Entretien E53 Brigitte

Age : 48 ans

Profession : Maître G

Diplômes : CAP, CAEI Cas Sociaux (74), CAEI RPM (83)

Brigitte : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Brigitte : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de rééducation

Durée : 1heure et demie

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant en difficulté" ?

Difficultés d'adaptation de l'enfant à l'école mais ça peut être aussi l'école qui n'est pas adaptée à l'enfant... problèmes comportementaux, relationnels, familiaux et c'est assez prépondérant à mon avis... et décalage entre l'éducation reçue dans la famille et la loi, les règles de l'école...

Pouvez-vous préciser davantage ce que vous venez d'évoquer ? Difficultés d'adaptation ?

L'enfant n'appréhende pas ce qui est attendu de lui à l'école et du côté des instituteurs, peut-être qu'ils ne se rendent pas compte que leur demande n'est pas adaptée à cet enfant-là. Leur attente de réussite ne correspond pas à la réalité de cet enfant.

Vous avez dit aussi problèmes comportementaux, relationnels, familiaux etc... Pouvez-vous développer un peu plus ?

Problèmes comportementaux, il y a toutes les attitudes que peut avoir un enfant vis-à-vis de l'adulte et de ses pairs : l'agressivité, l'inhibition, des réactions de mal être, d'opposition passive... même par rapport aux objets, savoir se situer en tant qu'enfant, en tant qu'élève par rapport à l'instit, par rapport aux autres enfants. Problèmes relationnels et familiaux, c'est aussi par rapport à comment se situer, déjà dans la généalogie... ça renvoie à des situations pas très claires dans sa fratrie, des trucs comme ça. (...) Le décalage entre l'éducation reçue dans la famille et reçue à l'école provoque soit des blocages par rapport à l'apprentissage - c'est le truc classique - soit des manifestations indésirables - on voit des enfants agités, qui semblent ailleurs... ce qui me frappe, c'est que de très jeunes enfants peuvent avoir un air triste à l'école et ça m'inquiète.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté avec qui vous avez eu l'occasion de travailler. Pouvez-vous présenter la situation, indiquer les signes de sa difficulté et dire comment on réagissait autour de lui ?

Je vais parler d'une enfant de CP, nomade. Elle avait sept ans et elle était quasiment mutique. Elle était suivie aussi par un instituteur pour nomade et moi je la prenais en rééducation. On a fait vérifier, elle avait quelque chose au palais mais qui ne l'empêchait pas de parler. Je parle de ce cas parce que pour moi ça été quelque part une réussite. Je prenais l'enfant qui était comme une enfant sauvage, qui ne me regardait pas en face, qui se mettait contre le mur en arrivant dans la salle, qui ne faisait aucun geste... donc à apprivoiser complètement. Un jour, je lui ai dit bonjour et je lui ai serré la main. Je suis allée vers elle et il y a eu un premier contact physique. Il y a eu un sourire. Elle s'est mise à jouer sur le toboggan et chaque fois qu'elle arrivait en bas du toboggan je lui faisais bonjour avec la main. Petit à petit, comme ça, elle s'est mise à agir un peu plus, sans parler. On voyait qu'elle était plus détendue, plus souriante. En classe, elle était très, très inhibée, très renfermée. Avec moi, on voyait qu'il y avait quelque chose qui passait. Un jour, ça m'a pris comme ça, j'ai mis un masque sur la figure, elle en a mis un aussi, ça l'a fait très rire et puis j'ai complètement oublié qu'elle ne parlait pas et donc je lui ai montré que, j'ai dit : « ici » et c'est moi qui répondait : « la joue », « ici, le menton », « ici, le front », « et là ? » Et j'ai entendu : « les yeux ». Et j'ai dit : « très bien ». Et puis, d'un seul coup, toutes les deux, on s'est rendu compte... je me suis rendue compte qu'elle avait parlé, elle s'est rendue compte qu'elle avait parlé et pour cette séance là, ça a été terminé. Les séances suivantes, elle se cachait dans une petite maison. Je lui demandais : « qu'est-ce que tu fais dans la petite maison ? Tu fais la vaisselle ? ». Et j'avais un petit bruit : « hmm ». Je lui tournais le dos. « Qui fait la vaisselle à la maison ? ». Et j'ai entendu : « maman ». Et après, dans sa petite maison j'ai installé un téléphone, un faux téléphone, et a commencé à s'engager comme ça un dialogue avec une prononciation très difficile quand même. C'était par exemple : « je baigne la poupée », toute préoccupée à ne pas gaspiller l'eau... Et cette petite s'est mise à parler. Elle a changé complètement. L'année suivante, elle a été suivie en hôpital de jour sur un plan orthophonique et sur un plan psychologique. Je l'ai appris par l'instit des nomades. La maman avait un bon contact avec moi. Elle m'avait dit qu'elle avait eu cette petite deux ans après la mort de son mari. Or ils vivent en clan et quand on est marié, on est marié pour la vie. D'où venait cette petite ? C'était la vierge Marie qui lui avait envoyée, m'avait-elle dit. Cette enfant portait le secret de sa mère. Probablement, il y avait un lien entre le fait qu'elle était mutique et l'histoire de sa mère parce qu'il ne fallait pas qu'on sache que sa mère avait eu des relations hors couple même si son mari était décédé. Et j'ai eu des nouvelles ensuite et ça y est, c'est une enfant, inutile de dire qu'elle avait un gros retard scolaire, elle l'a rattrapé, et c'est une enfant bien dans sa peau.

