Entretien E48 Grégory

Age : 48 ans

Profession : Maître G

Diplômes : CAEI option Déficients Intellectuels (75), option RPM (85)

Grégory : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Grégory : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'intéressé

Durée : 2 heures

Pour quelles raisons êtes-vous devenu enseignant ?

Je crois qu'avant tout j'ai toujours été dans la partie contact avec les enfants, contact avec les jeunes... J'ai commencé dans le domaine du loisir, animateur de centre de loisirs et puis après j'ai gravi les échelons de ce milieu là. Donc j'avais un contact avec les enfants. En parallèle, j'ai connu les gens qui étaient responsables de ces mouvements, de ces oeuvres et je suis rentré par la petite porte comme suppléant... J'ai dit : "allez on continue dans ce boulot là..."

Et quels sont les faits qui vous ont disposé à vous spécialiser ?

Je crois que ça m'est tombé dessus à la limite, presque sans que je le veuille, puisque le hasard a voulu que je commence dans l'enfance inadaptée... pour faire des suppléances. J'y suis resté.... Ces deux années là m'ont bien plu... La classe que j'avais effectivement à l'HP, ça m'a passionné.... J'avais une certaine liberté de manoeuvre par rapport au programme, par rapport à tout ça.... L'inspectrice, m'ayant bien noté, mon narcissisme en étant flatté m'a donc invité à poursuivre... Et j'ai dit effectivement ça me plaît beaucoup l'enfance inadaptée et je suis parti en stage dans la foulée.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Perte de repères, manque d'autonomie, manque de désir, ou d'appétit pourrait-on dire..., mauvaise image d'eux-mêmes et puis un flou autour de l'identité.

Pouvez-vous expliquer le choix de chaque terme ?

Oui, si vous me les redonnez...

Perte de repères...

Perte de repères… c'est ce qu'on vit tous les jours dans notre pratique. Je crois qu'un enfant en difficulté est quelqu'un... J'entendais en tant que perte de repères, un manque pour se situer... se situer dans sa fratrie, dans sa lignée, dans sa généalogie etc... Je crois que c'est là un dénominateur commun que j'observe par rapport à tous les enfants que je vois... voilà ce que je voulais dire par rapport à manque de repères... Mais ça peut être aussi effectivement tout ce qu'il y a à côté, les corollaires, que ce soit repères dans le temps, dans l'espace... Mais c'est surtout en termes de repères dans une lignée, dans une continuité...

Vous avez dit aussi manque d'autonomie, de désir, d'appétit...

Oui, je crois que c'est un enfantqui ne peut pas vraiment dire "je"... C'est lié aussi à l'identité, ne sachant pas qui je suis... On va se mettre dans sa peau : quand tu ne sais pas qui tu es, où tu es, pourquoi tu es là et ce que tu vas faire, je ne vois pas comment tu peux avoir du désir pour aller vers quelque chose... C'est pas possible d'avoir du désir donc manque d'appétit, manque de sens... on ne donne pas de signification à ce qu'on est en train de faire et en l'occurrencepour les gamins dont on s'occupe, quel est le sens de ce qu'on leur apporte à l'école, le sens de l'école, le sens du savoir... Quelle culture et vers quoi ? Je crois que c'est ce que je veux dire par manque d'autonomie...

Et mauvaise image d'eux-mêmes ?

... ça peut même aller plus loin, la mauvaise image d'eux-mêmes... Souvent des enfants portent le poids de la problématique familiale et je crois qu'ils ont une mauvaise image : "je suis mauvais"... Je vais jusque là quand je dis mauvaise image... "je suis le mauvais objet", "je suis le mauvais" et ils culpabilisent par rapport à un certain nombre de situations... c'est pour cela qu'ils ne s'autorisent pas à avoir plus de désir par rapport au savoir... C'est pour ça que je fais un tout de ces termes là... même dit très spontanément, sans y réfléchir... Il faudrait que je me le garde d'ailleurs... (...)

Pouvez-vous maintenant choisir un enfant en difficulté scolaire avec qui vous avez eu l'occasion de travailler et raconter ce qui se passait...

Si... Je vais revenir sur Julien... C'était simple et compliqué et je ne sais pas si j'avais pigé ce qui se passait au niveau de sa problématique ou pas... Ce n'est pas le problème de piger... mais... le gamin quand il s'est présenté à moi... enfin la maîtresse me l'a présenté comme ça, c'était un gamin tout recroquevillé et quand je dis recroquevillé, c'est un gamin, qui même au niveau de l'écriture, on aurait dit des petits... les petites vrilles des vignes... c'était des boucles... tout était bouclé comme ça, c'était indescriptible, on ne pouvait pas lire et a priori quand on travaillait avec lui, au niveau purement gestuel ou au niveau graphique, il ne semblait pas avoir de difficultés particulières. Alors on comprenait mal à chaque fois, lorsqu'il passait à l'écrit pourquoi... Donc, je l'ai pris en rééducation et de fil en aiguille, de séance ne séance, sa problématique apparaissait... C'est vrai que je n'ai pas fait d'erreur dans mon diagnostic, c'est vrai que ce gamin me parlait d'un... maintenant c'est un peu flou... C'est l'histoire d'un demi-frère plus grand... Et moi, j'avais essayé de lire la problématique à travers quelque chose de complètement... décalé par rapport à la problématique et c'est souvent comme ça.. Il l'avait symbolisé autrement et notamment quand j'avais expliqué à Ravier l'inspecteur ce qui se passait, il était un peu interloqué... et la problématique je l'ai lue à travers une production de maisons où ce gamin là passait son temps à faire des maisons avec des coussins, avec des pièces et... y'avait pas moyen de passer d'une pièce à l'autre... on ne pouvait pas communiquer d'une pièce à l'autre... moi, en synthèse, j'ai fait cette analyse qui vaut ce qu'elle vaut. Je veux dire, y'avait une famille, des membres et puis les liens ne se faisaient pas... c'était quand-même bizarre ce discours sur son demi-frère... et lui c'était le vilain petit canard... celui qu'on n'aimait pas... alors pour en savoir plus... et c'est une rééducation qui s'est passé très, très, très vite, un petit peu hmm... on ne va pas dire miraculeuse mais c'est pour ça que j'en parle, parce qu'elle est restée... J'ai fait venir les parents... Donc je crois maintenant beaucoup aux vertus des entretiens. Je crois que travailler avec l'enfant ça me paraît complètement dérisoire si on ne travaille qu'avec l'enfant... Donc travailler avec la famille quand c'est possible et si possible en présence de l'enfant ce qui est une technique d'entretien qui n'est quand-même pas facile à gérer, sur laquelle je me casse encore un petit peu les dents encore actuellement mais que je pratique quand-même souvent parce que je crois qu'il y a des choses qui doivent être dites là tous ensemble. Et j'ai essayé de faciliter la levée presque d'un secret ou d'un non-dit ou d'un mal dit ou d'une confusion, parce qu'en fait ce n'était qu'une confusion... Et ce petit garçon était persuadé que c'était lui qui était le fils d'un premier lit, qu'il n'était donc pas le fils de papa, maman, là présents et que le grand était le fils... ce qui était complètement illogique... Et lui était parti de ça... Et lui vivait mal la situation... Et ce jour là le père et la mère découvrent l'erreur que le fils faisait et eux étaient très étonnés parce qu'ils ne pensaient pas que lui pouvait penser ça... Donc les parents parlent à l'enfant, lui disent comment ça se passe... Un peu interloqué, le gamin !... L'entretien n'a d'ailleurs pas duré très longtemps, ce n'était pas nécessaire... Les deux séances suivantes, il a voulu en reparler... On en a reparlé... Et les deux choses extraordinaires dont je me souviens toujours et qui ont pour moi une valeur symbolique très, très, très haute, dans l'ordre c'est que premièrement "il a repris sa construction et toutes les portes se sont ouvertes" donc... j'ai vu que je n'avais pas fait d'erreur dans l'interprétation de son jeu et deuxièmement, encore plus symbolique, il s'est installé à mon bureau, il a pris mon stylo et à cette époque là j'avais quelque chose d'un ordre assez phallique, c'était un gros truc lanvin, les gros stylos plume noirs... Il ne pouvait pas le tenir... Il l'a pris quand-même et il s'est mis à écrire et il a écrit ! Julien !... Et il a fait une phrase et il l'a écrit correctement... Et ça a été pratiquement terminé... Bon, terminé par rapport à cette problématique.... C'est vrai qu'il n'était plus recroquevillé... Il est rentré dans la classe... La maîtresse a reconnu que ça y est, Julien pouvait copier, accéder à la lecture, à l'écriture etc... normalement... Mais bon, il y avait d'autres petits trucs à côté... C'est quand-même un gamin qui est resté... Il y avait certainement autre chose qui s'est passé dans la famille que je n'ai jamais vu... Il est resté un gamin... pas renfermé, ce serait excessif, mais il est resté assez sur son quant à soi... ce n'est pas un gamin très expansif mais enfin, il a continué, il a continué... Estelle, la directrice, m'en a donné des nouvelles jusqu'au CM... il était au CP quand je l'ai pris... et jusqu'au CM, il est passé de classe en classe avec un petit niveau certes mais sachant lire et sachant écrire... Voilà, c'est un exemple type.

