Entretien E55 Albert

Age : 53 ans

Profession : Psychologue scolaire

Diplômes : CAP d'instituteur, Maîtrise de psychologie, Diplôme universitaire de psychologue scolaire

Albert : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Albert : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : à mon domicile

Durée : 1 heure

(…) Je suis devenu enseignant pour répondre au désir de ma mère qui n'a jamais pu l'être. C'est la vraie raison. Je me suis inscris dans quelque chose, dans ce que je croyais être mon désir et qui en fait était la déception de ma mère de ne pas avoir pu faire. C'est très curieux.

Quels ont été les faits marquants qui vous ont disposé à devenir psychologue scolaire ?

Il y en a eu plusieurs. Le premier, c'est au bout d'un certain nombre d'années, une sorte d'inappétence, une grosse remise en question professionnelle – Est-ce que j'apporte encore des choses ? Est-ce que j'en prends encore ? – et puis une prise de conscience que je m'étais enfermé là-dedans et que je n'avais plus aucune capacité à réfléchir en dehors de mon professionnalisme et ça, ça m'a fait très peur. C'est la première motivation, une des premières, je ne sais pas dans quel ordre j'en ai pris conscience. La deuxième, c'est que je me suis assez vite trouvé mal par rapport à la majorité des enfants de ma classe partant du principe que je n'arrivais pas à travailler avec les enfants en grosse difficulté, que ceux qui m'attiraient c'était ceux qui n'avaient pas besoin de moi et que les autres restaient là anonymes dans leur coin et j'ai vraiment eu envie de faire quelque chose. Et puis il y a une troisième chose, un aspect un peu magique de la psychologie à travers une rencontre d'un de mes élèves avec le psychologue scolaire, un enfant qui posait de gros problèmes de comportement dans la classe, qui visiblement, avait des possibilités. La famille avait de grosses difficultés à peu près similaires aux miennes. Une psychologue scolaire est venue de très loin pour répondre à une demande insistante de ma part parce que je n'en pouvais plus de Sébastien. Elle est venue une matinée pour un examen individuel. Elle a rencontré les parents à midi et l'après-midi le gamin est entré, s'est assis à son bureau et a travaillé jusqu'à la fin de l'année. Cet aspect magique me dérangeait beaucoup, donc j'ai pris contact avec la psychologue, on a beaucoup parlé et j'ai vu un aspect du métier qui m'intéressait, sans trop comprendre ce qui s'était passé. L'important c'est qu'il ait pu voir cette personne et qu'elle ait pu l'aider à faire quelque chose. Voilà.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Interrogation, malaise, appel, souffrance. Je n'en ai pas d'autres.

Pouvez-vous préciser les termes que vous avez proposés ?

Oui, je pense que ça passe déjà par l'interrogation plus ou moins consciente de l'enfant qui est face à une demande qu'il n'arrive pas à satisfaire. Il y a déjà une inquiétude à ce niveau. Le deuxième mot, malaise, rejoint cette inquiétude. La déviance par rapport au groupe entraîne ce malaise. Appel, c'est un peu mon cheval de bataille au niveau de la difficulté en général, scolaire en particulier à savoir que c'est le seul outil de l'enfant pour dire un "mal être". C'est son seul outil parce que l'école représente la plus grande partie de sa vie, il n'est observé qu'à travers ce filtre et il sait très bien qu'en ce mettant en échec à cet endroit-là, on peut entendre son appel. Et souffrance parce qu'en plus de la souffrance de dysfonctionner par rapport au groupe, il peut y avoir sur un plan affectif des choses extrêmement douloureuses qu'il ne peut exprimer qu'à travers cet échec.

Pouvez-vous rechercher le visage d'un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle ? Et pouvez-vous retracer ce qui se passait ?