Quelles étaient vos relations avec la maîtresse à propos de cette enfant ?

C'était dans une école où on se débarrassait des enfants pour lesquels on ne savait pas quoi faire. On était bien content d'être déchargé. Elle, je la prenais deux fois par semaine. Donc c'était : « je ne sais plus quoi faire, je lui donne un travail de maternelle et elle n'y arrive pas. Elle ne peut pas m'adresser la parole, elle ne communique pas du tout avec moi, je ne sais plus quoi faire... » Et puis : « Je ne comprends pas qu'on scolarise des gitans... » un peu de racisme en plus.

Y avait-il eu un projet établi en commun ?

Un projet non, mais je parlais du travail conduit en rééducation. Mais j'ai l'impression que malheureusement c'était reçu comme : « tu as réussi là où je n'ai pas réussi. » Il y avait de la jalousie.

Et comment repériez-vous cette jalousie ?

Ça s'est traduit par un évitement progressif. Elle fuyait les contacts. Et puis, elle ne m'a plus guère envoyé d'enfants... parce qu'il faut dire que c'était un endroit où on demandait du travail de maître supplémentaire, je ne faisais pas beaucoup de rééducations individuelles et beaucoup de travail en demi-groupe classe, en motricité.

Au niveau de l'indication pour cette enfant, comment cela s'était-il décidé ?

On était un réseau complet. On en a parlé en synthèse avec le psychologue, la maîtresse E et moi en disant que ce n'était pas de mon ressort mais que certainement à cause de problèmes de déplacement de voiture et aussi des réticences de la famille, il n'y aurait pas de choses à envisager dans l'immédiat pour aider cette enfant. Donc c'était un pis aller, une sorte de relais pour passer la main pour quelque chose d'autre, et ça a marché puisqu'elle est allée ensuite à l'hôpital de jour.

Je vais vous demander encore cinq mots ou expressions quand j'évoque le sigle RASED...

RASED pour moi, c'est plutôt négatif. Ça me fait penser à un truc hitlérien. Ce n'est pas une appellation réussie, c'est une mauvaise appellation. Ça me fait penser à faisceau... faisceau hitlérien. C'est très personnel.

C'est ce qui m'intéresse...

(Rires)... ça veut dire aussi suspicion, je ne me sens pas du tout là-dedans. C'est l'appellation qui ne me plaît pas... suspicion, complot... dans un but pas très humain, le contraire de ce pour quoi je travaille, il me semble. Cette appellation me semble en contradiction avec la réalité, le vécu. Sinon, en positif, ça veut dire équipe, ça veut dire qu'on ne travaille pas tout seul, ça veut dire soutien, autre regard... ça veut dire partage de certaines tâches, partage des compétences... regard différent selon les spécialités et les personnalités c'est-à-dire le caractère des gens. J'ai travaillé avec beaucoup de maîtres E, beaucoup de rééducateurs et de psychologues. Je trouve que c'est intéressant parce que tout le monde n'approche pas sa profession de la même façon.

