Entretien E54 Nadège

Age : 49 ans

Profession : Maître G

Diplômes : CAEI option D (86), Licence de psychologie (88), CAPSAIS option G (92)

Nadège : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Nadège : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de réseau

Durée : 2 heures

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Difficultés d'apprentissage, comportement, agressivité, inhibition... culture différente.

Pouvez-vous préciser ? Que recouvrent tous ces mots-là ?

Difficultés d'apprentissage, des enfants qui refusent d'entrer dans les apprentissages, qui ont des blocages par rapport aux apprentissages, qui n'arrivent pas à mémoriser, qui n'arrivent pas à se structurer ni dans l'espace dans le temps, qui ne peuvent pas entendre la parole du maître comme étant adressée à eux-mêmes, qui ne comprennent pas les consignes, qui ne comprennent pas le langage l'école... qui n'ont pas de soutien familial. Les parents ne sont pas eux-mêmes allés à l'école... qui n'ont pas une transmission de l'importance de l'école et de ce qu'est l'école, ce qui peut les empêcher de se sentir bien dans ce lieu-là... et de s'y sentir autorisés à apprendre. Par rapport à ces enfants dont les parents sont illettrés, la peur aussi de dépasser les parents et donc le refus de cette situation-là, ils paniquent devant cette situation parfois... une logique parfois aussi qui n'est pas du tout quelquefois ce qu'attend l'école. Et puis le fait que les apprentissages soient trop affectivés et que parfois il y ait aussi un manque de préparation aux apprentissages c'est-à-dire... je pense à ces enfants de grande section qui arrivent au CP et qui ont des représentations tout à fait surprenantes de leur arrivée au C.P. où ils pensent que parce qu'ils sont au C.P. ils vont magiquement apprendre à lire. La lecture c'est quelque chose qui va leur être quasiment révélé... tout ce travail en amont qui n'a peut-être pas été suffisamment amorcé et qui fait que des enfants se trouvent complètement déstabilisés devant une situation à laquelle ils ne s'attendaient pas du tout... manque de préparation dont à ce que représente l'apprentissage de la lecture, en particulier, je crois que c'est une grande question quand même.

Vous avez dit aussi difficultés de comportement, avec agressivité, inhibition... Pouvez-vous préciser ?

Oui... Ça peut être soit des manifestations d'un malaise de l'enfant à l'école, soit des difficultés à passer d'un milieu où il aura un statut particulier à un milieu où il aura un autre statut donc agressivité ou inhibition, ce sont des manifestations d'un malaise et d'une mauvaise intégration dans l'école... des problèmes peut-être aussi de séparation d'avec le milieu familial qui ne s'est pas passée sereinement, qui a été difficile... incapacité de vivre avec les autres qui peut se traduire par de l'agressivité ou de l'inhibition. A mon avis, ce sont les deux facettes d'une même difficulté. Je ne sais pas si je veux inclure l'agitation là-dedans, des enfants aussi qui s'agitent parce qu'ils ne sont pas bien à l'école... c'est leur façon de montrer ce malaise à l'école. En fait, ce sont des attitudes de réaction à des situations soit mal comprises, soit mal élaborées... Pour culture différente, je crois qu'il y a parfois un malentendu énorme entre les familles et l'école, enfin ce qu'attendent les familles de l'école et ce qu'attend l'école des familles, donc souvent un manque de communication et de choses clairement dites. Les gens de l'école fonctionnent avec leurs propres façons de fonctionner, les parents ont aussi leur façon de fonctionner et parfois ça se détraque parce que les choses n'ont pas été explicitées, même des choses élémentaires... au niveau des différences culturelles, il y a tout un travail à faire avec les familles de façon à ce qu'elles puissent autoriser leur enfant à apprendre dans une langue étrangère, qui n'est pas la leur. C'est un travail énorme sans lequel on ne peut lever des blocages énormes chez certains enfants. Oui, manque de connaissances réciproques... l'école ne prend pas suffisamment la peine à chaque début d'année scolaire d'un travail d'information réciproques - parce que je crois que c'est un travail qui est toujours à recommencer, les enfants sont nouveaux, les familles sans nouvelles - je crois qu'il serait important qu'à l'école il y ait des lieux de parole pour que les parents puissent parler de leur ressenti par rapport à leur vécu, par rapport à la scolarité de leurs enfants, par rapport à leurs difficultés... les réseaux peuvent permettre justement d'être ce lieu-là, médiateur entre l'école et les familles.

Pouvez-vous maintenant choisir un enfant en difficulté que vous avez suivi, un seul parmi les multiples... pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui était fait pour lui ?

Justement je pourrais parler d'un petit enfant turc pour lequel la maîtresse a fait une demande d'aide en début d'année. C'est un enfant qui rentre au C. P. et qui est dans une inhibition énorme. Il est figé à l'école, il ne peut rien dire, il est dans un mutisme quasiment complet. Il reste très seul, il n'a pas d'ami. Il semble complètement en retrait. J'ai travaillé avec lui. Les débuts étaient extrêmement difficiles, dans une très grande inhibition en rééducation, ne pouvant rien dire, rien faire. Mais des détails m'ont montré que cet enfant investissait ce lieu et cherchait... était très sensible à tous les liens qui pouvaient se créer entre la famille et moi. Je lui ai donné par exemple un arbre généalogique, parce qu'en plus il y a un positionnement culturel des deux parents qui n'est pas du tout le même. Le père est quelqu'un de très intégré qui a fait sa scolarité en France, qui a un grand désir d'intégration. La mère n'apprend pas le français, ne vient jamais à l'école, a du mal à se responsabiliser en tant que mère parce que tout le milieu environnant l'empêche de se responsabiliser en tant que mère, elle ne peut pas prendre l'initiative de venir voir l'enseignante, de parler avec elle - même si elle comprend très mal - je dis ça parce que d'autres mères qui connaissent très mal le français aussi peuvent faire ce genre de démarche -. Le papa en début d'année me disait : « elle n'a pas besoin d'apprendre le français, c'est moi qui fait tous les papiers et puis elle est avec ses copines turques, ça va très bien elle n'a pas besoin du français ». On a travaillé pas mal cette question-là avec le papa que j'ai revu à deux ou trois reprises en cours d'année, en demandant à ce que la maman vienne me trouver, parce que même aux premiers entretiens la maman ne venait pas. Il disait : « ce n'est pas la peine, je suis là, ça suffit ». Il y a donc tout un travail qui a été fait. Dans le discours aussi, j'avais l'impression que le garçon était plus du côté de la lignée paternelle que maternelle, c'est pour ça que j'avais demandé un arbre généalogique qu'on avait commencé ensemble avec la famille et que l'enfant avait emmené chez lui pour le compléter et me le rendre, ce qu'il avait fait. Petit à petit, le petit garçon a commencé à faire des choses. Il faut dire que tout le temps j'ai beaucoup fait pour lui, j'ai beaucoup parlé pour lui.

