Entretien E43 David

Age : 50 ans

Profession : Maître E

Diplômes : CAP d'instituteur, CAPSAIS option E

David : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
David : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de réseau

Durée : 2 heures

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Difficultés scolaires, difficultés à prendre sa place dans l'école, souffrance psychologique, inquiétude voire angoisse des parents, échec.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Un enfant est signalé au réseau d'aide parce que toujours au départ il a des difficultés scolaires à un moment ou à un autre de sa scolarité, soit massives soit légères, ça dépend des enseignants et ça dépend s'ils ont une classe avec un nombre important d'élèves en difficulté ou avec une classe avec un faible nombre d'élèves en difficulté. On voit des différences importantes dans le signalement des enseignants. Les difficultés scolaires se déclinent en deux catégories : il y a l'élève qui n'arrive pas à apprendre et qui a des difficultés proprement scolaires et il y a l'élève qui pose problème de par son comportement et qui interroge les enseignants. Parfois c'est les deux ou l'un ou l'autre… Je mets le comportement avec parce que lorsque l'enfant n'arrive pas à se situer face aux apprentissages soit parce qu'il est en opposition passive ou active avec l'enseignant, soit parce qu'il n'est pas là dans sa tête ou qu'il n'y a pas de place dans sa tête, on débouche de façon presque automatique sur des difficultés d'apprentissage. Il ne profite pas de ce qui est fait en classe, donc il est en difficulté. (…)

Vous avez dit aussi difficultés à prendre sa place…

Là je mets plusieurs types de gamins. Il y a l'élève qui se met en opposition très vite face à l'adulte, face au système scolaire, face aux autres parce qu'il est dans un état psychoaffectif tel qu'il n'arrive pas à prendre sa place dans le groupe classe. Il y a le gamin à l'opposé qui fait de l'opposition passive plus ou moins consciente. Il ne bouge pas, on ne l'entend pas, il ne prend pas la parole, il ne parle pas etc… Il a refermé sa coquille. Il y a le gamin qui est paralysé par ses difficultés. Il les a intégrées, il a fait des comparaisons avec ses camarades et il est paralysé par ça… (…) C'est surtout ça.

Vous avez dit aussi souffrance psychologique…

Il y a l'élève qui est dans l'impossibilité d'apprendre. J'en rencontre chaque année. Parce qu'il vit une situation de souffrance le plus souvent liée à ce qu'il vit dans son milieu familial et ce qui fait qu'il n'y a pas de place à ce moment là de son évolution pour les apprentissages. C'est le plus fort.

Inquiétude des parents ?

Je rencontre un nombre non négligeable d'enfants qui sont en difficulté à l'école soit parce que les parents leur mettent une pression trop forte quant aux résultats qu'ils doivent obtenir à l'école surtout lorsque ce sont des injonctions qui ne s'accompagnent pas d'une aide efficace des parents. Le gosse porte le poids de la pression des parents sans que pour autant il soit aidé. Il y a l'inquiétude et l'angoisse forte des parents qui ont eux-mêmes mal vécu leur scolarité, qui ont été en échec et qui projettent sur leur gamin la crainte "qu'il fasse comme". Il y a aussi l'inquiétude que je rencontre chaque année des parents qui me disent "moi, je ne sais pas lire" ou "j'ai appris à lire mais bon, je ne peux pas aider mon gamin, je suis trop nul". Je l'écoutais encore hier ça de la part d'une maman… Pour des enfants qui sont en CE1 ou même avant : "moi je ne peux pas aider mon enfant parce que je ne sais pas faire, de mon temps ce n'était pas comme ça, je n'y comprends plus rien donc je ne peux pas l'aider et ça m'inquiète"…

Et échec ?

Alors échec, les gamins qui malgré les aides qui ont pu lui être apportées soit en dehors de l'école soit dans l'école maintiennent leurs difficultés et font qu'ils restent en difficulté au fil des années dans le système scolaire. Nous enseignants, y compris spécialisés, devenons inquiets par rapport à ces gamins parce qu'on se sent "impuissant" entre guillemets à les aider à s'en sortir au moins en partie. L'installation dans les difficultés devient échec, c'est difficile à vivre pour tout le monde, et pour les parents, et pour le gamin et pour nous.

Je vais vous demander maintenant de choisir d'un enfant en difficulté scolaire avec qui vous avez eu l'occasion de travailler. Pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui était fait pour cet enfant ?

J'opère au hasard ?

Oui, l'enfant qui vous vient à l'esprit…

Alors je vais prendre la dernière personne que j'ai vue hier en entretien. Elle s'appelle Alison. Elle est en CP. Elle a été signalée pour la première fois l'an dernier. Je l'ai suivie l'an dernier en grande section de maternelle. Elle a été re-signalée donc je la suis de nouveau en CP. Elle a un grand frère – que je n'ai pas suivi - qui a été aussi en difficulté à l'école. Cet enfant est en CM2 actuellement, il a été maintenu en CP et est toujours en grande difficulté scolaire. Il a été défini comme étant dyslexique, ayant un nombre assez conséquent d'éléments de dyslexie. La maman, qui est une maman très volontaire – au sens positif du terme -, s'est juré que sa deuxième n'aurait pas les mêmes difficultés que son frère. Elle est très volontariste par rapport à ce qu'elle peut faire pour aider son enfant. Alison est suivie en orthophonie depuis le début de la grande section. Ce qui a frappé l'orthophoniste, ce qui m'a frappé aussi, pour cette gamine, c'est une orientation spatio-temporelle, complètement chaotique. L'orthophoniste me disait : "je ne sais pas si ce n'est pas le record absolu pour Alison, je n'ai jamais vu – et Dieu sait si j'en vois – une élève qui ait autant de difficultés à s repérer dans l'espace et dans le temps. Il semble bien que cette grande difficulté soit première dans le fait que c'est une enfant qui ait des difficultés d'apprentissage à l'école. Autant que j'ai pu en juger – parce que je n'ai pas calculé son QI, ce n'est pas mon boulot, et je n'ai pas demandé à la psychologue de le faire, elle a des capacités intellectuelles tout à fait normales. Autant que je sache aussi, et autant que j'ai pu l'observer elle n'a pas de souffrance, de difficulté psychologique, elle est bien dans sa peau, elle a envie d'apprendre. Elle ne vit pas négativement la pression que met la mère pour quelle ne fasse pas comme le grand frère. Elle ne semble pas trop troublée par ce grand frère dont la maman ne veut pas qu'elle fasse comme lui parce que ça pourrait être une problématique embêtante. Le problème pour cette gamine, c'est que la volonté farouche de la mère, fait qu'il y a une synergie d'aides extérieure qui frise la surdose. L'orthophoniste fait son travail et continue à le faire. A un moment elle a dit que l'aide d'une psychomotricienne serait intéressante, la mère le lendemain avait téléphoné et la psychomotricité a démarré… L'orthophoniste a perçu qu'au niveau orthoptique il y avait des choses à faire pour la coordination des yeux, la maman, le lendemain etc… Elle a déjà eu trois aides. L'aide du maître E se rajoute à ça. Au niveau de l'école il y a aussi un décloisonnement de temps en temps et une aide spécifique au niveau de la lecture. Est-ce que je n'oublie rien ?…

