Entretien E51 Lise

Age : 56 ans

Profession : Maître G

Diplômes : CAEI option RPP (72) et option RPM (81)

Lise : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Lise : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de rééducation

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Difficultés d'ordre psycho-socio-culturel, comportement, adaptation. Ce n'est peut-être pas ceux que j'aurais dit si j'avais réfléchi davantage…

Ça ne fait rien, c'est la même règle pour tous… est-ce que vous pouvez préciser davantage ?

Tout ce qui est psycho et tous les troubles du comportement dûs à des problèmes importants et pour lesquels nous envoyons les enfants sur les CMP quand c'est possible. Socio, ici nous sommes en ZEP, donc c'est implicite… la difficulté de la famille se répercutant sur l'enfant. Culturel, on est dans un milieu assez fruste, donc pareil des parents qui ne savent même pas lire donc ça met le niveau assez bas. Comportement, c'est tous les actes de violence, tous les actes d'inhibition qu'on constate chez ces enfants. L'adaptation, je mettrais plutôt ça sur le plan de ce qu'on attend d'eux à l'école, adaptation à l'école qui pour certains est vraiment difficile parce que chez eux il n'y a pas de règles de vie… la première rencontre avec la règle ça se passe à l'école et ça ne se passe pas toujours très, très bien.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Pouvez-vous présenter la situation et citer les actions conduites pour cet enfant ?

Il y en a une multitude…

Il faut en choisir un seul, au choix…

Je vais parler d'une fillette du passé proche qui était dans des conditions socioculturelles très, très basses, que j'ai suivie longtemps, donc ce n'est peut-être pas un cas d'école, mais quand même… Elle a fini par apprendre à lire au CE2 en faisant tout ce qu'on a pu pour l'aider dans ce domaine, au niveau des collègues et du réseau… Maintenant elle est en SEGPA. Ça a été une lente, très lente évolution pour qu'elle s'intègre dans le milieu scolaire, non seulement elle mais aussi la famille parce que les réticences des parents n'aidaient pas cette fillette à démarrer au niveau des apprentissages, au niveau de ce qu'on attendait d'elle à l'école. On sentait que dans cette fillette il y avait des tas de potentialités, qu'entre guillemets "c'était une débilité acquise plus qu'une débilité innée". En connaissant le milieu, les sœurs, on avait envie pour elle d'un plus. Du jour où elle a démarré les apprentissages, petit à petit on a senti qu'elle s'accrochait. Après ça a vraiment été pour elle une ouverture sur le livre, une ouverture pas sur le scolaire parce qu'on n'en était pas encore là… mais vraiment une avidité… à lire, à montrer qu'elle savait lire, à essayer de montrer aux autres qu'elle était… comme les autres. Donc je trouvais qu'il y avait un potentiel extrêmement riche. On est parti de très bas, avec des tas d'activités au niveau corporel, au niveau du vécu jusqu'à ce qu'elle, elle ait une demande par rapport au scolaire. Ça je trouve que c'était quelque chose de merveilleux à vivre mais ça a pris du temps contrairement à ce qu'on peut imaginer, contrairement à ce qu'on lit dans les textes…

Pouvez-vous évoquer cette fois un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Comment réagissait-il par rapport à cet enfant-là ?

Ça, c'est plus difficile à cerner. Les enfants, on les a souvent, les collègues, on les voit souvent, on travaille beaucoup avec eux mais c'est plus difficile… Si cette année, une maîtresse de CP mais qui est là depuis longtemps et qui s'est trouvée cette année confrontée à une classe dont elle ne venait pas à bout. Donc elle nous a sollicitées pour qu'on aille dans la classe voir comment l'aider. On travaillait déjà avec certains enfants de cette classe mais malgré tout ce n'était pas suffisant donc elle nous a demandés d'aller voir, de parler avec elle pour voir ce qu'elle pourrait faire pour qu'il y ait une petite amélioration. C'est quelqu'un qui écoute, qui est très partante pour travailler avec nous, qui a accepté nos petits commentaires, qui a essayé de les mettre en application. Il nous semble que ça a été tout à fait fructueux pour elle, pour les enfants qui commencent à s'y retrouver, qui commencent à se structurer, et surtout qui démarrent les apprentissages.