Est-ce que vous pourriez isoler les facteurs clés ayant permis cette évolution favorable ?

Les facteurs clés ? Le premier... Le tout premier, c'est la capacité de remettre en relation ou en parole les parents et/ou l'enseignant avec l'enfant, dire ce qui était la situation... Je crois que c'est là l'essentiel, c'est de faciliter ça... Je n'en vois qu'un, c'est surtout ça... Bon, le fait que j'ai perçu que ça pouvait être ça, sa problématique, je crois que c'est notre boulot de lever des hypothèses... Dire : "ça peut être ça", "ça peut être ça"... Le coup de chance, a voulu que j'aie pu faire cette lecture et que c'est tombé dans une au moins des problématiques essentielles... Je ne crois pas qu'il n'y avait que celle là... Mais celle-là était importante pour Julien...

Souvenez-vous d'un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe. Pouvez-vous retracer la façon dont il réagissait, les sentiments qui l'animaient ?

…… (rires) Le cas le plus récent alors… une enseignante qui connaît de grosses difficultés avec un enfant, qui l'a signalé sans le signaler, qui veut bien qu'on l'aide mais sans véritablement qu'on l'aide, un gamin qui n'ose pas, qui a les trouilles de faire, qui n'est pas du tout sûr de lui parce qu'il y a vraiment une surprotection, une chape de plomb du couple parental. Il est seul, fils unique et à la maison c'est encore mon bébé, mon ceci, mon cela et donc en classe… c'est un gamin qui ne s'autorise pas, qui a peur de mal faire, c'est comme ça que c'est présenté par la maîtresse. On s'est demandé pourquoi la maîtresse hésite, on l'a invitée à une réunion de synthèse, c'est vrai qu'elle hésite à nous demander de l'aide, c'est toujours dans le couloir, à la récréation du style "oh mais si ". Mais nous on avait été alerté par la maman, parce que l'une de ses voisines avait son gamin aidé, elle voyait l'autre maman disant "tu sais ça l'a drôlement aidé, il est maintenant…" - on nous prend un peu pour les docteurs miracle, il faut faire attention sur quoi on parle – cette maman a demandé que j'aide son fils, que je le prenne et la maîtresse garde une position ambiguë : "Si tout le monde veut bien que tu le prennes, prends-le"… J'ai été contraint à institutionnaliser davantage la chose, à faire une réunion. L'enseignante constate depuis le début de l'année un enfant qui est très peu performant, qui est en grosse difficulté et par ailleurs elle est toujours dans l'hésitation de le confier… en disant " je n'y arrive pas, je fais tout ce que je peux mais je n'y arrive pas, de toute façon tant qu'il y aura ses parents…" Il y a deux choses qu'elle met en évidence : sa propre capacité à faire et à ne pas faire et elle rentre en concurrence avec moi, directement – en plus moi qui ait presque été placé sur un piédestal par une autre maman – et le deuxième problème, celui des parents avec automatiquement "les parents étant comme ça, je ne vois pas ce qu'on pourrait faire" et en noircissant le tableau au maximum "la mère quand elle vient à l'école, elle est toujours en train de râler pour ceci, pour cela etc..." c'est-à-dire quelqu'un avec qui on ne peut pas avoir de contact. Voilà le type de réaction que peut avoir un enseignant. Pour la réunion de synthèse, je me suis placé sur la position où je préférais ne pas prendre dans ces conditions-là, parce qu'il y avait trop d'enjeux… Je lui ai dit qu'on était placé en concurrence. " Si toi, tu ne joues pas le jeu, je ne vois pas comment je vais travailler, s'il y a quelque chose qui se modifie, comment cela va-t-il être perçu ?"… le deuxième type d'enjeu c'était par rapport à la famille où on disait : "il suffit qu'il aille avec le rééducateur pour que ça aille bien"… Si on commence à être vu comme le docteur miracle ou comme Zorro, attention, je porte une lourde responsabilité… En fin de compte au bout de trois quarts d'heure de synthèse, on a convenu que je m'engageais à accueillir l'enfant pendant deux trois séances, faire le point avec lui, voir ce que ça donnait, au terme de cela, accueillir la famille et repositionner tout le monde et même l'enseignant. On s'est mis d'accord effectivement sur ce que j'avais à dire de l'enseignante, sur ce qu'elle avait à faire et qu'aussi les parents rencontrent l'enseignant dans le même temps – parce que sinon on va se faire de la concurrence déloyale, malsaine et placer des espoirs chez la famille peut-être là où il n'y en a pas. C'est un gamin, je l'ai reçu depuis, je ne comprends pas bien… Il est relativement performant mais il est bourré de tics, d'angoisses, de peurs et qui ne fait pas, sauf si on est très proche de lui et qu'il sent qu'on l'encourage… La maîtresse dit tout de suite : "mais moi en classe, je ne peux pas faire ça". Et moi de répondre "tu as raison"… Je pense que ça va être quelque chose de difficile…

Et qu'avez-vous fait avec cet enfant en séance d'aide rééducative ?

Je ne l'ai vu qu'une fois… ça renforce mon malaise dans la mesure où je suis face à un enfant que je juge relativement performant, capable de faire, capable de s'interroger sur ses propres erreurs – c'était du style : il copie une petite phrase, il fait une petite erreur, je n'ai pas eu le temps de lui dire "ah, ah…" et "Oh oui" il corrige sa faute lui-même… Je ne lui avais même pas dit qu'il y avait une faute… A mon interrogation, à ma surprise il l'a vue lui-même… ça ce sont des signes… et plein de choses comme cela… manque d'attention… Après je lui ai dit "montre-moi ce que tu fais en classe". Il a voulu que je lui fasse faire des opérations. Je lui ai mis quelques additions et multiplications. Il passe à la multiplication et il reprend le système de l'addition. Je lui dis "regarde ce que tu es en train de faire"… "Ah oui, on a changé"… et il a fait une multiplication. Je crois qu'en terme de performances scolaires pures, il y a des capacités qui sont là. Ça me met mal à l'aise parce que je vais devoir prendre parti… Malgré la chape de plomb très affective des parents, la maman, qui m'a vu dans la rue, a certainement beaucoup raison en disant que son fils peut faire des choses alors que la maîtresse a certainement tort… ça ne va pas être facile… dans la mesure où la relation parents/enseignante est conflictuelle ou tout au plus inexistante, ça va être difficile de faire entendre à l'enseignant petit à petit que l'enfant a des possibilités, des capacités et que la maman a raison de croire en son fils et qu'on ne peut pas lui reprocher ça même s'il y a certainement des maladresses éducatives ou quelque chose de pathologique dans la mainmise des parents sur leur fils. C'est une situation très difficile… et très difficile avec l'enseignant parce que je ne vois pas comment… Bien sûr il faut bien m'interdire de dire à l'instit "regarde chez moi il fait ça, regarde il peut faire ça", ce n'est sûrement pas comme ça que je vais m'y prendre… mais comment m'y prendre pour réhabiliter l'enfant aux yeux de l'instit en lui faisant comprendre qu'il peut faire des choses... ça va être par le biais de l'enfant... Il faut qu'il arrive lui à penser qu'il peut s'autoriser sans l'aide de l'instit, qu'il est suffisamment grand… mais avant d'en arriver là il faut que je travaille avec lui et les parents pour leur montrer qu'il faut se détacher, le laisser… et que même sans ses parents il peut réussir… Il sait faire des choses sans ses parents… C'est un boulot que je commence, je ne sais pas si je vais le terminer…