Comment s'est décidée la prise en charge à dominante pédagogique pour cette petite?

De la part du réseau, il y avait seulement l'aide orthophonique à l'extérieur et au vu du signalement – en plus c'est une enfant qui n'avait pas été signalée plus tôt -… au vu du signalement, on s'est dit que ça valait le coup de voir où en est cette enfant. C'est moi, maître E qui ai été chargé de le faire parce que le signalement montrait que c'était d'une aide pédagogique dont elle avait besoin avant tout, l'aspect comportemental, psychoaffectif, adaptation à l'école trouvait sa juste place, n'était pas du tout présent. Donc l'indication était maître E. C'est comme ça qu'on a commencé.

Et comment l'avez-vous décidé ? Avec l'enseignant ? En réunion de synthèse ? Comment cela se passe-t-il ?

Notre fonctionnement à nous, nous sommes en équipe de trois – psychologue scolaire, maître E, maître G – nous répondons à la demande. On se met d'accord au cours d'une réunion de rentrée avec les enseignants. On explique notre mode de fonctionnement, comment on désire travailler ensemble. Ce sont les enseignants qui signalent au réseau les élèves qui à leur avis ont besoin d'aide et ensuite nous prenons une décision qui est proposée à l'enseignant et peut être remise en question. "Nous, on te propose telle solution, qu'est-ce que tu en penses ? " et on se met d'accord. C'est une décision commune entre les trois membres du réseau et l'enseignant de la classe. On établit ensuite un contrat de prise en charge qui est établi avec l'enseignant. L'enseignant a à en remplir une partie, nous une autre et ensuite il est signé, il est contractualisé par l'enseignant, le membre du réseau concerné et c'est signé par le directeur. On a un contrat qui est signé. Ensuite on a outre les contacts entre deux portes qui sont plus ou moins quotidiens, il y a au minimum une réunion par trimestre à deux où on fait un point précis et complet de l'évolution – dans le cadre de l'intervention du réseau et dans la classe – et on confronte les choses et à ce moment là on décide si oui ou non il y a poursuite de l'action du réseau qui est en cours.

Pour Alison, quel était le contenu du contrat ?

Pour la première prise en charge de grande section, l'enseignant qui avait en charge cette gamine ne savait pas trop quoi mettre sur le signalement. "Je ne sais pas trop quoi penser d'Alison. Elle a un mode de fonctionnement qui me dépasse. Je ne vois pas. Elle est en difficulté pour beaucoup d'activités mais je n'arrive pas à savoir pourquoi. Elle me paraît perdue". Elle ne savait pas mettre de mots plus précis là-dessus mais elle était inquiète. Et elle nous faisait part de son inquiétude. Alors on a complété avec elle le signalement en lui posant des questions plus précises. A la fin, à dire vrai on n'en savait guère plus. La maîtresse n'avait pas perçu que c'était avant tout l'orientation spatio-temporelle qui était anarchique.

Et comment cette lacune a-t-elle été découverte ?

Je l'ai d'abord observée en classe, j'ai dû faire deux observations en classe où j'ai pointé systématiquement qu'Alison essayait d'écrire son prénom en miroir, elle commençait de droite à gauche, que lorsqu'il fallait qu'elle change d place pour une activité, elle était perdue. Je me souviens, un matin elle est arrivée en retard et elle ne trouvait plus sa classe, elle ne savait plus où était sa classe, plusieurs indicateurs comme ça avant de la prendre.

Vous l'avez pris seule ou en petit groupe ?

Je l'ai pris tout de suite – je ne prends jamais un enfant seul sauf s'il y a une partie d'évaluation qui nécessite que je sois seul à seul, mais en tant que maître E je ne prends pas les enfants seuls. L'an dernier, en début d'année, ils étaient trois et on est monté à cinq (…) En petite et moyenne section les enseignants n'avaient pas pointé cette difficulté-là. Selon eux au niveau langage oral, elle n'avait pas de difficultés particulières. (…) Après le signalement, bilan orthophonique rapide et on a débouché sur les prises en charge.

Quels ont été les objectifs de travail énoncés pour cette élève ?

On a essayé de se compléter avec l'orthophoniste qui elle a beaucoup plus travaillé l'orientation spatio-temporelle sur un plan plus psychomoteur, savoir se positionner comme être ayant un corps dans un espace large et moi comme j'avais un groupe d'enfant de trois à cinq et comme les besoins des autres élèves ne se situaient pas à ce niveau-là, j'ai plus mis l'accent sur une orientation spatio-temporelle plus scolaire : se repérer dans la journée, se repérer dans la semaine, se repérer dans l'espace temps d'un tableau, d'une feuille… J'ai plus eu une action "scolaire" entre guillemets.

Est-ce que ces activités avaient un lien avec ce qui se passait dans la classe ?

