Entretien E45 Delphine

Age : 50 ans

Profession : Maître E

Diplômes : CAEI option E (88), licence de Sciences de l'Education (96)

Delphine : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Delphine : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'interviewée

Durée : 1 heure 30 minutes

Note : L'accueil a été très chaleureux et l'entretien s'est prolongé longuement après l'interview.

(discussion à bâtons rompus, à propos de l'évaluation des réseaux)… C'est une question d'expertise. Un carrossier, par exemple, quand il voit une tôle, sait exactement où frapper pour que tout se redresse en un minimum de coups. Je pense que c'est un œil extérieur qui peut voir ce qu'il y a à faire parce que c'est nous la tôle froissée et qu'on ne peut voir nous-mêmes où donner le coup pour que tout se redresse (rires)... (...)

(à propos d'entretiens d'enseignants sur la question de la technologie à l'école ou sur toute autre question)

(…) Entre la réalité de ce qu'ils font, l'idée qu'ils se font de ce qu'ils devraient faire et ce qu'ils peuvent en dire, il y a des fois des flottements...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression enfant en difficulté ?

Je mettrais échec, tristesse... remédiation, difficultés d'accès aux concepts et difficultés d'apprentissage.

Pouvez-vous développer davantage ? Qu'entendez-vous par échec ?

Échec... quand je suis, moi, devant un enfant en difficulté, il y a plusieurs cas de figures. Dans les meilleurs cas, je perçois le problème et je vois une action possible pour essayer d'aider cet enfant, auquel cas, l'échec, c'était l'échec dans la classe, je vois comment y remédier, j'espère que ça va marcher... donc l'échec, ce n'est plus qu'un vieux souvenir. Par contre, il y a aussi les enfants, et je trouve qu'il y en a pas mal, qui sont en échec total dans leur classe avec un décalage très grand et je perçois moins bien parfois quelle est l'origine de l'échec. Alors je me crispe sur un tas de choses, c'est l'impression que je vis à la fois l'échec de l'enfant dans sa démarche d'apprenant, mon échec à moi dans ma démarche pour essayer de remédier, l'échec de l'institution, je me dis aussi que c'est l'échec de l'école tout entière parce qu'on ne devrait pas arriver à se trouver dans des situations pareilles... donc j'ai l'impression que c'est l'échec sur toute la ligne.

Vous avez dit aussi tristesse ?

Là, je pensais à la tristesse de l'enfant. Un enfant, je crois, qui ne réussit pas ou qui se vit en échec ne peut-être que triste. Et il y a des carapaces où cette tristesse n'apparaît pas mais elle est là, dès qu'on gratte un peu, elle apparaît tout de suite. Tristesse, avec tout ce qui la provoque c'est-à-dire une sorte de dévalorisation, une sorte de sentiment de nullité, des choses comme ça. Pour moi, l'école ça devrait vraiment être l'endroit où justement on n'est pas triste. J'ai travaillé ça avec un superviseur d'analyse de pratique, l'école primaire, c'est pour moi l'endroit où en est joyeux, où on est content d'apprendre. C'est peut-être pour ça que j'y suis restée. J'ai vécu des choses difficiles dans mon enfance. Et l'école, c'était le lieu où j'oubliais tout, où j'étais contente, j'avais mes copines, le lieu où tout se passait bien. Et que je me suis rendue compte qu'à cause de ça, j'aime transmettre. C'est tout ce qui contre balance, peut-être, la tristesse...

Vous avez dit aussi remédiation...

Je pense qu'il y a à peu près toujours une façon de résoudre le problème qui provoque l'échec, qui provoque la tristesse. Et toutes les façons qu'on peut trouver, pour moi, c'est la remédiation. Ça peut passer par plein, plein de choses... c'est le versant traitement du problème de l'enfant en difficulté.

Vous avez dit aussi difficultés d'accès aux concepts et difficultés d'apprentissage. Pouvez-vous donner quelques éléments supplémentaires ?

Oui, par exemple le fait d'avoir devant moi des enfants qui sont en petit groupe, où parfois même, au moment des évaluations je peux les avoir seul. Ça me permet de me rendre compte de choses dont je ne pouvais pas me rendre compte quand j'avais une classe, des choses toujours extrêmement intéressantes... j'ai l'impression d'être face à des enfants qui ne comprennent pas des choses... par exemple le groupement par dix. Il y a des enfants qui ont compris qu'il fallait grouper par dix, que c'était le système utilisé dans le monde entier, que tout était basé là dessus, enfin je leur dis mais je ne sais pas s'ils ont compris, et au moment de l'écriture des nombres il y a quelque chose qui les dépasse qu'ils n'arrivent pas à intégrer. C'est ce concept de dizaines... ou des aspects du système numérique qu'on utilise... où ça bloque. C'est dans ce sens ce que je dis difficultés d'accès aux concepts. Il y a d'autres notions plus simples telle que large, étroit que des enfants au départ ne comprennent pas... des choses comme ça... par des jeux, ils finissent pas maîtriser tout ça... tout ce qui est lié à l'espace, au temps...

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté avec lequel vous avez travaillé ? Pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui était fait pour lui ?

C'est dur d'en choisir un... ce qui est marrant, c'est vrai qu'il y en a plein, mais il y en a une qui se détache et qui est venue tout de suite. C'était dans la classe de perfectionnement, une petite fille qui s'appelle Sonia, enfin une petite fille, elle était très grande et très forte par rapport aux autres. Mais elle n'avait pas un niveau de CP alors qu'elle avait une dizaine d'année. Que dois-je dire ?...