J'aimerais maintenant qu'on aborde les aides à travers les deux dominantes. Quand je dis maître E quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Je ne sais pas ce que c'est que E… C'est vraiment la question piège… Ah, là, là… C'est plutôt aider l'enfant à expliquer sa démarche, aider l'enfant à être face à ses propres erreurs, à ses propres difficultés, c'est aussi l'aider à reconstruire des processus de pensée et d'analyse… Je ne vais pas en trouver cinq. Si vous voulez me faire dire pédagogie, je ne le dirais pas… Je n'ai pas la prétention de définir l'aide E, je leur laisse le soin de la définir eux-mêmes. C'est déjà bien difficile d'expliquer ce qu'on fait...

Pouvez-vous expliciter davantage le choix des mots ?

Oui, on est bien obligé de s'en expliquer de nos pratiques pour faire le tri quand il y a de fausses indications... Si on voulait trouver quelque chose de très, très simple, de très caricatural, ce qu'il y a de plus caricatural certainement, je pense – on l'avait fait en analysant les cas d'enfants sur trois ans – un enfant qui est capable de dire "je suis en difficulté ou j'ai telle difficulté", je pense que celui-là le maître E peut le prendre. Mais un gamin qui nie ses problèmes "non ça va bien en lecture" ou "ça va bien en calcul" ou alors qui minimise "c'est un petit peu dur mais ça va"... alors qu'il a de réelles difficultés, je crois que ce n'est pas la peine qu'il aille vers un maître E, qu'il ferait mieux d'aller en rééducation... C'est vraiment très schématique mais c'est sur cet axe-là qu'on fait le tri. C'est une analyse a posteriori. Sur un grand nombre de dossiers, c'est ce qui se dégageait... Depuis j'ai toujours ça en tête comme partage des enfants entre E et G. mais attention c'est schématique et on peut s'écarter de ce schéma-là... De toute façon, un enfant qui n'est pas rentré dans un processus d'apprentissage, en CP notamment, je ne vois pas comment le maître E peut l'aider à restaurer, à reconstruire quelque chose. Il faut que lui-même soit déjà dans ce processus pour que le E puisse intervenir. Donc s'il n'y est pas, c'est plus au rééducateur à l'aider à s'inscrire dans ce désir d'apprendre comme le dit la chanson et la définition des textes.

Comment pourriez-vous définir les différences entre travail du maître généraliste et travail du maître E ?

On va de piège en piège... Je n'en sais rien... Si j'en sais peut-être un petit peu quelque chose... Je crois que le maître généraliste livre une façon de faire, livre aux enfants une façon de faire pour tel ou tel apprentissage... Il y a une façon d'aborder telle ou telle chose, il a ses propres procédés pédagogiques et il amène les enfants à découvrir et à apprendre certaines choses. Mais je crois qu'il en reste trop souvent là. C'est une critique. Et je crois qu'un bon instit généraliste devrait être maître E. Quelque part le maître E, dans son accompagnement à l'enfant va aider l'enfant à se questionner : "Mais comment je suis arrivé à ce résultat ?" "Comment je fais pour ?" Il va s'interroger sur son raisonnement. Peu importe qu'il y ait erreur... il faut que l'enfant soit capable de raisonner, de se questionner sur ce qui l'a amené à tel ou tel résultat. C'est ça le boulot du maître E. A partir du moment où un gamin peut se dire voilà comment j'ai fait, le maître E va pouvoir dire "mais c'est là que tu t'es planté"... et le gamin peut apprendre à se "corriger". Si je donne une distinction c'est celle-ci et c'est pour cela que je regrette que les maîtres généralistes – j'allais dire ordinaires parce que nous on est extra-ordinaire... c'est évident – ne fassent pas fonctionner ces enfants beaucoup plus sur cette réflexion du processus qui conduit à telle ou telle chose, que ce soit en maths, français etc... C'est la réflexion que je garde en tête après avoir discuté, échangé avec les collègues E et c'est bien sur ces bases-là que je travaille actuellement avec ma collègue.

Quelles seraient les qualités spécifiques et nécessaires à l'exercice de la fonction E ?

Je vais en citer deux. C'est indéniable – et c'est commun au rééducateur et à tout enseignant - c'est cette capacité d'être à l'écoute et d'être très très humble, c'est-à-dire oublier que l'on sait pour pouvoir rester en question et être surpris par ce que l'autre ne peut pas savoir. Ça c'est commun, pour ce qui est de la spécificité E, je crois ça doit être un enseignant qui ait des connaissances très très poussées dans tout ce qui est processus d'apprentissage, tout ce qui se met en jeu quand on apprend, quand on aborde tel ou tel concept... Il faut qu'il ait une grande maîtrise de ces processus-là pour pouvoir distinguer à tel moment ce qui a pu dysfonctionner chez l'enfant.

Si on considère maintenant les maîtres G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément à l'évocation de cette fonction ?

Je reprendrais ceux que j'ai dit : écoute, humilité, se laisser surprendre, symbolique et puis... sujet.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Je m'en doutais... pour chaque terme... humilité parce qu'il faut savoir effectivement oublier que l'on sait plein de choses pour être suffisamment à l'écoute de ce que l'enfant nous dit ou veut nous dire verbalement ou autrement. Si je ne sais pas au moins pendant un bon moment je ne suis pas tenté de comprendre, d'interpréter etc... Je n'ai qu'à saisir en tant qu'humain, en tant que personne l'impact de l'émotion de l'enfant sur ma propre émotion. Je crois que c'est surtout ça. Après ça se détend le soir, sur mon bureau, devant ma feuille, décryptant la séance et essayant de comprendre. Je ne sais pas si d'ailleurs c'est important pour moi de comprendre, que j'analyse, que je fixe des hypothèses, sur une problématique mais comprendre, je ne sais pas si c'est important, à mon avis je ne pense pas... et je crois que ça participe de la reconnaissance de l'autre en tant que sujet. Il ne sera sujet plein et entier que si je l'autorise à être plein et entier c'est-à-dire comme il est, qu'il soit lui totalement. Il faut donc bien que je m'efface un petit peu, que je me fasse discret dans mon écoute s'il veut exister pleinement. Et sujet parce que c'est lui qui va s'aider. Je veux bien l'aider à s'aider, à sortir du piège de sa problématique. C'est aussi à ce niveau-là qu'on doit faire preuve d'humilité.

Vous avez dit aussi symbolique...

Ah oui, voilà pace que c'est mon axe de travail essentiel, je travaille beaucoup à partir de situations, de mises en scène, de jeux symboliques où l'enfant peut déposer d'une certaine manière sa problématique et prendre une distance par rapport à sa problématique si tant est que dans mon ajustement je puisse lui montrer que ce qu'il peut vivre par ailleurs n'est peut-être pas si culpabilisant, si dangereux, si ceci, si cela...

Pourriez-vous définir plus précisément encore (me coupe)

L'espace de rééducation est un espace symbolique, ce n'est pas un espace de réalité. Quand on a dit réducation et symbolique on a tout dit, c'est banal…

Pouvez-vous définir précisément le travail du maître G ?