Oui, bien sûr. Je parlais tout à l'heure du graphisme parce qu'on a beaucoup travaillé le graphisme. En grande section, c'est quelque chose qui devient important et il y avait une réelle difficulté pour elle. J'ai aussi complété - je dois le dire, on est entre nous je peux parler -… L'enseignant de grande section, je peux le dire à l'aise parce que c'est loin d'être mon avis personnel, ne tient pas la route. Elle ne travaille pas correctement les compétences qui sont celles à travailler en grande section. C'est la deuxième année où elle est dans l'école – elle est arrivée l'an passé – mais je vois que cette année il y a toujours des problèmes importants et en plus… c'est une dame qui ne donne pas suffisamment de cadre de travail, de règles de vie suffisamment claires dans la classe. Pour une enfant comme ça qui a du mal… Dans une classe où les gamins sont tout le temps en train… Vous voyez le tableau ? C'est d'autant plus difficile… Pour répondre à la question de savoir si mes activités et celles de l'enseignant étaient en accord, je dirais non, pas forcément mais complémentaires parce que je complétais ce qui à mon avis n'était pas fait, n'était pas travaillé au niveau des compétences de grande section. J'ai essayé de discuter avec elle, pour arriver à placer de petites billes… J'avoue que ce n'est pas facile avec cette enseignante-là. On a vraiment un réel problème qui est connu des autres enseignants de maternelle…

Un problème de compétences professionnelles alors ?

Oui. C'est difficile à dire comme ça. Cette dame est à mon avis dans une situation personnelle – elle a divorcé, ça s'est mal passé, elle se retrouve seule avec ses gamins, elle a été peut-être pas dépressive mais au moins fortement déprimée de longtemps, je ne sais même pas si elle en est sortie. Est-ce qu'elle est elle-même bien en état psychologique de bien faire son travail ? Voilà la question. Peut-être qu'elle a des compétences professionnelles qu'elle ne met pas en œuvre uniquement parce qu'elle est dans une situation difficile ? Je mets un bémol quant à son manque de compétences professionnelles mais le résultat que ça donne c'est une enseignante qui fait mal son boulot pour parler avec des mots simples.

Que faites-vous dans pareil cas ? En parlez-vous à l'IEN ?

(…)

Est-ce qu'il a des liens ou des échanges entre votre travail et la classe, par exemple des productions montrées à l'ensemble de la classe etc… ?

C'est ce que j'ai essayé de faire et peut-être encore plus avec cette enseignante pour lui montrer ce que je faisais et en me disant : "peut-être que ça lui donnera des idées"… Je pense que l'enseignante n'a pas bien pris en compte ce qu'Alison apportait – parce que c'était elle qui apportait des choses et moi qui commentais après, à la récréation ou autre -. Elle n'accueillait pas bien ce qu'Alison lui montrait à elle. C'était difficile à ce niveau-là. Ou elle n'avait pas envie de recevoir ou c'était quelque chose qui la déstabilisait et qu'elle n'avait pas envie de voir, quelque chose comme ça.

Et cette année, où en est Alison ?

Donc, il n'était pas question en fin d'année de la maintenir en grande section parce que c'est une enfant qui avait évolué, suffisamment même dans cette difficulté-là et qui par ailleurs avait des capacités, des potentiels tout à fait intéressants. Au contraire, on s'est dit, ça va lui faire du bien d'aller en CP. La confrontation de façon plus précise et plus systématique avec le monde de l'écrit va certainement contribuer à l'aider à structurer le spatio-temporel. A l'issue de ce CP, où en est-elle ? Je dirais qu'elle arrive à un niveau auquel je ne m'attendais pas, malgré sa difficulté encore importante à se repérer dans l'espace temps d'un texte - pour donner un ordre d'idée précis, dans la batterie de lecture Inizan, le seuil de lecture est à 25 et elle est à 18, elle n'est pas encore au seuil de lecture mais elle a fait des acquisitions importantes en lecture. Sa progression est lente mais constante, elle progresse doucement de façon presque linéaire. Là en ce moment il y a à nouveau un petit problème. Une enseignante de début d'année bien, une jeune femme qui n'avait pas beaucoup d'expérience du CP mais qui s'est bien investie là-dedans, enceinte, congé maternité. Elle est partie début avril. Alison avait bien accroché avec. Elle a eu quand même une grossesse pas facile, elle a dû manquer deux fois quinze jours, donc deux remplaçants, deux cassures. Et là depuis début avril il y a un titulaire remplaçant qui est là, qui n'a jamais fait de CP, qui est plutôt négatif avec les élèves qui sont en difficulté dans cette classe, donc qui n'a pas un regard très positif sur sa classe, qui se débrouille comme il peut et qui – je suis peut-être un peu dur en disant ça – n'est pas à la hauteur de l'enseignante qui est partie en congé. Il est un peu dépassé par les événements. Il est de bonne volonté mais un peu dépassé et Alison n'y trouve pas son compte dans ce changement-là. Mais autrement, elle avait une énorme envie d'apprendre à lire. Elle s'est vraiment investie là-dedans, avec une énorme volonté d'y arriver. Elle a bien intégré les difficultés qui sont les siennes et elle les affronte et elle essaie de passer au-dessus. Elle arrive en fin d'année en ayant bien compris ce que c'est que la combinatoire, ayant un lexique de mots mémorisés, qu'elle reconnaît globalement, conséquent, ayant mémorisé – pas toutes, deux tiers environ – un nombre appréciable des correspondances grapho- phonétiques. Elle est trop focalisée sur le déchiffrage et c'est normal parce que c'est quelque chose qui lui est difficile donc après il faut qu'elle revienne en arrière pour prendre le sens de ce qu'elle a lu. Elle ne prend pas simultanément le sens de ce qu'elle a lu en même temps qu'elle déchiffre. Par contre, là où ça coince énormément, c'est dans le passage à l'écrit, pour ce qu'elle veut écrire ou sous la dictée, alors là c'est encore catastrophique. J'ai oublié de le dire mais c'était prévisible, elle n'est pas dyslexique au sens fort du terme mais tous les éléments de dyslexie liés à l'espace-temps, elle les collectionne : le b, le d, le p, le q… elle est en plein dedans. Elle va inverser aussi l'ordre des lettres lorsqu'elle déchiffre mais elle va s'apercevoir que ça ne veut rien dire alors elle relit. Elle en a déjà conscience en CP. Elle intervertit assez souvent l'ordre de deux graphies mais elle est capable de se corriger. Par contre en situation d'écriture, elle est complètement perdue. Quand elle arrive tant bien que mal à écrire, ce n'est pas très fiable parce qu'elle va l'écrire tantôt orthographiquement juste, tantôt avec deux lettres inversées. Si on la met dans une situation de stress – comme l'instituteur le fait - : "je vous dicte quelque chose…" – il dicte pour tout le monde pareil et donc ça va relativement vite – alors là, inquiète, elle n'y arrive pas et hop elle montre à nouveau qu'elle ne sait plus où elle en est, elle va sauter une ligne, écrire la suite dans les espaces, écrire avant, au-dessus… dans une situation de stresse, elle montre qu'elle est complètement perdue alors que si elle e le temps, si elle se pose, éventuellement avec un minimum d'étayage quand elle le demande – parce qu'elle demande très volontiers de l'aide quand elle en a besoin – elle arrive, pas facilement mais elle arrive à mettre de l'ordre… Le 18 par rapport au 25, c'est en situation de complète autonomie avec éventuellement – je ne lui ai pas laissé deux fois plus de temps que les autres mais j'ai adapté un petit peu – c'est un score tout à fait honorable pour un enfant qui a le type de difficulté dont on parle.