Pouvez-vous donner un exemple de ce qui se passait en séance ?

Je pouvais lui dire : « Sokol, qu'est-ce que tu as envie de faire ? » Il jetait un petit coup d'œil vers un garage (c'est un petit garçon qui ne croise jamais le regard, entre parenthèses, de son interlocuteur). « Peut-être que tu veux me dire que tu as envie d'aller voir les voitures ? Viens, on y va ». Il restait debout devant les voitures et c'est moi qui me baissais. « Laquelle voudrais-tu ? » En fait, c'est moi qui construisais le jeu à partir d'un petit acte qu'il avait posé. Par exemple, il faisait rouler une voiture. Je disais : « si tu veux, moi aussi je peux faire rouler une voiture. Je serais qui ? ». Je n'avais pas de réponse mais je faisais une proposition. Et puis : « je vais te dépasser... ». Je travaillais donc sur le dépassement au sens figuré aussi, la possibilité de dépasser les difficultés qui lui étaient propres, dépasser aussi certaines situations familiales. A partir de là, il a commencé à agir plus facilement. Il a construit des choses très spécifiques, un drapeau turc, un chameau qui serait dans le désert en Turquie... souvent je travaillais sur le sens de ce qu'il venait de faire. Et lui, disait : « je viens pour apprendre le français ». À la fin, c'est un enfant qui demandait toujours des livres. Et chose incroyable, c'est que les livres qu'il choisissait vraiment par hasard tombaient toujours à pic sur les problématiques qui lui étaient personnelles. Un livre par exemple sur le désespoir d'un petit enfant étranger ou bien un animal qui n'a pas d'ami... à chaque fois il y avait des liens et chaque fois j'en parlais avec lui. Je lui disais : « tu vois, ça arrive qu'il y ait des enfants qui se sentent mal et puis finalement on arrive quand même à se trouver des amis... ». On parlait autour de ça. C'est moi qui lui parlais plutôt, parce qu'il n'a jamais beaucoup parlé. Actuellement, c'est un petit garçon qui n'a pas du tout appris, à ce que la maîtresse en dit parce que je ne suis pas sûre qu'il n'ait pas appris des choses. Je pense qu'il y a quelque chose qui l'empêche de lui montrer ou de le montrer à l'école plutôt ou dans sa classe. Je crois que tout le travail d'aider l'enseignant à changer le regard sur l'enfant n'a pas pu aboutir. Cet enfant donne toujours à voir à cette maîtresse des choses très figées, donc c'est très dur pour elle d'avoir un enfant qui ne répond pas, qui ne fait pas le travail. C'est très violent pour elle, elle n'a pas pu se sortir de cette violence que lui renvoie l'enfant. Quelque part, je n'ai pas pu non plus faire changer ce regard-là. Je crois qu'il y a une interrelation entre les deux qui fait que l'enfant en est resté là aussi alors qu'à moi, il a donné à voir qu'il pouvait écrire des histoires avec une écriture tout à fait acceptable, que la séance d'après il pouvait relire ce qu'il avait écrit. Donc c'est un enfant capable de mémoriser... voilà.

Pouvez-vous parler des liens que vous avez avec cette maîtresse ? Comment travaillez-vous ensemble ? Que lui dites-vous ? Que lui montrez-vous de votre travail?

…ça va être un cas particulier, parce que c'est une maîtresse qui ne va pas bien du tout. Elle est très déstabilisée dans son travail parce que de plus en plus il y a beaucoup d'enfants en difficulté, beaucoup d'enfants d'origine turque et elle a l'impression actuellement de ne plus faire le travail pour lequel elle était formée. Elle est vraiment très, très mal... C'est vrai que le travail que j'ai fait avec elle dans l'année pour x raisons, il y a eu un refus de me rencontrer. Les moments où on fait le point, toutes les huit semaines, il y avait toujours quelque chose, elle avait toujours autre chose à faire que de me rencontrer. Ou elle a oublié les rendez-vous. A la fin de l'année, elle m'a dit quel était son malaise et comment elle se sentait démunie devant ces enfants en difficulté. Ça pointe quelque chose de difficile pour les enseignants et en même temps ça fait réfléchir à comment on peut faire pour éviter qu'un enseignant en arrive à un tel malaise. Le travail autour de cet enfant s'est englobé plus autour d'un malaise personnel par rapport aux enfants en difficulté. Ce n'est peut-être pas le meilleur cas que j'ai donné mais il me touche en ce moment énormément. Je me dis que cet enfant n'a pas eu de chance de tomber dans cette classe et que peut-être les choses auraient pu se jouer autrement... ça fait partie des choses difficiles qu'on a à vivre... et puis peut-être des échecs.

