peut rien.

Pouvez-vous citer les émotions qui vous animent face à elle ?

J'ai envie de faire quelque chose. Elle m'attire dans le sens où je sens qu'elle a besoin qu'on l'aide etc mais on ne sent pas de retour. Il y a toujours des sourires dans le vide et on ne sait jamais ce qu'elle pense vraiment donc ça bloque tout de suite. On a de bonnes intentions au départ mais ses expressions de visage montrent qu'elle ne s'intéresse pas donc ça bloque.

Pouvez-vous retracer une action particulière menée avec elle ?

On a essayé de voir avec l'enseignant ce qui la motivait un petit peu, ce qu'elle aimait beaucoup. Un jour elle nous a parlé de Céline Dion. On a trouvé un petit magazine où il y avait beaucoup de photos etc et durant une semaine, elle avait une certaine motivation pour aller vers l'écrit. Mais ça n'a duré qu'une petite semaine...

Est-ce que vous pouvez évoquer maintenant un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quels sentiments s'éveillaient en lui et comment réagissait-il ?

L'enseignante par rapport à cette enfant ne savait plus quoi faire au début. On ne sait toujours pas quoi faire avec cette enfant. Ça la rassurait de me rencontrer, de parler, de voir que j'avais les mêmes difficultés qu'elle. Elle a fait beaucoup d'efforts au début de l'année et même jusqu'en février pour lui faire apprendre les lettres de l'alphabet parce qu'elle ne les connaît toujours pas, il y a beaucoup de travail plus simple pour elle où on essaie de la valoriser mais en fait maintenant on s'est dit, il vaut mieux abandonner parce que c'est trop tard pour rattraper maintenant. Elle va la faire redoubler c'est sûr et on prépare maintenant son redoublement. Je lui ai dit de laisser tomber la pédagogie différenciée, qu'elle fasse comme les autres et qu'à côté de ça, il faut lui faire travailler la mémoire genre mémory ou autre parce qu'elle n'a aucune mémoire. Donc on a laissé tomber le scolaire, elle suit comme les autres et à côté de ça elle fait plutôt des activités jeux pour préparer son second CP et apparemment elle le vit bien, c'est ce qu'elle attendait peut-être, elle attendait qu'on lui dise ça...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED, en dehors de la signification stricte des lettres ?

Je n'aime pas trop le terme de réseau parce que je n'ai pas trop l'impression que c'en est un. Je ne trouve pas que les enseignants s'investissent suffisamment pour que le terme de réseau soit justifié, réseau sous-entend échange... J'ai ce sentiment-là... Au début j'avais l'impression d'être un genre de SAMU. Les enseignants nous appellent parce qu'ils sont en difficulté et il faut qu'on arrive tout de suite, c'est tout juste si on a le temps de prendre la voiture et il faudrait déjà avoir fait le bilan des acquis... Un SAMU de l'aide alors que ça ne devrait pas être ça... Beaucoup d'enseignants, disons un tiers, nous appellent alors qu'ils n'ont pas testé autre chose dans leur classe… et quand la maison brûle, « allô réseau ? »"...

Je retiens "pas vraiment réseau, SAMU" ? Est-ce que le sigle vous évoque encore autre chose ?

Aide, je ne sais pas si on peut parler d'aide vu que tout passe par la relation... C'est une aide mais je ne sais pas comment la qualifier. Dans aide, je vois beaucoup le côté matériel – c'est vrai qu'on apporte beaucoup de nouveaux matériaux, de nouveaux jeux - mais ce qui est beaucoup plus travaillé, c'est la relation. On a gagné quand l'enseignant a changé de regard sur l'enfant et quand l'enfant a changé de regard sur son travail. Je ne sais comment dire...

Aide relationnelle peut-être ?

Aide relationnelle, oui à l'égard des enfants et des enseignants parce que c'est les deux qui doivent changer de regard.

