Entretien E49 Pierre-Yves

47 ans

Profession : Rééducateur

Diplômes : Diplôme d'éducateur spécialisé, CAP d'instituteur, CAPSAIS option E et G

Pierre-Yves : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Pierre-Yves : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'interviewé

Durée : 1 heure

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression enfant en difficulté ?

... Souffrance... retard... perdu... sans repères, crainte... crainte de l'avenir.

Pouvez-vous développer ce que vous venez de dire ?

Souffrance, pas seulement celle de l'enfant... il souffre lui, il fait souffrir le système, la famille est en souffrance, il y a vraiment une trilogie de la souffrance... En plus, il ne se reconnaît plus... ces gamins sont en manque de repères globaux... En plus de retard, je dirais trouble de pensée et de langage... j'ai la sensation que ces gamins sont paumés dans le langage de l'école, dans la langue sociale, on se demande si les parents leur ont parlé, s'ils ont pensé à le faire... ces gamins sont en manque de parole... la crainte de l'avenir, c'est celle des parents, de l'enseignant... Hélas comme il est en difficulté à l'école, son avenir n'est pas bien rose...

Pouvez-vous chercher le visage d'un enfant en grave difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle, présenter la situation et citer les émotions qui vous animaient face à lui ?

(...) C'est plutôt la tendresse, le désarroi... la colère, pas après le gamin, mais autour de tous les phénomènes que j'arrive à comprendre, qu'on sait identifier... On sait identifier certaines difficultés, on sait qu'il pourrait y avoir une manière de faire quelque chose mais pour telle ou telle raison, il ne se passe rien... mieux que la colère, ce serait la révolte.

Pouvez-vous retrouver une action particulière conduite pour tenter de remédier à cette situation ?

Tout à fait... on a décidé de travailler la question interculturelle... On a cherché une médiatrice, ça a été le début d'un travail, ça a entraîné un travail d'intégration... Il se trouve que parallèlement à ça, la mairie peut financer des interventions de l'ADATE (Association Départementale d'Aide aux Travailleurs Emigrés) donc des interventions d'interprètes... qui viennent d'être missionnés, mandatés, pour aider l'intégration. La mairie vient de donner les moyens parce que nous on ne pouvait pas au niveau des interprètes... C'est le tout début d'une action mais bon...

Quels sont les 5 mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Equipe, action... dispersion... regards diversifiés, multiples et complémentaires.

Et quand vous dites dispersion, vous faites allusion à quoi ?

Des fois, j'ai l'impression qu'on va un peu dans toutes les directions... Y'a différents aspects, au niveau professionnel, là ça peut être un plus d'explorer toutes les directions... au niveau géographique, une mouvance et un manque de centration...

Souvenez-vous d'un enseignant (d'un collègue) face à un enfant en difficulté dans sa classe. Quels sentiments s'éveillaient en lui ? Comment réagissait-il ?

On ne peut pas savoir les émotions d'un autre... Je reprendrai le cas de la petite à laquelle je pensais tout à l'heure... L'instit a voulu à tout prix qu'elle suive un CP... mais pour elle, on ne peut même plus parler de niveau, elle était dans un autre monde... Ce qui l'animait, j'ai l'impression, c'était presque réussir là où les autres avaient échoué... "On a beau me dire qu'elle est dans cet état là, j'arriverai bien à faire quelque chose"... Mais lire, écrire, ça n'avait aucun sens pour elle.

Et comment s'y prenait-elle avec elle ?

Je ne sais pas. Je ne suis jamais rentré dans sa classe... Je ne sais pas... Je sais que c'est fini parce qu'elle a déménagé, alors... maintenant ce n'est plus un problème...

Quand je dis maître E, quels sont les 5 mots qui vous viennent à l'esprit ?

... Adaptation... Inadaptation... Qui s'adapte ? Est-ce que c'est l'enfant, est-ce que c'est le maître ? Est-ce que c'est l'enfant qu'on essaie d'adapter ? Je sais que les maîtres E devraient s'adapter à l'enfant justement... "Soutenir l'enfant dans ses apprentissages"... et passerelle.

En vous appuyant sur votre expérience professionnelle, pouvez-vous préciser les deux dernières expressions ?