Je me souviens d'un gamin que j'ai vu, il y a trois ans environ, que j'ai eu en entretien avec sa mère et sur lequel elle posait des mots extrêmement difficiles et douloureux. C'est un enfant qui, à chacun de ces mots, avait une sorte de retrait, comme s'il recevait moralement une gifle en plein visage. C'est quelque chose qui m'a beaucoup… très fermé, très triste, avec des yeux sans vie, éteints, ternes… un enfant agressé par l'école, je pense parce qu'il est en échec scolaire assez intense, agressé par l'institution parce qu'en plus de l'échec scolaire, c'est un enfant qui avait une relation extrêmement difficile avec les autres, des contacts tendus, violents… Il pouvait aller jusqu'à la violence, c'était un enfant qui dérangeait beaucoup, qui n'avait pas place ni dans l'institution scolaire, ni dans sa famille. Et je ne suis pas sûr encore qu'il ait trouvé la place en question. Il n'avait aucun étayage au niveau des images parentales, ayant appris brutalement que son beau-père qu'il croyait être son père n'était pas son père – puisque sa mère s'était remariée suite à la défénestration de son premier époux. Je ne vois pas bien sur quoi ce gamin peut se poser… Il y a une sorte de fragilité à travers une attitude physique, quelqu'un de très costaud, de très fort, l'impression que ce n'était qu'une carapace et qu'à l'intérieur il n'y avait rien… C'est ce qui m'a le plus choqué chez cet enfant.

Pouvez-vous définir les émotions qui vous animaient face à lui ?

Les émotions…C'est ce qui m'a été très difficile et qui m'a gêné pour travailler cette situation. J'ai eu envie de faire alliance avec lui. J'ai eu envie de lui dire : "tu as mal, c'est normal, je le sais et je suis avec toi. Et je me suis mis à avoir mal avec lui. Et ça a été un gros, gros problème. J'ai eu beaucoup de mal à garder une distance par rapport à ce que j'entendais et il m'a fallu beaucoup de temps pour ne pas être le juge de tout ce qui lui faisait mal. Là, je pense que je n'ai pas été un bon professionnel.

Pouvez-vous retrouver une action qui a été tentée pour aider cet enfant en échec scolaire ?

L'action qui a été tentée… Je pense que cet enfant a besoin d'un accompagnement psychologique et je ne suis pas parvenu en dépit des démarches que j'ai pu faire auprès des services sociaux, auprès de la famille. En fait depuis trois ans, on en est toujours à peu près au même point.

Pouvez-vous retrouver maintenant un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe ? Quels sentiments s'éveillaient en lui et comment réagissait-il ?

J'en ai un de présent tout de suite à l'esprit. C'est un enseignant d'école maternelle face à un gamin de grande section qui… sur lequel son autorité n'avait pas prise et… c'était une peur panique qui se lisait dans son comportement, dans son attitude, sur son visage… Quand l'enfant l'agressait, l'enseignant devenait pâle, à la limite du malaise et sa réaction c'était une sorte de violence dans ce qu'il essayait d'imposer à ce gamin. Il naissait entre eux une sorte de charge émotionnelle qui était absolument phénoménale.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Rien à signaler et ce n'est sûrement pas pour rien (rires)… uniquement des mots ?

Oui ou des expressions que je vous demanderais d'expliciter…

Désir d’écoute, malaise identitaire au niveau des professionnels, engagement sincère, et une prise de conscience de la difficulté à entendre les problèmes et à y apporter une ébauche de solution. Je n'arrive pas à trouver un mot pour exprimer une sorte d'enveloppe pour les professionnels qui aident les enfants, trouver dans cette équipe quelque chose qui enveloppe, qui ne laisse pas seul.

Pouvez-vous reprendre et préciser les termes retenus ?

Désir d'écoute, je crois que les membres du réseau d'aides arrivent dans une situation qui est souffrante pour la personne qui leur signale et la première des choses qui est nécessaire et qui existe je crois c'est "être à l'écoute" pour essayer d'entendre ce qui est dit et surtout élucider la vraie demande.

Malaise identitaire ?

Oui, je crois que ça revient assez souvent dans ce que je vois. Il me semble qu'on n'a pas une préparation suffisante, une formation suffisante… que c'est trop flou dans l'attente qu'en ont et l'institution et les partenaires… ce qui fait qu'on est un petit peu et que comment dire ?… lorsqu'il y a une demande adressée au réseau, on a l'impression que des choses ont été tentées et qu'on attend du réseau ce qu'on aurait pu trouver ailleurs. Cette demande trop floue, trop complexe, qui n'est pas assez définie entraîne, je crois, une sorte de malaise.

Engagement sincère ?