Quand je dis maître E, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

J'ai l'impression d'être une oreille pour les enseignants parce qu'ils ont beaucoup besoin de parler avec quelqu'un d'extérieur à l'école, ils parlent plus facilement avec quelqu'un d'extérieur à l'école qu'avec quelqu'un de l'école des difficultés qu'ils rencontrent. Pour les enfants j'ai l'impression d'être plutôt un copain et ce côté copinage m'inquiète. Ce n'est pas ce que je cherche. Mais c'est ce qu'ils perçoivent en moi et ça me gêne. Ils ont du mal à me percevoir comme un maître. Alors je leur dis de temps en temps : "écoutez, ce n'est pas vous qui décidez, c'est moi, je suis un maître". J'ai l'impression qu'ils tombent des nues. C'est peut-être le fait de faire beaucoup de jeux avec eux, des choses qu'on ne fait pas en classe... Même les fiches de travail, finalement, pour eux ce sont des jeux. Un enseignant m'a dit : "ce n'est quand même pas que des jeux que tu fais avec eux !" Pour eux, ce ne sont que des jeux. Quand on rentre dans une cour d'école, on ne connaît pas tous les enfants, on ne connaît que ceux qu'on prend et tous les gamins nous connaissent... Comme quand on va à Carrefour, à la piscine ou dans la rue, il y en a qui nous disent bonjour mais nous on ne les connaît pas... C'est impressionnant et inquiétant à la fois... Des fois j'ai du mal avec ça...

Je peux garder "connu de tous" ?

Oui, connu de tous les enfants. Après maître E, c'est être présent au bon moment. C'est notre but, être à l'écoute des enfants. On pourrait dire oreille pour les enfants. A chaque séance, on débute toujours par une discussion, savoir si ça va, etc... et là ils ont toujours beaucoup de choses à dire, des petits secrets qui pour nous n'en sont pas mais pour eux si.

Pourriez-vous définir le travail du maître E à partir de votre expérience professionnelle ?

C'est ce que je disais tout à l'heure, c'est changer le regard de l'enfant sur son travail et changer le regard de l'enseignant sur l'enfant. C'est faire en sorte de modifier le statut de l'erreur, que l'enfant accepte l'erreur, il a le droit de se tromper... Il faut qu'il le comprenne et qu'il l'accepte. Ce qui est dur dans les écoles... Je me pose toujours plein de questions sur l'évaluation...

Qu'entendez-vous par-là ?

Avant j'étais contre les notes. Je le suis toujours. Les notes, ça ne peut que mettre les enfants en échec quand ils sont déjà en difficulté. D'un autre côté il y en a besoin parce qu'il faut motiver un petit peu, pousser un petit peu... Alors je suis très intéressé par la pédagogie institutionnelle avec les ceintures mais c'est pareil, il y a toujours une évaluation quelque part... Mais de toute façon, il y en a besoin parce que quand ils vont se retrouver au collège ou au lycée, il y aura une évaluation et celle-là elle ne risque pas de changer avant bien longtemps... Je suis vraiment coincé... Donc je penche surtout vers la pédagogie institutionnelle avec les ceintures de judo. Quand une ceinture est acquise elle l'est définitivement, ça ne fait pas comme la note qui fluctue... Les feux rouge, vert, orange en maternelle peuvent monter ou baisser, on peut passer d'un feu vert à un feu rouge etc...

Mais il est peut-être important pour l'enfant de savoir s'il sait faire ou s'il ne sait pas faire ?

Oui mais avec les ceintures, c'est l'enfant qui propose, qui dit "je pense que je peux avoir telle couleur, je fais ma demande". Les autres discutent en observant le travail - de toute façon, c'est toujours le maître qui décide – mais il y a quand même une demande de l'élève, donc un travail d'auto-évaluation, qui n'est pas facile mais c'est le début de quelque chose.

Quelles sont les différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E?

Je ne pense pas qu'il y ait de différence parce que le travail d'un maître généraliste c'est aussi d'éviter l'échec de ses élèves. La différence, c'est que nous ayant peu d'élèves, on peut faire plus facilement des choses ludiques avec eux. Mais tout ce qu'on fait, c'est de l'ordre du travail dirigé donc maintenant qu'il y a une heure de travaux dirigés dans la journée, on devrait le faire à ce moment-là. Après il y a la manière de le faire et les outils qu'on utilise. Nous, on est avantagé, c'est différent de ce côté-là.

Quels sont les aspects les plus importants à maîtriser pour exercer la fonction de maître E ?