Vous m'avez proposé beaucoup plus de cinq mots. Est-ce que je pourrais garder mauvaise appellation, faisceau hitlérien, équipe, autre regard, partage des tâches et des compétences ?

Tout sauf faisceau hitlérien... C'est trop personnel. Mais vous pouvez mettre à la place… répartition des tâches et partage des compétences.

Pouvez-vous retenir maintenant cinq mots ou expressions pour maître E ?

Aide pédagogique, petit groupe, aide ponctuelle, modulable... Aide aux instits... membre du réseau, partenaire.

Pouvez-vous préciser davantage ?

Je vais vous dire des choses "bateau"... ça ne va pas vous avancer.

Pouvez-vous alors prendre un cas d'enfant dont vous avez débattu en synthèse et décrire le travail du maître E pour cet enfant ?

Ça m'est difficile parce que je ne les connais pas. Quand on les prend en même temps, oui.

Pouvez-vous prendre un exemple comme ça ?

… Un enfant que j'ai pris en grande section, et qu'elle va prendre en CP, c'est très intéressant de savoir ce qu'elle travaille avec lui et comment pour moi il a évolué sur le plan du comportement et comment il a pu s'ouvrir aux apprentissages. On en discute ensemble. Ça l'aide à construire ses progressions. Elle tient compte de ce qui s'est passé avant pour organiser ses séances... mais je ne sais pas vraiment ce qu'elle fait dans le détail et comment elle s'organise.

Organisez-vous des rencontres avec l'enseignante de la classe ou avec le conseil de cycle par exemple, à propos de cet enfant ?

Non, c'est assez fortuit, entre deux portes par exemple. Encore que parfois on a fait des synthèses à trois, avec le psychologue et l'enseignante, où on a parlé de ça. Mais c'est irrégulier et ça dépend des enfants.

Quelles différences voyez-vous entre le travail du maître E et le travail du maître dans sa classe ?

C'est très différent. Ce n'est pas le même cadre, je pense que la personne n'est pas vécue avec la même autorité. Comme c'est un petit groupe, les relations ne peuvent qu'être très différentes avec les enfants, plus proches... les activités sont présentées de façon ludique... il n'y a pas cette distance nécessaire quand on mène une classe. Avec le maître E elle y est un peu, mais moins... il y a moins de barrières, il y a une part plus importante de psychoaffectif. En classe aussi certainement... mais il y en a plus avec le maître E. C'est la partie relationnelle qui à mon avis caractérise le plus la différence entre le maître E et le maître dans sa classe. Oui, je ne pense pas que ce soit les activités.

Je vais encore vous demander cinq mots mais cette fois-ci pour maître G....

Je véhicule l'image du spécialiste du comportement... j'ai dit ce que je ressens, tant pis. C'est aussi à la limite d'être perçue comme psychologue... il y en a qui ne font pas la différence, sauf les parents ou les instituteurs dont j'ai les enfants... pour eux non. Mais d'autres parents peuvent faire la confusion. Autant pour moi c'est clair, mais... notre statut est mal défini. Ça a été très difficile pour moi pendant longtemps, maintenant c'est fini.

Qu'est-ce qui vous a permis ce changement ?

C'est en arrivant ici. Tout était bien structuré. Les personnes en place ont bien expliqué ce qu'était le rôle de chacun. Et c'était facile de prendre la suite.

Voyez-vous d'autres mots ? Il en manque deux...

Lien entre la famille et l'école, c'est très important... et puis soutien moral vis-à-vis des instits.

Pouvez-vous préciser l'expression de statut mal défini... ?

C'est lié aux séances de rééducation individuelle où il faut l'autorisation des parents. Donc on est seul avec un enfant. C'est un peu un mystère ce qu'on peut faire. Avec un matériel, une salle et une personne permanente... on ne fait pas du tout la même chose avec chaque enfant.

Vous voulez dire que le cheminement avec un élève peut être très variable à partir du même matériel et de la même rééducatrice. Est-ce bien ça ?

Oui... et du coup ce n'est pas facile pour quelqu'un d'extérieur d'identifier ce qu'on fait. Tout dépend de l'enfant puisque c'est lui l'acteur principal. C'est ce qu'il fait qui va déterminer l'action du rééducateur et non pas l'inverse c'est-à-dire que le projet de l'adulte s'adapte à l'enfant, ce n'est pas du prêt-à-porter... Pour chaque enfant, la rééducation, c'est toujours une nouvelle création... et à deux qui plus est... alors c'est difficile de dire ce qui se passe et ce qui fait que ça marche.