Est-ce qu'il y eu une modification perceptible des attitudes de cette enseignante suite à ce travail ?

Par rapport à cette année, non… C'est quelqu'un qui a toujours travaillé avec nous mais pas superficiellement, qui a travaillé en profondeur, qui passe du temps avec nous pour discuter des enfants… c'est la première fois qu'elle nous demande d'aller dans sa classe. Je crois que c'est ce plus qu'elle nous a demandé qui est différent des autres années, parce qu'elle devait être très désorientée (…) avec des enfants qui sont des identités mais chacun pour soi, chacun dans son coin, chacun gérant son petit domaine, son bureau, touche à tout, sans être dans l'homogénéité d'une classe. Il n'y avait jamais de moment où les enfants étaient tous ensemble à l'écouter… ça a été très difficile, des enfants qui arrivaient de deux grandes sections maternelles différentes.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

… travail de concertation, pluridisciplinaire, aide à plusieurs niveaux c'est-à-dire avec les enseignants, avec les enfants, avec tous les partenaires, tous ceux qui gravitent autour de l'enfant.

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

Je ne vais pas spécifier travail… Concertation, c'est-à-dire des temps communs de réflexion entre gens du RASED, avec les partenaires immédiats c'est-à-dire les instits, avec les parents et avec tous ceux qui gravitent autour - on travaille beaucoup avec le CMP, les assistantes sociales, la PMI, l'équipe de Santé Scolaire, les gens de la ZEP puisque ça va au-delà de l'école, on travaille avec le collège, tous les niveaux de l'école de la maternelle jusqu'au collège. Pluridisciplinarité, c'est pareil.

Vous avez dit aussi aide. Pouvez-vous définir ce que c'est qu'aider ?

… C'est déjà l'écoute, écouter tous ceux qui ont besoin qu'on leur parle, d'abord qu'on les écoute pour essayer de mettre ensemble une stratégie qui va permettre une évolution dans la classe soit de l'enfant soit de l'instit, une évolution personnelle et une évolution de tous les autres paramètres dont on a parlé. L'aide, c'est d'abord l'écoute à plusieurs niveaux.

Pouvez-vous préciser les caractéristiques de cette aide en dehors de l'écoute qui peut être commune à tous ?

Pour les collègues, c'est préparer un travail, élaborer un projet pour l'enfant. Ce n'est pas un travail qu'on fait tout seul dans son coin. A partir de notre projet de RASED, on va faire un projet plus individualisé avec chaque instit et chaque enfant qui va être suivi en rééducation. C'est très important de construire ces projets ensemble parce qu'ils sont ensuite, entre nous, comme une sorte d'objet transitionnel. On fait des synthèses deux fois par semaine, les enseignants viennent et on discute des projets – projet d'école, projet par rapport à l'enfant. Ce dernier peut être soit à dominante rééducative, soit à dominante pédagogique. La dominante pédagogique n'est pas notre vocation mais on l'a quand même en filigrane parce qu'on est dans l'institution scolaire et puis surtout parce que l'enfant, ce n'est pas un petit bout de ceci, un petit bout de cela. On travaille au niveau de l'enfant dans sa globalité et on voit comment on peut l'amener à évoluer, à devenir autonome, plus mature, plus prêt aux apprentissages…

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq termes que vous proposeriez ?

Soutien, pédagogique, adapter, groupe… concertations.

Est-ce que vous pouvez développer davantage ?

C'est un soutien plus au niveau du scolaire, on va prendre l'enfant dans sa réalité scolaire et puis on va essayer à travers d'autres activités complémentaires à celles de la classe de le faire évoluer pour qu'il parvienne dans la classe à faire comme tout le monde.