Quelles étaient ses difficultés ? Comment se manifestaient-elles ? Quels problèmes cela vous posait-il à vous en tant qu'enseignante ? Que faisiez-vous ?

Le problème, c'est qu'elle était complètement muette, elle ne parlait pas du tout, elle ne disait rien, elle faisait même un peu d'opposition quand on lui proposait certaines tâches. Avec elle, je me trouvais dans le cas de figure où, en général, je suis assez démunie devant ce genre d'enfant. Dans le cadre de la classe j'avais eu l'occasion de remarquer que par deux ou trois fois, elle avait fait des choses extrêmement censées, bien vues, avec des réactions pas idiotes du tout. Je me suis dit : « il y a là une intelligence qui ne se manifeste pas, mais qui est là ». Je me rappelle qu'un jour, je lui ai dit : « Y en a marre que tu boudes ou que tu refuses le travail. Y en a marre, Sonia. Tu m'as montré à plusieurs reprises que tu étais tout à fait capable de réfléchir et là, maintenant je ne supporte plus cette attitude ». Pour bien montrer ma détermination, j'avais une salle avec des tables un peu dans tous les coins, alors je l'ai installée sur une table toute seule dans un coin et je l'ai dit voilà : « je te laisse et maintenant je ne te propose plus aucun travail, c'est toi qui viendras chercher le travail que tu veux faire. Bien entendu, je suis à ton entière disposition quand tu voudras travailler. Tu viens me trouver et je te proposerai des choses à faire ». Et puis ça a duré... la fin de la matinée arrivait. Je me disais : « Mon Dieu, je me suis mise dans une mauvaise posture (rires) parce que comment je vais m'en sortir si elle ne vient jamais me demander quoi que ce soit ? Et puis, en fin de matinée, elle est venue et elle m'a dit : « je veux travailler ». Et ça a commencé comme ça. Après, elle avait énormément de mal pour commencer d'apprendre à lire... ça s'est fait avec d'énormes difficultés mais elle n'a jamais lâché le morceau, elle s'est toujours accrochée, accrochée, accrochée et puis après elle a pu intégrer une SEGPA. Un jour j'ai essayé d'avoir de ses nouvelles. Elle était toujours en SEGPA... C'est quelque part un pari... je crois que j'ai parié sur sa capacité et ça a marché... avec des limites bien sûr, il n'y a pas de miracle non plus mais elle s'est mise au travail et ça...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Au départ on ne disait pas RASED on disait RAS, rien à signaler. Avec le RASED qui fonctionne sur le signalement, il y a des choses... signalement... équipe, mission et synthèsesdans tous les sens ce qu'on peut donner à ce mot dans ce cadre-là.

Pouvez-vous préciser ?

Dans signalement, il y a un peu tirer un signal d'alarme pour un enfant difficulté. Tout le monde se bouge, essaie de voir ce qu'il y a à faire. Équipe parce que je vis une situation où j'ai vraiment l'impression qu'on forme une équipe dans le RASED et je trouve ça vraiment bien, vraiment intéressant et confortable aussi. Confortable, pas au sens passif, confortable c'est-à-dire avec beaucoup d'engagement de la part de chacun... équipe il y a aussi un idéal de l'équipe qui serait d'agrandir l'équipe à tous les instituteurs de cycle 2 cycle 3 etc., équipe du RASED donc avec certaines écoles, avec les maîtres de certains cycles... mais c'est quelque chose que je sens beaucoup moins que l'équipe du RASED. Et mission, c'est vrai que j'ai un côté Zorro qui ne m'a pas quitté malgré toutes les prises de conscience que j'ai pu avoir à ce sujet. Je me dis qu'il y a là une sorte de mission d'aide, aider les enfants en difficulté, les aider eux personnellement et les aider à se remettre bien dans les apprentissages.

Pouvez-vous définir plus précisément ce que c'est qu'aider ?

Aider, je me surprends encore à penser que je peux apporter quelque chose aux enfants. Je me rends compte que quand ça marche, ce n'est jamais quand j'apporte quelque chose, c'est plutôt quand je suis dans l'ouverture et que j'attends qu'il se passe quelque chose, où je suis... le mot qui me vient c'est plutôt une petite étincelle qui s'allume, il se passe quelque chose... mais le matériau, c'est l'enfant qui l'apporte. Moi, je donne un cadre, et c'est tout. Si dans ce cadre, je suis dans l'ouverture, c'est là qu'il se passe des choses. Mais je me surprends encore à faire du forcing de temps en temps avec certains gamins... je m'en excuse d'ailleurs auprès d'eux, après (rires)... « Je t'ai un peu forcé la main... etc. » C'est marrant, il y a aussi des choses qui se passent dans ces moments-là... quand je dis : « voilà, je t'ai poussé la dernière fois, je voulais absolument que tu comprennes ça et ça, mais je ne sais pas ce qu'il en reste etc.. » C'est là, dans le lâché prise qu'il se passe des choses intéressantes... aider, c'est aussi... il m'est arrivé plusieurs fois de dire à un gamin : « Ecoute, là, je ne sais pas quoi faire pour t'aider ». Et c'est à ce moment-là qu'il me met sur une piste en me disant un mot ou un truc qui me montre où il fallait aller avec lui pour l'aider justement. Dans l'idéal, aider, ce serait arriver à être tout le temps comme ça, mais il y a plein de fois où c'est le vieux sens qui est à l'œuvre (rires)...

Vous avez dit aussi synthèses, dans tous les sens du terme...