Le maître E s'adresse en principe à un enfant qui est dans l'envie d'apprendre, bien sûr qui n'arrive pas... à décoder, c'est tout un travail de soutien... C'est celui qui contrairement à une certaine position, où l'enfant doit s'adapter tant soit peu au niveau de la classe, avec le gosse c'est lui qui s'adapte et qui l'aide à faire son chemin... Je dirais que c'est un peu une passerelle, un pont entre le niveau de la classe et le niveau réel de l'enfant... ça revient à passer de sa langue à lui, celle de l'enfant, à la langue de l'école.

Quelles sont les différences entre le travail du maître généraliste et celui du maître E?

(rires)... Non, en fait je fais une analyse personnelle, si les cycles fonctionnaient vraiment, il n'y aurait pas besoin de maîtres E. Il y aurait besoin d'un peu plus de maîtres G... ou un peu moins... Oui, mais c'est peut-être parce qu'ils sont utilisés à contre-emploi. Peut-être qu'il y en aurait toujours besoin mais ils feraient quelque chose de plus... dans l'ordre de la médiation linguistique et nous beaucoup plus dans le relationnel.

En fait si j'ai bien compris, les maîtres E pour l'instant pallieraient le manque du système tel qu'il fonctionne actuellement...

Oui, en bonne partie... et je dis aussi que s'il n'y avait pas autant de manques, il n'y aurait pas autant de maîtres G non plus... Il y des gamins qui seraient tellement plus à l'aise si on ne les forçait pas... à faire plus qu'ils ne peuvent à ce moment là... Ils seraient plus peinards surtout si on partait de vrais projets et non pas de la nécessité d'apprendre pour apprendre.

Vous pourriez développer cette idée de projet ?

La notion de projet vient de mon expérience en CEMEA etc... Si une classe, un groupe d'enfants à un projet sur un moyen terme ou sur un long terme, ils s'investiront dix fois plus même s'ils ont des tâches et des apprentissages difficiles à faire... si le seul projet qui est proposé à l'enfant... reste étranger, extérieur, imposé par l'adulte... ça frise le dressage et ça risque d'être inefficace... C'est pareil aussi pour nous... Le jour où tu t'intéresses à un programme d'informatique, c'est parce que tu en as besoin pour quelque chose... Tant que tu ne vois pas à quoi ça peut servir dans ton quotidien et dans ta vie, qu'est-ce tu vas t'emmerder à apprendre à utiliser un traitement de textes etc... Toute la démarche que j'ai fait depuis dix ans par rapport à l'informatique... ça m'a beaucoup fait réfléchir, ça m'aide à théoriser des choses que de toutes façons je pratique régulièrement... Avant, dans ma classe, j'ai toujours travaillé à partir de projets sur lesquels les enfants travaillent eux-mêmes...Je pense aussi à un ami qui travaille en classe unique. Il arrive dans le cadre de son boulot à vivre l'esprit Freinet, l'esprit "frénétique" : respect de l'enfant, de sa parole et tout ça... Il me raconte ce qu'il fait dans son boulot et comment ça se passe avec les gamins, je lui dis : "En plus d'instit, tu fais rééducateur" (rires)...

Quels sont les aspects les plus importants à maîtriser pour pouvoir exercer la fonction de maître E ?

La conduite de projet, partir du projet de l'enfant... Respecter l'enfant... C'est logique... Dire les choses nettement, que l'enfant sache pourquoi il est là et ce qu'il a à faire... Mais ça dépend comment on fonctionne... Maître E, ça veut dire de plus en plus regroupement d'adaptation et avoir des projets de vie qui ne soient pas que des projets d'enseignement, c'est très dur, parce qu'il n'y a pas de classe en permanence, tu n'as pas de groupes fixes, tu ne peux pas te dire, voilà on va faire telle action... ou si ça peut être un journal... Oui, l'honnêteté, que l'enfant sache, qu'il lui soit dit clairement pourquoi il est pris individuellement ou en petit groupe dans tel ou tel domaine, ce qu'on va lui amener...

Quand je dis maître G, quels sont les mots qui vous viennent spontanément ?

Médiateur... C'est le mot... qui est un peu galvaudé mais qui est le plus exact... médiateur entre l'enfant, les parents, l'enseignant.. relationnel, chance et malaise. J'hésite à dire ce mot mais c'est une réalité... malaise pour l'ensemble de la profession, on ne sait pas à quelle sauce, on va être mangé... et malaise personnel... je trouve qu'en ce moment je manque... d'inventivité... ça suffit ?