Je crois qu'on ne peut pas généraliser, c'est certain, les motivations de chacun sont profondément personnelles – mais j'élimine dans mon esprit ceux qui ne le sont pas – je crois que les gens qui sont-là sont profondément sincères dans leur démarche d'être les acteurs d'une sorte de… dynamisme dans une situation souffrante… de réinjecter quelque chose de dynamique face à des partenaires qui sont découragés. Et je crois qu'il faut beaucoup de force et de sincérité.

Vous avez dit aussi difficulté à entendre les problèmes et à apporter une ébauche de solution…

Ça rejoint ce que j'ai dit au niveau du malaise identitaire… Là c'est pareil, on n'a pas défini assez…. Je crois qu'on est dans une étape où l'on pourrait faire plein de choses pour ces enfants qui sont mal mais que cette étape ne débouche pas forcément sur quelque chose… on n'a pas assez de moyens après pour essayer… On est un peu ceux qui vont essayer de comprendre, d'écouter, d'entendre un peu mieux mais trop souvent malheureusement ça débouche sur : "Et qu'est-ce qu'il faut faire ? Je ne peux plus rien pour vous…" Surtout pour ma fonction… notamment pour ma fonction ce qu'il manque beaucoup c'est une reconnaissance financière pour les psychologues qui permettrait aux gens de faire la démarche qui est nécessaire… il manque une marche. On voudrait que des gens qui sont très mal dans leur propre identité de parents, d'enseignants ou d'enfants, qui sont venus vers un membre du réseau, tout de suite après soient dans une démarche thérapeutique. Or je crois qu'il y a toute une histoire qui manque dans la recherche de cette personne. C'est ce qui me frappe.

Vous avez parlé aussi d'enveloppe pour les professionnels et pour l'enfant ?

Oui, et c'est à double tranchant. Peut-être qu'on en a besoin de part les agressions professionnelles au sens large qu'on peut subir, je crois qu'il est important qu'on soit un groupe qui puisse être porteur d'espoir quand on n'en a plus. Seul on n'y parviendrait pas. Je crois que c'est aussi une enveloppe pour l'enfant, une sorte de cocon idéal où enfin dans un lieu il a presque toujours été mal, on ne pose plus sur lui un regard de juge mais on lui dit : "on va avec toi essayer de chercher quelque chose" et il me semble qu'on y est bien, qu'il fait chaud, que c'est doux.

Que signifie pour vous "aider" un enfant en difficulté ?

La première chose c'est de l'écouter et de lui dire qu'on l'a entendu. Ça c'est important, tout le monde l'écoute mais personne ne l'entend. C'est le départ. Il me semble, sauf si on est dans des pathologies très lourdes, que l'enfant a tout en lui... Comment dire ? Si on l'entend suffisamment tôt, l'enfant a tout en lui pour gérer sa difficulté. Il n'a pas besoin de nous. En lui, sa difficulté comporte sa solution. Si on l'entend ça suffit.

Quand je dis maître E quels ont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

C'est délicat... Je dirais c'est un enseignant spécialisé. Il travaille sur le scolaire. Il ne travaille pas sur les compétences mais sur les stratégies de l'enfant. C'est celui qui restaure l'estime de soi dans le parcours scolaire de l'enfant.

Pouvez-vous développer ?

C'est un enseignant spécialisé, c'est certain, qui a dû suivre une formation où il a pu prendre conscience sur un plan pratique et théorique de ce que c'est qu'une difficulté, de ce que c'est qu'un élève, un enfant... Il reste sur le scolaire parce qu'il touche des enfants qui sont dans l'apprentissage, dans le désir d'apprendre mais qui n'ont pas de stratégies efficientes en montrant à l'enfant qu'il avait tous les outils nécessaires mais qu'il ne savait pas bien s'en servir. A mon avis il se différencie de l'enseignant qui travaille plus sur la compétence, sur l'apprentissage. C'est ce qui différencie pour moi le soutien scolaire et la prise en charge E. C'est prendre un enfant qui est en difficulté, qui ne sait pas utiliser les outils qu'on lui a proposés... partant de là, le mettre en capacité à travers des situations différentes de l'école, d'utiliser ces outils, de transposer cet outil pour le rendre efficient dans la classe.

Vous venez de parler des différences avec l'enseignant généraliste, quelles sont au contraire les ressemblances entre le travail du maître E et celui du maître généraliste?