C'est pour reprendre équipe... les moments de synthèse en équipe du réseau, c'est des moments forts et vraiment intéressants quand on confronte les points de vue sur les difficultés d'un enfant, quand on le resitue dans son histoire. Il y a aussi les synthèses que je fais toute seule dans mon coin. Pour un enfant donné, par exemple, j'ai ce que m'a dit l'institutrice, j'ai ce que j'observe, les évaluations que j'ai pu lui faire passer etc. donc il y a une synthèse à faire de tout ça et c'est quelque chose que j'aime bien. Peut-être, quand je parlais de carrossier tout à l'heure qui défroisse toute la tôle, c'est cette idée que j'ai en tête de, où je vais moi, où je peux agir pour que quelque part ça se détende de partout, pour qu'il y ait quelque chose qui se passe à un niveau plus général... avec l'expérience, je me suis rendue compte qu'on peut rentrer par plein de portes et que ça marche souvent quelle que soit l'entrée. Justement, pour trouver la meilleure entrée possible, c'est peut-être là que l'enfant a son mot à dire... parfois, il ne dit pas mais on devine...

Je vais encore vous demander maintenant cinq mots pour maître E...

Je dirais lire, écrire, compter... raconter... sentir, non plutôt comprendre.

Pouvez-vous préciser ?

Pour moi, le maître E, c'est lui qui reste dans le domaine des apprentissages scolaires, les missions, c'est d'amener à mieux lire, mieux écrire, mieux compter, mieux comprendre, mieux raconter au sens de parler... j'aurais dû mettre raconter en premier... tout ça, c'est des matériaux qui sont à travailler, à affiner avec les enfants. Et moi, ça me plaît de partir de ce matériau là qui est la lecture ou les problèmes ou les opérations, des choses comme ça.

A partir d'un cas concret d'enfant que vous avez suivi pouvez-vous décrire votre travail ? Comment la prise en charge s'est-elle décidée ? Qu'avez-vous fait ? Qu'avez-vous dit ? etc.

Là aussi, c'est un enfant qui m'est venu tout de suite, parce que ça a marché. J'ai peut-être tendance à oublier un peu les échecs... peut-être aussi que là, il y a une prise en charge qui s'est faite de façon, entre guillemets, « idéale ». Tout le monde s'est senti concerné. Il y a eu un contrat passé avec la famille, l'enseignante, la directrice d'école et le RASED. Ce contrat a été respecté de part en part par tout le monde et au bout d'une année, l'enfant était complètement remis sur les rails.

Pouvez-vous détailler ce qui n'allait pas chez l'enfant ? Comment se fait-il que vous l'ayez pris en charge ? Et quelle est la nature précise de ce contrat ?

Au départ, c'est un enfant qui était extrêmement violent, qui agressait ses camarades dans la cour, qui répondait à la maîtresse en classe, qui avait des difficultés dans toutes les matières. Il se trouvait au CM1, sans année de retard. Il était nouveau dans l'école, il avait en plus des problèmes d'adaptation à la classe. Bien sûr il a été tout de suite signalé à la psychologue scolaire. Je l'ai vu pour l'évaluation du niveau scolaire. La psychologue scolaire ne l'a pas vu parce que la maman refusait... on a fait un premier contrat où je le prenais pour travailler sur la lecture, parce qu'il était très en retard, dans un petit groupe de deux avec une autre enfant du CM1 qui avait, elle aussi, des problèmes de lecture mais qui ne présentait pas du tout les mêmes problèmes de comportement. La maman avait du mal à accepter que son enfant ait des problèmes de comportement, qu'il était dans le refus total, qu'il était très, très agressif vis-à-vis de l'école. Dans ce petit groupe, on a fait un travail de lecture. Je n'ai jamais eu de problèmes avec lui. Ça c'est toujours très bien passé. Il était avec une petite fille avec qui ça passait bien aussi... c'était un petit groupe qui avançait. J'ai pu me rendre compte que cet enfant était tout à fait intelligent mais il lui manquait les bases comme on dit. Donc, on a travaillé les bases, l'orthographe aussi à partir de textes qui leur plaisaient, à partir de livres. Quand on a reconvoqué la maman trois mois plus tard, est-ce que c'était parce que l'enfant se sentait bien dans le petit groupe, elle avait déjà changé d'avis par rapport à l'école. Elle était beaucoup moins dans l'agression. Elle a accepté que la psychologue le voie. Je me souviendrai toujours de ce jour, elle nous a même dits à la fin de l'entretien : « Et puis vous m'avez proposé d'aller au CMP, je crois que je vais y aller ». On s'est regardé parce qu'on n'y croyait pas. Effectivement c'est ce qu'elle a fait. L'enfant a commencé une thérapie au CMP, je continue à le prendre en petit groupe et ça se passait de mieux en mieux. J'ai eu l'impression de remettre de l'ordre dans ce qu'il savait déjà, c'était tout embrouillé et ça n'avait pas beaucoup de sens pour lui, tout ce qu'il avait fait en grammaire, conjugaison... l'année suivante, il a redoublé le CM1. Je l'ai suivi encore un petit peu et ça allait de mieux en mieux. Cette année, il est au CM2, il n'est pas du tout à la traîne dans la classe, il est dans la moyenne. Il n'y a pas eu de signalement à son sujet, on pense qu'il va intégrer une sixième normale... et la maman a changé complètement d'attitude par rapport à l'école, c'est aussi surtout ça qui nous a frappés. En plus c'est très bénéfique pour la petite sœur qui elle est rentrée au CP.

Il m'a semblé que vous étiez plusieurs lors des entretiens avec les parents. Comment ça se passe dans votre réseau ?