Le statut mal défini tient essentiellement à la nature du travail ?

Non, il ne tient pas qu'à la nature du travail. Dans les textes officiels, il n'y a rien de concret. On est défini par la négative, « on n'est pas psychologue, on n'est pas thérapeute, on n'est pas dans le soin... ». On est plus défini par ce qu'on n'est pas que par ce qu'on est...

Vous parlez aussi du lien entre la famille et l'école... pouvez-vous préciser en quoi ça consiste pour vous ?

Ça consiste, pour une institutrice, lui faire prendre conscience... qu'elle ait un autre regard sur l'enfant... sans trahir le secret professionnel, dire qu'il y a des problèmes familiaux qui font que l'enfant ne peut réagir que comme il réagit... si ça irrite l'institutrice... lui dire que le schéma dans lequel elle l'enferme, ça ne convient pas, que c'est un enfant en souffrance par exemple... il faut qu'elle tienne compte de certains éléments, qu'elle adapte son enseignement par rapport à ça. Inversement, avec la famille, c'est pareil... lui faire prendre conscience que l'école est une mini société, qu'il y a des règles, surtout que s'il n'y en a pas dans la famille, l'enfant ne pourra pas s'adapter à l'école... souvent c'est quelque chose que je glisse dans les entretiens, un enfant a besoin de cadre, l'école est à l'image de la société dans laquelle va vivre l'enfant et l'adulte futur, il y a des horaires à respecter, les autres à respecter, que plus tard on a un patron et que ça commence comme ça... et c'est le rôle premier de la famille de donner des règles... des choses comme ça.

Vous avez parlé aussi de soutien moral des instituteurs...

Je ne sais pas si c'est un bon truc, mais j'ai beaucoup de confidences... « Je ne vais pas bien, je suis crevée en ce moment, ils sont énervés, j'en peux plus... » donc se décharger d'un état de mal être par exemple simplement en l'exprimant.

Pouvez-vous prendre un exemple d'un cas d'enfant que vous avez suivi cette année et décrire votre travail ?

J'ai pris deux petites filles de grande section qui avait besoin de motricité et qui n'avaient pas de problèmes d'apprentissage par ailleurs. Elles étaient complètement bloquées, inhibées... dans leur façon de marcher etc.. Je les ai d'abord observées dans la salle de jeux, après que la maîtresse les a signalées. Il y a eu la procédure classique avec le signalement écrit de la maîtresse. J'ai rencontré les parents qui étaient très conscients de ce problème-là. Je les ai pris d'abord séparément. L'une d'entre elles, ça lui a permis de me poser : « j'ai peur, j'ai peur, j'ai peur » et puis les raisons pour lesquelles elle avait peur. Il y avait des antécédents familiaux où il y a eu des accidents du père en moto. Elle a vu son père pratiquement défiguré... C'est sorti en individuel, avec des flashes... elle avait aussi été traumatisée en petite section où la mezzanine n'était pas terminée, elle était tombée de la mezzanine et elle avait eu des points... donc identification au père qui avait lui-même eu des points qui lui sont restés... il y avait encore un autre élément de ce style. A partir de là, c'est un tout, de toute façon... j'ai essayé de la rendre autonome pour grimper parce qu'elle avait très peur de la hauteur, très peur de tomber... pour sauter etc.. D'abord aide, tenir la main... puis ensuite aide de moins en moins importante, petit doigt... puis, rester à côté jusqu'à ce qu'elle fasse sans ma proximité immédiate... C'était exprimé : « tu trembles, tu as peur, cette fois-ci, je ne t'ai pas vue trembler, tu n'as plus peur, tu vas essayer toute seule... ». Après, cette gamine s'est grisée de ce qu'elle n'arrivait pas à faire auparavant, elle faisait et elle refaisait... (...) « Maintenant que tu y arrives très bien, on va aller dans la salle de jeux ». Là, j'ai fait une exception en quittant les lieux, on est allé dans la salle de motricité de l'école pour qu'elle s'entraîne sur le matériel et l'équipement de la classe. « Comme ça, tu pourras montrer aux autres les progrès que tu as fait ». On s'est entraîné toutes les deux. Ensuite, on a invité la classe à venir la voir et elle était très fière. Après, on est revenu ici, c'était gagné mais j'avais l'impression qu'elle jouait à : « tu t'occupes de moi encore ». Alors, en accord avec la maîtresse, on a fait un petit groupe avec une autre petite fille qui n'avait pas des problèmes aussi marqués, c'était plus diffus. C'était le même style de peur. (...) Donc je me suis dit : « elles sont dans la même classe, elles vont voir qu'elles ont les mêmes difficultés, ça va peut-être les stimuler ». Effectivement, ça en a stimulé une mais pas l'autre qui a encore joué longtemps à garder son symptôme... on en parlait beaucoup avec l'institutrice. Par exemple je mettais en valeur les gamines... « aujourd'hui une telle a fait des progrès, une telle a sauté X. fois ou... ». A un moment, avec la maîtresse, on a trouvé que ça allait beaucoup mieux, qu'elles pouvaient être autonomes, même au sein de la classe... et on a pensé qu'il fallait arrêter. Voilà... donc, on l'a annoncé aux deux enfants qui n'étaient pas très enchantées mais... l'une, très intelligente, a dit : « ça veut dire que je suis grande ». L'autre, l'a pris comme un abandon... il a fallu que je lui explique (...)« si on se quitte, c'est que maintenant, ça y est, tu as fait des progrès, tu es grande, tu n'as plus besoin de moi... »