Et qu'avez-vous décidé pour elle ?

Elle va passer en CE1 l'an prochain. On en a discuté avec la maman. Ça l'inquiète quand même… L'orthophoniste, l'enseignante qui a accouché et à qui j'ai téléphoné pour avoir son avis, le maître actuel de la classe, pas le "psychomot" parce que je ne l'ai pas encore contacté… la maman et moi, on pense tous que ce ne serait pas une bonne chose de la maintenir en CP. Elle passe donc en CE1 avec une aide prévisible. L'aide du réseau va être demandée très vite à mon avis… Prévision avec toutes les précautions qu'on a en tête, c'est-à-dire qu'il faudra peut-être lui permettre de souffler à la fin du CE1 et de refaire un CE1. Quand je parle de souffle, c'est vrai qu'elle est toujours à la limite du maximum de ce qu'elle peut faire et il faut éviter qu'elle se décourage et qu'elle baisse les bras en disant : "vous m'aidez tous mais j'en ai marre, j'ai trop d'aides, il y a trop de personnes qui me tournent autour, c'est trop difficile…" Voilà où elle en est. La multiplication des aides date du début de CP et on s'est bien dit : si à un moment on sent une surdose, on se passe un coup de fil et on décide quelle aide il faut temporairement supprimer pour qu'il n'y ait plus la surdose. Jusqu'à maintenant ça ne s'est pas produit mais on sent que c'est limite, limite… C'est le maximum qu'elle peut tolérer la gamine, on est sur la corde raide avec cette élève…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Une équipe, c'est vraiment quelque chose que j'apprécie beaucoup ici parce que, si je peux digresser trente secondes sur mon poste précédent, il y avait bien une psychologue scolaire et une maîtresse G, je n'ai jamais travaillé avec elles, parce qu'elles ne m'ont jamais proposé. C'était du style : "tu viens quand tu veux nous voir quand tu as besoin"…Mais il n'y avait rien d'institutionnalisé. Si, il y a bien eu des réunions de temps en temps, c'est-à-dire quatre ou cinq fois l'an, parce que moi je les provoquais. Concrètement, je travaillais tout seul dans mon coin… pas satisfaisant du tout surtout quand on commence dans cette fonction-là. Ici, on est douze personnes et il y a un travail d'équipe qui me plait énormément. Donc une équipe de douze et une équipe de trois, une grande et une petite équipe en fait qui sont très complémentaires… En tant que réseau une étiquette au sens positif du terme, une fonction clairement affichée, clairement définie et qui m'aide beaucoup dans mon travail. Ce que je représente du réseau en tant que maître E, ce que représentent le psycho scolaire et le maître G, c'est clair dans la tête de tout le monde parce qu'on a une épaisseur… une densité qui nous aide beaucoup dans notre capacité à être reconnu par l'école, par les parents, par les intervenants extérieurs aussi bien un psychologue privé qu'un psychiatre, qu'un psychomotricien etc… On a une densité, on est reconnu comme tel et du coup c'est très facile de se positionner et de pouvoir autour d'une table commencer à travailler ensemble.

Quelle en est la cause selon vous ?

C'est parce qu'on est une équipe qui travaillons ensemble, qui sommes reconnus comme tels… c'est dû aussi à tous les éléments qu'on a mis en place – et ça aussi c'est l'équipe – tous les outils avec lesquels on arrive et on dit : "Voilà comme nous on aimerait travailler avec vous, voilà les règles de fonctionnement qu'on aimerait bien mettre en place avec vous, mais à discuter aussi… Tout ça qui fait lorsque vous vous arrivez en tant qu'individu ayant une fonction de maître E, vous arrivez déjà avec plein de choses qui permettent de mettre en place une relation de travail, de pouvoir contacter facilement les intervenants extérieurs… avec un mode de fonctionnement qu'on s'est défini ensemble que l'on met tous en œuvre. Il y a une unité – sans que cela soit réducteur – il y a une unité de la façon dont on se présente, une unité de la façon dont on fonctionne avec les différentes écoles – on a huit écoles dans lesquelles on intervient. Il y a une cohérence et de mon point de vue, les écoles dans lesquelles on intervient la sentent et elles peuvent s'appuyer dessus y compris quand il y a des tensions avec une personne, pour régler un différend voire un conflit de personnes. Il est arrivé qu'il y ait des conflits importants entre une école et une petite équipe de réseau.

Pouvez-vous en donner un exemple ?