En vous appuyant sur votre expérience professionnelle, comment définissez-vous le travail du maître G ?

C'est un travail de médiateur ! (rires)... Je reviens sur le malaise... Il y a aussi ce malaise là, je vois des choses qui se passent classe et qui ne devraient pas se passer... le pouvoir, le mépris, la moquerie, le marquage des difficultés... Voilà... Pour revenir à la question du maître G, il y a le travail auprès de l'enfant et auprès de la famille, ça ne devrait en être que la moitié, l'autre moitié devrait être : changer et les regards et les comportements de l'enseignant par rapport à la difficulté scolaire et là je pense que c'est le plus délicat... quand je parlais de colère tout à l'heure, ça pousse, ça explose, mais je ne sais pas quoi en faire...

Quels sont les aspects les plus importants à maîtriser pour pouvoir exercer la fonction de maître G ?

Essentiellement ne pas juger... les parents, les enfants... éviter le jugement. Alors après, au niveau de l'action, la qualité c'est... l'inventivité, la créativité et là je n'arrive pas... à la développer, à faire... je n'arrive pas à me lâcher (rires)... Si, il y a aussi le respect d'un cadre. On est à l'école donc ça devient des élèves... et il y a aussi l'idée d'une certaine rigueur... Ecoute, respect de tous les interlocuteurs, ne pas faire n'importe quoi... De plus en plus par exemple, on a fait des stages sur la relation d'aide : dans relation d'aide il y a "relation" et c'est le substrat de l'aide, donc moi non seulement je les écoute mais j'ai des choses à leur dire... Quand je dis respect c'est aussi respect d'un cadre, de l'institution qui nous emploie, qui nous paie...

Quelles sont les différences de "clientèle" entre maîtres E et maîtres G ?

En gros les clients des maîtres E, ce sont des gamins qui sont censés savoir pourquoi ils sont à l'école... Ils sont dans le désir de savoir... dans une dynamique d'apprentissage... Les clients des maîtres G refusent d'apprendre, négligent l'intérêt de savoir...

Et à quoi vous repérez la première catégorie d'enfants ? A quoi vous jugez de la dynamique d'apprentissage ?

Si c'était facile ça se saurait... (rires)... C'est le fruit d'un débat, d'une recherche en équipe. Pour le maître E, ce sont des gamins qui aiment déjà un peu jouer avec la pensée... Pour le maître G, c'est plus des gamins qui aiment jouer mais pas forcément avec la pensée, justement l'obstacle c'est la symbolisation... souvent je le perçois... sans raison valable...

Il y a une grande part d'intuition ?

Oui. Je le ressens.

Est-ce qu'il y a un critère d'âge qui intervient aussi ?

Il faut faire la part des choses. Sur la manière dont on fonctionne dans notre réseau, oui. Le maître G intervient en maternelle et le maître E en primaire... Mais je vois que certains gamins où je travaille en maternelle auraient vraiment d'un maître E... je pense en particulier à deux enfants...

Vous travaillez avec eux ?

Oui, mais avec eux je fais essentiellement un boulot de maître E, c'est-à-dire qu'à la fois je respecte leur projet mais moi, il y a des moments où je leur dis et ils acceptent tout à fait ça, je leur dis : "tiens ça, il me semble que ça pourrait t'aider, tel jeu symbolique, tel truc, tel jeu de société, des choses comme ça". De même, y'a des gamins qui sont en CE1, CE2, CM1, ça ne serait pas plus mal que je les prenne, qu'ils puissent parler... Mais je les prends jusqu'au CE... On se rend compte qu'à la limite, le maître avec qui je travaille, il devrait intervenir avant et faire le boulot par exemple avec les deux GS... et je devrais prendre en charge des plus grands à un âge où ça leur serait très profitable... mais le système l'interdit...

Et l'interdit il vient d'où exactement ?

De la réalité concrète... On a tellement de boulot... le choix, il est vite fait...

Quelles sont les différences de pratiques entre maîtres E et maîtres G ?

J'ai déjà répondu... C'est essentiellement le projet avec l'enfant...

Est-ce qu'il y a des différences au niveau des rencontres avec les parents ?

Il me semble...

De quel ordre ?