Est-ce que vous pouvez préciser le terme de soutien ?

Un travail plus scolaire, à travers des activités ludiques. Je pense que c'est ce que fait la collègue, plus scolaire par rapport au rééducateur qui est plus… c'est là qu'on peut dire que le soutien est pour l'élève, plus que pour l'enfant alors que la rééducatrice va travailler plus au niveau de l'enfant.

A partir d'un cas qui a pu être débattu en synthèse, est-ce que vous pourriez décrire le travail du maître E ?

Non, pas vraiment. Ça va être délicat. C'est vrai qu'on a beaucoup de concertations avec le maître E mais je ne travaille pas sur les mêmes enfants parce que je ne vais dans la même école qu'elle mais c'est vrai qu'elle fait un travail remarquable avec des fiches, un travail réfléchi mais au niveau pédagogique, en partant des acquis de l'enfant et de ce qu'on attend de lui dans la classe dans laquelle il est… Mais c'est vrai qu'on se passe des choses mais…

Vous n'en parlez pas précisément par exemple en synthèse ?

On va parler d'un cas d'enfant plus que d'un travail qui se fait pendant le temps de rééducation ou de CLAD. Chacun amène ses outils mais on parle de l'enfant, de ce qui pose problème, plus que d'un travail ponctuel.

Quelles sont d'après vous les différences entre le maître généraliste et le travail du maître E ?

Oui, oui, ce n'est pas du tout… Il y a déjà le travail relationnel, puisqu'on est en petit groupe, donc ça modifie complètement le regard et puis ce sont des enfants qui sont en difficulté, qui ne réussissent pas en classe comme tout un chacun et qu'il va falloir mener petit à petit, pas à pas, à être comme les autres pour qu'ils soient intégrés dans la classe, pour qu'ils puissent évoluer au rythme de la classe.

Dans la réalité, de nombreux postes E sont pourvus par des maîtres non spécialisés. Qu'en pensez-vous ?

C'est un problème de budget… C'est encore un problème de gros sous… Mais ce n'est pas du tout le même travail, c'est assez difficile de tout mettre sur le même plan. Un maître généraliste, il va s'occuper d'un groupe classe qu'il va faire évoluer. Bien sûr, il va travailler avec des individus, faire un travail de plus en plus individualisé, c'est la demande actuelle mais c'est le groupe classe qui gère la vie de tous les jours dans une classe. Ça me semble normal. Alors que le maître E va prendre les enfants en difficulté, il va les avoir en petit groupe et il va faire un menu à la carte, si je puis dire… (pause café)

Si je dis maître G quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Ecoute, adaptation à l'enfant, prise en compte des difficultés de tous ordres, le scolaire pas en premier, non prioritaire, accompagnement.

Vous pouvez préciser ?

Ecoute, avant de traiter les problèmes, il faut déjà être à l'écoute. Il faut que l'enfant se sente à l'aise, se sente pris en compte dans sa réalité globale. Adaptation à l'enfant, il va falloir partir de l'enfant et pas imposer ce qu'on a dans la tête mais l'amener petit à petit à remplir les objectifs qu'on s'est fixés et dont on l'a mis au courant. C'est un travail commun, un cheminement ensemble.

Le scolaire non prioritaire ?

Non, on ne va pas partir du scolaire, contrairement au maître E. On va partir de l'enfant dans sa difficulté à être, c'est-à-dire à être déjà un enfant, à être un élève, à être le fils de ses parents, plein de choses… On va essayer de travailler dans sa globalité, à sa demande en le faisant évoluer par rapport à ce qu'on a noté au niveau d'un bilan par exemple. Si c'est par le moteur qu'il a besoin de bouger, de se rassurer, on va travailler à ce niveau-là à sa demande pour petit à petit l'amener à se stabiliser, à mieux se connaître, à devenir autonome, à avoir un désir… parce que quelquefois, c'est là que ça coince malgré tout ce qu'on propose dans cette salle, quelquefois ils ne savent pas vers quoi se tourner…

Accompagnement ?