Oui, si vous voulez… le plus important par exemple. Je ne faisais pas partie de la petite équipe contestée. En fin d'année une lettre signée par – on a cru tous les enseignants – qui disait texto : "Le réseau ne sert à rien, les membres du réseau dans l'école sont absolument incompétents. Ils ne travaillent pas". Voyez… Lettre envoyée à l'inspecteur avec copie à l'ensemble du réseau… Déstabilisation importante des trois membres du réseau qui se trouvaient là – deux maîtres G, un psychologue scolaire, il n'y avait pas de maître E dans cette école là. L'ensemble du réseau a réagi en envoyant d'abord une lettre au conseil des maîtres en disant qu'il y avait des termes dans cette lettre qui nous semblaient complètement déplacés, que cette lettre arrivait comme ça alors que ces choses-là n'avaient pas été exprimées aux intéressés et qu'une lettre directement envoyée à l'IEN semblait… il nous semblait qu'ils avaient sauté plusieurs étapes dans ce qu'il est possible de faire quand il y a conflit et qu'on demandait de les rencontrer avant la fin de l'année pour en discuter. On a envoyé bien sûr le double à l'IEN mais on s'adressait à eux et pas à l'IEN. Et on a débouché sur une réunion avec l'inspecteur, avec l'ensemble de l'équipe. Mais ça s'est fait qu'en début d'année suivante pour des raisons de temps matériel. On n'y est pas tous allés pour ne pas faire un poids. On a délégué trois personnes dont je faisais partie. Il s'est avéré que cette lettre avait été pondue par un enseignant, qui n'était pas le directeur mais qui avait pris le pouvoir dans cette école. C'était l'écrit d'une personne excédée qui avait, de par sa très forte personnalité, entraîné - mais ça on ne l'a compris qu'après mais on n'avait pas compté les signatures – les deux tiers mais pas le dernier tiers des enseignants. A la rentrée il y avait des enseignants qui n'étaient même pas au courant que cette lettre avait été envoyée. Ces enseignants-là étaient en minorité mais ils existaient. Et lorsqu'on a fait un tour de table pour que chacun s'exprime, la lettre est complètement tombée à plat. Certaines personnes avaient des critiques négatives à faire aux trois membres du réseau mais elles étaient sans commune mesure avec le contenu de la lettre, mais vraiment sans commune mesure. D'autres personnes avaient des critiques positives à faire. Parfois la même personne avait des critiques négatives et des critiques positives à faire. Les signataires de cette lettre étaient dans leurs petits souliers de façon absolue… Nous, on a dit : "Voilà, la situation est quand même suffisamment grave. Il y a eu remise en question très forte de l'efficacité professionnelle et même personnelle – il y avait vraiment suspicion de non travail, je ne sais plus les mots -. Nous ne sommes pas opposés à travailler dans cette école mais on va contractualiser de façon très forte, si on continue à travailler ensemble, la suite de l'aide du réseau". Et c'est ce qu'on a fait. Et les choses ont bien changé. C'était, il y a trois ans. L'année scolaire dernière a quand même été tendue parce qu'on n'efface pas comme ça les différends et cette année, ça s'est bien passé. Il y a toujours de petites choses qui restent mais qui n'ont pas empêché du tout un travail tout à fait intéressant. On en parle encore assez souvent, c'était une affaire suffisamment grave pour qu'on demande des retours de la part de l'équipe qui y travaillait. Si on a pu gérer ce conflit, qui était un conflit grave, et rester dans cette école, c'est parce qu'on avait une identité de réseau forte et c'est parce qu'on avait mis en place dans notre façon de fonctionner suffisamment de choses avec les différentes écoles… pour la majorité on s'était dit au début : "C'est fini avec cette école…"

Est-ce que je peux garder comme terme à propos du RASED "identité forte" ?

Oui, tout à fait. J'en suis à combien de mots ?

Trois : équipe, fonction clairement définie, identité forte…

Identité forte aussi vis à vis de l'IEN. On a un IEN qui est d'accord avec nous sur certaines orientations professionnelles, qui n'est pas d'accord avec d'autres mais qui ne nous impose rien et pourtant des fois ça le chatouille parce qu'il a affaire à une forte identité et donc on en reste toujours avec lui à une concertation. On se met d'accord et c'est très intéressant.

Qu'est-ce que je note ? Confiance ou respect de l'IEN ?

Non, vous pouvez laisser identité. Elle nous sert sur tous les plans, y compris avec l'IEN. C'est quelque chose d'irremplaçable… Aussi, le fait qu'à mon avis l'élève en difficulté est bien pris en compte, c'est-à-dire qu'on a un mode de fonctionnement qui nous permet de toujours avoir deux regards extérieurs sur ce qu'on est en train de faire, de pouvoir confier ses interrogations, de pouvoir dire : "je ne sais plus où j'en suis avec cet enfant, je vous mets sur la table une situation"… une espèce d'analyse de la pratique avec des guillemets parce qu'on n'est pas des professionnels de l'analyse de la pratique mais ça y ressemble beaucoup quand même, qui est extrêmement intéressante et qui permet que les élèves en difficultés, l'élève en difficulté est mieux pris en compte.

Maintenant, si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Le plus large d'abord… le maître E, c'est une étiquette qui est très positive dans la tête des enseignants. Ils voudraient tous des maîtres E, le maître E c'est super, c'est un instit qui fait vraiment de la pédagogie et donc on sait ce qu'il fait et on a besoin de ce type de pédagogie-là, avec un bémol parce que dans l'esprit de pas mal d'enseignant le maître E ça pourrait devenir un maître de soutien, qui fait du soutien scolaire. Chaque année - mais ça, ça fait partie de la cohérence et de ce qu'on a mis en place – on a chaque année à bien expliquer la différence qu'il y a entre le maître de soutien - qui peut faire du soutien scolaire qui peut reprendre précisément telle chose que l'enfant n'a pas compris ou pas fait - et le maître E. Donc, on fait bien la part des choses. Maître E, je dirais qu'on a de la chance actuellement, on a quasiment une auréole. On est de façon générale très bien perçu, contrairement au maître G. Les rapports Gossot, Ferrier… aurait tendance à sous-entendre que les maîtres G, on pourrait s'en passer et qu'il faut surtout des maîtres E, qu'il faut surtout faire de la pédagogie quand on est maître spécialisé. Donc pour les maîtres G l'étiquette est fragile… Ce n'est sûrement pas facile à vivre pour eux. Maître E… Au niveau des élèves, j'ai envie de rajouter qu'on a là encore une étiquette très positive. C'est le maître qui aide et qui aide de façon très positive. Ce n'est pas l'enseignant de classe qui met des notes et qui met le doigt là où ça fait mal… C'est ce qui est intéressant. Je ressens très fort que les élèves que nous prenons, nous maîtres E – je dis nous parce que nous en avons parlé avec mes collègues maîtres E – ils nous perçoivent très positivement parce qu'ils viennent sans avoir peur d'être jugés, d'être notés… Vraiment on est là pour aider. Pour caricaturer, mais je caricature à peine, l'enseignant qui a le plus la côte dans une école, c'est le maître E… ça fait plaisir, ça met dans une situation psychoaffective positive et en plus ça aide beaucoup sur le plan très concret du travail, c'est-à-dire qu'il y a une relation de confiance.