Je voudrais revenir sur l'indication. Comment a-t-elle été posée pour cet enfant-là ?

Nous recevons - nous, tous les membres du réseau - en début d'année chaque enseignant individuellement. Pour certains, ils parlent du profil général de leur classe et après ils en viennent aux enfants en difficulté. Elle, elle a remarqué très vite ce petit garçon, elle en a parlé. Ensuite très vite nous analysons les différentes situations en équipe de réseau. Ensuite, on restitue à la maîtresse ce qu'il en est. Après je rencontre les parents avec l'enfant, j'essaie de voir comment eux voient le problème à l'école, comment ils vivent la situation de leur enfant à l'école, on parle de la difficulté de leur enfant à l'école puis j'explique pourquoi ils sont là et ce que je peux faire avec l'enfant et ce que l'école propose en fait... et je leur demande leur accord.

Sont-ils impliqués dans un contrat où ils ont leur part de travail ?

Disons, à la suite et premier entretien, on dit : "on se reverra dans quatre ou six semaines de façon à ce que je puisse commencer de travailler avec l'enfant, cerner de plus près sa difficulté, comment on peut y répondre, ce qu'on peut essayer pour que les difficultés disparaissent". Je les revois, en leur ayant dit que lorsque l'on se reverra, on travaillera ça ensemble pour voir ce qu'on peut changer et les uns et les autres, aussi bien à l'école que chez eux. Dans le cas de ce petit garçon, il est apparu un problème de culture. Les grands-parents ont une place très importante, le fils aîné n'a pas le droit d'adresser la parole à son père, en tout cas pas de reproche et pas d'énonciation de ce que lui peut penser. Le grand-père a une position très, très forte et cet enfant faisait ce qu'il voulait chez ses grands-parents au grand désarroi du père qui était dans l'impossibilité de dire quoique ce soit. Le père se rendait bien compte ce que ce n'était pas bien pour l'enfant. Ce que je n'ai pas dit, c'est que c'est un enfant qui montre une attitude complètement différente à la maison, d'après ce qu'en disent les parents. C'est un enfant extrêmement tyrannique, qui fait ce qu'il veut, qui parle beaucoup, qui est très vivant, mais tellement tyrannique que les parents n'arrivent pas en venir à bout. Le papa met beaucoup cette question sur le fait qu'il est confronté à des systèmes d'éducation différents et dont les parents eux-mêmes ont du mal à réguler les conséquences... Sokol adore lire chez ses grands-parents le week-end, c'est sa deuxième maison. Les parents sont un peu impuissants... Quelle était la question de départ ?

L'indication...

Oui, voilà comment ça s'est décidé.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Equipe, aide aux élèves... médiation école /famille /partenaires extérieurs, liens... ressources.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Équipe, travail d'équipe et complémentarité des aides avec les trois : psychologue, maître E, rééducateur... ça me paraît indispensable. Aide aux élèves, c'est une structure qui est à la disposition des élèves en difficulté qui, comme les textes le disent, ont tous droit à une aide et à rencontrer des difficultés dans l'école... donc ont le droit d'être aidé sur le lieu même de la difficulté. Médiation école / famille /partenaires extérieurs, je crois que c'est une des grandes ressources qui peut être à développer dans la mesure où on est dans un entre deux, on n'est pas complètement dans le pédagogique, on est à l'interface entre le pédagogique, le culturel - là, je m'avance peut-être sur un terrain miné... - l'éducatif, l'affectif... en tant que rééducateur, on n'est pas complètement asservi à une équipe, on n'est pas complètement dans une équipe donc ça permet d'avoir du recul par rapport aux différentes équipes pédagogiques dans lesquelles on travaille. Ça permet de ne pas être dans les mêmes enjeux affectifs et donc peut-être de pouvoir avoir un regard extérieur qui peut permettre de dénouer des choses difficiles ou qui peut permettre d'impulser des choses du fait de cette distance par rapport aux équipes pédagogiques. Ça dénoue des choses aussi bien entre les élèves et les enseignants qu'entre les élèves et les familles. Le fait que les familles viennent nous rencontrer plus facilement que les enseignants parce qu'encore une fois les enjeux ne sont pas les mêmes... aussi bien - ça me permet d'embrayer sur la prévention dont je n'ai pas parlé - le fait d'être des personnes ressources lors des premières entrées d'enfant à l'école. La présence que l'on a auprès d'eux, auprès des enseignants, auprès des familles permet d'établir des liens qui sont moins dangereux et qui font moins peur aux familles. Là, on a un rôle pour favoriser les échanges entre les familles et l'école. Par rapport aux partenaires extérieurs, ça rejoint le terme de liens, ça fait partie de notre mission d'être en contact avec les partenaires extérieurs et de faire les liens entre toutes les aides qu'elles soient sociales, psychologiques... C'est un lieu d'articulation de tout ça.

Vous avez parlé aussi de ressources...

Oui, ressources dans la mesure où c'est quand même en lien avec la médiation. Nous n'avons pas tout à fait le même regard, ni la même fonction. On est dans la différence, on a aussi une formation spécialisée qui nous sépare... qui doit nous servir quand même à informer, voire même former - ça fait partie des missions des psychologues - sur ce qu'est un enfant en difficulté à l'école. Ça me vient tout de suite, parce que c'est ressorti lors de notre bilan de fin d'année et que ça a été une demande expresse des enseignants : «Finalement comment nous... quels moyens avons-nous pour savoir qu'un enfant est en difficulté à l'école ? » On a été interpellé là-dessus. Ça peut permettre au réseau d'engager un travail de réflexion sur comment on peut sensibiliser les enseignants à propos de ce qu'est un enfant en difficulté à l'école.

Vous venez de parler de bilan. Quelle forme prend-il dans votre réseau ?