Pour le maître E, l'entretien est lié au scolaire, où en est l'enfant, ce qui ne va pas, en règle générale, le même que pour un instit. Pour le maître G, pas forcément, il peut y avoir quelque chose de l'ordre de l'écoute, je pense que la famille doit plus se sentir pouvoir dire elle-même ses propres difficultés... enfin souvent les gens disent quel genre de difficultés qu'ils ont à la maison, dans la vie quotidienne... C'est plus le lieu où on peut dire des choses de l'ordre de la difficulté même si on ne les exploite pas, ils peuvent dire en toute sécurité...

Existe-t-il des points de ressemblance entre les deux pratiques ?

Oui... On peut être appelé... on peut imaginer qu'il y ait un maître E et un maître G dans deux salles côte à côte qui fasse exactement le même jeu avec deux enfants différents, sauf que la demande ne sera pas de même nature... C'est-à-dire que le maître E aura dit à l'enfant "il me semble qu'avec tel jeu ça va t'aider pour telle et telle raison à t'apporter ça et ça... alors que le maître G ce sera l'enfant qui joue, le travail symbolique, c'est l'enfant qui aura plus choisi de lui-même d'aller vers tel jeu... moi je peux être amené à faire écrire l'enfant, à lui faire faire de l'écriture parce qu'il a envie d'écrire ça... Il y a vraiment des moments..." y'a du matos et je sais que c'est vraiment difficile pour toi d'écrire, mais tiens, qu'est-ce qu'on pourrait écrire ensemble?" le maître G ce serait à partir de ce qu'a dit l'enfant et il dirait : "eh bien oui on pourrait peut-être l'écrire ensemble"... C'est très, très fin... mais... c'est compréhensible ?

Oui, oui, très compréhensible... Y a-t-il une fonction, E ou G, qui joue un plus grand rôle ? Et pourquoi ?

Pas plus l'une que l'autre.

Vous pouvez expliquer pourquoi ?

Ils ont des fonctions complémentaires... Il me semble dans un absolu d'ailleurs, beaucoup d'enfants devraient avoir besoin des deux à la suite. Le maître E, c'est un petit peu la fin vers plus d'aide du tout.

Si un jeune collègue intéressé par les RASED vous demandait de parler des métiers de maître E et G, que lui diriez-vous ?

... Je lui dirais que le maître G va aider l'enfant à être un écolier, à être une personne. Le maître E va plus viser à restaurer des compétences d'élèves qui sont insuffisantes.

A votre avis faut-il maintenir les deux types d'aide ?

Oui.

Pour quelles raisons ?

... ça suffit pas oui ?

J'ai peut-être mal formulé ma question... faut-il maintenir les deux types d'aide à travers deux fonctions distinctes ?

Très bonne question... Vous travaillez pour Gossot ? (rires)... Justement je ne suis pas... très catégorique là-dessus, j'ai l'impression qu'en maternelle que le travail que je fais... y'en a un c'est plus précis dans les apprentissages, d'autres... j'ai l'impression d'avoir un peu de décalage dans ma façon de faire, en CP moins... Maintenir les deux types d'aide oui. Dans deux fonctions différentes...

Pourriez-vous concevoir une fonction unique ?

Il me semble que c'est dangereux... Je peux le concevoir mais je pense que c'est dangereux et pour la personne et pour l'institution... parce que c'est déjà tellement facile de ne mettre l'accent que sur les apprentissages, que si c'est la même personne qui fait les deux, il faut vraiment être très, très, très clair... dans la réponse qu'on va donner... C'est très facile de basculer, de ne pas résister à la demande immédiate...

Vous avez dit que cette fonction unique pourrait être dangereuse pour l'institution...

Surtout par les temps qui courent... Il y a une tendance à tout catégoriser, à tout mettre en grille, les difficultés aussi bien que les réponses. Il y a un courant par exemple qui veut qu'on reconnaisse la dyslexie comme handicap. L'aspect relationnel est gommé parce que ça introduit du flou et du non maîtrisable et on se raccroche plus volontiers à des choses sécurisantes du type : "à tel problème, il faut faire ça et ça". Les apprentissages par dressage, c'est infiniment plus facile et on peut même avoir des résultats à court terme. Et comme il faut être rentable, ça aussi c'est dans l'air du temps, la tentation du pédagogique - sans recul suffisant – apparaît à certains comme la solution. Mais gare au mirage de l'image (rires)... A quoi ça sert de sauver les apparences ?... Derrière une surface bien lissée, on peut entendre la détresse d'un môme à qui on ne reconnaît pas le droit d'exister. Vous connaissez Howard Buten ? "quand j'avais cinq ans, je m'ai tué"...