Alors là c'est un travail tout au long de l'année, en étant toujours prêts à aller dans le sens de l'intégrer dans l'école.

En vous appuyant sur un cas d'enfant que vous avez suivi, est-ce que vous pouvez décrire concrètement votre travail ? Ce que vous faites, le déroulement des séances…

Il y a tellement de choses… C'est vaste. Je vais vous parler de mes petits jumeaux. Une année, j'avais des petits jumeaux en maternelle. La maîtresse me dit : "Ce serait bien que tu les prennes séparément". Je n'étais pas persuadée que c'était la meilleure idée parce que je sentais ces enfants de cinq ans encore très en fusion. Mais, sous la pression de la maîtresse, j'ai dit : "On va essayer, on verra bien". J'arrive ici avec un enfant, rien. Je ne pouvais pas entrer en relation, ça ne marchait pas du tout. Le deuxième, même topo. J'en reparle avec la maîtresse... "ça ne va pas du tout, même après plusieurs essais. Ce serait bien que dans un premier temps, je les prenne tous les deux ensemble et après on verrait". "Ah bon ! Si tu veux…". Je viens avec mes deux petits jumeaux et puis on a fait des choses. Un jour, j'avais un grand carton, genre carton d'emballage. Et voilà mes deux petits qui se réfugient tous les deux à l'intérieur. Ils jouaient dedans. Je les entendais papoter, ils sont ressortis, ils ont pris différents objets qui étaient dans la pièce etc. et ils se réfugiaient à l'intérieur. Moi, complètement à côté, déroutée. Ça c'était une séance, deuxième séance, troisième séance, il y en a un qui me dit : "On pourrait faire une porte". J'ai dit que c'était une bonne idée. On a découpé une porte mais il ne fallait pas l'enlever complètement, donc un battant disons. Alors ils se réfugiaient, ils sortaient, ils s'amusaient follement à l'intérieur, moi toujours sur la touche évidemment, toujours aussi déroutée. Et puis un jour, on a ouvert des fenêtres, et puis un jour ils sont sortis de leur maison. Et puis un jour ils n'ont plus eu besoin du tout d'être ensemble. Chacun allait vers une activité complètement différente de l'autre. A partir de ce moment-là on a pu faire un travail individuel avec chacun d'eux. Ils avaient eu besoin de ce temps pour se séparer, pour concrétiser quelque chose… J'avais trouvé ça absolument magique, mais par contre, je me sentais très mal parce que peu sollicitée. Quand on a commencé à ouvrir un petit peu, il fallait passer des choses par les portes, par les fenêtres. Ils avaient refait un petit peu le ventre maternel jusqu'à ce qu'ils puissent s'individualiser.

Avez-vous rencontré les parents ?

Bien sûr…

Comment cela s'est-t-il passé ?

Je les vois toujours avant de prendre l'enfant en rééducation. J'ai quand même vu l'enfant un petit peu pour pouvoir parler. Donc on voit l'enfant avec l'accord, on a toujours des tas de papier dont l'accord des parents avant de prendre l'enfant. Ils signent un papier, je le vois une ou deux fois et après les parents viennent. On fixe les objectifs, ce qu'on a remarqué, ce qu'on voudrait dans l'intérêt de l'enfant. Je les revois, pas tous, pas systématiquement à la fin du premier trimestre. Parfois, ça déborde un peu sur janvier, février et puis une dernière fois en fin d'année. En gros ça fait deux, trois fois par famille. Par contre certaines familles sont très demandeuses, une maman que j'ai déjà vu six fois depuis le début de l'année (…).

En quoi c'est important pour vous la rencontre avec les parents ?