On a fait ça cette année, on a établi un outil pour évaluer les besoins sur la circonscription. Jusqu'à présent, on intervient dans les écoles ZEP. Or sur le secteur il y a des écoles non ZEP sur lesquelles les rééducateurs ne sont pas intervenus. Actuellement le maître de CLAD intervient à la fois sur des écoles ZEP et non ZEP, pas toutes, le psychologue scolaire aussi. Mais il y a beaucoup d'écoles où il n'y a que le psychologue scolaire qui intervient de façon très ponctuelle. Après avoir fait une information cette année - en animation pédagogique obligatoire pour les enseignants - une information sur le fonctionnement du réseau et de l'AIS, demandée par l'inspectrice, on a voulu avoir une idée des besoins, combien il y avait d'enfants en difficulté par école. On a fait une grille en demandant aussi aux enseignants de noter des observations. C'est une petite part de notre bilan. Le bilan dont je parlais, c'est celui du réseau d'aide, pour les actions que l'on avait décidées en début d'année. On a un projet de travail avec des actions : prévention, communication, évaluation.

Je vais vous poser une question à nouveau avec cinq mots, à propos de maître E...

Pédagogie, intervention ponctuelle, méthodologie, complémentarité avec le rééducateur... on peut s'arrêter là ? Le cinquième, c'est trop difficile (rires)...

Pouvez-vous préciser maintenant ?

Pédagogie, le maître E utilise la pédagogie comme médiation. Il se penchera plus sur les apprentissages scolaires, il va utiliser le même langage que les enseignants, il va être impliqué dans la recherche pédagogique avec les enseignants qui travaillent plus spécifiquement cette question-là. Intervention ponctuelle, c'est du côté des élèves qui peuvent rencontrer des difficultés d'apprentissage, pour lesquels l'aide du maître E devrait être ponctuelle. Méthodologie, je pense que c'est quelque chose d'important dans l'apport que peuvent faire les maîtres E, c'est-à-dire voir d'un peu plus près comment les enfants s'y prennent pour apprendre et puis de les aiguiller vers une méthodologie efficace, compétente, et faciliter leurs capacités d'apprentissage. Je pense que c'est quelque chose qui manque souvent aux élèves. Pour certains, certaines choses paraissent évidentes, pour d'autres ils n'ont pas l'idée que, pour travailler, il faut avoir du matériel, que déjà débarrasser sa table c'est se préparer à travailler. Ce n'est pas évident pour les enfants auxquels on a affaire. L'apport du maître E à ce niveau-là me semble très important. C'est un travail qui, à mon avis, est plus efficace s'il se fait dans un petit groupe. Le maître de la classe, avec son grand groupe, ça me semble beaucoup plus difficile pour lui de mettre ça en œuvre.

Complémentarité avec les rééducateurs ?

On ne pourrait pas imaginer un réseau sans maître E. Il y a toutes sortes de difficultés, des manifestations diverses de difficultés et celle des apprentissages ponctuels existe aussi alors qu'on pourrait dire que les rééducateurs travaillent avec des difficultés plus avérées, plus longues à résoudre, qui touchent quelque chose de l'intime chez l'enfant.

Pouvez-vous prendre un cas d'enfant pris en charge par un maître E et dont vous avez débattu en synthèse ? A partir de là pouvez-vous décrire précisément ce que fait le maître E ?

Là, vous ne posez une colle, justement. Un constat qu'on a fait, c'est qu'on a très peu débattu des cas d'enfants en synthèse. On est bouffé par l'institutionnel et par les situations qui déboulent comme ça à tout bout de champ.

Pouvez-vous en donner un exemple ?

Bien sûr, on a des réunions de synthèses régulières avec les maîtres E. Ils font partie du réseau mais ils n'ont pas les heures de synthèse au même titre que les rééducateurs et les psychologues. Ils ont une heure et demie tous les quinze jours. Très souvent, il y a des situations qui se présentent et sur lesquelles il faut réfléchir. D'abord il y a les demandes de l'école. Ici, il y a une énorme demande pour que le réseau participe à des conseils de cycle, à des évaluations d'expériences qui ont été faites, comme celle d'une classe passerelle par exemple où on a institutionnalisé le fait que certains enfants en difficulté feraient leur cycle en quatre ans. Ils ont donc un début de CP beaucoup plus lent que les autres, en partant de là où ils en sont. A tout bout de champ, on est sollicité pour des réunions auxquelles on ne s'attendait pas, qui n'était pas prévues. Ça peut être aussi des cas d'explosion de violence dans l'école, ou bien un maître qui va monter nous parler d'une situation difficile qu'il a rencontrée dans sa classe parce que les enseignants savent qu'on est en synthèse ici le mardi et le jeudi. Ils n'hésitent pas à venir nous trouver pour parler de situations difficiles pour eux. Il y a aussi tout ce qui est institutionnel, l'organisation du travail du réseau, l'organisation des rencontres avec les gens extérieurs, préparation des réunions de cycle dans lesquelles nous allons intervenir. On a institutionnalisé un calendrier de conseil de cycle qui traitent des enfants en difficulté et qui se passent avant chaque CCPE. Le temps ne se démultiplie pas. On a fait le constat qu'on a très peu parlé des cas d'enfants. On a une feuille de demande d'aide où on a essayé de clarifier ce qui peut être de l'ordre du pédagogique et de l'ordre de ce qu'on appelle du comportement. Si on parle avec les enseignants, après on leur demande un écrit. Il y a recoupement entre ce que l'enseignant a dit et l'écrit. Si cet écrit porte uniquement sur des difficultés d'orthographe par exemple ou de raisonnement logique, si ça ne porte que là-dessus, s'il n'y a pas d'émergence de comportement indésirable, de difficultés autres, on pense que c'est plus une indication d'aide de maître E. Est-ce que je peux présenter un cas d'enfant ? ... non ce n'est pas possible, soit ça ne me revient pas, soit on n'en parle pas.