Le système d'aide actuel est-il efficace ?

(rires)... Oui, mais on pourrait faire mieux...

Alors à quelles conditions ça pourrait être mieux ?

Que les enseignants s'appuient sur une formation psychologique. Et qu'ils acceptent d'être aidés dans l'analyse de leurs relations aux élèves. La relation, c'est... les fondements de l'aide... les fondations.

Et vous, de quoi auriez-vous besoin ?

De plus de temps pour faire... pour parler vraiment des enfants... En dehors de la surcharge de travail, il y a aussi ce climat permanent de suspicion qui est toujours très pesant. Il faudrait que l'institution croie en nous, qu'elle arrête les injonctions paradoxales. "On a besoin de vous, on vous paie et puis en même temps, on menace votre existence, on met en doute votre travail et votre efficacité, on ferme vos postes etc". C'est usant. Y'en a marre... On fait avec nous comme certains maîtres font avec leurs élèves en difficulté. C'est dit de façon à peine déguisée : "tu touches là où ça fait mal, bon, mais qu'est-ce que j'aime que tu sois là pour te faire payer mon malaise"...

Quelle est la typologie des tâches effectuées par le RASED ?

Hein ? J'aime mieux les questions a, b, c, d,... les QCM autrement dit... (rires)... Alors qu'est-ce qu'on fait ? Un travail d'observation dans les classes, un balayage un peu systématique chez les grands, les projets pour chaque enfant, le travail avec les enseignants : les concertations mais aussi les... Mais si y'a les relations avec les services extérieurs, c'est nettement plus la psycho mais elle nous en rend compte et on fait un petit peu avec elle... et puis les rencontres avec les parents...

Y a-t-il des évaluations de résultats pour le maître généraliste ?

Vous connaissez la boutade de Meirieu... "On peut évaluer un dressage mais pas une éducation..." Parce qu'en fait on ne sait pas d'où on part... Donc vous ne pouvez pas évaluer votre action... Vous pouvez évaluer de manière normative là où il en est à un moment mais qu'est-ce qui vient de votre action ? Qu'est-ce qui vient d'une action extérieure... Alors au niveau des enseignants, la seule évaluation normative c'est l'évaluation CE2, c'est peut-être que le gamin est au niveau, mais au niveau de quoi ? Parce que d'un quartier à l'autre, les niveaux, ce n'est pas les mêmes... Y'a les redoublements... on n'a pas d'outils qui nous permettent d'évaluer en quoi le travail qu'on a fait avec l'enfant est de notre fait ... Autrement dit, c'est plus facile d'avoir de bons résultats à Pierre et Marie Curie qu'à Pablo Picasso... Ces deux écoles correspondent à des extrêmes... si on évalue de manière normative, on a l'impression que les maîtres de P. et M. Curie sont extraordinaires... J'aimerais pouvoir les mettre à Pablo Picasso et voir... et vice versa... Y'a des évaluations qui pourraient ne pas être biaisées.

Souvenez-vous d'une action exemplaire (>o ou <o) conduite par le RASED. Que pouvez-vous en dire ?

On est en train de démarrer quelque chose grâce à l'ADATE et aux moyens qui nous sont donnés, j'ai l'impression que dans le cadre du respect de la famille, on essaie de faire ce lien entre les cultures et le fait d'avoir enfin des personnes ressources pour nous aider nous à faire le lien entre la langue portuguaise, turque, arabe... alors ça, ça me semble quelque chose de bien, je ne sais pas si on va en tirer quelque chose d'exemplaire, je sais que c'est sur du moyen terme, deux, trois ans, on a des projets spécifiques, de l'interprétariat pour un entretien pour un enfant, mais on va aussi faire quelque chose de global, deux médiatrices vont faire un travail ciblé en direction de toutes les familles, même les françaises... ça va dans le sens où j'avais l'impression d'être en avance...

Comment concevez-vous le rôle du RASED ?

... Je crois que c'est le terme de médiateur... de relation qui est central... On l'a bien dit dans notre projet de réseau, que l'on était censé rendre au mois d'octobre et qui n'est pas tout à fait terminé... On l'a fait pour trois ans... alors (rires)... On situait notre action dans la prévention secondaire...