Qu'est-ce que je garde dans tout ça ?

Etiquette… mais ça ne me plaît pas. Je ne suis pas arrivé à trouver mieux, mais vous voyez ?…

Puis-je garder aussi relation de confiance ?

Oui, oui.

Et puis aide à la fois psychologique – pour la situation psychoaffective positive – et à la fois technique ?

Ah non, ce n'est pas au niveau psychologique, je n'aime pas le mot psychologique pour un maître E. C'est comment dire ? L'enfant peut se mettre dans un rapport positif aux apprentissages, avec nous. Mettez rapport positif aux apprentissages et remédiations pédagogiques. L'un de nos objectifs derrière les activités qu'on met en place avec les gamins, c'est celui-là aussi en plus des remédiations plus pédagogiques qu'on est amené à proposer, des progrès pédagogiques qu'on est amené à faire faire aux gamins, enfin à aider à faire par les gamins, il y a cet aspect-là. Si on peut résumer les choses, le maître E fait vraiment un travail pédagogique avec des activités pédagogiques sur des matières qui sont proprement pédagogiques – lecture… - mais le positif que peut en avoir l'enfant – pas toujours hélas – qui vient voir le maître E, il n'est pas seulement pédagogique pour améliorer son niveau de lecture ou d'orthographe etc… il est aussi par rapport à son élan face aux apprentissages et par sa capacité à affronter la difficulté et à la dépasser. Ce n'est pas tout à fait psychologique.

Je vais vous poser la même question pour maître G… cinq mots… Puis-je garder étiquette fragile ?

Oui, ça c'est vrai… une plus grande difficulté de leur part à ce que les enseignants comprennent leurs objectifs de travail… quels objectifs ils mettent en place, telle ou telle activité… Un nombre non négligeable d'enseignants ont un peu du mal à comprendre, du mal à se rendre compte du bien fondé de ce que met en place le maître G. Par contre, aussi bien pour E que pour G, ce qui est positif chez les maîtres G, c'est leur capacité ou leurs compétences reconnues à savoir orienter l'enfant vers une aide extérieure lorsqu'il en a besoin. Un enseignant qui a un élève pris en charge par le maître G… dans toute la dimension d'observation, d'évaluation, de là où en est le gamin, quelles sont ses difficultés, quelle est sa problématique par rapport à l'école, là, les enseignants n'ont aucune prévention vis à vis du maître G c'est-à-dire qu'ils lui reconnaissent cette compétence-là qui débouche éventuellement sur : "Il serait bon que tel enfant aille voir l'orthophoniste, un psychologue ou un psychiatre parce qu'il a besoin d'une aide psychologique". Le diagnostic est tout à fait reconnu par une majorité d'enseignant. Là, où ça coince un peu plus, c'est quand le maître G prend en charge sur la durée un enfant, parfois le prend en charge seul, fait des activités qui sont parfois totalement surprenantes, qui n'ont aucun rapport avec les activités de classe. Là, les enseignants ont plus de difficultés à percevoir le rapport entre le diagnostic et l'activité mise en place.

Et dans tout ça qu'est-ce que je garde comme mot ou courte expression ? Travail mal compris, savent orienter, activités surprenantes ?

…Oui, oui, et en plus les maîtres G ont beaucoup de travail à faire pour expliquer les activités de remédiation qu'ils mettent en place. Ce n'est pas facile. Je ne suis pas maître G mais je pense que pour eux ce n'est pas facile de faire ça… Après ça dépend des enseignants et ça dépend des gamins. Si les progrès de l'élève sont rapides au niveau de sa classe, il n'y a aucun problème, on reconnaît l'efficacité de ce qui a été mis en place. Si les progrès – et c'est assez souvent parce que le maître G a souvent affaire à des gamins qui sont complexes et qui ont des difficultés, des blocages qui ne vont pas céder facilement – si les effets en classe se font attendre ou ne sont pas visibles ou ne sont pas vus par l'enseignant, vous voyez ? ce n'est pas facile…

Pourriez-vous présenter un cas d'enfant suivi par un maître G et exposé en synthèse et puis décrire quel a été le travail de ce maître avec l'enfant en question ?

Oh, c'est difficile… non, c'est trop difficile de répondre.

On parle d'une réforme prochaine à propos des réseaux. Quelle est votre position à ce sujet ?

Ce qui me déplait beaucoup, c'est le manque d'information que j'ai et qui me permettrait de prendre une position. Il y a eu ce rapport Gossot, c'était il y a deux ans, qui a fait parler beaucoup, qui a fait couler beaucoup d'encre, qui n'était qu'un rapport, qui à la limite, si j'avais été inspecteur général, aurait dû ne pas être divulgué – un rapport c'est une matière pour pouvoir travailler. Il a été mis presque sur la place publique, je me demande avec quelles raisons, quelles intentions… Je m'interroge. On sait que beaucoup de rapports finissent au fond d'un tiroir. Ce rapport comme beaucoup d'autres sûrement est intéressant. Il aurait dû être travaillé d'abord au niveau où il a été commandé. C'est une commande quand même qui est haute. Moi je ne l'ai pas lu ce rapport, je ne l'ai jamais eu entre les mains. Ce que j'en sais c'est ce que j'en ai entendu donc c'est filtré… Il semblait mettre en cause l'existence même des maîtres G. Qu'est-ce qu'il en a été ? Qu'est-ce qu'il en est maintenant, je n'en sais rien… Ce qui me semble important dans l'affaire, c'est que les réseau d'aides spécialisées sont incontournables dans l'école d'aujourd'hui. Ils sont en nombre bien, bien insuffisants. Il est important qu'il y ait une étude qui soit faite sur le fonctionnement parfois très différent de l'ensemble des réseaux d'aide de France. Il y a des richesses et des complémentarités qui pourraient se faire mais il y a aussi des manques importants dans certains réseaux qui ne sont pas complets, il y a peut-être aussi des fonctionnement rigides et figés… Si j'étais plus haut, ça m'intéresserait beaucoup d'avoir une image de ce qui se fait dans l'ensemble des réseaux d'aide spécialisés… et puis d'avoir aussi un état des lieux, savoir la quantité des manques et le degré d'efficacité de ces gens-là. (…) Pour compléter, je m'interroge beaucoup sur les intentions de notre ministère pour l'avenir des réseaux d'aide. Quand on entend Allègre qui dit qu'il y a trop d'enseignants qui ne sont pas devant une classe, est-ce qu'on n'en fait pas partie ? Quand, vu le manque de titulaires remplaçants, l'IA envoie des ordres de mission pour qu'ils cessent leur travail et qu'ils aillent remplacer – nous on a un maître E qui remplace un congé maladie, j'ai su aussi qu'il y a deux G qui ont été convoqués par l'IEN pour se voir signifier qu'ils devaient remplacer deux enseignants qui partaient en stage de directeur – Je ne sais pas comment ont réagi les intéressés, s'ils ont obéi… Je n'ai entendu pour l'instant aucune réaction syndicale… ça m'interroge beaucoup et je ne suis pas le seul… Quelle importance a notre fonction si on peut nous faire cesser alors qu'on est dans une période très, très pleine où on a un tas de contacts à prendre pour faire la synthèse pour chaque élève de ce qui s'est passé, au niveau de l'école comment a travaillé le réseau, avec les enseignants et tout… la qualité mais aussi la quantité, enfin tout… eh bien l'administration est capable de nous débaucher pour aller nous faire faire un remplacement. On n'est pas bien reconnu dans notre fonction lorsqu'on nous demande de faire ça…