Comment percevez-vous la différence entre le travail du maître E. et le travail du maître généraliste dans sa classe ?

Déjà le fait qu'il y ait un petit groupe d'enfant, qu'il ne soit pas forcément non plus à temps complet dans une classe, qu'il ne soit pas à non plus complètement dans l'équipe pédagogique, qu'il puisse aller et venir dans plusieurs écoles... le maître E ne reprend pas l'apprentissage tel qu'il est fait par le maître de la classe mais il cherche des détours pour rendre ces apprentissages accessibles à partir de ce qu'il a pu percevoir de la façon dont les enfants s'y prennent pour apprendre soit à lire soit à écrire... il est aussi dans une pédagogie du détour.

Si je vous dis maintenant maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Qu'est-ce qu'on doit dire ? Maître G ou rééducateur ? Non on revendique beaucoup le terme de rééducateur. Un autre mot, difficulté à être élève... soupape de sécurité, magicien, place difficile.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Rééducateur... c'est une question difficile, à la fois c'est vrai que nous sommes enseignants - mais je vais parler pour moi - je n'utilise pas du tout la médiation pédagogique au sens où on pourrait l'entendre. Je travaille à côté, peut-être en amont, avec des enfants quand on pense qu'il est important de leur redonner le désir d'apprendre ou de faire en sorte qu'ils le retrouvent. Je pense que tout enfant à quelque part en lui de désir d'apprendre... mais ce désir peut être étouffé. Bourrer l'enfant d'aide pédagogique, alors que c'est déjà sa source de difficulté parce qu'il n'y arrive pas, parce qu'il ne peut pas... ça paraîtrait une aberration donc on lâche du lest par rapport à ça même si je ne perds jamais de vue que nous sommes dans l'école et qu'il est important de faire en sorte que l'enfant puisse donner le meilleur de lui-même dans les apprentissages scolaires. J'ai du mal à me considérer comme maître, comme enseignant, peut-être comme précepteur dans ce cas-là. En étant en relation individuelle avec l'enfant, souvent, ça change beaucoup la donne aussi avec l'enfant. Je pense que c'est une spécificité tout à fait importante qui se reconnaît mieux à travers le terme de rééducateur même si ce terme-là m'horripile, je ne sais pas ce que ça veut dire en tant que tel mais ça marque bien la spécificité de cette aide rééducative qu'on est un des seuls pays à posséder à ma connaissance sous cette forme-là. En disant maître G, on tronque une partie de cette aide telle que je la conçois, c'est-à-dire une aide qui permet à un enfant de devenir un élève. On n'est pas avec l'élève, on est avec l'enfant en devenir d'élève.

Vous avez dit aussi soupape de sécurité...

Oui, c'est aussi bien pour l'enfant, d'avoir ce moment pour lui dans une relation privilégiée avec un adulte, ça peut être une soupape de sécurité pour accepter la difficulté d'être à l'école, un moment où il peut souffler et où il peut dire de ce qui est difficile, où il est considéré comme sujet et non plus en tant qu'objet sans voix soumis à un apprentissage obligé, un moment aussi où sa famille peut venir dire des choses avec lui. Le maître G est un interlocuteur privilégié rien que pour lui à ce moment-là. Je pense qu'on peut dire que ça peut être une soupape de sécurité aussi par rapport à la société dans laquelle on vit. Ça pourrait être aussi pour l'école à un des moyens par lequel les gens se sentent mieux dans leur vie, dans leur école quoi... (rires) Je fais allusion aux phénomènes de violence... les réseaux d'aide, les rééducateurs, par leur parole et l'espace de parole qu'ils instituent, sont des ressources qui peuvent peut-être éviter le pire.

Vous avez dit aussi magicien...

Oui magicien, je pensais au fait qu'on soit spécialisé, je pensais à certaines demandes d'enseignants qui pensent que nous allons être capables de tout résoudre. Ils nous attribuent des rôles de magicien. Ils sont très déçus lorsqu'ils voient qu'on n'arrive pas forcément mieux qu'eux, qu'on n'a pas de recettes, que c'est difficile aussi pour nous et que ça ne marche pas à tous les coups. Parfois, j'ai eu le sentiment d'être interpellée comme si le fait que l'enfant vienne en rééducation ça allait tout résoudre comme par un coup de baguette magique. J'étais une personne qui avait des recettes ou des ressources qu'eux n'avaient pas. Or, je pense que nous sommes des êtres humains et qu'eux aussi ont des ressources qui leur sont personnelles. Ce qui serait intéressant, c'est de pouvoir travailler ça avec eux pour qu'ils puissent développer eux-mêmes leurs propres ressources. Ça nous permettrait aussi de quitter certaines écoles où nous sommes ancrés malheureusement, où on ne sait plus si les demandes d'aide sont de véritables demandes d'aide et ça permettrait d'accomplir les missions des réseaux c'est-à-dire trois ans dans une école, trois ans dans une autre en ayant pu donner aux enseignants la possibilité de faire face à des situations, de pouvoir dénouer des situations difficiles... c'est tellement complexe, il y a toutes les interrelations au sein du groupe, tout un travail de groupe aussi qui pourrait être mis en place dans les écoles, pédagogie institutionnelle par exemple, qui permette aussi à chaque élève de trouver sa place de sujet dans la classe. Il y a, c'est vrai, un travail immense à faire à ce niveau-là. Ceci dit ce n'est pas forcément au rééducateur de le faire. Il y a aussi des conseillers pédagogiques qui sont là, que chacun aussi assume ses fonctions.

Vous avez dit aussi place difficile...