Vous pouvez expliquer ?

La prévention primaire s'adresse à toute la population... La prévention secondaire s'adresse à une catégorie de population que l'on sait plus exposée... On aimerait travailler autour de l'angle langage /parole dans toute la population où justement, c'est difficile... c'est là-dessus que ça s'enracine l'échec scolaire des gamins soit dont on n'écoute pas la parole, soit qui n'ont pas accès au langage ou au symbolique, soit qui ont des problèmes de langue... Mais quand il n'y a que des problèmes de langue... c'est relativement facile à gérer... On a une petite russe qui est arrivée sans parler un mot de français, un an et demi après, c'est la première de la classe en CE1. Mais elle vient d'un milieu culturel où par rapport à langage et parole dans sa langue d'origine, il n'y avait pas de souci... enfant de chercheur et de prof... (...) On devrait se situer dans la prévention secondaire et alors... le rôle idéal du réseau ça pourrait être beaucoup travailler en direction des enseignants pour modifier un peu les pédagogies et les façons d'être...

Un peu comme les conseillers pédagogiques ?

Non, justement ou alors il faudrait que les enseignants l'acceptent. Certains l'acceptent... Ils sont très rares. (...)

Pouvez-vous présenter le cas d'un enfant dont la prise en charge s'est révélée efficace : la situation initiale, le déroulement des actions conduites, les résultats obtenus ?

Oui, ça doit être possible... (rires)... Je me souviens... mais comme ça à brûle pourpoint...

Je vais présenter la question autrement : qu'est-ce qui a permis une évolution favorable ?

C'est la confiance des uns envers les autres... Le fait de lâcher la pression... Là aussi le réseau peut être une aide à la famille, à comment définir les rôles de chacun, celui de la famille et celui de l'école, qui ne doivent pas se substituer. Alors dans le cadre familial qu'est-ce peut-on faire qui va aider à l'école, moi je travaille un peu ça. On peut dire que ça se traduit dans l'ordre du conseil, on avait beau nous dire en formation, surtout pas de conseils... Mais moi, je dis comme ça, "si vous voulez faire faire de l'écriture à votre enfant, ne lui faites surtout pas faire des lignes de a, que ce soit de l'écriture pour de vrai, qu'il écrive à ses grands-parents, qu'il écrive et qu'il reçoive une réponse" (rires)... Et là c'est de l'ordre du conseil mais ça ne me gêne pas parce que je pense que je suis dans mon rôle, à la fois à l'intérieur de l'école... et à la fois... à l'interface école /famille... ça peut être aussi des jeux de société, pas forcément les jeux éducatifs... (...)

Et dans la situation opposée, c'est-à-dire dans le cas d'un enfant dont la prise en charge s'est révélée inefficace qu'est-ce qui est à l'origine de cette inefficacité ?

(rires) Y'en a beaucoup !... (rires)... La petite qui a déménagé... c'est quand y'a des raidissements de part et d'autre. Chacun se raidit dans sa position et n'accepte pas la remise en cause... Et malheureusement, souvent, entre le réseau et les instits... y'a du mépris, de la suspicion d'inutilité mais "ça ne peut pas lui faire de mal" ou alors une sorte de défi impossible et perdu d'avance "Ce serait trop bien si ça pouvait changer"...

Vous parlez du regard des enseignants sur votre travail, comment vivez-vous ce regard  ?

Pas bien, justement pour ça. C'est bien pour ça que j'ai envie de demander le poste E qui se libère... tout en restant dans ce réseau parce qu'on s'entend très bien. Si j'ai envie de partir pour occuper un poste E, c'est à la fois le regard des enseignants qui est en cause et à la fois le regard de notre administration, enfin pas l'administration, nos supérieurs hiérarchiques. J'ai l'impression que les gens qui reconnaissent le mieux notre rôle, c'est des gens complètement extérieurs, entre autres les médecins... j'en connais une qui dit : "c'est formidable ce qui existe dans les écoles, ces gens qui peuvent écouter les enfants, les familles et qui n'ont pas besoin de médicaliser les difficultés". Voilà, il y a les médecins, les assistantes sociales de quartier, y'a plein de gens complètement extérieurs à l'Education Nationale qui trouvent à quel point c'est important pour les gens, au sein de notre propre institution, alors qu'on a l'impression de voler notre paie. C'est vrai, ça m'exaspère de ne pas avoir de reconnaissance. En maternelle, c'est un petit peu moins vrai. C'est pour ça que je parlais de l'angoisse des enseignants et de l'overdose de pression sociale... Plus on descend dans les sections, plus on est accepté... L'endroit où c'est quasiment l'osmose, c'est au niveau de la moyenne section... En grande section, il y a déjà l'angoisse de l'apprentissage de la lecture... Les enseignants manquent cruellement de psychologie et ça ne s'arrange pas avec les nouvelles formations...