En général, c'est avec la psychologue pour les cas difficiles ou quand la famille, sollicitée plusieurs fois, ne bouge pas.

Pouvez-vous définir la différence entre le travail du maître généraliste et le travail du maître E ?

Le travail du maître E dans sa classe, c'est un travail de groupe. Il s'agit de faire avancer toute la classe, en grammaire, orthographe, conjugaison, compréhension de textes ou ce qu'on veut... le travail du maître est de comment intéresser tout le groupe, comment faire travailler tous les enfants dans le groupe. Je me souviens très bien, après on s'aperçoit à la suite d'une séquence que certains enfants n'ont pas compris. Même si on reprend... je me souviens de ce que je faisais, reprendre avec des enfants qui étaient en perte de vitesse des notions qu'on avait vues, je me rendais compte que souvent ce n'était pas suffisant. C'est maintenant que je suis maître E que je me rends compte de ce que j'aurais dû faire à l'époque. C'est un travail qu'un maître dans la classe n'a pas le temps de faire parce qu'il faut remonter à la source du blocage, à la source de l'incompréhension. Pour pouvoir accéder à là où c'est bloqué, pour s'en rendre compte, il faut... enfin j'ai besoin de faire faire tout un tas d'exercices aux enfants, de savoir exactement comment ils s'y prennent, la vision qu'ils ont de leur travail scolaire... C'est une démarche qui est assez longue. Ça me prend, moi, facilement deux ou trois heures avec chaque enfant, pour savoir exactement où il en est et pour savoir ce qu'il faut faire pour pouvoir l'aider, de là où il faut partir pour repartir. Un maître dans sa classe ne peut pas le faire ça. C'est là où est la différence. Sinon, les buts, les objectifs sont les mêmes. Les mêmes, je ne sais pas... parce que le maître dans la classe doit faire avancer tout le monde alors que le maître E, c'est plutôt de permettre à l'enfant de raccrocher les wagons.

Si je vous dis maintenant maître G, quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit ?

Je mettrais comportement... langage... relation au monde... jeux symboliques et puis espace /temps.

Pouvez-vous préciser toutes ces notions ?

Comportement, parce qu'il y a à la fois le problème de comportement... l'enfant qui est agité, inattentif... encore que ça ne relève pas toujours du maître G mais que de temps en temps ça relève d'abord du maître G et puis comportement face au travail qui est demandé à l'école. On demande au maître G de remédier aux problèmes de comportement. Langage parce que j'ai l'impression que le travail des maîtres G en maternelle tourne beaucoup autour du langage... quand je dis relation au monde, langage et espace /temps, il y a quelque chose de complètement lié... il me semble que c'est du ressort du maître G de faire le lien entre l'école et le monde quand l'enfant ne fait pas directement ce lien dans l'école. Il y a quelque chose du maître G aussi que je vois, plus proche de la famille, il est peut-être ce point de rencontre entre la famille, l'école et l'enfant en difficulté. Jeu symbolique, ça tourne aussi autour de ça, faire du lien...

A partir d'un cas d'enfant dont vous avez pu parler en synthèse, pouvez-vous décrire le travail du maître G ? Que fait-il ? Que s'est-il passé ? Etc.

Je me souviens d'une petite fille qui était au CP, extrêmement inhibée. En synthèse, on m'a demandé de la suivre en tant que maître E. En fait, elle ne parlait presque pas, même dans un groupe de deux ou trois, elle était complètement en retrait. Donc elle a été suivie ensuite par un maître G. Il a eu une approche totalement différente de moi, il ne s'est pas occupé du tout du scolaire, comme entrer dans la lecture ou dans la compréhension des concepts de base. Il lui a permis de s'exprimer physiquement. Ça a été un changement radical, d'un seul coup. On s'est rendu compte que cette enfant n'avait pas l'occasion de sortir de chez elle, de courir, de sauter, de danser. A partir de là, elle réalisait qu'elle avait des capacités d'expression avec son corps. Elle a changé radicalement. Elle s'est ouverte. Elle a toujours eu des difficultés, mais moi par exemple je n'ai jamais eu de signalement à son sujet pour la reprendre en charge après. Ça a été fini.

Vous souvenez-vous des liens qui étaient mis en place avec la classe ?

Je pense que le travail du maître G n'était pas du tout... Ce n'était pas un travail qui pouvait se faire dans la classe. C'était quelque chose de totalement différent, deux mondes à part qui ne communiquent que par les discussions entre le maître G et l'enseignant, mais rien au niveau des activités... je sais qu'en maternelle il y a eu des liens autour d'activités piscine, des choses comme ça... mais pour cet enfant, elle était au CP, dans le primaire, je vois pas... je n'ai aucun exemple.

Comment pourriez-vous présenter les différences entre maître E et maître G ?

Au début, quand j'ai fait mon année de spécialisation de maître E, c'était dans l'idée de devenir maître G en fait. Quand je me suis rendu compte qu'il fallait faire trois ans en tant que maître spécialisé, j'ai fait mes trois années en classe de perfectionnement. Ensuite, il ne m'est jamais venu à l'idée de demander le stage pour faire maître G parce que c'était exclu. Je me suis rendu compte - je me suis d'ailleurs fait extrêmement plaisir dans la classe de perfectionnement - que j'adorais travailler sur la matière scolaire, qu'il y avait ce plaisir là que j'essayais de faire partager. Et je ne voyais pas pourquoi j'aurais changé de matériaux en travaillant... maintenant, je me dis que de toute façon, qu'on soit maître E ou maître G, on travaille sur l'appétence... je veux dire qu'on vise à développer l'appétence par rapport au savoir, par rapport... enfin développer la curiosité. Suivant les enfants, ça ne passe pas par les mêmes voies. Le maître G ne va pas passer par le matériau scolaire, par la voie directement scolaire parce que les enfants sont en rébellion contre ça ou parce que ce n'est pas le moment ou pour plein de raisons. Par contre le maître G (lapsus) va se servir de ça pour aller plus loin dans cette relation avec le savoir. À l'école primaire, ce n'est pas tellement le savoir, je crois que ce sont les outils du savoir. Moi, je vais travailler directement sur comment on se sert des outils alors que le maître G, c'est une métaphore, il approche les outils...