Dans l'institution, on a une place très, très difficile. Cette position d'interface... j'ai l'impression, à certains moments, de recevoir de toutes parts, que ce soit des informations des uns ou des autres, des agressions... finalement, on est en lien avec tellement de pôles qu'on reçoit de toutes parts. Il y a la place institutionnelle, là je faisais allusion très nettement au dernier rapport sur les réseaux où les rééducateurs sont bien remis en question. À la fois, on nous considère comme magicien et en même temps comme nous ne faisons pas suffisamment, le fait qu'on ne soit pas dans le même temps que les enseignants, qu'on ait besoin de consacrer du temps à un enfant pour aider à dépasser ses difficultés et que ça ne se résout pas tout du jour au lendemain... c'est un peu confus ce que je dis... notre place institutionnelle, on a l'impression aussi que l'administration nous a mis en place mais qu'en même temps elle ne supporte pas notre existence, nos interrogations, notre discours, notre langage qui n'est ni pédagogique ni cognitiviste forcément... et supporte encore moins qu'on enlève un enfant de sa classe et qu'il se retrouve en situation individuelle avec un adulte... je trouve qu'il y a vraiment beaucoup de choses difficiles actuellement à la fois dans l'institution et dans l'école. Entre autres, il y a des équipes qui voudraient qu'on soit tout le temps avec eux, qui ne comprennent pas qu'on ne soit pas que pour eux. Ils voudraient une sorte de fusion, c'est toute la question de la frustration, du manque et tout... c'est une place difficile au niveau du travail proprement dit et puis au niveau plus global de la place des rééducateurs dans l'éducation nationale, de la présence de ces gens au sein de l'école.

Justement, un reproche c'est que l'enfant soit coupé de son groupe classe, de ce qui se fait en classe... et qu'il ne fait pas forcément le lien entre ce qu'il fait en rééducation et ce qu'il fait dans la classe. Que répondez-vous à ces reproches-là ?

A certains moments, le fait que l'enfant soit coupé de sa classe, ça me paraît une très bonne chose si effectivement l'indication d'aide rééducative est la bonne indication et si ça correspond à la difficulté de l'enfant. Je parlais de soupape tout à l'heure, j'aurais envie de reprendre ça. Dans mes interventions par contre, je ramène toujours dès que l'occasion se présente à ce qu'il peut vivre en classe, à ce qu'il peut vivre dans les apprentissages c'est-à-dire la coupure est plus d'ordre symbolique que réelle parce que j'ai tout le temps en tête ce qu'il fait en classe. Chaque fois je fais des liens.

Pouvez-vous en donner un exemple concret ?

Un enfant qui joue beaucoup aux fléchettes, qui compte et qui en classe perd ses moyens. La question, ça a été de travailler ça et de dire : « ça tu le sais, dans la classe sans doute qu'il se passe d'autres choses qui t'empêchent de le dire. Tu t'en souviens de la dernière fois, tu peux me le redire cette fois ». Si vous voulez, ça a aidé l'enfant à progresser en mathématiques et il a réussi à compter sans se paniquer intérieurement.

Pouvez-vous décrire le retour en classe après une séance d'aide rééducative à partir d'un exemple là aussi ?

Parfois, je raccompagne les plus jeunes jusqu'auprès de la maîtresse en lui disant : « voilà j'ai fini ». Enfin, ça se passe bien, je n'ai jamais... il n'y a jamais eu de choses... l'enfant retourne tranquillement à son activité. Non, je n'ai jamais remarqué de choses qui auraient été négatives pour l'enfant...

Existe-t-il des occasions de liens entre le travail qui est fait en rééducation et la classe à partir par exemple d'une production, d'une peinture, d'une histoire qu'il raconterait aux autres ?

Non, non.

Pour quelles raisons ?

Ce qui se fait ici, ça rentre dans un cadre très particulier, de l'ordre d'une relation et d'une histoire qui se construit. Que l'enfant et la rééducation, vous remarquerez que je ne dis pas moi parce que je n'ai pas envie qu'on puisse penser que c'est une relation où l'adulte ré-éduque l'enfant... ça passe par moi, mais on va dire que l'histoire qui prend sens est celle de l'enfant se rééduquant, l'enfant avec sa propre difficulté, l'enfant avec sa propre relation à l'école... je pense que c'est quelque chose qui ne peut pas se partager. Toutes les productions des enfants, je leur dis très clairement qu'elles restent ici, que j'en suis la garante tant que dure le travail rééducatif. Une fois que le travail rééducatif est fini, ils peuvent en disposer comme ils le veulent. Il y a des enfants qui ont essayé d'emmener les productions, mais c'est interdit parce que le cadre, je le respecte. Il est arrivé qu'il y ait une petite fille... on jouait à la marchande, elle avait écrit des chiffres, elle avait emmené les papiers qu'elle avait écrits, mais c'est très, très rare... surtout pour ce qui concerne les dessins, les peintures, le modelage.

A votre avis, existe-t-il une fonction qui joue un plus grand rôle entre E et G ?

Drôle de question... (rires)... de mon point de vue, les deux sont complémentaires donc elles ont leur place à l'école. Maintenant, si on se place du point de vue institutionnel et du point de vue du discours des enseignants, je pense qu'ils sont plus demandeurs d'aide à dominante pédagogique que d'aide à dominante rééducative. C'est à nuancer, mais ça va dans le sens des revendications des enseignants, un maître supplémentaire pour cinq classes, et tout ça... après un bon travail avec des enseignants qui comprennent le bien-fondé de l'aide rééducative, il reste néanmoins qu'on s'occupe de beaucoup moins d'enfants à la fois que les maîtres E même si, on se rend compte, on s'occupe d'autant d'enfants qu'un maître spécialisé dans une classe spécialisée. Le maître E qui a des petits groupes et qui change ses petits groupes, peut voir une multitude d'enfants au cours de l'année, sachant que l'aide est ponctuelle et que quand la difficulté est résolue, elle s'arrête. Là, on est confronté encore à un problème de rendement. Et puis aussi pour les enseignants, le maître E a le même langage qu'eux et a des résultats plus visibles. Nous en tant que rééducateurs, on ne peut éviter que les difficultés ne deviennent réellement problèmes ou échec scolaire massif... C'est vrai qu'on a des résultats beaucoup plus dans la nuance et dans le qualitatif, plus que dans le quantitatif... on améliore la position de l'enfant à l'école, on améliore sa capacité d'apprendre en sachant qu'on ne résout pas toujours complètement la difficulté d'apprendre de certains enfants.