Pouvez-vous parler de la formation initiale préalable à votre entrée en fonction ? (institutionnelle ou autre). Comment la jugiez-vous à l'époque ?

Je vais parler de la formation G (rires)... J'avais l'impression, effectivement j'ai toujours eu l'impression d'être en formation. Je critiquais certains aspects, certains aspects m'allaient, je pouvais rentrer dedans... Je n'ai pas remis en cause ce qu'on m'apportait et comment... encore moins à l'issue du stage... J'ai l'impression que pour la première fois j'étais bien formé à une fonction... Le problème c'est que j'ai eu l'impression d'être bien formé au métier d'instituteur, c'est-à-dire que la formation G qu'on a eue, ce serait bien que tout le monde l'ait, pas au niveau pratique technique... mais tout ce qui est formation à la relation... Il me semble là que ça, ça devrait être une base incontournable...

Pouvez-vous parler aussi de votre formation continue ?

(mime sa réponse en présentant une bouche aux lèvres fortement pincées) ... ça y est... (rires)... Si, non, non, les stages qu'on a mis en place, nous, pour les entretiens... C'était dans le cadre de la formation continue, mais c'était nous qui l'avions organisé... A partir du moment, où l'Education Nationale accepte que nous soyons partie prenante... on retrouve ce que j'ai dit par rapport à l'enfant. Quand c'est nous qui nous prenons en charge et qui disons : ça, j'en ai besoin, ça j'en ai besoin, ça, ce serait important et qu'on nous donne les moyens de le faire, là la formation est bonne... Quand c'est le supérieur hiérarchique qui nous impose ses contenus, c'est rare que j'y trouve mon compte... D'ailleurs, y'en a pas beaucoup (...) L'inspecteur nous a proposé cette année d'organiser nous-mêmes nos deux journées pédagogiques... On a demandé à Eva Thomas d'animer nos ateliers d'écriture, c'était pas suffisant mais ça nous a apporté quelque chose...

Pouvez-vous citer les 3 livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Vous savez quand c'était ? C'était il y a plus de dix ans ! (rires)... Je me rappelle les auteurs sur qui j'ai travaillé pour mon mémoire, Laurence Lentin... Stella Baruck... Foucambert...

Même question pour la formation G ?

Y'a la parole rééducatrice qui est sorti à ce moment-là, sinon c'est le Bulletin Officiel (rires)... Le psychanalyste anglais Winnicott, c'est pas le ou les, c'est le... (se lève et se dirige vers sa bibliothèque). Ils sont tous là... De la Monneraye, Winnicott, Jacquart, c'est à la fois philosophique et scientifique, Changeux Comprendre notre cerveau , Dolto bien sûr... tout ça c'est vraiment très théorique...

Avez-vous une opinion sur la qualité actuelle de la formation E ?

Non.

Sur la formation G ?

Je ne sais pas si elle a beaucoup changé... depuis six ou sept ans... Si, si j'ai une opinion... Sur la formation E, sur ce qui est en train de se mettre en place... Je ne sais pas combien ils sont actuellement sur le département à être soi-disant, pas en formation, mais en aide à la préparation au concours CAPSAIS, c'est nul et non avenu, les gens se forment vraiment tout seul... A la fois je dis il faut avoir son propre projet et être actif, mais il faut aussi avoir des apports extérieurs imposés qui nous provoquent, c'est ce qui est intéressant à Lyon... Par contre, je n'ai pas d'opinion sur ce qui se passe dans les centres de formation... Je ne sais pas... Je viens de lire pas plus tard qu'hier une lettre d'un directeur parce que... certains avaient parlé de la formation en alternance, une lettre un peu... un ton un peu railleur, il estime que ce qu'ils faisaient eux c'était déjà de la formation en alternance. Y'avait alternance entre les apports des stagiaires et les apports des... non, c'était vraiment fumiste... (...)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Je dirais inégalité des chances parce que selon où tu nais tu as plus de chances ou non de réussir à l'école... (rires)... Si, si si c'est très important, c'est une histoire de "transgénérationalité", le mot n'existe pas... mais en gros, les parents transmettent quelque chose à leurs enfants, quelque chose de l'ordre de la reproduction... Non seulement on est encore en plein dedans mais on est encore en train de l'accentuer (...). Pour ces gamins là, pour ceux qui sont en décrochage complet par rapport à la langue, on accroît les différences... On apporte de mauvaises réponses aux bonnes questions... L'école se pose de bonnes questions...