C'est l'aspect... Le regard que l'enfant porte sur nous... ce que je disais tout à l'heure, le copinage. On est vraiment... Du fait du petit nombre, parfois on se retrouve à deux ou trois enfants, c'est peu et ils tendance à nous prendre pour quelqu'un d'autre. Je crois que c'est là... il faut mettre des règles, ce n'est pas facile... C'est moins facile qu'en classe.

Nous allons nous pencher maintenant sur la fonction de rééducateur. Quand je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Je pense au comportement de l'enfant, aux troubles de comportement, aux troubles - disons psychologiques - qui ont des raisons derrière... qui font, qu'en classe, on ne peut pas agir sur ces raisons. Ce n'est pas du domaine scolaire, ça ne touche pas directement le domaine scolaire mais le comportement. Ce sont soit des enfants très effacés, soit très bougeons qui embêtent tout le monde, qui ne sont pas maîtres d'eux.

Et en ce qui concerne directement la fonction qu'auriez-vous à ajouter pour la caractériser ?

Pareil, le relationnel. Mais le maître G a plus la nécessité de travailler avec les parents. Pour le maître E, c'est difficile, on a souvent des parents d'origine étrangère, ils ne savent pas parler ni lire le français, c'est difficile de monter des contrats avec eux quand les enfants ont des difficultés de lecture... C'est plus facile pour les maîtres G parce que ça concerne plus les comportements, les codes, les règles à établir... C'est difficile en débutant de savoir vraiment ce qu'ils font. Moi, j'ai confiance en fait en ceux qui sont là, donc je ne cherche pas trop à savoir ce qu'ils font.

Est-ce que vous pouvez tout de même définir leur travail ?

Non, ce serait difficile. J'ai confiance...

Quels sont les aspects les plus importants à maîtriser pour pouvoir exercer la fonction de maître G ?

La patience - pour tout enseignant de toute façon - la tolérance, accepter l'autre tel qu'il est.

Est-ce qu'il y a des aspects plus particuliers au maître G ?

Maîtriser la relation duelle.

Est-ce que vous pouvez indiquer les différences de pratiques entre maître E et maître G ?

Le maître E travaille surtout dans le domaine scolaire. Il ne fait que du scolaire quelle que soit la forme. Le maître G a des objectifs qui ne sont pas du domaine scolaire.

Est-ce qu'il y a des points de ressemblance entre maître E et maître G ?

Le but pour lequel on nous appelle... On nous appelle parce qu'il y a un enfant qui pose problème dans la classe... problème de comportement ou d'apprentissage certes mais ça touche forcément le scolaire. Ça touche le scolaire dans le sens où il faut qu'il soit mieux à l'école.

A votre avis, est-ce qu'il y a une fonction, E ou G, qui joue un plus grand rôle ?

(rires)... Non, elles sont au même niveau je pense.

Si un jeune collègue intéressé par un poste en réseau vous demandait de parler des métiers de maître E et de maître G, que lui diriez-vous spontanément ?

Pour maître G, j'aurais du mal à en dire quelque chose mais pour le travail en réseau en général, il faut être disponible en dehors des heures de classe. Pour beaucoup de personnes que j'ai rencontrées et qui m'ont posé des questions, qui sont enseignantes ou autres, ce boulot a la connotation d'être très cool...

Quel est votre avis sur la question ?

Eux ne voient pas beaucoup de préparation, c'est vrai que les préparations sont vite faites, plus vite qu'avec une classe puisque ce sont des choses qui se répètent, mais à côté de ça, il faut du temps pour réfléchir à ce qu'on peut faire, il faut du temps pour rencontrer les parents, l'enseignant, téléphoner aux orthophonistes ou autres et tout ça, ça se fait en dehors des heures... Il y a une demande, c'est méfiance et il faut être disponible.

Il existe aujourd'hui deux types d'aide à travers deux fonctions séparées. Pouvez-vous imaginer une seule fonction qui regrouperait ces deux aides, un maître qui soit E/G ?

Non, pour les enfants. Vu que le travail est différent, si on doit prendre les mêmes enfants à une autre étape, c'est-à-dire si on doit prendre un enfant en aide G après une aide E, je pense que ça doit être beaucoup plus difficile parce que c'est la même personne et il ne percevra pas assez la différence... Même si on lui dit, il aura du mal à percevoir la différence de travail.