Comment se posent les indications ?

Comment décidez-vous que tel enfant va aller avec le maître E ou tel autre avec le maître G ?

Il y a deux cas de figure. Il y a les enfants qui sortent de la maternelle et qui vont entrer au CP, parce que moi je n'interviens pas du tout en maternelle, c'est une position d'équipe... il y a eu une année, quand je suis arrivée, une inspectrice avait dit que le maître E ne devait pas intervenir en maternelle. Moi ça me convenait, parce que je n'ai jamais enseigné en maternelle - je garde un souvenir absolument épouvanté d'un stage (...) où il y avait une cinquantaine d'enfants dans une section de moyens... -. Donc cette position de l'inspectrice me convenait tout à fait et je n'ai jamais insisté pour aller en maternelle, encore que maintenant j'aurais quelques idées sur quoi y faire... par exemple tout ce qui est l'approche du nombre, des ateliers de langage... je me rends compte qu'en amont de ce que je fais, il y a des choses à faire. Je pense que ça a été fait, mais pour les enfants en difficulté, je pense qu'eux auraient besoin qu'on s'y attarde plus. Je ne me rappelle plus de la question...

C'était à propos de l'indication...

Pour les enfants qui sortent de la maternelle, on se voit généralement en fin d'année avec les institutrices de grande section, les instits de CP et le réseau. Les instit de CP et moi, on ne connaît pas les enfants mais bon les autres les connaissent... on les répartit et on essaie de voir quels sont les enfants qui vont avoir besoin d'un soutien du maître G ou du maître E dès le début de l'année. (...) il y a toujours une période où on laisse l'instit se rendre compte de comment ça se passe dans la classe. Je prends les enfants en charge que s'il y a concordance entre ce qui a été dit au mois de juin et ce que remarque l'instit à la rentrée. À ce moment-là, je fais une évaluation et on décide ensemble en réseau. Les indications maître G, ce n'est pas pareil. C'est souvent des continuations de ce qui se fait en maternelle, le maître G connaît les enfants et sait qu'au CP il y aura encore besoin de continuer le travail commencé à la maternelle avec toujours le fait qu'à la rentrée on laisse toujours un peu les enfants réagir seuls dans leur nouvelle classe. C'est arrivé très souvent qu'il y ait des enfants pour lesquels on était inquiet qui s'avèrent être tout à fait à leur place en CP, sans aide du réseau.

Comment s'articule votre travail avec celui des enseignants dans leur classe ?

Ça dépend des enseignants. Il y a des enseignants avec qui il y a vraiment un partage... je vois par exemple un enfant en très grande difficulté qui reçoit une aide spécifique de sa maîtresse dans sa classe et qui vient aussi seul deux fois par semaine avec moi. On s'est partagé le travail. Je fais un travail sur la numération et la maîtresse fait un travail sur la compréhension de problèmes. C'est un enfant qui est tellement en décalage qu'il faut lui donner un travail spécifique. Pour d'autres, c'est plus flou. L'instit par exemple attend de que je fasse un travail sur la multiplication. Certains enfants n'ont pas du tout compris la multiplication donc je refais avec d'autres approches ce travail là, en petit groupe. Mais, ce n'est pas en lien direct avec ce qui se fait dans la classe.

Existe-t-il un projet initial commun ?

Ça serait l'idéal. En fait, le projet pour l'enfant, c'est moi qui le fait. Et puis, je le présente au maître de la classe qui donne son avis. C'est moi qui le fait et en général ils sont toujours d'accord avec ce que je propose, ça m'étonne toujours.

Vous disiez tout au début de l'entretien que les enfants que vous suivez bénéficieraient à être dans des structures plus lourdes, des CLIS etc...

Oui, c'est arrivé. Ou alors, des enfants qui ne bougent pas. On ne les voit pas bouger parce qu'il y a une prise en charge au CMP ailleurs qui devrait se mettre en place et qui ne se fait pas parce que la famille refuse... les enfants sont vraiment bloqués. Ils n'avancent pas ou très peu. C'est là qu'on atteint vraiment les limites de ce qu'on peut faire dans le cadre de l'école.

Vous parliez aussi d'enfants que vous prenez seul... Quelle est l'indication pour un travail à dominante pédagogique en individuel ?

Ce n'est jamais un choix, le fait qu'il y ait un enfant seul. C'est parce qu'à ce moment-là dans cette école là, à ce niveau-là il y a qu'un enfant. Ce n'est pas le choix d'en prendre un tout seul.

Avez-vous l'impression de faire dans ces cas-là plutôt un travail de type G ?

Non, non. Pas du tout. Non, non... je travaille directement sur les outils tandis que le maître G ne travaille pas directement dessus. C'est vrai que ça ne se passe pas du tout pareil quand on a un seul enfant ou un petit groupe.

Comment analysez-vous cette différence ?