Je vais encore vous poser une question avec cinq mots mais cette fois à propos de la réussite à l'école. Qu'évoque pour vous l'expression "réussite à l'école" ?

…Ce serait normal que tout enfant réussisse à l'école, on peut retenir normal, normalité d'une école qui devrait être son propre recours, développer une logique marchande de résultats sans bien sûr en disqualifier certains... gros problème... la réussite d'une société... idéal.

Vous avez parlé de gros problème. Pouvez-vous l'expliquer davantage ?

Oui, gros problème dans la mesure où on se casse les dents... comment faire pour que tous les élèves puissent réussir à l'école, puissent apprendre à lire... cette lecture, c'est vraiment un casse-tête pas possible, j'aurais pu dire casse-tête.

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux qui sont recommandés lors de la formation E ?

De la Garanderie... non, je ne sais pas...

Même question pour les G ?

Pour nous, il y avait Winnicott, Mélanie Klein et Yves de la Monneraye bien sûr.

On parle d'une réforme prochaine des réseaux d'aide, quelle position soutenez-vous par rapport aux perspectives qui se dessinent ?

Oui, depuis que les rééducateurs existent, ça a toujours été des gens extrêmement fragilisés qui ont toujours senti leur fin proche, ce que je disais tout à l'heure à propos de la difficulté d'une place institutionnelle... par le passé, il y a eu le passage du GAPP au réseau qui a été assez douloureux et c'est une ré- activation de ça. Quelque chose à laquelle moi je suis beaucoup moins sensible... la plupart des collègues qui sont sortis de formation après 1990 sont moins sensibles à cette possibilité de transformation ou de disparition même si je vais nuancer... on s'est senti très gravement mis en cause, attaqué et très injustement remis en cause par les rapports de l 'Inspection Générale qui ont aussi réactivé de vieilles angoisses chez les RPP et RPM, l'idée d'un rapport tellement négatif sur les GAPP et qui a débouché sur les réseaux... il faut laisser le temps aux institutions de fonctionner, de s'établir... des changements comme ça au bout de dix ans d'existence des réseaux, on commence juste à être reconnu véritablement dans notre identité, au niveau du sigle même au niveau de notre collaboration... ce serait la catastrophe... de changer à nouveau un sigle et des fonctions... personne ne s'y reconnaîtrait. Je ne vais pas m'étendre sur des détails plus politiques, ce n'est peut-être pas la peine, il y a des impératifs économiques, il y a des choses que l'institution met en place et elle est incapable de se donner les moyens d'intégrer ces structures dans l'institution elle-même. Par exemple, c'est le réseau et les personnels de réseau qui prennent leurs bâtons de pèlerins et qui vont défendre leur propre existence. Les inspecteurs ne sont pas là comme tiers pour défendre et les enseignants et nous... ça a quelque chose d'insupportable... (...) les rumeurs, nous faire aller dans les classes, nous faire abandonner les fichues prises en charge individuelle qui leur tordent tellement les tripes, à certains, ce serait complètement dénaturer notre travail... nous n'existerions plus en tant que rééducateurs... ceci dit, au niveau de la prévention, je travaille avec des classes, je ne dis pas : « je travaille dans des classes », je fais attention de ne jamais être dans le lieu classe. C'est une action très spécifique.

Vous pouvez dire en quoi ça consiste ?

Ça consiste en une intervention une fois par semaine, dans des ateliers - de trois quarts d'heure environ - que les enfants choisissent. Je suis avec l'institutrice et l'ATSEM. Les enfants ont le choix entre différents ateliers qui sont très particuliers : un atelier construction /déconstructions, un atelier prise de risques, un atelier construction avec invention d'histoire et un atelier déguisement. Le déroulement est cadré. Au début on se retrouve, on redéfinit le cadre, on dit que ce n'est pas comme dans la classe, que c'est un moment particulier, il y a un début et une fin, on a le choix... toutes les règles de socialisation, parce que ce sont de petits enfants, de petite et moyenne section, on n'a pas droit de prendre le jouet d'un autre, il faut lui demander, on n'a pas droit de se faire mal exprès, on n'a pas droit de casser le matériel, on peut choisir l'atelier que l'on peut en essayant de faire tous les ateliers qu'on a envie de faire... Dans chaque atelier, il y a une disponibilité de l'enseignant. Celui-ci accepte de ne pas être dans un moment pédagogique, il n'y a pas d'objectifs précis. Il accepte ce qu'il ait du bruit, que ça brasse, que ce ne soit pas construit... ça lui permet de voir les enfants dans un autre contexte que celui dont il a l'habitude...

Quels sont les objectifs qui sont fixés à ces ateliers ?