Je crois qu'il faut qu'ils soient complètement partant pour ce qu'on propose, sinon, ce n'est pas possible. On ne peut pas travailler contre les parents, ni contre les enseignants… il faut que l'enfant sente qu'il y ait une adhésion de tous autour de lui…que tout le monde se fasse confiance. S'il n'y a pas de climat de confiance, l'enfant ne peut pas évoluer.

Pour revenir aux cas des jumeaux, que pouvez-vous dire des rencontres avec les parents ? Que s'est-il passé avec eux ?

(…)

Est-ce que vous établissez des contrats avec les parents ?

Oraux, mais pas écrits… certains ici ne savent pas lire, donc tout ce qu'on peut leur donner comme message écrit, ça les inquiète plus qu'autre chose. Oralement, oui…

Pouvez-vous en donner des exemples ?

Oui, "On se revoit dans tant de temps", "la petite fille viendra ici tel jour de telle heure à telle heure, est-ce que vous en êtes d'accord ?", c'est des choses ras les pâquerettes.

Pouvez-vous parler du lien que vous entretenez avec l'enseignant de la classe ? Par exemple avec les jumeaux, que s'est-il passé ?

Ça s'est passé… grandes conversations, synthèses, "moi j'ai noté ceci en séance", "il se passe ça dans la classe", donc c'est une confrontation de nos expériences avec ces enfants. Le mot confrontation est fort, c'est un dialogue, une discussion "à propos de" pour qu'on soit en harmonie. Toujours pareil, si on n'est pas en harmonie, l'enfant ne peut pas travailler non plus.

Est-ce que vous pouvez préciser cette notion d'harmonie ?

Concrètement, il faut que l'enfant arrive à sentir qu'on est tout à fait d'accord les uns avec les autres, pour que lui, il soit aussi bien avec sa maîtresse dans la classe qu'ici. Sinon, il vient au corps défendant de tout un chacun et il le sent. Un enfant est tellement intuitif… qu'il ne peut pas ne pas le sentir et à ce moment-là, ça n'évolue pas, ça ne bouge pas, c'est même quelquefois le fiasco complet si on sent que l'enfant est tiraillé, s'il sent qu'il n'y a pas de soutien de la part de la maîtresse pour qu'il vienne vers nous… ça ne peut pas marcher. Si une maîtresse nous dit : "Oh non, il n'en a pas besoin !", on ne le prend pas. On sait que, ou il faut la persuader – ce qui n'est pas toujours évident – ou il faut que l'enfant arrive à être tellement en difficulté qu'elle se sente désarmée à son tour et qu'elle fasse appel à nous à ce moment-là. On ne fait pas le forcing, ça c'est sûr.

Comment sont posées les indications d'aide pédagogique et d'aide rééducative ?

Alors, il y a deux façons de travailler. Avec toutes les grandes sections maternelles des écoles de la ZEP, en début d'année - ce qui donne aussi un peu de temps aux autres, pour qu'ils s'adaptent à leur classe etc – on fait une évaluation qu'on a mise au point en prenant des choses dans différents tests, ça avait été un travail de réflexion. Cette évaluation nous permet de déboucher sur une synthèse avec les maîtresses et à partir de ces discussions, on va voir quels enfants pourraient bénéficier d'une aide. C'est essentiellement aide rééducative puisque la maîtresse de la CLAD n'intervient qu'à partir du CE1. Donc aide rééducative qu'on met au point avec la collègue qui a la classe. Concertation encore une fois. On se voit aussi avec le médecin scolaire qui fait un travail également d'évaluation des grandes sections. On peaufine nos réflexions par rapport à chaque enfant avec ce qu'on a fait chacune de notre côté. C'est complémentaire. On cerne un peu mieux l'enfant dans sa difficulté à tout niveau. Ça c'est pour la grande section. A partir de là on a un nombre d'enfants qui pourraient être pris en rééducation avec l'accord des maîtres. Après travail avec les parents etc… Ensuite au niveau des CP, ce sont des enfants qu'on connaît puisqu'on les a vus en grande section. On est déjà plus vigilant, ça peut être un suivi grande section sur les CP pour les enfants pour lesquels ce n'est pas terminé. Là, on rencontre uniquement les collègues courant octobre. Puisqu'on a fait le travail en septembre sur les grandes sections, ça leur a donné le temps de connaître les enfants de leur classe, de voir qui aurait besoin d'une rééducation, donc synthèse, projet… on met en commun.