Le maître G… permettre à l'enfant dans une relation privilégiée, dans un cadre et un lieu bien défini, de pouvoir jouer, rejouer… Comment dire ? Il faudrait qu'il arrive à historiariser sa problématique, c'est-à-dire être capable de la dépasser comme nous tous on dépasse les éléments douloureux de la vie… en prenant de la distance avec, c'est les mettre dans un coin de la tête et continuer quand même son chemin dans la vie, dans la société, sur les apprentissages avec ça… parce qu'on ne peut pas l'effacer, on ne peut pas effacer un événement familial, un comportement parental, un passé etc… L'enfant a à dépasser cela et à… Il se trouve tiraillé entre… Ce qui dysfonctionne, ce n'est pas l'enfant en tant que tel, c'est que lui se trouve dans une situation de tiraillement entre un vécu familial et personnel et un vécu scolaire, social, les camarades etc… Ce qui est important c'est de retisser, de refaire des liens, nous on est effectivement dans cet entre-deux. On arrive à refaire des liens entre deux tissus qui étaient en train de se séparer… Il faut mettre une bande d'étoffe entre les deux et nous on travaille là…, à ce niveau-là, remettre en lien des choses qui étaient en train de se déchirer. La rééducation, c'est un temps et un espace où l'enfant va pouvoir "dire", déposer sa problématique comme l'exemple de Julien tout à l'heure.

Pour la différence de public entre E et G, y a-t-il un critère d'âge qui intervient ?

Pour moi, de la manière dont je travaille il m'est plus aisé de travailler avec des moyennes, grandes sections, CP et allez jusqu'au CE1. Je ne peux pas, je n'ai pas compétence, je n'arrive pas à travailler avec des plus grands… parce que se sont mis en place chez eux un certain nombre de résistances à dire qui me limitent dans ma pratique telle que je viens de la décrire. L'enfant est coincé et il a ce réflexe de ne pas dire, de protéger ce qui se passe par ailleurs alors qu'en GS ou CP l'enfant se livre plus facilement. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de résistances… Je m'arrête à cela mais ça ne signifie pas que le rééducateur ne pourrait pas travailler avec des plus grands… Je ne suis pas contre les idées qui se véhiculent… pourquoi pas des rééducateurs en collège… Je ne suis pas contre mais au niveau de notre formation il faudrait qu'on aborde autre chose : sur quoi on va agir, comment on va pouvoir apporter une aide efficace à un enfant plus âgé… Je crois que c'est plus difficile.

Et avec quelle tranche d'âge travaille le maître E ?

Moi, j'ai vu surtout des maîtres E agir depuis la grande section jusqu'en CE2. J'ai rarement vu des maîtres E sur des CM1, CM2 ou alors sur des projets très ponctuels par exemple. Actuellement c'est la problématique du CP qui nous interpelle posant la question : "Faut-il véritablement travailler avec les gamins de CP ?" Est-ce que c'est vraiment pertinent ? On est en train de se poser la question… s'il ne faudrait pas faire l'impasse sur cette classe-là qui est la classe vraiment d'apprentissage et notamment au niveau de la lecture. Je crois que l'enfant est tellement confronté à ces apprentissages-là que c'est dommage d'intervenir à nouveau. Il faudrait peut-être lui laisser une porte ouverte… Si au bout de trois mois on ne voit pas les premiers résultats, on va appeler au secours, je crois que c'est dommage… On devrait attendre un peu plus pour que l'enfant puisse être dans ses processus d'apprentissage, laisser faire plus l'instit à ce niveau-là. Pauvre gamin, on lui tombe dessus, ça me paraît difficile… C'est ce que je voulais dire entre parenthèse, on s'intéresse avec les collègues sur la pertinence de l'action des maîtres E au CP.

Quels sont les points de ressemblance entre maître E et maître G ?

Moi, je ne touche pas du tout, je ne reviens pas du tout sur les difficultés d'apprentissage – directement au moins – alors que le maître E y touche. C'est une différence.

Mais dans les ressemblances ?

La ressemblance, c'est qu'à un certain moment et ça ne me gêne aucunement, il est possible que l'enfant à une certaine évolution de sa rééducation aborde des… activités plus apprentissage de type scolaire… ça m'arrive quand un enfant joue au tableau, il prend une craie, il écrit ça dévie un petit peu… On va dire on est dans un jeu symbolique autour de la maîtresse mais il arrive un moment où mon intervention est plus de maître E dans la mesure où pendant une, deux, trois, quatre séances, l'enfant se focalise sur des écrits, des petites histoires qu'on va s'écrire ou un jeu de phrases qu'on se donne comme le jeu du dessin qu'on complète et c'est à celui qui va essayer de faire dérailler l'autre… avec des enfants de CE1 on fait cela. On peut penser que je suis plus dans un processus, une approche de E. Mais je ne vois pas en quoi c'est gênant. C'est l'enfant qui m'a conduit là, à ce moment-là, il avait peut-être donc dépassé d'autres bloquages et il me signifie là qu'il est prêt à aborder les apprentissages. Je ne vois pas pourquoi je ne l'aiderais plus dans cette phase finale de l'aide. En cela on peut avoir des moments où on se ressemble... Je ne connais pas exactement la pratique du E mais je pense que le E n'est pas sans arrêt en train de décortiquer tous les processus d'apprentissage. Je pense que par moment il laisse libre cours à l'expressivité, à la créativité de l'enfant. Ce n'est pas une expressivité corporelle, motrice mais au niveau du langage, graphisme, dessin etc…Quelque part dans l'approche, on se ressemble… Mais dans le traitement, dans ce qu'on apporte à l'enfant, on se différencie…

Est-ce qu'il existe des glissements de pratique entre E et G ?

C'est ce que je viens de dire mais il ne faut pas caricaturer. Mais, sans vouloir porter de jugement, quand on regarde autour de soi c'est vrai qu'entre rééducateurs, on n'a pas du tout la même pratique et un certain nombre d'entre nous – j'ai envie de globaliser pour faire quand même un nous - ont une pratique plus de E de par leur formation, leur parcours… Nous on voit beaucoup d'anciens RPP, quand on échange sur nos pratiques – ce qui a été le cas pendant quatre, cinq années autour de nos stages – on se rend compte qu'ils sont plus dans une pratique de E. Il faut être prudent quand on dit ça, quand on échange avec ces personnes-là, il faut bien les respecter dans leurs pratiques, c'est leur parcours et Dieu sait qu'on ne peut leur en tenir grief dans la mesure où l'administration elle-même n'a pas été capable de mettre des stages de réadaptabilité à la fonction. Il y en a eu pendant deux ans à Beaumont et puis après c'est tombé… C'est clair et par ailleurs ils font du très bon boulot. Mais pour la clarté des choses ça participe du flou ou tout au moins de la remise en question ou des questions qui se posent autour de la rééducation… parce que les pratiques sont tellement différentes qu'on pourrait presque comprendre pourquoi certaines personnes se posent des questions sur la rééducation… Il n'y en a pas un – enfin pas un…- il y a beaucoup, beaucoup de pratiques différentes…

A votre avis, y a-t-il une fonction – entre E ou G - qui joue un plus grand rôle ?

Non. (rires). Je ne vois pas pourquoi elle aurait un plus grand rôle. Je vois plus le G plus en amont du E quand il y a un doute quitte en cours d'année à ajuster l'indication de prise en charge. Mais c'est une priorité temporelle, ce n'est pas une priorité d'importance.

Si un jeune collègue intéressé par un poste en réseau vous demandait de parler des métiers de maître E et de maître G, que lui diriez-vous spontanément ?

Pour être cohérent avec la question précédente je ne vais pas l'orienter vers l'un ou vers l'autre, je vais essayer de reprendre ce qui caractérise une fonction et l'autre, l'inviter à prendre connaissance des référentiels de compétences qui me paraissent assez satisfaisants et à partir de là il se déterminera… Si je l'oriente vers le G, c'est parce que je parlerais passionnément de mon boulot, du plaisir que j'ai et puis peut-être – je vais tout avouer – on s'éloigne un peu plus – pas du pédagogique parce ce serait une erreur, je suis dans le pédagogique quelque part - mais on est plus éloigné de l'apprentissage, de la classe… Notre action est particulière…

En quoi la différenciation E/G vous semble-t-elle pertinente, intéressante ?