Prenons abruptement une notion que l'enfant n'a pas pu acquérir. Il me semble que le travail du maître généraliste c'est d'essayer de comprendre pourquoi il n'a pas pu l'intégrer et toujours à travers cette même notion, avoir une autre approche. Mais il travaille sur la notion. Alors que pour le maître E, la notion acquise à la limite ça ne l'intéresse pas, il travaille sur la stratégie d'acquisition.

Quelles sont les qualités spécifiques et nécessaires à l'exercice de la fonction de maître E ?

Spécifiques ? Je ne sais pas s'il y en a une... Avoir la capacité à pouvoir... comment dire ? Lorsque l'enfant a été restauré dans sa capacité à apprendre, être bien dans le fait de le laisser et ne pas en voir... disons ne pas être récompensé. Voilà. Chose que le généraliste aurait plus facilement. Accepter de s'effacer...

Quels sont les cinq mots ou expression qu'évoque pour vous la fonction de "maître G" ?

C'est un instituteur spécialisé... qui est sur une frange, qui travaille à restaurer ou à créer le désir d'apprendre que l'enfant n'a pas... Il ne travaille pas sur le scolaire, il est dans l'affectif, sur l'affectif de l'enfant et c'est bien ce en quoi – dès l'instant où l'enfant est souffrant - ce en quoi, c'est là qu'est toute la difficulté énorme du maître G.

Qu'est-ce que je peux retenir à part instituteur spécialisé et frange ?

Je ne sais pas parce que je crois que je suis mal à l'aise par rapport à cette fonction. J'ai un malaise personnel par rapport à cette fonction. C'est peut-être la spécificité la plus difficile... Je dirais difficile, j'ai failli dire dangereux donc je le dis, et très professionnel. Voilà ce que pourrais dire du maître G.

Pouvez-vous expliquer davantage ?

Je crois que ce qui est clair c'est que le profil de l'enfant qui va voir le maître G c'est sûr que c'est un enfant qui pour des raisons diverses n'est pas dans le désir d'apprendre. Apprendre, c'est quelque chose qui peut être vécu comme dangereux, il ne peut pas se lancer dans un apprentissage, c'est impossible. Donc il y a à instaurer ce désir d'apprendre. Inévitablement il faut être sur une frange extrêmement difficile et délicate, sur un plan psychoaffectif avec tout ce qui peut être de son histoire, affective, psychique, c'est là que ça me paraît extrêmement difficile. Que va-t-il se passer dans une relation comme celle-ci ? Si on ne va pas assez avant, justement pour travailler sur cette difficulté, je pense que le maître G sera inefficace, si on va trop avant, est-ce qu'on ne s'installe pas dans une relation qui n'est plus une relation de rééducateur – je n'aime pas beaucoup mais enfin puisque c'est la terminologie – mais qui est presque une relation de thérapeute ? Je ne connais pas beaucoup de maîtres G mais je crains que ça soit justement là la grande difficulté. Je crois qu'il faut que ces gens soient très professionnels, plus que n'importe lequel des membres du réseau, pour pouvoir gérer, pour ne pas utiliser ce qui se passe dans le transfert avec l'enfant et ne pas sombrer dans quelque chose qui entraînerait peut-être une sorte d'hémorragie narcissique au niveau de l'enfant... On l'amènerait peut-être à se vider parce que ça c'est très facile à faire mais... à qui on ne pourrait pas réinjecter... qu'on ne pourrait pas restaurer dans tout ce matériel qu'il nous aurait donné. C'est le plus difficile.

Quelles sont alors les qualités les plus importantes à maîtriser pour exercer cette fonction ?

Oui, je ne connais pas les contenus de la formation de maître G mais il me semble que sur un plan psychologique ils devraient avoir une formation très importante, à la limite je dirais presque que ça devrait être des psychologues parce que est-ce que quelqu'un – ce n'est pas pour placer le psychologue sur un piédestal mais pour lui donner sa place – parce que est-ce que quelqu'un qui n'est pas psychologue peut sentir le moment où justement où il va tomber dans ce biais ? Quand je dis psychologue, je ne parle pas du titre parce que je connais des gens qui ne sont pas psychologues de profession et qui sont tout à fait capables de maîtriser ça... Mais sans cette qualité professionnelle sanctionnée ou non par des diplômes, sans ça le maître G peut présenter des travers qui peuvent être dangereux...