Et pour les aides à dominante pédagogique ?

La collègue n'intervient que sur une école, à Alphonse Daudet, et à partir du CE1. Elle fait des bilans à la demande des maîtres de l'école et en synthèse on discute tous ensemble de la constitution des groupes, des objectifs et de la durée approximative de l'aide.

Est-ce qu'il y a des glissements de pratique dans votre réseau, des E qui pourraient fonctionner comme des G ou inversement ?

Non, pas dans notre cas. Je vais parler de mon secteur. Je travaille sur la maternelle Henri Wallon, les enfants ensuite vont dans une autre école et la collègue maître E ne va pas du tout dans cette école donc il n'y a pas de problème. Et elle travaille comme moi à Alphonse Daudet et moi je ne travaille que sur la maternelle et elle sur le primaire donc il y a glissement parce qu'on a fait des choix un petit peu arbitraire de travail soit en maternelle, soit en primaire.

Est-ce que vous avez l'impression à un moment donné d'avoir une activité qui serait plutôt de type E ?

Non, parce que les institutrices ciblent bien les enfants qu'elles nous confient. Elles ont bien fait le distinguo entre ce qui relevait de la maîtresse E et puis moi. Il n'y a pas de problème, les enfants que je prends sont bien pour la rééducatrice.

En quoi cette différenciation vous semble-t-elle pertinente ?

Déjà au niveau rééducatif, je trouve que c'est bien de faire un travail en prévention, tant que l'enfant n'est pas encore confronté aux apprentissages scolaires purs et durs tels qu'on l'entend. Donc la maîtresse E arrive ensuite à un moment où ça va un peu moins bien sur le plan des apprentissages. Il y a une espèce d'entente comme ça qui est implicite pour nous, enfin dans notre réseau à nous. Maintenant, je ne sais pas ce qui se passe ailleurs…

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle dans votre secteur ?

Je ne dirais pas comme ça. Ce sont des enfants qui n'ont pas le même âge, mais je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y en a un plus fort que l'autre !

On parle d'une réforme prochaine. Quelle position soutenez-vous ?

Je ne serais pas concernée… Je trouve que c'était très bien comme ça. Je trouve qu'il y avait un travail en profondeur avec les enfants et je trouve absolument navrant qu'on puisse imaginer autre chose.

A votre avis, pour quelles raisons un changement risque de survenir ?

Si ce n'est pas budgétaire, je ne vois pas. A mon avis, ça ne peut être qu'une question d'argent. C'est vrai qu'une rééducatrice travaille avec un enfant, une maîtresse E travaille déjà avec un groupe d'enfants et pourquoi ne pas remettre tout le monde dans sa classe pendant qu'on y est. On ferait de très grandes économies…

Que pensez-vous de la charte du XXIème siècle ?

Il y a plein, plein de choses intéressantes. Mais je ne vois pas très bien comment ça va pouvoir s'appliquer dans la mesure où on n'aura pas les moyens nécessaires et suffisants pour la mettre en place. On a déjà eu une réunion l'autre jour avec plein de projets passionnants. Mais voilà où sont les gens qui vont pouvoir prendre ça en compte ? Personnel en plus etc. surtout en ZEP ? Je ne sais pas si ça ne va pas mourir de sa belle mort parce que les gens ne veulent pas se lancer dans quelque chose s'ils n'ont pas d'aide mais des aides pas aide éducateurs, des gens qui sont formés, des gens qui sont prêts à donner un coup de main là où il y a besoin. Je ne mets pas en… les aides éducateurs font des choses merveilleuses, mais bon… Il y a des endroits où il faudrait être un peu plus formé…

Quelles sont les grandes tâches effectuées par un réseau ? Comment pouvez-vous les classer ?