Comment avez-vous monté le projet rééducatif pour ces enfants ?

Au début, j'ai observé ce que savaient faire les enfants, ce qui les gênaient. Avec la première, j'ai essayé de valoriser ce qu'elle savait faire. Je n'ai pas tenu compte du tout de ses difficultés en classe. Ensuite on s'est mis d'accord avec Béatrice, la maîtresse. Les grimpers, c'est en place. Ce qui est plus difficile, c'est les sauts. Donc j'ai orienté les activités vers les sauts et à la fin j'étais de plus en plus exigeante et directive. On faisait moins de parcours, mais plus de sauts.

Vous parlez de la maîtresse. Comment s'est organisé le travail avec elle à propos de ces enfants ?

Il y a une première rencontre après le signalement. On se met d'accord sur les modalités et les objectifs d'une prise en charge. Ensuite c'est au fur et à mesure des besoins, de ce qui se passe avec l'enfant.

Existe-t-il un travail avec l'équipe d'enseignants ?

Non.

D'où cela vient-il, à votre avis ?

D'un refus du projet d'école de la part de la directrice... il y a un conflit entre la direction et les adjoints ici. Le travail d'équipe n'est pas possible, par contre il y a des rencontres souvent non formalisées avec les instits de moyenne section et de grande section. Elles savent qui je prends dans la classe de l'autre et pourquoi je travaille... (...)

Est-ce qu'il y a d'autres écoles où ça ne se passe pas de cette façon ?

Oui. A Moussac, ce sont des personnes jeunes dans l'enseignement, qui ont envie de travailler en équipe et là, on travaille en équipe. Les décisions se prennent ensemble après qu'on en a discuté. (...) On a fait un travail fabuleux, parce qu'on se réunissait souvent dans des temps où elles n'avaient pas les enfants à charge. Elles me disaient : « tu as vu ça sur tel enfant, je n'avais pas vu ça, donc je vais travailler ça... ». J'ai trouvé qu'au niveau efficacité, ça se connaissait... les enfants, c'est assez rare que je les laisse en milieu d'année alors que là, ça a été fréquent, les progrès ont été plus rapides... j'ai lâché les enfants plus tôt parce qu'il y avait plus de dynamisme, plus d'intérêt pour ce qui se passait et puis, je pense une articulation plus étroite entre ce que je faisais et ce que la maîtresse faisait en classe. Je disais... on échangeait vraiment sur le travail qu'on faisait chacune, pour cet enfant-là, qu'est-ce qu'on travaillait...

Vous parlez essentiellement de vous... est-ce que les autres membres du réseau sont là où en êtes-vous la seule représentante ?