… Je suis toujours persuadé… Elle reste pertinente. Ces deux types d'aide bien distincts… Il y a cette proximité dont je viens de parler. Le E garde une proximité par rapport à l'approche de la classe même si le maître E amène plus l'enfant à réfléchir sur ses propres processus. Mais il reste de par les supports une proximité. Il est indispensable pour l'enfant à un moment donné qu'il y ait une rupture avec le monde de la classe, ce monde de l'apprentissage, il faut qu'on soit en rupture avec ça si on veut qu'à un certain moment on puisse faire renaître le désir d'apprendre. Il ne faut plus qu'on soit avec les mêmes supports. Donc si la rééducation permet à l'enfant dans un premier temps de dépasser sa problématique et de se dire qu'apprendre ce n'est pas si mal que ça, s'inscrire dans une culture etc etc… une fois qu'il est dans cette dynamique-là l'enfant acceptera plus volontiers une aide à caractère plus technique - pour parler du E - qui lui permettra de bien être dans les apprentissages. Je crois que la première étape de la rééducation est indispensable. Si on est trop proche de l'apprentissage, on va entretenir une confusion, l'enfant pourrait se sentir piégé par rapport à ce qu'il attend de l'école et ce qu'elle attend de lui. Je suis là avant tout ni pour pallier le manque et la détresse de l'instit, ni la sienne… Je ne veux pas lui montrer ça, il faut lui laisser un espace où il puisse être en rupture. C'est cette rupture qui va faire lien justement… par le contraste flagrant qu'elle inaugure.

Est-ce qu'on pourrait concevoir une fonction unique E/G proposant selon les cas l'une ou l'autre aide ?

Une seule fonction ? A chacun d'être clair et de travailler plutôt sur un axe que sur l'autre ! Sinon ce serait revenir sur ce que j'ai dit tout à l'heure parce que je ne prétends pas qu'il puisse y avoir une seule aide possible… Donc une seule aide en organisant les deux stratégies… Une seule fonction – peu importe l'appellation – avec deux valences… Je ne sais pas.

Y aurait-il des avantages ? Y aurait-il des inconvénients ? Vous pouvez faire le tour de la question…

A priori, franchement, je n'ai pas assez réfléchi à la question. Mais très spontanément, je ne pense pas qu'il y ait des avantages. Je ne pense pas. Pour deux raisons au moins – mais je réfléchis en même temps que je parle - c'est que d'une part l'individu dans cette seule fonction à certains moments mélangerait les deux approches et l'on retrouve le piège dont je parlais tout à l'heure à l'égard de l'enfant et puis je crois aussi qu'il serait dommage… Ce qui fait la valeur de l'aide spécialisée dans les réseaux, c'est la possiblité d'échanger, de confronter les approches entre les trois spécialistes que sont le E, le psy, le G… Si on réduit ce rapport entre le psychologue et un seul spécialiste de l'aide – il peut y en avoir deux de la même spécialité…- Je crois que c'est un avantage de ne pas rester à deux fonctions l'une face à l'autre parce que là il y a des jeux de pouvoir, de conflit qui s'exerceraient alors qu'à trois… J'aime bien le trois, le trio, il y en a toujours un pour départager les deux autres, je trouve cela préférable… Si effectivement on dépasse la fonction, il pourrait y avoir trois personnes dont deux occuperaient la même fonction… Je ne sais pas… Autant j'accepte… en fin de rééducation… que je puisse basculer tout doucement sur un versant qui serait plus celui du maître E… ça se passe souvent en synthèse on se dit "est-ce qu'on arrête l'aide ?" ou "est-ce qu'on le passe au E pour qu'il l'étaie, au moment où il accroche ?" ou "est-ce qu'on poursuit encore un peu G ?" autant je peux m'autoriser ça autant je ne peux pas imaginer pouvoir, moi, être compétent sur ces deux versants, sur ces deux axes-là. Je ne m'imagine pas… pouvoir faire soit du E soit du G. J'ai l'impression que je ferais moi-même piéger à fonctionner toujours sur un même axe ou alors je mélangerais tellement les deux que je n'y verrais pas clair… Non, vraiment je ne sais pas, ce n'est pas quelque chose que j'ai creusé…

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Equipe, parce que c'est le coeur même du réseau, liens entre tous les protagonistes concernés, c'est le réseau qui rassemble et qui provoque les échanges, échanges, dynamisme et difficultés.

Qu'entendez-vous par dynamisme et difficultés ?

Dynamisme parce que quand ça fonctionne, c'est toute une école qui est prise dans ce mouvement, ça peut être contagieux de lutter ensemble et de chercher à tout prix des solutions. Mais c'est aussi difficile. La flamme est fragile… je le constate amèrement (…).

Pouvez-vous définir la typologie des tâches effectuées par un réseau ? ce qu'on pourrait également appeler les grandes lignes directrices…

Dans nos projets de réseau, j'ai poussé à la roue pour qu'on redéfinisse notre action sur trois axes : qui étaient les trois niveaux de prévention. Un premier niveau est une prévention précoce, c'est une action qui s'adresse à tous les enfants sans forcément avoir de signalement et c'est prévenir les difficultés. Les trois personnes du réseau E, psy, G y trouvent leur place. Moi par exemple, je pratique beaucoup au niveau de la petite section, pour leur apporter un plus au niveau de l'expressivité psychomotrice, favoriser la communication, le langage etc… c'est un travail que je fais avec des demi-classes complètes. On peut imaginer aussi le maître E sur un public non ciblé, plus sur des petits groupes d'enfants et des choses plus pointues sur le langage. Le psy lui a travaillé beaucoup sur l'accueil des parents en petite section. Le deuxième axe, c'est la prévention secondaire, c'est la rééducation, l'aide rééducative pour ce qui me concerne, c'est prévenir l'échec et puis le troisième niveau de prévention c'est prévenir l'exclusion. C'est par rapport aux plus grandes classes, CE2, CM1, CM2. Pour le réseau c'est aider l'école en terme de projet éducatif, pédagogique etc.. à mettre un projet personnalisé pour tel ou tel enfant avec sa classe ou le groupe ou le cycle pour que cet enfant ne tombe pas dans l'exclusion du système scolaire et pour préparer son avenir. Sur cet axe-là ce sont surtout les psy qui ont été maîtres d'œuvre dans les différentes équipes où j'ai travaillé et les maîtres E sur des problèmes particuliers d'apprentissage où parfois l'enfant avait émis lui-même le désir d'être aidé.

Existe-t-il des évaluations de résultats pour le réseau ?

Non, je ne connais pas d'outils… Il y a une évaluation empirique mais pas d'outils mis en place pour l'évaluation. Elle se fait à partir de la rencontre des dire de l'instit, des parents, de l'équipe réseau qui à un moment considèrent qu'il y a eu évolution par rapport au signalement. Le signalement est écrit, on a réussi à les mettre en place depuis quelques années. Il y a ensuite le projet qui n'est pas toujours écrit parce que c'est une contrainte importante autant pour le réseau que pour l'instit. Mais à partir de ces deux outils-là l'évaluation c'est faire un point de comparaison entre le pourquoi de l'aide et la photographie qu'on peut prendre de l'enfant à une date donnée. Par le passé, il y a eu une seule tentative dans le département mais il y a eu une telle résistance de tous côtés – le tort est partagé : je trouvais ça débile parce qu'un tableau de bord du nombre d'enfants suivis pour quelle problématique etc… je ne vois pas pourquoi on ne remplirait pas ça, on l'a, on le sait… le problème après c'est l'utilisation qu'en fait l'administration, c'est une évaluation quantitative et non pas qualitative etc… - Donc il y a eu des résistances qui font que ça a été galvaudé… et la seconde année, ils n'ont pas insisté. Moi, je suis pour un outil. On a fait des tentatives dans deux réseaux. C'est quand même difficile d'objectiver un résultat d'aide rééducative… les maîtres E s'en tirent toujours avec des petits bilans de ceci, des petits bilans de cela – ce n'est pas méchant dans ma bouche – ils arrivent toujours à montrer qu'il y a eu une évolution en terme d'apprentissage, de compréhension etc… Mais nous c'est plus difficile mais on y travaille dans le cadre de la fédération nationale puisque normalement nous devrions bientôt sortir un document sur l'évaluation… (…) Pour dire la difficulté et les résistances, ça fait six ans qu'on parle d'une commission sur l'évaluation à la FNAREN. Elle s'est mise au travail, ensuite elle a cessé de fonctionner, on a repris etc…

Existe-t-il dans votre réseau une personne pivot qui anime, organise etc…?