Au début toute cette évaluation qui nous prend du temps et qui vraiment est très intéressante parce que ça fait un profil de classe et puis ça nous permet de connaître les enfants qui vont ensuite monter dans les autres classes. C'est un travail qu'on aime bien faire parce que c'est fondamental. Les synthèses qui s'en suivent, toute la mise en place du travail en début d'année avec les collègues parce que quand il y a des nouveaux, il faut se présenter etc… tout ce premier trimestre où on cherche un peu nos marques, les uns avec les autres… avec les enfants qui vont travailler avec nous, même si on n'attend pas le quinze décembre pour commencer à travailler avec les enfants, loin de là. Travail avec les parents, tout ce travail de… on pourrait dire de défrichage de terrain. Deuxième trimestre un peu plus calme dans le sens où ça tourne, ça roule pour nous. Alors on a beaucoup de synthèses, on continue de travailler avec les collègues, avec les parents… avec tout ce qui est autour, les CMP etc. mais il y a moins ce gros travail de préparation du travail de l'année. Et puis le dernier trimestre, bilan final qui nous prend beaucoup de temps, de recherches, de réflexions…

Quels outils utilisez-vous pour cette évaluation du réseau, pour ce bilan ?

Nous, notre évaluation, elle se fait surtout à travers un bilan que l'on transmet à l'inspecteur. Ce n'est pas une grille, c'est mis en phrases. (me montre le bilan de l'an dernier…) Dans ce bilan il y a le bilan de la psychologue, des rééducatrices, de la maîtresse de la CLAD. Il y a des chiffres et il y a une réflexion.

Si on aborde le point formation, pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Non.

Pour la formation G ?

Non. Je ne suis plus dans le coup de la théorie. Je ne veux pas m'immiscer dans tout ça. J'ai eu beaucoup de stagiaires jusqu'à il y a deux trois ans, mais maintenant c'est fini. Donc je suis moins théorique.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Mieux-être, autonomie, savoir être, savoir-faire, adaptation à la Vie.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Mieux–être dans sa peau, pour gérer sa vie au quotidien. Autonomie, savoir se débrouiller tout seul sans être toujours obligé de demander à l'adulte si ça va, vivre tout seul, gérer son travail comme un grand. Savoir être, c'est-à-dire avoir des projets, des désirs, savoir que la vie nous attend et qu'il faut faire avec. Savoir-faire, c'est plus scolaire. Adaptation à la Vie, quand on sort d'une classe, on n'a pas fini. Il faut pouvoir l'année d'après s'adapter de nouveau, s'adapter aux vacances, s'adapter à la Vie, tous les jours de la vie jusqu'à ce que mort s'en suive. C'est un grand trajet…

Une question un peu plus générale, comment considérez–vous la place et le rôle des aides à l'école ?

La place, à mon avis, c'est indispensable dans nos quartiers parce qu'il y a beaucoup de gens, d'enfants en difficulté donc je pense que c'est très important de leur donner un temps pour évoluer, pour être écouté, ça me semble tout à fait indispensable. Le rôle, on l'a défini dans tout ce qu'on a dit. C'est en tout cas complémentaire de tout ce qui se fait déjà à l'école et non pas supplémentaire comme on aurait pu le penser tout à l'heure.

Quels sont les liens entre les aides apportées par le réseau et celles normalement apportées par l'enseignant comme par exemple les études dirigées ? Comment s'articule l'ensemble des aides dans les écoles ?