… Quand il y a un enfant seul, il faut absolument que l'enfant se sente vraiment à l'aise, qu'il se sente libre... parce que c'est difficile face à un adulte. Ça demande quelques séances. Après, ça présente... j'apprends beaucoup parce que ça permet vraiment d'affiner complètement ce qui n'est pas compris, où il faut aller. J'apprends énormément face à un enfant seul, en le voyant faire, en voyant comment il s'y prend pour avancer que ce soit en lecture, en mathématiques surtout. C'est vraiment intéressant. Alors qu'en petit groupe, ce qui est intéressant, c'est tout ce qui est dans les interactions entre les gamins pour résoudre le problème, pour arriver à résoudre la tâche proposée... ou alors ce que les uns disent du travail des autres quand c'est fait. Ça, c'est vraiment intéressant. Ce n'est pas la même approche...

Existe-t-il des glissements de pratique dans votre réseau, c'est-à-dire un maître G qui travaillerait comme un E et vice versa ?

Ce n'est pas la tendance. Je pense quand ça se passe, et ça se passe très rarement parce que justement c'est quelque chose que j'apprécie dans notre équipe, même en synthèse quand on parle du travail que chacun fait, je n'ai jamais eu l'impression que l'un fasse le travail de l'autre. Par contre ce qui peut arriver, par exemple face à un enfant, des deux cotés, par exemple un maître G qui a un enfant de CP s'aperçoit que ce gamin bénéficierait d'une aide plus scolaire et il se trouve que je ne peux pas prendre cet enfant à ce moment-là parce que je n'ai plus de plage, à ce moment-là, c'est arrivé que le maître G aille plus dans le sens... en fait souvent c'est par rapport à la lecture qu'il fait ça... et puis inversement, il m'est arrivé de prendre des enfants qui avaient des problèmes de comportement... je ne travaille jamais sur le comportement mais en travaillant sur la matière scolaire, tout en étant vigilant par rapport au comportement, enfin ce qui se passe dans ces cas-là, face à un gamin difficile... je fais beaucoup de thérapie de groupe, je commence à sentir un peu les choses et ça me permet d'être claire par rapport à ça ou quand je suis dans le flou, je peux en parler en synthèse. Je sais que ça ne me gêne pas, pas de prendre en charge, mais d'être confrontée à ça mais je n'ai pas l'impression de faire du travail du maître G (changement de bande) (...). Je me rends compte que c'est le boulot de maître E que j'aime faire et qui me convient. Je ne sais pas, je suis peut-être dans l'illusion... pour l'instant que je pense que c'est ça. Pour les maîtres G, je pense que c'est la même chose. Je crois quand même... qu'il pourrait y avoir des gens qui seraient à cheval entre les deux, G et E, mais je pense qu'il y aurait une question de formation qui serait difficile. J'ai impression que pour les maîtres G il y a vraiment... les limites... enfin ce n'est pas de la thérapie, mais c'est quand même limite, il y a des fois où ça peut déraper. C'est là qu'il faut être vigilant et il faut une formation très solide par rapport à ça. En tant que maître E je m'intéresse beaucoup à tout ce qui est... à ce que les récentes sciences cognitives peuvent nous apporter. Ça, en soi c'est tellement important, c'est pareil, il y a là une formation qui peut être extrêmement intéressante. Alors est-ce qu'on peut faire les deux de façon approfondie ? Je ne sais pas... je pense qu'il y a quand même une souplesse à avoir. Le maître G n'a pas à rejeter ce qui peut s'apparenter au travail du maître E et le maître E rejeter ce qui peut s'apparenter au travail du maître G, être un peu parfois sur la frontière mais sans jamais basculer de l'autre côté.

Existe-t-il une fonction qui joue un plus grand rôle dans l'école ?

Je pense qu'apparemment, c'est la tendance actuelle, on voudrait faire jouer un plus grand rôle au maître E mais je pense que... en maternelle par exemple, on va construire sur du sable si le maître G... C'est lui qui donne du sens à l'école et à ce qu'on peut y faire, qui fait le lien entre l'école et la famille... si ça ce n'est pas mis en place, le maître E ne fera jamais rien derrière. Je pense qu'ils sont vraiment importants tous les deux. Pour moi la tendance à vouloir privilégier les maîtres E, c'est un problème de rentabilité mal comprise.

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par-là ?

On peut croire que les problèmes scolaires des enfants vont se résoudre par un peu plus de travail en petit groupe en lecture, en mathématiques et compagnie... mais moi je me rends compte qu'on ne peut pas aborder ça avec certains gamins avec qui il faut revoir les bases mêmes du sens que ça a pour eux l'école. A partir du moment où on ne met que du maître E en maternelle, il y a quelque chose de ce sens... en tant que maître E, on peut glisser vers quelque chose qui serait de la sécheresse du concept... (rires), quelque chose de dur... il y a un côté relationnel, tout ce côté-là, qu'il faut absolument préserver pour ne pas passer à côté. Le maître G travaille là-dessus donc il va mettre en place, j'avais dire, le nid pour recevoir l'œuf, une chose comme ça... et pour les enfants, les œufs, où va-t-on va les mettre ? Ils vont se casser s'il n'y a pas de nid pour les accueillir... il y a quelque chose comme ça, c'est l'image des outils du savoir, on ne va pas les donner, les mettre dans n'importe quelle main. S'ils ne savent pas quoi en faire, ils ne pourront pas se les approprier.

Quel est le rôle de l'IEN dans votre réseau ?