Quand il y a des problèmes, tout le réseau est là, quelle que soit la distance. On est très solidaire. Mais quand c'est du travail plutôt quotidien, chacun est responsable de son secteur et se débrouille tout seul au nom du réseau... on soumet parfois le cas en synthèse, quand c'est compliqué et qu'on a besoin de croiser les avis, parce qu'on n'a pas le temps matériel d'étudier tous les cas. Trois heures de synthèse par semaine, ce n'est pas suffisant.

Pouvez-vous dire en quoi consistent les synthèses ?

On se réunit deux fois par semaine... ça demande un effort, il faut faire des kilomètres. On échange sur des enfants pour lesquels on se pose des problèmes mais ce n'est pas toujours faisable parce que le secteur est très vaste, on a beaucoup de communes à se partager. On ne peut pas parler de tous les cas... j'élimine... (...) pour certains, ce n'est pas important de parler vraiment dans le détail.

Existe-t-il des glissements de pratiques entre E et G dans votre réseau ?

Ça m'est arrivé, avec la collègue précédente. Il y a des maîtres E qui fonctionnent comme des maîtres G parce qu'elles avaient très envie de devenir maître G... (rires) (...) moi, ici, comme il n'y a pas de maître E, j'essaie de trouver des trucs, des choses plus pédagogiques, pour la numération par exemple, pour le graphisme, des choses que je ne travaillais pas avant.

Vous avez l'impression de faire du travail de maître E ?

Non, pas vraiment, je crois que je reste dans ma fonction.

En quoi la différenciation E et G telle qu'elle existe vous semble-t-elle intéressante ?

Ce n'est pas du tout la même vision de l'enfant. Pas du tout... un maître G voit l'enfant dans sa globalité, un maître E, peut-être de par sa personnalité, mais il voit d'abord l'élève et non l'enfant... même si les instances veulent que ce soit l'élève, il me semble que les G s'adressent à l'enfant tout entier. Et c'est très important. Je trouve que le travail des E et des G est complémentaire vis-à-vis d'un enfant en difficulté. Il y a vraiment la pédagogie avec le maître E, moi si je fais du travail pédagogique, non plutôt cognitif avec des enfants - je vais me faire taper sur les doigts si je dis pédagogique - ce n'est pas pareil. Mon but ce n'est pas d'apprendre quelque chose, d'enseigner mais de conduire à avoir envie de faire quelque chose. L'objectif, ce n'est pas forcément de le réussir... si, si mais de le réussir vraiment à long terme... enfin, ce n'est pas mon but premier.

Et comment s'articule votre travail avec celui de l'enseignant à propos d'un même enfant ?

Oui, c'est ça... (rires) je vais me faire taper sur les doigts si vous dites ça à l'inspection...

Avez-vous l'impression de faire un travail en parallèle de celui qui se fait en classe ou au contraire quelque chose qui est intégré dans la classe ? Comment vous situez-vous par rapport à ça ?

Ça dépend des écoles et s'il y a un travail en équipe ou pas. C'est ce que je disais tout à l'heure. S'il y a un travail en équipe, même si je fais quelque chose de complètement différent de l'enseignant, mon travail est intégré. Il n'est pas en parallèle ou en périphérie... Il peut servir de point d'appui à l'instit qui le prend en compte et qui modifie sa façon de faire ou ses activités avec cet enfant-là, c'est ça... il y a aussi... On nous reproche aussi souvent de sortir les enfants, de nuire à leur intégration. C'est absurde... L'enfant, c'est pareil, il n'est pas mis sur la touche quand il quitte la classe, il l'est au contraire quand il y est et que rien ne le sort de ses difficultés. Moi, je n'exclus pas un enfant quand je le sors de sa classe, il a besoin de changer son image justement... pour pouvoir devenir lui-même, pour pouvoir enfin participer et profiter de la classe, pas comme suiveur... mais comme élève intégré ayant envie d'apprendre, oui, oui...

Et s'il n'y a pas de travail en équipe, que devient votre travail ?

Eh bien, je suis un peu la roue de secours et on se décharge ! ... Je peux alors faire tout ce que je veux et on s'en moque un peu... l'essentiel c'est que je prenne les enfants.

Quel est le rôle de l'IEN dans le réseau ?