Est-ce qu'il existe des points de ressemblance entre maître E et maître G ?

Le seul point de ressemblance pour moi, c'est être dans le désir d'écoute de l'enfant. C'est à mon avis leur seul point commun.

Pouvez-vous caractériser les différences de pratique ou de démarche entre maître E et maître G ?

Une différence assez importante, c'est que le maître E travaille avec un groupe d'enfants alors que le maître G prend individuellement, justement on retombe là dans la difficulté que j'ai énoncée tout à l'heure, parce que je ne sais pas comment en situation duelle on peut maîtriser quelque chose qui ne soit pas de cet ordre-là. Moi, je suis toujours cadré par des épreuves – j'ai la capacité à me ranger derrière des outils qui me protègent - et chaque fois que je rencontre un enfant hors examen je me rends compte que c'est très difficile. Je trouve que c'est très difficile et il n'y a pas ce risque avec le maître E. tout simplement parce qu'il a le cadre scolaire. C'est peut-être tout simplement ça qui manque. Une différence fondamentale entre E et G, c'est que E il y a un cadre, on a l'habitude de se prémunir, de se protéger, alors que le maître G n'en a pas. Celui-ci est en même temps dans l'école sans y être tout en y étant et je crois que c'est cette… peau qui manque quelque part.

Si un jeune collègue intéressé par un poste en réseau vous demandait de parler des maîtres E et G que lui diriez-vous spontanément ?

Je ne pourrais pas m'appesantir si ce n'est de dire que le maître E travaille avec un enfant qui est dans le désir d'apprentissage, dans les capacités d'apprentissage avec des stratégies qui ne sont pas efficientes donc ce qui entraîne une inappétence scolaire et un malaise alors que le maître G travaille avec des enfants pour lequel ce désir d'apprendre n'existe pas et qu'il faut créer.

En quoi la différenciation E/G vous semble-t-elle pertinente dans le système actuel ?

Justement cette demande me pose question. Pourquoi systématiquement ne parle-t-on de E et de G qu'en terme de différenciation ? Pourquoi est-ce qu'on ne dit pas quelle est la différence entre E et scolaire, entre G et psychologue… Pourquoi s'échiner… ? On a l'impression que l'une existe par défaut par rapport à l'autre… Je ne comprends pas. Les rôles sont différents. C'est tout.

Y'a-t-il alors une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Non. Je n'ai pas beaucoup de certitudes mais il me semble que j'aurais celle-ci. Il n'y a pas de hiérarchie… qu'on retrouve souvent : l'enseignant généraliste, le maître E, le maître G, le psychologue et diable le psychiatre si vraiment c'est grave… Alors que cette hiérarchie est complètement inadaptée.

Peut-on justifier l'existence de ces deux fonctions dans l'école ? Faut-il les maintenir?

Oui, ces fonctions ont lieu d'être, tout à fait. Voyez-vous, je ne me poserais même pas la question. Il me semble que pour certains enfants… Je crois… un enfant qui est pris en charge par le maître E, le maître G est incapable de travailler avec lui, incapable de lui apporter cette modification et réciproquement. Evidemment, oui, moi je les maintiendrais.

Suite au rapport Gossot, on pourrait imaginer maintenir ces deux types d'aide à travers une fonction unique. Qu'en pensez-vous ?

Non, non, non. Moi, je ne pense pas.

Pour quelles raisons ?

Parce que si l'on veut rester des professionnels on ne peut pas intervenir dans ce domaine à un moment et dans ce domaine à un autre moment, je crois que ce n'est pas possible. Je crois qu'on deviendra de véritables professionnels quand on aura bien défini notre champ d'action et que l'on s'y tiendra. Je crois que la multiplicité des aides autour d'un enfant ne me semble pas dommageable si chacun sait bien ce qu'il fait. Je ne vois pas comment une seule formation peut conduire à intervenir comme E et comme G, pourquoi pas psychologue du temps qu'on y est et puis instituteur et puis ATSEM et puis tout le reste… Ce n'est pas parce qu'on est tous autour d'un enfant, qu'on peut mettre dans un même professionnalisme tout ce qui se passe autour de l'enfant, ce n'est pas possible.