Voyez-vous d'autres inconvénients encore ?

Non, non.

Quel est l'intérêt à maintenir les deux types d'aide à travers deux fonctions distinctes?

Ça permet une meilleure spécialisation et puis toujours cette idée de regard de l'enfant sur les personnes... Chacun est bien catégorisé. Je crois que les permissions que l'on donne aux enfants ne sont pas les mêmes...

Vous pouvez parler des permissions que vous donnez aux enfants dans le cadre de votre travail ?

Il faut mettre un cadre. Il y a aussi un cadre dans le travail du maître G mais apparemment il y a un choix des jeux. Moi, non, je dis "on va faire ça ou ça". Et on le fait.

Vous parliez de permission...

Bien justement il y a une permission de choix dans le travail qu'il va faire dans la journée mais pas avec moi. Donc ça risque de coincer à ce niveau–là si c'est avec la même personne qui au bout d'un temps donné va changer d'objectif et va se tourner vers le E ou inversement le G.

Si on considère le réseau d'aides dans son entier, quelle est la typologie des tâches qui sont effectuées par un réseau ?

C'est le travail avec toutes les écoles, en conseil d'école, en conseil de cycle... C'est le travail de prise en charge ou de suivi des enfants. Ce sont les synthèses, le travail interne au réseau. C'est le projet d'implantation du réseau. C'est travailler à l'image du réseau – essayer d'expliquer les fonctions de chacune des personnes du réseau. Les maîtres E ou G, le psychologue, à part leurs fonctions différentes, ont les mêmes tâches, les mêmes devoirs envers les enfants, les parents de l'école...

Existe-t-il des évaluations de résultats ?

C'est tous les jours, au moins en ce qui me concerne, chaque fois que je prends des groupes. Les exercices évoluent en fonction des tests. Tous les jours il y a une évaluation sinon au bout d'un moment je ne perçois plus une difficulté.

Et en ce qui concerne non plus le travail de l'enfant mais votre travail ?

A part l'inspection que j'ai eue... J'attends d'avoir des échos de mon travail. J'en ai, mais j'aimerais aussi en avoir des négatifs, c'est ce qui fait avancer... ça fait peut-être mal, mais ça fait avancer... Mais il n'y a pas de dispositif formel pour ça.

Pouvez-vous relater une action exemplaire soit positive, soit négative, conduite par le RASED ?

Le travail actuel, sur l'évaluation du RASED. (incompréhensible) Si on fait bien notre boulot, on peut le montrer et en discuter, essayer de quantifier et de qualifier les actions menées.

Comment concevez-vous le rôle du réseau ?

Pour moi, c'est un groupe. En fait ce qui manque lorsqu'on est enseignant dans une classe, ce sont les échanges. Dans le réseau... dans la classe, on a tort de se sentir seul et de s'enfermer, de garder pour soi ses difficultés etc... Dans le réseau, on est plus un groupe, on a peut-être plus de facilités à échanger nos difficultés, à faire un groupe soudé, je pense que ça c'est déjà l'essentiel... vivre, enfin travailler en groupe... ce qui devrait être fait dans les écoles... oui avec les conseils de maîtres, d'école, de cycle... Peut-être qu'il y a trop la connotation travail égale réussite.

C'est-à-dire ?

L'objectif dans le conseil d'école c'est souvent remettre, c'est parler du projet d'école, ce sont des choses très "vitrine", homériques. Je pense que de temps en temps, on a besoin de sortir et de parler de nos difficultés à nous, faire de l'analyse de pratiques. C'est vrai que dans le réseau, en synthèse, c'est ce qui se fait. On parle de ce qui se passe avec un élève, progressivement on se soulage et on recueille d'autres avis. Ce n'est pas quelque chose qui se fait suffisamment dans les écoles à mon avis. (incompréhensible).

Pouvez-vous présenter le cas d'un enfant dont la prise en charge s'est révélée efficace?

Les enfants qu'on ne prend qu'une fois et qu'on ne prend pas la fois suivante (rires)...