Il y a des objectifs de socialisation, de verbalisation, ça tourne autour du langage mais c'est vraiment très difficile... c'est les objectifs les plus difficiles à mettre en œuvre et à atteindre. Donc principalement socialisation et utiliser les mots plutôt que les actes pour régler les conflits. Et puis aussi la possibilité pour les enfants d'utiliser leur maître comme interlocuteur de jeu... les répercussions de ce temps privilégié, très court dans la semaine... - c'est aussi un des principes de la rééducation -... ce temps a un impact fort parce que ce n'est pas dans la routine et dans les habitudes quotidiennes des élèves. Les maîtresses, chaque fois en bilan disent : « dans la classe, on les entend qui reprennent des choses qui ont été dites en atelier. Par exemple : les gamins qui vont dire, tu sais bien que tu n'as pas le droit de me prendre ça, tu pourrais me le demander quand même ». Il y a des choses comme ça qui sont reprises... qui font impact vraiment. Justement parce que c'est quelque chose qui est exceptionnel, quelque chose qui est limité, qui est différent du lieu habituel de la classe.

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous des remarques à ajouter ?

Je pense que les aides sont un atout dont trop peu d'enfants encore peuvent bénéficier. Mais ça peut être un atout exceptionnel dans la vie d'un enfant, ces aides spécialisées. Vraiment, j'aurais trop peur qu'elles soient complètement sabrées pour des raisons de rendement ou d'orientation trop ciblée de l'école sur le cognitivisme, sur ces théories-là... en laissant de côté le champ psychoaffectif de l'enfant et ce travail de l'interrelation... ce travail de partenariat avec toutes les personnes qui sont autour de l'enfant, sa famille, le médecin scolaire, en passant par les assistants sociaux, enfin tout ça... mon plus grand souhait c'est qu'on ne fasse pas la plus grande connerie possible en supprimant les rééducateurs à vouloir trop uniformiser les aides... et aller dans une demande urgente des enseignants... Qu'on ait plutôt la plus longue vie possible...

J'ai oublié de vous demander s'il existait des glissements de pratiques dans votre réseau, des E qui fonctionneraient comme les G et vice-versa ?

Il y a des glissements de pratiques dans la mesure où des personnes dans notre réseau... tout le monde ne met pas le travail de l'équipe au même niveau. C'est vrai... et puis du fait qu'il y a des lieux géographiques différents, qui font qu'il y a moins d'échanges ponctuels et que ça c'est très important pour la soudure d'une équipe... donc peut-être des prises de pouvoir... certainement.

Est-ce que c'est lié aussi un manque de moyens ?

Non, ce n'est pas lié à un manque de moyens. C'est lié aux personnes, à leur conviction que le travail en équipe est important, enfin que chaque aide spécialisée passe aussi par le travail en équipe au niveau du réseau... ça dépend de la conviction de chacun, du lieu géographique de travail des personnes. Celles qui travaillent dans des lieux de proximité vont beaucoup plus facilement se rencontrer parce qu'il ne faut pas se leurrer, on est complètement éclaté et pris par de multiples tâches... il y a aussi le côté des choses qui se font spontanément et des échanges qui se font très spontanément parce qu'on est dans le même lieu. Le psychologue est à côté, on ouvre la porte, on se parle. C'est génial... et puis aussi par un manque de clarification des fonctions dans la tête de certaines personnes. L'équipe devrait pouvoir idéalement recentrer les choses en disant : « attention, ta fonction n'est pas là... »

Y a-t-il un impact négatif de ces glissements ?

Ça crée des tensions dans l'équipe du réseau et avec les équipes pédagogiques ... il y a une personne qui travaille principalement dans une école et qui n'a pas en tête l'importance du travail d'équipe. Là, elle est un peu toute-puissante et ça a des répercussions négatives telles des dysfonctionnements dans des rencontres avec des partenaires qu'ils soient enseignants ou assistants sociaux. Se révèlent à ce moment-là des prises de pouvoir, des abus de pouvoir etc...

Existe-t-il des retombées négatives pour les enfants ?

Je ne pourrais pas répondre à cette question... quand il y a une collaboration réelle entre les maîtres E et les rééducateurs ou avec la psychologue, c'est important. Je pense à une situation, un enfant. La première aide dont il a bénéficié, c'était une aide rééducative. Au bout d'une année, ce n'était pas terrible, le réseau a décidé de donner suite à la demande de l'enseignant qui souhaitait une aide à dominante pédagogique. Ça a été une catastrophe... On en est revenu cette année à une aide rééducative. Mais, avec des échanges très fructueux avec la maîtresse E dans la mesure où quand je lui disais : « j'ai vu ça », elle me disait : « mais oui, ça ne m'étonne pas... », ou je lui demandais comment elle s'y prenait avec lui pour lire et tout... ce qui me permettait de réajuster les objectifs de séances. Avec la psychologue, c'est très important qu'un échange se fasse. D'abord ça apporte plus de poids au niveau de l'équipe élargie, au niveau des parents et ça apporte aussi la garantie qu'on n'est pas tout-puissant et qu'on est en train de faire une belle connerie... je vois la personne qui fonctionne moins dans l'équipe, elle prend des initiatives sans en référer à l'équipe, des initiatives que l'équipe n'aurait pas cautionnées si elle avait été au courant... et là parfois, ça peut être néfaste pour l'enfant.

(…) Ce que je voulais rajouter, c'est l'importance d'être au moins deux rééducatrices dans un réseau d'aides spécialisées. Au niveau de la qualité du travail ça me paraît primordial. Pour plusieurs raisons. C'est un travail difficile. Le fait d'être deux à faire ce même travail difficile favorise les échanges et ça permet d'ouvrir, de trouver des solutions plus rapidement peut-être... quand on réfléchit avec d'autres personnes. Dans l'urgence ou dans le grand malaise, on manque de lieux pour parler de certaines situations même si on fait de l'analyse de pratique une fois par mois. Il y a des situations où on est dans l'embarras, on a besoin d'en parler, au niveau des possibilités d'action, de la force que ça peut donner dans l'école, le fait que les enseignants puissent parler à deux personnes qui ont le même langage... ça peut les aider à comprendre l'utilité d'une aide... ça assure aussi la position des rééducateurs dans l'école et dans l'institution. (...)