Non, j'ai eu la chance – hormis cette année mais je préfère ne pas en parler mais sur les deux expériences que j'ai faites – une expérience de cinq ans et une autre de trois ans – je ne vois pas de personne pivot. Je crois qu'on a réussi à poser ce qui est appelé la prédéfinition contractuelle "qui est qui ?" "ce que chacun fait dans le réseau" et au regard du fonctionnement du réseau chacun se répartit les tâches, se répartit le boulot et c'est aussi bien le boulot de gestion des achats avec la mairie, la tâche de tout ce qui est secrétariat parce qu'on avait des outils communs de synthèse… et chaque fois que le problème était posé "qui fait la relation avec telle institution, avec l'école" ces choses étaient distribuées entre les gens du réseau. (…)

Est-ce que ce fonctionnement pouvait être décrit comme un fonctionnement de "réseau" ?

Si je fais abstraction de cette année, j'étais, on était très satisfait, très fier – je vais très loin – du fonctionnement que nous avions sur l'équipe du réseau parce qu'on s'était donné comme objectif d'essayer d'être au plus proche d'un meilleur fonctionnement. On s'est collé au plus près des textes, au plus près de la relation école/réseau telle qu'elle est définie dans les circulaires etc… même si par ailleurs on peut contester certaines choses. Mais il faut être clair, il y a la loi, elle s'applique, nous on essaie de s'y coller pour rendre le plus cohérent possible le système public. Que par ailleurs dans les associations professionnelles ou syndicales on conteste certaines choses OK. Mais c'est vrai… je ne peux fonctionner que comme ça. (…) on reçoit tellement d'ingratitude… ça fait plaisir de temps en temps de voir qu'on est reconnu compétent… donc ce projet était un projet modèle sur le département, c'est pour cela que je disais qu'on était assez satisfait… tout en étant aussi nous mêmes en question par rapport à notre propre projet. Attention, il y avait des choses sur lesquelles on n'était pas très content au vu de la pratique. (…) Je ne sais pas où en sont les collègues cette année parce que j'ai quitté mon poste suite à une fermeture de poste… ça a été mal vécu par l'équipe et aussi par le monde enseignant parce qu'il y avait une bonne implication dans les écoles maternelles où on était mieux perçu, pas sur notre montagne, là toujours avec beaucoup de distance nous les gens du réseau, il y avait vraiment une volonté d'être dans l'école avec les collègues sur des projets d'école et je n'ai pas l'impression d'y avoir perdu mon âme ou mon identité… ça c'est clair et net. Là-dessus je me battrais toujours, ce qui était un acte de division ou de dissension entre rééducateurs…

Vous avez présenté tout à l'heure le cas de Julien, une prise en charge qui s'est révélée positive. Pourriez-vous analyser maintenant une prise en charge qui s'est révélée inefficace ?

Mais il y en a plein…

Vous en choisissez seulement un en vous centrant sur les éléments à l'origine de cette inefficacité...

Il y en a plein, il faut être honnête. Je n'ai pas de cas qui me viennent en tête. Mais globalement quand c'est inefficace, soit c'est une indication mal posée au départ ou alors ça fait trop résonnance chez moi à une problématique personnelle que je ne perçois pas toujours. C'est certainement ça… Il y a peut-être un troisième point, une incapacité momentanée, passagère dûe à des problèmes, mes propres problèmes qui font que je ne suis pas suffisamment çà l'écoute dans cette humilité nécessaire… Non mais je ne vois pas de cas… Si à un moment donné – voyez-vous j'allais dire, les mots… (rires) le piège… mais je vais le dire - je me disais "il faut que je me sépare de cette fille"… C'est vrai que ça posait un problème. La relation qu'elle établissait me mettait mal à l'aise, je l'avoue, une petite fille de six ans qui met mal à l'aise un vieillard de 48 ans… J'en ai parlé en équipe et j'ai préféré arrêter l'aide parce qu'il y avait un malaise qui se créait, j'avais du mal à m'ajuster, je me sentais piégé, plus du tout maître de la relation avec cette gamine qui était très perverse qui abordait des sujets… là la dose était dépassée en terme de paroles, d'attitudes… Je ne pouvais plus m'autoriser à être seul avec elle, je pensais qu'il y avait du danger par la perception que pourrait avoir l'extérieur à partir de ce qu'elle pouvait raconter. On aurait pu me prêter beaucoup d'intentions… J'ai pris peur et j'ai préféré arrêter. Même dans les jeux symboliques, elle s'autorisait à mon insu - j'étais pris au piège – à chaque fois je devais rappeler l'éthique, les règles, qu'on était dans le faire semblant et elle, elle argumentait qu'elle faisait semblant mais c'était ambigü au niveau de certaines poses, regards, toucher etc… Je lui rappelais la règle du faire semblant, elle semblait entendre mais la séance suivante elle retombait dans la provocation et ça devenait tellement répétitif que non. Mais ça bien été la première fois… et j'ai pris peur…

Dans votre pratique, avez-vous des moments difficiles ?

Oui… vous pensez qu'on peut répondre non ?

De quoi auriez-vous besoin dans ces moments-là ?

Dans l'équipe réseau on s'en tire mais il faudrait aller vers un lieu complètement extérieur, ça j'en suis maintenant persuadé. Je ne fais pas toujours le pas pour d'autres raisons, d'autres excuses comme le temps que je n'ai pas. Au moins dans l'équipe de réseau il y a un minimum de paroles, d'échanges... On n'est pas seul. Quand on met en place une aide, qui met en place l'aide ? Ce n'est pas moi, c'est le réseau qui a déterminé tel type d'aide, c'est le réseau qui est maître, qui en a la maîtrise, qui suit l'évolution de cette aide... C'est une force formidable, l'assurance d'une plus grande compétence. A partir de là, sur les temps institutionnels qui sont mis en place, il ne faut pas s'égarer, tomber uniquement dans de l'organisationnel et du fonctionnel – ce qui me semble être une échappatoire - il faut se forcer à dire "il y a une heure de synthèse qui est exclusivement réservée au point à faire sur tel ou tel enfant". On tournait, le maître E, le psy ou le rééducateur à parler de un, deux, trois ou quatre enfants en une heure. Un quart d'heure, c'est rapide c'est vrai mais ça permettait de faire le point, dire ce qu'on avait vécu et ça permettait aux collègues de renvoyer certaines interrogations donc d'aider dans son propre cheminement... au nom du réseau. Je vois que je pensais "le réseau me confie de mettre en place telle aide avec tel enfant, mais ce n'est pas moi". Je le dis fort parce que je crois que là-dessus on fonctionne mal dans les réseaux. J'en suis sûr.

Vous parliez tout à l'heure de choses extérieures ?