Pouvez-vous préciser ?

Ce sont des enfants qui sont en échec en classe puisqu'on nous les donne mais en fait une fois qu'ils se retrouvent... C'est vrai que la première fois qu'on se retrouve avec un enfant, c'est plus une relation duelle avec chacun, c'est vrai que c'est ça dépend des groupes et c'est vrai qu'on s'attache plus particulièrement à ceux-là pour voir vraiment où se trouvent les difficultés. Et pour certains enfants, vraiment en difficulté, quand ils se retrouvent en face de nous, il n'y a plus de difficultés et pour quelques enfants, je me disais qu'est-ce qui a bien pu se passer, il n'y a plus de difficulté. Je pense que c'est lié à la peur de l'échec, à un manque de confiance. Mais finalement se retrouver confronté avec une personne en face et réussir, ça peut peut-être débloquer quelque chose...

A l'inverse, pouvez-vous retracer le cas d'un enfant dont la prise en charge s'est révélée inefficace ?

L'enfant dont je parlais tout à l'heure... A mon avis, il y a beaucoup de choses. Déjà l'école pour elle, ça ne renvoie à rien. Elle ne sent pas la nécessité d'apprendre à lire. Elle le dit : "je n'ai pas envie d'apprendre à lire". Personnellement, elle est passive, elle ne cherche pas. L'origine du mal ? Elle a un frère jumeau dans la classe qui par rapport à elle a beaucoup plus de choses. Il est toujours habillé correctement alors qu'elle récupère les pulls de son frère plus âgé, elle a des collants qui sont déchirés...

Est-ce que son cas relève d'une autre indication ?

C'est difficile aussi... ça fait longtemps que je proposais de rencontrer les parents pour voir un petit peu. Or avec un de ses frères aînés, il y avait apparemment des problèmes de maltraitance. Donc ça bloque aussi de ce côté. L'enseignante ne désire pas les rencontrer, elle ne désire pas non plus que je les rencontre. On en est à un point où on va les rencontrer tous les deux ensemble. Peut-être que d'autres choses vont ressortir.

Comment vivez-vous le regard des autres enseignants sur votre travail ?

C'est difficile car ils croient que c'est un travail qui est confus. Ça ne l'est pas tant que ça… Mais sinon, on a du mal à percevoir ce qu'ils pensent réellement de nous.

Dans votre pratique, avez-vous des moments difficiles ?

Les moments difficiles, ce sont les groupes où j'estime que les enfants sont trop nombreux. Tous les groupes que j'ai eus, ça c'est toujours bien passé. En trois quarts d'heure, je n'ai pas le temps de faire le tour de chacun d'entre eux… C'est vrai qu'il y a un peu de (incompréhensible), sous forme de jeu et ça dissipe assez l'écoute. Donc c'est là où ça coince. Assez rapidement j'essaie de… dans un premier temps de m'occuper de ceux qui sont le moins en échec, histoire de débarrasser le plancher, c'est le terme que j'aurais employé, c'est un peu ça quand même, dans un groupe de quatre, c'est deux que je vais tirer… Et inversement, le groupe duel, où je suis seul avec un élève, c'est très pesant.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Pesant parce que ce n'est pas la même motivation pour l'enfant et puis… on forme un couple presque (rires)...

Vous n'avez pas de diplôme particulier pour exercer en AIS. Pouvez-vous préciser de quelle façon vous vous êtes formé ?

Sur le terrain…(rires) Il y a eu la maîtresse E en poste précédemment ici… La grande chose que j'ai comprise et qui est primordiale, c'est qu'il faut faire autrement que ce qui est en classe. J'ai cherché à faire plus de jeux. C'est après, j'ai eu le stage où j'ai quand même appris de petites choses, fait des échanges matériels et autres, donc j'ai pu me faire des jeux au cours de ce stage et je pense que… il y a une idée centrale : on est là pour aider les enfants, surtout les accepter tels qu'ils sont. Il faut avoir cette idée en tête, il faut tolérer ce qui nous déplaît en eux et faire le maximum pour qu'ils acceptent d'apprendre. L'autre point important, c'est la rigueur dans la construction des projets pour chacun. On ne peut pas aller au hasard, il faut bien cerner leurs difficultés, poser des objectifs et des indicateurs de réussite, s'aider par exemple de la cible MEDIAL d'André Ouzoulias.