On dit que l'enseignant est le premier acteur de la mise en place d'une aide en direction de l'enfant en difficulté. Comment au quotidien voyez-vous la fonction d'aide de l'enseignant généraliste ?

La fonction d'aide ? Pouvez-vous préciser ?

Par exemple au moyen des études dirigées, le travail mis en place avec les aides éducateurs ou tout simplement son travail de pédagogie différenciée ou autre…

Sur ce qu'à mon avis un enseignant devrait faire ou sur ce que je vois ?

D'abord sur ce que vous voyez, ensuite au choix…

Comment je vais répondre en liant ça à ma fonction de maître E… Je suis toujours partie prenante dans les deux écoles où je travaille lorsqu'un travail d'équipe se lance pour commencer à mettre en place la pédagogie par cycle, au cycle 2. Je me sens fortement concerné et je n'ai pas hésité à dire : "Si je suis là l'année prochaine – mais ça ne prendra pas tout mon temps - je veux bien participer en tant qu'enseignant, en tant que personne à cette mise en place de pédagogie par cycle, y compris dans le cadre d'activités décloisonnées où on regroupe les enfants suivant leurs compétences et leurs besoins, y compris pour prendre en charge un groupe qui sera forcément en rapport avec ma fonction, qui sera le groupe des élèves en difficulté dans telle ou telle compétence, en disant, ça aussi ça fait partie de ma fonction de maître E. Je ne me contenterai plus de faire comme cette année, c'est-à-dire de prendre des petits groupes deux fois par semaine, mais j'inclurai aussi dans mon emploi du temps cette activité en expliquant pour quoi, pour apporter une aide conséquente au niveau d'une école. A l'école Jean Vilar où il y avait des problèmes importants d'incivilité, des violences verbales, physiques, où il y avait un nombre conséquent de gamins qui posaient vraiment problèmes, je me suis engagé fort avec l'équipe pour mettre en place une éducation à la citoyenneté, pour qu'on conçoive ça ensemble. Là aussi, ça me semble relever de ma fonction lorsqu'il y a un travail d'équipe à ce niveau-là parce que les problèmes d'incivilité tels qu'ils étaient vécus faisaient que les élèves en difficultés – qui ne sont pas toujours dans l'incivilité – mais les élèves en difficultés dans un climat d'insécurité à ce niveau-là, vous voyez ce que ça donne, ils ont tout à gagner à ce qu'il y ait des règles de vie dans l'école, dans les classes, qui soient sécurisantes.

Comment procédez-vous dans ce cas-là ? C'est vous qui organisez ou vous vous greffez sur quelque chose qui existe déjà ?

Dans le cas de cette école, l'équipe, dont je fais partie, un jour en conseil des maîtres met sur la table le paquet cadeau en disant : "Vraiment, il faut qu'on fasse quelque chose, on est en train de se faire déborder mais on ne sait pas comment faire. On était deux dans l'équipe à avoir une expérience professionnelle relativement importante sur l'éducation à la citoyenneté et à mettre des billes sur la table en disant : "Voilà, je veux bien vous faire part de ce que j'ai vécu en tant qu'enseignant. Voilà ce que dans telle situation on a mis en place". De ce fait, je suis devenu l'un des référents de ce qui se mettait en place. J'ai été attentif à e que dans mon petit groupe, il y ait les mêmes règles de vie, qui étaient ensuite mises en place au niveau de toute l'école. (…) J'ai aussi accepté de rencontrer tel élève – trois en tout - qui ne voulait pas se plier - mais j'y ai mis des bémols…- et qui étaient dans la "délinquance scolaire". (…) J'ai accepté parce que j'avais une confiance limitée dans les trois personnes qui avaient été choisies pour recevoir le gamin, une confiance limitée quant à leurs capacités à faire que cette rencontre soit positive, à faire qu'il y ait d'abord une écoute de l'enfant et une prise en compte de sa parole avec un sentiment positif presque inconditionnel malgré la délinquance scolaire de ce gamin. J'avais envie d'être là pour que ça se passe bien… Un a priori sur les autres mais j'assume… J'ai répondu en partie à votre question. Pour moi c'est incontournable pour un enseignant de ne pas travailler seul dans sa classe. C'est incontournable lorsqu'il y a des difficultés de les travailler avec d'autres et en équipe. En tant que maître E, parfois je boue face à un enseignant qui s'y refuse et qui travaille la porte fermée dans sa classe… qui ne veut pas communiquer - du moins avec les autres, il est bien obligé de le faire avec moi… Certains font de la rétention de signalement… Je suis amené à être un peu offensif parfois pour que la rétention ne soit pas complète. Je boue intérieurement mais je crois que ça ne serait pas bien qu'en tant que maître E je me mette en opposition avec un enseignant parce que je ne peux plus travailler avec donc je boue et je saute sur la moindre occasion et la moindre ouverture pour avoir ma petite influence pour faire que les choses évoluent… (…) Dernièrement, à une réunion, j'ai dit : "je suis content que dans cette école cette année, il y ait un début de travail en équipe et donc j'ai envie de m'y investir. Je regardais les anciens qui me lançaient des regards voulant dire : "Faux cul, tu es en train de nous dire que jusqu'à présent qu'il n'y avait rien"… Et comme j'ai senti ce regard un peu lourd, pour être tout à fait clair et parce que je n'ai pas l'habitude d'avoir une langue de bois, je leur ai dit : "J'ai mal vécu les deux dernières années sur ce plan là parce qu'il n'y avait pas de travail d'équipe et j'en ai souffert". Je me positionne de façon forte et des fois je me sens à la limite de jusqu'où je peux aller en tant que maître E pour ne pas me trouver en porte à faux ou en opposition avec un enseignant qui ne voudrait plus travailler avec moi parce qu'il a perçu dans mes propos que je suis entre guillemets "contre sa façon de concevoir son rôle d'enseignant au sein d'une équipe".