Avant on avait une IEN qui était très, très rigide, qui interprétait les textes d'une manière extrêmement rigide... elle était pleine de principes qu'elle pêchait Dieu sait où... Alors, bof ! On la laissait dire... et puis maintenant c'est l'inverse on a une IEN qui est beaucoup plus ouverte au dialogue. Depuis qu'on a changé, j'ai vraiment impression de quelqu'un qui est garant et référent de tout ce qui se passe dans le réseau. (...) Je me surprends à donner de l'importance à son rôle alors qu'avant, c'était plutôt le rejet.

Avez-vous des rencontres fréquentes ?

On se rencontre en début d'année quand on n'a pas encore les enfants et puis en fin d'année... disons deux ou trois fois par an. (Documents promis à récupérer...) Je ne sais pas s'il y a une évaluation du réseau. Quand on est inspecté, c'est chacun dans notre coin. Il n'y a pas d'évaluation du réseau. Après, l'IEN c'est son rapport d'après ce qu'elle voit des pratiques de chacun. Et ça je ne sais pas...

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux qui était recommandés lors de la formation E ?

(Rires) la formation E, ce n'était pas très intéressant... Meirieu... sinon... Gibello... et en mathématiques...

Britt Mari Barth ?

Non, l'apprentissage de l'abstraction, je l'ai lu plus tard. Ça ne me revient plus.

Connaissez-vous ceux qui sont recommandés lors de la formation G ?

Non. Je suppose qu'il doit y avoir Freud, Dolto, Winnicott.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour-vous la réussite à l'école ?

Je dirais joie, je cherche un mot pour dire l'idée d'être dans un groupe... appartenance à un groupe, avenir, légèreté... savoir

Pouvez-vous préciser ?

La joie, parce que pour moi ça a toujours été une joie d'apprendre, de comprendre etc. l'appartenance à un groupe parce qu'on a d'autant plus l'impression d'appartenance... le fait de réussir nous met dans les objectifs du groupe. Avenir, justement le fait de parvenir aux objectifs fixés par le groupe ouvrent une voie et du coup il y a moins d'angoisse par rapport à l'avenir... légèreté parce que le groupe est porteur et savoir parce que c'est la porte du savoir et parce que le savoir entretient la joie, la légèreté etc.

De façon plus générale, comment considérez-vous le rôle et la place des aides à l'école ?

On dit les aides spécialisées et c'est vrai qu'il faudrait avoir des aides... des trucs qu'un instit peut faire dans une classe. On peut très bien se dire qu'un tel a besoin de faire des maths, qu'un tel a besoin de faire de la lecture mais on peut aussi dire qu'un tel a besoin d'apprendre à écouter ses camarades... on peut cibler les aides à tous les niveaux ce qui fait que chacun sait qu'il a besoin de quelque chose et ne se sent ni particularisé ni dévalorisé par rapport aux autres quand on fait ça. Dans le cadre du réseau, forcément, nous, on ne sait pas comment... il m'est arrivé d'intervenir dans une classe quand j'entends des choses pas très positives sur les enfants qui viennent avec moi par exemple. Je remets immédiatement les pendules à l'heure (rires) quand il y a des réflexions parce que ça arrive...

Vous arrive-t-il de travailler en classe ?

Non, jamais. Ça pourrait se faire. L'idée que j'ai du travail fait en classe par un membre du réseau, c'est le gamin qui court derrière le train et qu'on pousse pour qu'il ne se détache pas trop et il n'y a pas de travail en profondeur qui est fait... dans ce cas, on ne va pas l'aider pour qu'il répare son petit moteur et qu'il remonte tout seul le retard... (...)

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je suis assez pessimiste pour l'instant. Ou alors on fait des gens du réseau des spécialistes qui sont reconnus en tant que tels et qui sont coupés de ce qui se fait dans les classes... je pense que c'est déjà une tendance avec tous les orthophonistes qui font de la remédiation... ou alors j'ai impression qu'en même temps, il y a une prise de conscience vraiment qui est à faire et des instituteurs dans les classes et des gens du réseau pour ne pas entretenir la coupure parce qu'il y a une coupure.

Comment voyez-vous cette coupure ?

C'est au niveau... de la part des maîtres... je sais, j'ai vécu là dedans, j'ai eu cette impression avant de faire mon année de spécialisation qu'on allait me donner des trucs, des machins qui allaient me permettre d'aider, de vaincre les difficultés que rencontraient les gamins et que, en fait, je me suis rendue compte qu'il n'y a pas de trucs mais c'est quelque chose que je perçois encore les instits, l'idée qu'il y a des trucs. Il en faut du temps pour s'enlever ça de la tête... déjà ça, c'est enlever une épine de... c'est à l'origine du malentendu qu'il peut y avoir parce qu'alors si c'est : « Mais qu'est-ce que tu fais, toi tu as des trucs et pourtant ça ne marche pas ? ... ». Et quand ça marche, il y a quelque chose de magique aussi. Il y a eu des fois, des gamins où il y a eu une amélioration spectaculaire après une séance. En fait, il s'agissait de remettre plusieurs choses en place et puis ça s'est éclairci dans l'esprit du gamin et du fait tout prenait du sens, ce n'était pas vraiment une difficulté réelle. Après, face à ça, on est démuni parce que ça entretient l'idée qu'on a des trucs. Et puis... je parle pour moi là, il y a des fois où je me dis : « tout le monde a échoué mais moi je vais y arriver » et alors là c'est droit à la catastrophe...

Que peut-on imaginer pour que ça fonctionne mieux ?