(Rires)... (...) il me semble que c'est quand même un partenaire, plus qu'une hiérarchie, à partir du fait où ils sont AIS. Il nous laisse le champ libre pour déterminer nos champs d'action, nos lieux d'intervention... même s'il nous demande un travail en retour, un travail d'évaluation interne du réseau... Ce sont des gens (incompréhensible).

Quels sont les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E?

Je n'en sais rien.

Même question pour la formation G ?

C'est loin... Au début, la bible c'était Guillarmé... au début je lisais encore mais maintenant je ne lis plus... si, "la parole rééducatrice" de De La Monneraye. Celui-ci je le trouve super. Mais sur le plan pratique, celui de Guillarmé – Education et rééducation psychomotrices - m'a beaucoup aidé au début et j'ai envie de lire le dernier qu'il a écrit " la réussite de l'élève en difficulté" je crois... (...)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Je n'aime pas ce mot réussite... j'ai toujours eu horreur des premiers de la classe. Avec le recul de ma pratique... enfant heureux d'aller à l'école... (...) c'est bien pour ça que j'ai tout de suite pris un détour et choisi l'enseignement spécialisé, j'ai pris la défense de ceux qui ne réussissent pas. Et pourtant, j'étais première de la classe... c'est curieux. Réussite à l'école, je trouve que c'est relatif... pour une personne ça voudrait dire quelque chose, pour une autre, autre chose... ça veut dire quoi réussir ? Ça n'a pas tellement de sens, ça veut dire être adapté à un système, être rôdé à ce système qui veut que les enfants soient tous les mêmes... dans une visée de normalité... je suis un peu critique alors que moi, je suis rentrée dans le moule, ou alors c'est en réaction à ça, pour permettre à d'autres de se réaliser dès l'enfance. L'essentiel c'est que l'enfant soit heureux d'aller à l'école...

On dit que l'enseignant et le premier acteur de la mise en place d'une aide en direction de l'enfant difficulté. Comment voyez-vous cette affirmation sur le terrain ?

Vous voulez dire qu'est-ce qui se passe concrètement sur le terrain ?

Oui, le voyez-vous pratiquer ? Comment est-ce fait ? Quelle importance est-elle donnée à l'aide ? Etc.

Il y a des enseignants qui modulent leur pédagogie en fonction de l'enfant, ils donneront un exercice remanié ou un exercice un peu différent, par exemple en graphisme... il y aura aussi peut-être une écoute différente, une attention différente... il y aura des aménagements. Oui, j'ai vu ça. En conseil de maître, par exemple, un aménagement de scolarité à mi-temps dans un premier temps... pour que l'enfant s'habitue à l'école, à un changement d'école... parce que sinon c'était l'horreur. Il y a des aménagements du temps, du travail pédagogique, de l'attitude et de la façon dont on peut s'adresser à l'enfant, dans le langage... l'année dernière, j'ai été obligée de reprendre une instit, reprendre, enfin lui faire remarquer que sous couvert d'aménagement pour une enfant, elle faisait un peu de favoritisme. Elle couvait beaucoup cet enfant, elle l'empêchait d'être autonome, elle la prenait toujours sur les genoux parce qu'elle pleurait beaucoup... sans arrêt elle était en train de se demander où elle était passée... parce qu'elle allait dans un coin et on ne la voyait plus ou elle s'échappait dans le couloir. (...) Je lui ai dit : « tu te rends compte ? Par rapport aux autres ? » La limite, c'est ça, c'est que les autres ne doivent pas percevoir cette attitude comme une exception aux règles de la classe... comme une préférence, quoi.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Aïe, aïe, aïe... ça va dépendre du gouvernement (rires) et des finances qu'il veut bien y mettre... C'est une histoire uniquement économique. Sur le fond, on a beau raconter ce qu'on veut, il me semble qu'on a notre place... par exemple, s'il ne reste que le psychologue scolaire, il n'a pas ce contact permanent avec les enfants sur le terrain, en situation... je pense même que beaucoup d'instits le pensent aussi. J'aimerais seulement qu'on ait un ministre qui nous défende...

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à ajouter ?

J'ai l'impression que j'ai un peu trop parlé de moi et de ma vision des choses...

Mais c'est ce qui m'importe...

Ce boulot, j'y tiens et je ne retournerai pas dans une classe... sauf s'il le faut vraiment... mais je regretterai les séances individuelles. J'ai un boulot qui me passionne. (...)