Voyez-vous d'autres avantages au fait de maintenir le système actuel tel qu'il existe ?

Je ne sais pas, si l'on peut réfléchir à quelque chose de plus efficace. Il me semble que le système actuel ne fonctionne pas bien parce qu'il fonctionne dans de mauvaises conditions. Si l'on avait suffisamment de moyens en personnel, de moyens financiers, si on était entendu dans les demandes que l'on adresse, notamment dans quelque chose qui me paraît in-dis-pensable (dit avec insistance) pour que ça fonctionne bien à savoir une supervision, à l'échelle du réseau d'aide mais même de l'enseignant – on parle de psychopédagogie… - c'est vraiment la condition…, là on pourrait faire un bilan en évitant de nombreux biais. On essaie de juger un système alors qu'il n'est pas encore en état de fonctionner et on va essayer d'en mettre un autre à la place… Autant juger la marche d'un unijambiste. Il me semble que tant qu'on n'aura pas tenté de faire fonctionner ce qui est en place, je ne vois pas pourquoi on aurait quelque chose de meilleur à mettre en place… Je n'y crois pas…

L'amélioration du système passerait donc exclusivement par davantage de moyens ?

Davantage de moyens en personnel et en formation, ça c'est très important. Oui… ce qui existe me semble très inadéquat, inadapté et insuffisant, oui.

Comment concevez-vous le rôle du réseau ?

Le rôle du réseau, c’est de se poser comme partenaire de l’enseignant et non pas comme – c’est peut-être un peu trop souvent le cas – comme celui qui arrive, lorsqu’on a l’impression que tout a été fait, avec une sorte de pouvoir magique... Dès l'instant où le réseau sera en partenariat avec l'enseignant pour réfléchir d'une façon globale, là on sera peut-être efficace... Là aussi c'est une nécessité mais ça ne fonctionne pas.

Pour quelles raisons selon vous ?

D'abord parce que le spécialisé dispose d'un savoir supplémentaire, autre, avec une prise de recul sur les situations d'apprentissages, ce qui est à la fois sollicité et rejeté d'emblée. Ensuite, ce n'est pas facile pour un enseignant de reconnaître qu'il est lui-même en difficulté et qu'il n'est pas dispensé de réfléchir et de se remettre en question parce que, vous savez, il n'y a pas de recette mais c'est tellement plus rassurant d'y croire et de se décharger sur un autre…

Pouvez-vous présenter la typologie des tâches effectuées par le réseau ?

C'est-à-dire ?

Les grandes directions d'actions, les priorités etc...

La priorité qui a été choisie dans le réseau où je travaille c'est la prévention. Justement dès que l'on sera en prévention, ça rejoint ce que je disais tout à l'heure, on sera plus facilement partenaires de l'enseignant. C'est évident. Il faut bien rester un peu idéaliste, si on installe quelque chose de cohérent, de précis dans le cadre d'une prévention, il me semble que le travail du réseau d'aides n'aura plus lieu d'être plus tard. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles on n'est pas assez efficace, on arrive à un moment où il y a eu trop de malaise, trop de souffrance quelque part, je ne vois pas comment on peut récupérer la situation. Fatalement, on essaie d'injecter une sorte de désir, de susciter un désir d'apprendre chez l'enfant mais il y a tout le passé, tout le passif qui est derrière. Il me semble que si on est dans la prévention, à la limite on n'aurait plus besoin d'exister ensuite si ce n'est pour des choses ponctuelles dans une histoire qui débuterait après. Mais pour la plupart des enfants que l'on voit, on se rend compte que c'est dans leur propre histoire que la difficulté prend racine. Donc si on travaille beaucoup au niveau de la moyenne section – la petite ne devrait pas exister – on n'aurait presque plus lieu d'être plus tard.

Existe-t-il d'autres directions de travail importantes ?

Des outils à construire qui soient pertinents dans le regard que l'on pose sur l'enfant pour savoir s'il est en difficulté. Ce qui est important, c'est l'échange à l'intérieur du réseau dans l'indication à poser. C'est la chose la plus difficile à faire... ça fonctionne plus ou moins bien... selon les réseaux et les personnes, je suppose, mais je crois que c'est une des choses les plus importantes.

Voyez-vous d'autres tâches importantes ?