Il faudrait déjà des temps pour se voir plus souvent. C'est vrai qu'il y a des instits qu'on rencontre souvent, tranquillement autour d'une table mais certains nous proposent de les rencontrer au moment de l'étude alors parler d'un gamin devant tous les autres, je n'ose pas imaginer... quand on peut rencontrer les instits souvent, il y a des choses intéressantes qui se passent, chacun parle de l'enfant comme il le voit et on apprend mutuellement... et ça donne des idées, on se donne des idées réciproquement pour avancer avec le gamin et dans la classe et dans le petit groupe.

Cette possibilité peut exister concrètement, il n'y a pas de barrières institutionnelles...

Mais je vois que c'est difficile... au moment de la récréation, déjà, il se passe beaucoup de choses quand on discute avec les instits mais il faudrait se voir plus souvent. Et puis, quand on se voit, parfois on perd beaucoup de temps à parler de choses qui ne sont pas vraiment pertinentes par rapport aux gamins. On pourrait être plus rigoureux dans les moments d'entretien, dans les synthèses...

J'en ai terminé avec mes questions, mais vous avez peut-être d'autres remarques à ajouter sur les aides spécialisées à l'école...

… Il faut longtemps, il y a vraiment une maturation, des choses qui se font petit à petit. Je crois que pour les aides spécialisées, et aussi pour les instits, il faut trouver sa façon d'être face aux gamins, que ce soit en grand groupe ou en petit groupe ou avec un gamin individuellement. Et puis à partir de ça, être le mieux possible... c'est une question de relation. Je me suis vraiment rendue compte plein, plein de fois que c'est quand je dis aux gamins là où j'en suis moi que lui, par rapport à lui, par rapport à ce qu'il a à apprendre... ça m'arrive de plus en plus souvent de dire aux gamins : « voilà, je ne sais plus quoi faire... » et c'est là qu'il se passe quelque chose ou quelquefois des enfants qui déclenchent des choses. Par exemple je me retrouve dans une colère par rapport à eux et je me dis : « mais d'où vient-elle cette colère ? » parce qu'il n'y a aucune raison objective que je me mette en colère. Je me dis : « d'où ça vient ? ». Il m'est arrivé une fois, avec une gamine, dans un petit groupe de trois enfants, au bout de la deuxième ou troisième séance, d'avoir envie de la gifler. Je me suis dit : « Comment se fait-il que j'ai envie de la gifler ? » Je ne comprenais pas. Et puis, je lui dis : « qui te gifle ? » Et c'est sorti : « ma mère ! ». Il y avait quelque chose dans son attitude qui déclenchait en moi l'envie de la gifler. C'était sa façon à elle d'interpeller l'adulte pour qu'on s'occupe d'elle. Je lui ai dit : « écoute, je ne suis pas ta mère ». Et ça a été terminé. Je n'ai plus eu cette envie. Et quand je me retrouve face à des gamins qui me déclenchent par exemple des colères, quelque chose de violent, je me pose toujours la question : « mais pour lui qui suis-je ? »... parfois avec des gamins, j'ai envie de crier... quand ils ne comprennent pas. Alors je me dis : « qu'est-ce qui se passe ? » parce que par rapport à un autre gamin, je ne vais pas du tout avoir cette envie de crier. Et je dis : « mais qui te crie après ? ». Je me souviens d'un gamin qui m'avait dit que c'était sa grand-mère qui lui criait après. C'est un gamin qui justement était au CP et qui avait beaucoup de mal à distinguer les sonorités, à faire le tri dans tout ça, à classer les mots selon ce qu'on entend etc. et je lui ai dit : « écoute, quand tu es là, je ne te crie pas dans les oreilles. Donc, tu peux les ouvrir tes oreilles... » et il y avait eu un mieux effectivement dans sa façon de distinguer les sons. Maintenant, je me fie un peu à ça. En posant la question, je coupe cette espèce de façon inconsciente que l'enfant a de m'interpeller, dans un mauvais registre... un mauvais registre, enfin, chez lui, il fait ce qu'il veut mais moi, je ne veux pas être là-dedans... récemment, il y en avait une c'était marrant... c'est pareil, elle me donnait envie de la secouer. Comme ce n'était pas la première fois, je lui dis : « écoute, maintenant je vais te dire ce qui se passe pour moi ». Il y avait un jeu, elle ne faisait rien. Il fallait que l'enfant prenne des étiquettes où il y avait des mots écrits et il fallait qu'il les classe dans la catégorie des animaux de la mer, de la maison etc. et elle, elle ne faisait rien. Les deux autres petites filles du groupe s'activaient, classaient les étiquettes et elle, elle bloquait complètement. J'avais une envie de la secouer ! ... Je lui dis : « j'ai envie de te secouer, ce n'est pas la première fois, qui continue à te secouer à la maison comme ça ? » Non, je ne lui ai pas dit ça, j'ai dit : « qui est-ce qui crie après toi quand tu fais de la lecture ? » Elle me dit : « ma maman ». Je lui ai dit : « là, tu n'es pas à la maison, moi je ne vais pas crier après toi ». C'est marrant parce qu'il y a une autre petite fille qui me dit à ce moment-là : « mais comment tu as fait pour savoir que sa maman lui criait après ? » Et je lui ai dit : « c'est mon secret, je l'ai senti (rires). Je ne suis pas allée regarder par la fenêtre ce qui se passait chez elle ». On a ri autour de ça. Et je lui ai dit : « je ne vais pas crier, tu es tout à fait capable de faire ce jeu, je ne vois pas pourquoi tu bloques bêtement. Si cette étiquette ne te convient pas, tu changes et puis voilà ». Et puis ça a été terminé, elle s'est mise à classer les mots comme les autres (...)... ça demande une grande vigilance...