Pouvez-vous présenter rapidement de quoi il s'agit ?

C'est un outil un peu compliqué à voir comme ça… ça ressemble à une cible qui mesure l'évolution d'un enfant dans différents domaines, les attitudes dans le groupe, la lecture, le langage, la méthodologie… Il y a un niveau de départ d'une certaine couleur, des niveaux intermédiaires et un niveau d'arrivée... je pense que ça permet de bien visualiser, de se repérer, de montrer à l'enfant et à l'enseignant les progrès et les objectifs qui restent à travailler.

Avez-vous une idée des trois livres ou auteurs principaux qui sont recommandés lors de la formation E ?

(rires)… Je n'ai pas eu la formation E… Mais disons que j'ai lu ceux qui m'ont été proposés durant l'inspection… Donc le livre d'Ouzoulias, celui d'un américain dont j'ai oublié les références qui analyse les tests de QI scolaire, ça me conforte dans l'idée que l'enfant en difficulté n'est pas en difficulté partout et il peut se sentir à l'aise ailleurs que dans le scolaire… et c'est l'essentiel. Le dernier que j'ai lu c'est "Aider l'enfant en difficulté" du CDDP de la Marne et j'en attends un autre c'est "l'utilisation de l'erreur" ou "progresser avec l'erreur ", je ne me souviens plus du titre exact, mais le thème c'est comment utiliser l'erreur pour progresser.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Réussite sociale pour l'enfant, acceptation dans le groupe : qu'il accepte et qu'il soit accepté – en fait la socialisation -, esprit critique, je vois surtout (incompréhensible)… acceptation de l'autre, acceptation de soi, l'école pour moi, c'est ça… C'est vrai qu'on devrait utiliser tout ce qui est du domaine scolaire pour arriver à toutes les compétences transversales. J'ai été conforté dans mes opinions par l'inspecteur qui disait que maintenant, la plupart des programmes et objectifs sont faits… avant on devait faire le programme, maintenant avec les objectifs on doit atteindre tant de repères.

Comment considérez-vous le rôle et la place des aides à l'école ?

Avec le réseau ?

Je n'ai pas précisé aides spécialisées, toutes les aides peuvent être envisagées…

Moi, les aides, je verrais bien un échange pendant les heures de travaux dirigés, un échange entre maîtres. Je n'ai pas l'impression qu'ils fassent autre chose, qu'ils se mélangent avec d'autres classes… Je pense qu'il y a un travail à la fois des élèves qui sont bons partout, pourquoi ne prendraient-ils pas la place du maître pour un apprentissage plus… Il y a aussi des jeux que j'ai vu, à l'IUFM, sur la non violence etc et je pense que ça peut aider…

Et si on se penche davantage sur les aides spécialisées, quel est leur rôle et leur place à l'école ?

Leur rôle devrait être plus libre et à la fois plus présent. Moi, je serais pour une aide plus envers les enseignants qu'envers les enfants… trouver des formes dirigées où on échange les groupes, on fait participer les enfants qui sont bons dans tel domaine… aider à cette organisation-là plutôt que de prendre des petits groupes…

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Ils ont encore de l'avenir… Il n'y a pas de souci à se faire (rires)…

Avez-vous d'autres remarques à formuler au sujet des aides parce que je n'ai plus de question précise à formuler…

Par rapport à la tolérance de l'erreur, souvent les enseignants me disent : "oui, il faut accepter l'erreur, il faut qu'on diminue la pression sur les erreurs que les enfants font mais il y a des erreurs qu'on ne devrait pas accepter. A un certain âge, il y a des erreurs qu'on ne devrait pas accepter. C'est une remarque que j'étais prêt à accepter mais maintenant je me dis : "Finalement, un enfant qui fait une erreur même absurde, il a une raison de la faire alors doit-on la lui reprocher ?" J'en suis là… Pour moi, la fonction du maître E, c'est bien clair, c'est transformer le regard que l'enfant et l'enseignant ont… C'est ma phrase, c'est ça, mais maintenant, j'en suis à l'erreur.(…)