Et qu'est-ce que ça serait pour vous les bonnes réponses ?

... C'est qu'il y en a beaucoup... et ce n'est pas avec de plus en plus d'apprentissages de plus en plus tôt et de plus en plus théoriques que l'enfant va être acteur. La théorisation à partir de cette action, à partir de là, ça glisse...(...) Y'a aussi des facteurs qu'il faudrait relativiser. Il est reconnu que le pourcentage d'enfants aidés par les réseaux d'aide et nés au mois de décembre est élevé... ça me paraît... ça se surajoute... Si tu es de la fin de l'année, jumeau, portugais, que tes parents sont au chômage... tout ça c'est lourd... (...) alors qu'on va demander des aides pour certains gamins parce qu'on estime qu'ils sont en deça de leurs possibilités... des gamins qui sont dans la deuxième moitié de la classe alors que vu leurs origines ils devraient être dans la première, craignos... et pour le gamin complètement en perdition, arabe, père en prison, alcoolique, on dit "finalement, il s'en sort bien" alors qu'il est nettement en dessous des autres. (...)

Quelles sont les raisons principales de la réussite scolaire ?

Papa chirurgien et maman prof de fac... Non, la raison principale, c'est... j'exagère un tout petit peu... Y'a des gamins qui marchent très bien et qui viennent de milieu... simple. C'est vrai que parfois, quand je rencontre les familles, je vois de la chaleur humaine, des gens qui ne sont pas aigris par leur profession, qui arrivent à transmettre des choses à leur enfant, tout ce qu'on a dit, au niveau du langage, de la langue, de la culture... C'est vrai qu'on retrouve tout ça plus facilement dans certains milieux. Chirurgien ou prof de fac, on peut espérer qu'ils offrent ça à leurs enfants... Caissière à Supermarché ou chômeur, on pense que généralement, ce n'est pas ce qu'ils ont souhaité faire de leur vie... alors il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils soient aigris soit par la vie, le boulot ou l'absence de boulot, l'injustice...

Comment voyez-vous l'avenir des RASED ?

... En ce moment je ne le vois pas du tout... On a beau dire que depuis la Loi d'orientation l'enfant est au centre de l'école, je vais dire que le réseau n'est pas lié à l'enfant, il est lié à l'Europe, à l'euro, à des enjeux financiers, à des théories cognitivistes... C'est pour ça que je le vois sombre... L'avenir des gens, non, je ne le vois pas mal, c'est-à-dire que si les textes changent, si les missions changent, on ne va pas dire aux rééducateurs "retournez dans les classes", ce n'est pas ça... on risque de médicaliser ce qui est de l'ordre d'un malaise... On a un peu l'impression qu'entre le ministère de la Santé et les services de l'Education Nationale, ils n'arrêtent pas de se refiler le bébé les uns les autres. L'essentiel, c'est que d'un côté comme de l'autre ça coûte le moins cher possible. Donc, ce qui coûtait cher à la Santé, les établissements spécialisés par exemple, on a essayé de les refiler à l'Education Nationale en créant les CLIS Parallèlement à ça, l'Education Nationale essaie de refiler aux orthophonistes et autres ortho de la santé, c'est-à-dire la Sécurité Sociale, les difficultés scolaires. Y'a qu'à voir le succès de Zorman qui médicalise tout... On a l'impression qu'il y a en permanence ce mouvement de balancier, "tiens c'est mieux que ce soit les autres qui s'en occupent"...

Comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

... Essentiels... mais les aides sont sans doute à axer un peu moins sur les enfants... et plus sur les enseignants...

J'ai épuisé mes questions... Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Non, non, non...