Déjà, ce ne sont pas les aides sur les mêmes enfants. Je crois que l'aide éducateur par exemple n'a rien à faire avec les enfants en difficulté. S'il y en a, ça peut être l'enseignant ou le maître spécialisé. L'aide éducateur doit seconder le maître dans des activités de petit groupe mais chaperonné, supervisé par le maître. C'est lui le seul maître à bord. Ici, les études dirigées sont des études à thèmes. La mairie a demandé aux enseignants qu'il y ait une étude où on travaille sur les ordinateurs – ça c'est pris en compte par des jeunes qui viennent de l'extérieur et qui sont suffisamment performants au niveau de cet outil nouveau pour initier les enfants. Par les maîtres de l'école, il y a un travail avec la BCD. Les maîtres les emmènent choisir des livres. A la maternelle, je crois même qu'ils font venir les parents une fois par semaine à la BCD. Les parents lisent des contes ou regardent simplement des livres avec leurs enfants même s'ils ne savent pas lire. Je crois qu'ils ont conservé une étude du style aide aux devoirs, bien qu'il n'y ait pas de devoirs mais pour aider les enfants à apprendre à apprendre – trouver une méthodologie pour apprendre une poésie, pour apprendre une leçon. C'est un accompagnement un peu scolaire. Je crois qu'il y a aussi une étude jeux de société c'est-à-dire qu'à travers tous les jeux, petits chevaux, jeu de l'oie etc. on aide les enfants à compter, à découvrir une orientation, une méthode de travail, une stratégie à travers le jeu.

Intervenez-vous en conseil de cycle ou en conseil d'école ?

Ah oui, oui, on fait tout, nous. Conseils de cycle, conseil de maître, conseil d'école, on fait tout. Il me semble fondamental d'être très présent dans l'équipe éducative. Si on veut exister, il faut quand même qu'on nous voie et qu'on nous entende un petit peu… (rires) un petit peu beaucoup… comme on est là à tous les conseils, l'articulation de toutes les aides est implicite. Ça se fait comme ça. Quelquefois on a une autre réunion, mais on est là au maximum de notre temps, en même temps que les collègues.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Peau de chagrin… Remarquez ça fait maintenant plus de 20 ans que j'entends dire qu'on disparaîtra. On a déjà tenu 20 ans, peut-être qu'on tiendra encore un peu… C'est vrai qu'il y a de moins en moins de gens qui partent en stage et je ne vois pas l'avenir sous un grand ciel bleu. J'ai l'impression qu'on est en train de disperser les gens aux quatre vents, comme ça on couvre tous les besoins soit disant. Mais c'est du saupoudrage, ce n'est pas un travail en profondeur… Pour bien travailler, il faut connaître les collègues enseignants, il faut connaître les familles, il faut connaître tout ce qui est autour de l'école... ça demande du temps et du personnel. Si on nous disperse un peu partout, je ne sais pas si on pourra continuer à faire ce travail-là. Ce sera un autre travail, peut-être à inventer… Mais il me semble qu'il y a un travail de fond qui sera plus délicat à faire.

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

J'y crois. Je trouve que c'est quelque chose qui a été un gros plus pour les enfants – en GAPP puis Réseau -. Vraiment je crois qu'on a réussi – pas tout seul, avec les collègues, avec tout ce qui est autour – à sortir des enfants d'une misère scolaire quelquefois bien grande et puis à les réintégrer dans un circuit où ils ont pu prouver qu'ils avaient aussi des compétences. J'y crois mais… je pense qu'il faut se battre pour que ça continue…

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de rééducatrice a-t-elle été importante pour vous ?

Ça a été un long cheminement… Je crois qu'on ne passe pas d'une classe normale par tous ces stages sans évoluer. Je crois que ça a été un long cheminement comme j'espère pour tous les enfants avec lesquels j'ai travaillé. Je suis à la fin de ma carrière, un petit peu de nostalgie peut-être mais il me semble que du point de départ jusqu'à aujourd'hui je ne suis plus la même, sans doute grâce à ce que m'ont apporté tous ceux avec qui j'ai travaillé…