Comme ça, non...

Que pouvez-vous dire des évaluations de résultats ou de pratiques des réseaux d'aides ?

Elles me font peur parce que je ne connais ni leur pertinence, ni... et je crois que les précautions prises autour de la construction de ces épreuves ne sont pas suffisantes. Ça, c'est la première chose au niveau du contenu. C'est utopique de penser qu'en puisant de ci de là on va faire aboutir... On mélange un petit peu tout, on ne sait plus quels sont les indicateurs qui sont cernés... Dès l'instant où il y en aura deux dans une même épreuve on ne connaît pas l'interaction de l'un sur l'autre donc... on se fait des illusions quant à l'efficacité de notre outil. En plus il n'y a aucun étalonnage, moi je pense qu'ils ne sont pas pertinents.

Les évaluations de résultats concernant les enfants oui, mais celles concernant le travail du réseau ?

Celles-ci aussi, oui. Et puis il y a un manque de professionnalisme dans la qualification des personnels à faire passer une évaluation. Je crois que par expérience, je me suis aperçu que beaucoup de gens dans le réseau d'aides fonctionnaient dans ces moments-là comme des enseignants, c'est-à-dire que ce qui était important c'était que cet enfant réussisse. Alors que ce qui est important, c'est de voir ses possibilités dans un instant bien défini. Non, la plupart des personnels n'et pas qualifié pour faire passer ce genre de choses.

Est-ce qu'il existe des évaluations du travail du réseau lui-même ?

Les seules évaluations que l'on ait, les seules qui peuvent être pertinentes, insuffisantes, ce sont les évaluations quantitatives, ça c'est certain. Mais c'est tout. Il manque cruellement pour l'institution des évaluations qualitatives – parce qu'ils nous paient donc ils ont le droit de savoir ce que l'on fait mais surtout, surtout pour nous. Et c'est peut-être ce qui est à l'origine d'un certain malaise parce que je crois que même si on est consciencieux comme professionnels, je crois que l'on a besoin, comme tout le monde, que l'on nous prouve quelquefois que l'on fait du bon travail ou que l'on nous montre parfois que l'on ne fait pas du bon travail. Cet espèce de flou, de non dit me gêne considérablement.

Existe-t-il des personnes pivot au sein du réseau ?

Non, l'animateur du RASED c'est normalement l'inspecteur de l'Education Nationale. J'ai connu quatre inspecteurs. Aucun n'a eu une ébauche de ce rôle. Le personnel est livré à lui-même, c'est important... et c'est dommageable.

Pouvez-vous exposer une action exemplaire conduite par le réseau, soit positive, soit négative ?

Exemplaire me paraît très fort. Je ne sais pas si on peut être exemplaire... Je pensais à une action très courte et très rapide qui avait été menée à propos d'un enseignant dont il a été question et qui avait de grosses difficultés dans la relation à un enfant de maternelle, il y a eu des synthèses assez nombreuses de tout le réseau d'aide – c'est important - avec cet enseignant. L'enfant n'a jamais été vu individuellement par aucun des personnels et au bout d'un demi-trimestre de travail avec cet enseignant, l'enseignant est venu nous dire : "Ecoutez maintenant, je crois que je n'ai plus besoin de vous". Et effectivement après ça a très bien fonctionné. C'est une bonne chose, qui montre qu'on peut être de bons professionnels sans être fatalement dans le fonctionnement traditionnel à savoir la prise en charge, l'examen individuel etc. Ce qui se passe dans une relation vraie où chacun s'engage, c'est comment dire… les mots posés sur les choses permettent parfois de transformer la vision d'une situation et donc les actions qui en découlent.

Pourriez-vous présenter brièvement le cas d'un enfant dont la prise en charge (E ou G au choix ) s'est révélée efficace et dégager les éléments qui ont permis justement l'efficacité du travail ?

Non, je ne peux pas. Je crois... Quand je pense aux synthèses, je pense globalement à la dynamique qui s'instaure face à une situation qui devient difficile pour le professionnel qui est dans sa solitude, qui re-débouche ensuite sur une nouvelle dynamique, c'est important... Je vois l'importance des synthèses pour essayer de ne pas tomber dans les déviances que j'indiquais tout à l'heure surtout à propos du maître G qui s'inscrit parfois dans un lien qu'il ne domine plus, mais sur un cas précis, je suis désolé mais je ne peux pas.