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

D'un élève ?

Ce n'est pas précisé… C'est au libre choix…

Une école où les élèves et les enseignants vivent bien. Je mets vivre parce que ça dépasse largement le cadre des apprentissages. Vivent bien et communiquent bien. Une école où les élèves en difficulté ont confiance dans leurs adultes référents, aussi bien le maître de la classe que les autres maîtres avec qui ils vont travailler quand il y a un décloisonnement, les maîtres du réseau d'aides. Ils ont confiance, c'est-à-dire qu'ils savent qu'on ne va pas les enfoncer et qu'on les prend en compte comme enfants en difficulté. L'envie d'apprendre, l'élan pour apprendre pour tous, y compris pour des élèves qui ne sont pas en difficulté ou qui ne sont pas perçus comme tels… Une école qui est ouverte à la communication avec les parents et qui donne confiance aux parents – je peux venir à l'école et je peux parer de mes craintes, je peux revendiquer quelque chose si je ne suis pas d'accord. Et pour la réussiteau sens large, une école qui prend véritablement en compte au niveau équipe la réussite des élèves qui sont en difficulté. Le travail d'équipe est là parce que c'est incontournable.

J'ai noté au cours de l'interview que vous rencontrez les parents. En quoi consistent ces entretiens ?

Je m'attache à les voir tous systématiquement au moins deux fois dans l'année. Je procède de la façon suivante : lorsqu'un enfant est signalé au réseau et que c'est moi qui suis chargé dans un premier temps de l'observer et de l'évaluer, dans un deuxième temps de le prendre en charge, j'envoie tout de suite une lettre aux parents, qui est pré-remplie. "Je vais prendre en charge votre gamin…" je ne leur demande pas du tout leur avis ou leur autorisation. Je les informe et je leur demande de prendre rendez-vous à partir d'une date déterminée et je m'accorde trois semaine à un mois avant de les recevoir de façon à que j'aie pu terminer l'évaluation de là où en est leur gamin. Ensuite je les reçois. Si les parents ne donnent pas suite, j'envoie une lettre de rappel, la même lettre. Si vraiment il y a un blocage total, je laisse tomber. Sur une cinquantaine de gamins que je suis, disons qu'il y ait trois familles dans ce cas, ça fait quand même 6 % ce n'est pas négligeable… je conduis l'entretien de la façon suivante. Je leur demande d'abord : est-ce que votre enfant vous a parlé de moi ? Est-ce qu'il vous a expliqué ? Qu'en pensez-vous ? Puis je dis ce que j'ai à dire.

Est-ce que vous interrogez sur la vie familiale par exemple ?

Si, forcément. C'est dans la conduite de l'entretien que j'en viens à ce que j'ai envie de savoir. (…) Je présente le réseau d'aide. J'explique les raisons du signalement et je rajoute ce que j'ai remarqué. Au cours de l'entretien j'explique de façon concrète en sortant du matériel ce que je fais : "Tiens la dernière fois on a fait ça…" (…) Si je sens que c'est important, je les conduis à me parler de leur propre vécu scolaire, j'essaie de leur faire exprimer leurs craintes, s'ils ont des reproches à faire à l'enseignant. Je ne prends partie, j'écoute… (…) Ensuite je parle de l'évolution du gamin. (…) Un entretien est toujours préparé parce qu'il est toujours très différent d'une situation à l'autre. J'y consacre généralement une heure. (…)

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école?

J'ai envie de rajouter une chose. Ce que j'ai pu présenter quant à la cohérence, la forte identité peut amener une image trop idyllique de ce qu'est réellement notre réseau d'aide. Je vais nuancer parce que ça me semble important. On est douze personnes avec des tempéraments très différents, avec des implications plus ou moins fortes dans notre fonction, dans le réseau – il y a des leaders, des suiveurs – qui font qu'il y a parfois des tensions vives au sein des douze personnes. Il y a des gens avec qui j'ai du mal à travailler, d'autres avec qui j'ai grand plaisir à travailler. Pour pousser plus loin nous avons dû rajouter une règle de fonctionnement à notre fonctionnement : lorsqu'une décision est prise à la majorité des deux tiers –les deux tiers et pas la moitié – la majorité doit se conformer à la décision tout en ne perdant pas notre spécificité, notre individualité, même si elle n'est pas du goût du tiers restant. On a dû rajouter que, si une personne ne respectait pas la décision prise, on demandait l'arbitrage de l'IEN. On a dû rajouter ça cette année pour vous dire que ça ne va pas toujours tout seul… Donc ce n'est pas idyllique du tout. Il n'empêche que de mon point de vue le travail d'équipe est largement positif. Malgré les grandes différences et de caractère et d'implication, de conception même de notre métier, on arrive quand même à travailler ensemble. Ce que j'apprécie beaucoup aussi, c'est qu'on garde notre liberté dans notre façon de concevoir notre métier de maître E ou de maître G. Au niveau des maîtres E, on met en commun nos pratiques pour s'apporter mutuellement : "c'est intéressant ce que tu fais, je n'y avais jamais pensé"… On a des façons de faire qui sont très diversifiées, qui ne s'opposent pas, qui sont très complémentaires… On garde une bonne dose de liberté dans notre pratique mais pour cette forte cohésion, il y a des règles de fonctionnement qui sont incontournables. (…) C'est un réseau bien vivant, qui fonctionne de façon largement positive même si ça ne va pas tout seul et c'est bien normal dans une équipe de douze… (…)