Oui, parce que je crois que ce n'est pas suffisant. En même temps comme il y a des liens de travail on a quand même... Comment puis-je expliquer ça ? On est en lien de travail et quelque part c'est difficile de faire état totalement de sa difficulté, de sa faiblesse parce qu'on est un professionnel, un être humain et qu'il est toujours difficile de se montrer en faiblesse par rapport à un autre professionnel. Ce n'est pas qu'il y ait concurrence mais c'est dans l'ordre de l'humain. Alors qu'à l'extérieur, où il n'y a pas cette implication, cette relation – ça peut être beaucoup de choses à l'extérieur : un groupe Balint, un groupe d'évaluation, tout ce qui existe et qu'on peut trouver, auxquels j'ai appartenu pendant quelques années... Je ne fais plus pour une question de temps, à voir... (...) – Je reste persuadé que ce lieu de parole reste indispensable à l'extérieur mais avec la précaution... Ce lieu de parole je l'ai quitté parce qu'à un moment donné pour moi, comme on était très peu à être intéressé par ce lieu, on s'est retrouvé avec une autre collègue de travail, deux... On s'est retrouvé avec des collègues de travail et je crois que ça ne peut pas fonctionner, il faut qu'on se retrouve avec d'autres... avec qui je ne suis pas confronté tous les jours... (...)

Comment vivez-vous le regard des autres enseignants sur votre travail ?

C'est difficile d'avoir un positionnement général... Personnellement je me sens assez à l'aise. J'ai l'impression que c'est jugé assez positivement. Globalement. Mais j'ai en tête un ou deux collègues avec qui c'était la guerre, par exemple "considérer ce que je faisais comme secondaire, comme aléatoire" et puis toujours cette lutte de pouvoir "je te le confie parce que je le veux bien, mais ça m'étonnerait que tu arrives à quelque chose..." A partir de là, on ne peut pas arriver à quelque chose, on sait que le summum de l'ingratitude pour nous, ce ne sera jamais – et c'est en partie vrai – grâce au rééducateur ou au maître E qu'un enfant peut progresser – je ne crois que ce soit grâce à l'instit non plus, c'est grâce à l'enfant lui-même... Mais il faut toujours que le bénéfice de l'action revienne à l'instit ou aux parents. On ne pourra jamais nous attribuer le bénéfice de l'action, ce n'est pas possible. Il faut le savoir pour travailler mais à partir de là ce n'est pas très gênant... Ce qui me met mal à l'aise c'est qu'une maman dise que grâce à monsieur Grégory... ça me met mal à l'aise, c'est un danger trop important, je ne peux pas le supporter... ça ne peut pas uniquement être grâce à moi que l'enfant réussisse... (...) Globalement, j'ai l'impression que ma fonction est bien perçue. Il faut bien l'expliquer au départ. C'est vrai que c'est plus riche et plus important au niveau de la prévention en maternelle, les maîtresses apprécient beaucoup, beaucoup ce travail-là... On a aussi des temps d'échange, le regard n'est pas le même sur les enfants... Elles sont capables, plus facilement que des maîtres d'élémentaire de dire qu'on a chacun une part dans ce qui se passe, plus facilement qu'au niveau de l'élémentaire.

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Non, aucun.

Pouvez-vous les imaginer ?

Non. Aucune idée.

Même question pour la formation G ?

Je n'ai pas d'idée sur ce qu'on peut recommander. Moi, j'ai mes bouquins, j'ai mes chevets, mes missels, mes mentors, mes pairs et à parti de là je n'en sors pas.

Et vous que conseilleriez-vous ? En trois références...

Je dirais : "lisez La pratique psychomotrice de Darrault et Aucouturier, La parole rééducatrice de De la Monneraye et les deux derniers tomes de Guillarmé. Je n'en sors pas. Avec ces trois livres on est vraiment dans la rééducation et même plus que ça, on a une meilleure perception du travail en réseau. Mais il y a en d'autres... C'est dur pour les autres...

Vous pouvez compléter si vous le souhaitez...

Je ne les ai pas forcément en tête mais il y a plein d'autres choses qui apportent... (silence) Bon restons en là. Mais c'est un peu dur quand même.

Pouvez-vous parler de votre formation RPM, c'est-à-dire comment la jugiez-vous à l'époque et avec le recul comment la jugez-vous aujourd'hui ?

La formation actuelle, elle devrait bien revenir à ce qu'on faisait il y a dix ans. Voilà. Ça, c'est clair et net, je suis un nostalgique de la formation RPM telle qu'elle était faite au centre de Tours. J'ai l'impression que la formation RPM que j'ai vécue devrait être la formation G proposée actuellement. C'était de très grande qualité parce qu'il y avait un équilibre entre la formation théorique, une formation pratique sur le terrain. C'est là que j'ai abordé les pratiques de prévention précoce en petite section. Les formateurs de Tours en étaient les initiateurs. J'ai bénéficié de ça qui était quelque chose de très très enrichissant et qui a permis de faire de grands pas dans la capacité d'écoute des enfants et puis équilibre avec le troisième point qui est une formation personnelle, c'est-à-dire être capable aussi de s'interroger sur soi-même dans ce qu'on est, ce qu'on fait... ses propres limites, comment on entre en relation avec les autres, savoir qui l'on est et vivre avec. Ce n'est même pas parler de qualités et de défauts, c'est dire on est ça, ce personnage-là. Une fois qu'on le sait, ça va mieux. Ça c'est quelque chose de très important, qui a été très dur, un passage très difficile mais je crois le plus enrichissant. A la limite la formation théorique, qu'elle soit apportée par un prof - tant pis pour eux – mais on peut aussi la trouver dans les bouquins, on peut se faire une formation théorique comme cela - C'est vrai qu'un prof amène une chaleur... on reçoit peut-être plus et mieux mais ce n'est pas cela l'essentiel. Alors que vivre une formation personnelle – avec Aucouturier on avait quand même quatre heures de formation personnelle plus deux heures de relaxation... ça nous a fait beaucoup d'heures par semaines qui nous ont permis de... moi qui m'a beaucoup aidé.

Et votre formation continue ?

Je peux en parler dans la mesure où ce n'est pas l'Education Nationale que je vais pouvoir remercier ou si je la remercie c'est parce que j'ai fait partie des gens qui ont mis en place la formation continue dans le département, parce que sinon nous n'en aurions pas eu. C'est l'AREN du département qui pendant six ans a mis en place les stages de formation continue en direction des rééducateurs et puis après ça s'est transformé en psy et personnel de réseau. C'est nous qui avons proposé les contenus, les intervenants à l'inspection académique ou à la MAFPEN pendant trois modules de deux jours, soit six jours par an. (...)

Que pensez-vous de la qualité actuelle des formations E et G ?

Je pense que la formation en alternance ne permet pas aux gens quelle que soit l'option – à plus forte raison pour les G - ça ne permet pas aux gens pendant un temps suffisamment important de se décoller, de se détacher de la fonction qu'ils avaient auparavant pour pouvoir imaginer, reconstruire autre chose. En alternance, on sera toujours un pied là, un pied dans son ancienne fonction... Je trouve que c'est bâtard... ça aurait été dramatique pour les G – je ne dis pas qu'ils doivent oublier l'école, oublier ce que c'est qu'un enseignant mais ils doivent sacrément poser leurs habits d'enseignants au vestiaire, les brûler pour devenir rééducateurs... C'est une fonction très différente. L'alternance ne va pas faciliter ça... L'identité du rééducateur, même pour les autres options, risque d'être moins forte. Je crois que ça a aussi été fait comme ça pour des raisons politiques, pour qu'il n'y ait plus des états dans l'Etat. L'esprit de corps, cette identité forte, on va la perdre, donc pour l'administration ce sera intéressant, on ne sera plus soumis, plus fondu dans le monde enseignant.

Est-ce que cette nouvelle modalité pourrait favoriser le recrutement ?

Non, je crois que quand on partait en surspécialisation, cette rupture était quelque part difficile – partir un an de chez soi - mais c'était le prix pour faire autre chose, être quelqu'un d'autre et maintenant il n'y aura plus ce prix, plus d'autre identité... Ce fondu, ce flou etc... je ne crois pas que ça sera si motivant que ça. (...)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Je pense que c'est celle de l'enfant, ce n'est pas celle de l'élève ?

Vous l'entendez comme vous voulez...

(rires)... C'est d'être bien dans sa peau c'est-à-dire construire sa personnalité, c'est ce qu'on a envie de prendre pour sa réussite sociale, culturelle mais pas forcément tout donc c'est aussi être capable de s'opposer à l'institution... Ce n'est pas une fin en soi, c'est simplement le point de départ pour son inscription dans la culture et la société.

Comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Comme faisant partie d'un tout, faisant partie du projet d'école et nous ne sommes là que comme richesse supplémentaire à la réussite du projet d'école. Et on est à égalité... On n'est qu'un élément d'un ensemble et quand je dis école j'inclus aussi les parents, avec trois grands spécialistes ou trois grands professionnels : l'enseignant généraliste est le professionnel de la pédagogie, c'est lui le spécialiste de l'apprentissage. Je lui reconnais toutes les compétences. Autant les parents sont les spécialistes de la fonction parentale. Il faut les reconnaître pleinement dans leur rôle. C'est eux qui savent, on n'apprend pas à un parent à être parent, aussi mauvais soit-il... C'est à lui d'apprendre. Et puis moi je fais partie des spécialistes de l'aide. Si ces trois fonctions étaient véritablement reconnues dans l'institution école, je crois qu'on irait vers des projets un peu plus cohérents et satisfaisants. La place et le rôle de l'aide c'est à certains moments permettre à ce projet d'école de tenir ses objectifs, c'est-à-dire d'amener tous les enfants au bout de leur carrière scolaire, l'aide devant comme son nom l'indique permettre à l'enfant de ne pas être éjecté du système, de pouvoir continuer dans ce cursus-là... Avec tout ce que cela suppose : être intégré au projet, ça veut dire que tous les enseignants et les parents cherchent ensemble à partir de leurs compétences propres et qu'ils intègrent qu'à un certain moment ils doivent tenir compte de ce parcours parallèle que prend l'enfant avant de regagner la voie toute tracée du groupe.

Pouvez-vous revenir plus précisément sur la place des aides spécialisées et leur rôle de contre-pouvoir subversif dont vous me parliez avant de commencer l'enregistrement ?

Automatiquement, quand un enfant est en difficulté dans le système, on peut toujours mettre ça sur le dos des enfants qui dysfonctionnent mais je crois aussi que le système n'est pas capable de répondre de manière satisfaisante à cet enfant. Donc nous on pointe aussi quelque part les limites du système, si ce n'est son dysfonctionnement, mais c'est excessif. Et le problème de l'institution en France, c'est cette grande... Elle est puante, pédante parce qu'elle n'accepte pas justement cette limite. Mais toute personne, toute institution a ses limites. Je crois que l'école en France n'est pas capable d'accepter ses limites. Donc quand nous on renvoie à ses limites, c'est compris comme renvoyant à... pas une tare, mais comme s'ils faisaient mal mais ce n'est pas faire mal. C'est simplement accepter qu'à certains moments le groupe classe ne peut pas, n'est pas en capacité de répondre à cette situation. Mais ce n'est pas un reproche, ce n'est pas une critique, ce n'est pas en ces termes-là, c'est seulement montrer les limites. Je crois que c'est tellement mal vécu que l'instit le prend comme une mise en accusation de ses compétences. On ne fait pas la différence entre limite et compétences. A partir de là on est vécu comme subversif parce qu'on remet toujours en cause... On fait toujours la révolution de palais en disant que l'école elle ne va pas bien. L'Ecole va mal parce qu'effectivement elle n'est pas capable de dire "Halte-là, l'école ne peut plus répondre, raison pour laquelle on fait appel à une structure extérieure, un RASED, etc... Ce n'est pas un problème de compétences... Je ne mets pas en cause l'école dans son fonctionnement tel qu'il est prévu, même s'il y a des points sur lesquels on peut revenir et nos collègues enseignants dans leurs compétences. C'est comme si on mettait en cause les compétences des parents. Ça nous servirait à quoi ? Ils sont ce qu'ils sont et il faut bien faire avec eux. Moi, je fais avec les enseignants comme ils sont et je ne mets surtout pas en cause leurs compétences, surtout pas. C'est subversif dans ce sens-là. Mais c'est intéressant parce que si ce n'était pas subversif, ça ronronnerait l'école... Elle ne s'interrogerait jamais sur ce qui ne va pas ou pourquoi ces enfants ne vont pas bien et ne peuvent endosser l'habit d'écolier.

Pouvez-vous préciser l'idée de contre-pouvoir ?

Oui, contre-pouvoir dans le sens où on ne peut pas accepter un fonctionnement "c'est comme ça"... Il y a des enfants qui ne peuvent pas suivre, il y a des parents qui sont tellement minables qu'on sait par avance que leurs enfants ne suivront pas... On est contre-pouvoir dans le sens où on est toujours en propositions, toujours à vouloir recréer ou créer des modalités qui n'existent pas. On n'acceptera pas la fatalité, on n'acceptera pas ce qui est mis en place une fois pour toutes, tout en restant dans le cadre de la loi. On est des empêcheurs de tourner en rond, de se gargariser d'autosatisfactions... On ne peut pas accepter ça. Et l'école sortirait grandie si elle arrêtait de faire de l'autosatisfaction et de dire "je suis la meilleure école du monde".

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je le sens mal. Je le vois en noir. J'espère que je me trompe. J'ai fait dernièrement (...) de la politique fiction en disant : "Regardez donc, les psychologues sont repartis à essayer de revendiquer leur statut, leur titre etc... avec un rôle de psychologue départemental... Ils sortiraient volontiers des réseaux. On entend dire par la voix de stagiaires qu'on est en train de repenser le travail du maître E, la classe d'adaptation étant peut-être plus favorable que les regroupements d'adaptation. Si les psy sortent, si les E ont une classe que va-t-on faire des rééducateurs ? Ce n'est pas à nous tout seul qu'on va faire un réseau. Le rééducateur est menacé, le réseau est menacé..." Par d'autres sources j'ai entendu dire que du personnel au ministère travaille à une autre définition et à d'autres missions pour le rééducateur. Lesquelles ? Nous ne savons pas trop... Il y a des pistes que l'on peut soulever. Tout ce qui tourne autour de la maltraitance, de la violence etc... Le désir aussi d'apporter une aide au collège, c'est vrai que la problématique collège est difficile, que dans les petites classes, 6ème, 5ème, il y a des enfants en perdition mais je ne suis pas sûr que la formation actuelle soit suffisamment adaptée... Alors que va-t-on devenir ? Peut-être des facilitateurs de communication - on ne nous remettra pas dans les classes, ça c'est de la psychose, je n'y crois pas, même s'il faut récupérer des postes - mais qu'on ait un travail en réseau mais avec une autre définition du réseau, être sur une circonscription, un secteur où on aurait le rôle de mettre en relation les gens, d'organiser, d'harmoniser tout ce qui se met en place comme aide autour de ces enfants-là, ce serait un peu ce genre de boulot. Et ce n'est pas le conseiller pédagogique qui agit au niveau des enseignants, c'est bien la mise en relation des aides, des partenaires... C'est moi qui imagine ça... C'est complètement le délire... Mais on est aussi à l'heure européenne dans la mesure où le cas de figure français n'existe pas en Europe. Comment va-t-on se mettre à la page ? Est-ce qu'il n'y aura pas d'exception culturelle pour l'école ? Si on s'aligne, on disparaîtra. Et puis avec la refonte de l'organisation de l'Education Nationale puisqu'il n'y aura plus d'inspection académique (...) mais des antennes administratives de rectorat... Il y aurait plusieurs IA dans un même département et chaque IA étant responsables de plusieurs établissements -regroupements d'écoles, collèges et lycées – à partir de là on pourrait continuer sur la sectorisation des responsabilités IA, IEN, conseillers pédagogiques, rééducateurs ou un autre nom et service de psychologie... ça peut très bien se tenir... Mais c'est du délire et je me fais un film autour de ça.

J'en ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous des remarques à ajouter sur le sujet...

Ce n'est pas évident à brûle-pourpoint, mais c'est un exercice qui est intéressant, plus proche de la réalité... A un coin de rue si on vous interroge, vous ne dites pas "je vous répondrais demain" "je vais préparer mes réponses". C'est un exercice intéressant en ce sens. Quelque chose à rajouter ? Ah non...