Avez-vous un avis sur la qualité des formations actuelles E ou G ?

J'ai un avis qui est tout à fait subjectif sur une formation que je ne connais pas, j'ai toujours fait l'économie de me pencher sur le contenu et je la juge abruptement comme ça. C'est un compte sans doute que je règle avec l'institution à travers mon manque de formation. Je crois que c'est largement insuffisant pour un psychologue. J'en veux beaucoup à cette administration qui nous prend en otage et nous force moralement à faire une démarche, donc j'englobe un peu toutes les formations là-dedans. Ce n'est pas professionnel mais c'est comme ça. A travers les gens que je vois fonctionner, il me semble que les gens qui fonctionnent de la façon la plus pertinente sont les gens qui aussi ont fait ce type de démarche extérieure. C'est pour ça que j'en conclus que les formations ne sont pas opérantes, pas adaptées, pas suffisantes.

Pouvez-vous citer les trois livres référents pour la fonction E ?

Non.

Même question pour les G ?

Non.

En avez-vous une idée ?

Non.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Satisfaire l'adulte, estime de soi, fierté... bien-être, équilibre. Voilà.

Pouvez-vous développer ?

Je crois que réussir à l'école pour un enfant, c'est uniquement satisfaire l'adulte. C'est uniquement ça. C'est basé sur des situations que je rencontre professionnellement. Si un enfant réussit bien à l'école, c'est vrai que dans la satisfaction qu'il a à satisfaire l'adulte, il se percevra comme bon sujet, quelque chose qui est très agréable à vivre et puis c'est le signe, si tout fonctionne bien, qu'il est dans une sorte de bien-être général que ce soit dans sa cellule familiale, dans l'école, dans la relation qu'il a aux imagos parentales, à l'enseignant, à ses pairs, donc c'est une sorte d'équilibre, une sorte de bien-être, un signe auquel doit s'accrocher du bonheur.

Si on revient de façon plus générale sur le système scolaire, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Je crois que les aides à l'école... Je crois que par définition ce n'est pas un métier qui peut s'exercer tout seul. Donc je crois qu'elles devraient être partout les aides. A tout moment... Si on veut être efficace, il faut être très professionnel, donc ça restreint inévitablement le champ de l'action. Il faut que très rapidement quand ce professionnel n'est plus dans son champ d'action, il puisse trouver quelqu'un qui à côté – est-ce que c'est une aide, je ne sais pas, je dirais plutôt un accompagnement, un étayage, une complémentarité. Alors là dans ces conditions je pense qu'elle doit être partout. Et puis ça permettrait dès l'instant où on peut aider quelqu'un, on peut accepter d'être aidé alors que ce qui se passe dans l'institution... on a l'impression que les spécialistes de l'aide – "Réseau d'aides spécialisées" – c'est quelqu'un qui est capable de dire, de donner, de décider, de faire mais qui en fait n'a jamais besoin d'aide. C'est peut-être quelque chose sur laquelle il faudrait qu'on se penche : est-ce que, une seule fois dans notre fonctionnement, on a appelé à l'aide des enseignants ou qui que ce soit d'autre ? Hors institution, si, on appelle souvent à l'aide, en supervision c'est certain, mais dans l'institution ? Qui sommes-nous pour ne jamais avoir eu besoin d'aide ? Ce doit être vertigineux pour quelqu'un qui arrive et qui nous voit fonctionner en face...

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

L'avenir des réseaux... Il me semble que ce qui pousse l'institution à changer ce type de fonctionnement n'est pas... il n'y a pas sous jacent quelque chose qui est de l'ordre de la réflexion, de "qu'est-ce qu'on peut apporter de plus et autrement ?"... J'ai l'impression que c'est une question de mode et c'est ce qui m'effraie. On a l'impression – je ne sais pas si c'est objectif – que chacun de nos responsables a besoin – est-ce pour une raison identitaire, je n'en sais rien et ce n'est pas mon problème – de poser quelque chose de leur marque, donc de changer les choses. Si on regarde vraiment, depuis que je suis enseignant, je trouve qu'on n'a pas changé grand-chose. Quand on change quelque chose, ce n'est jamais sur la base de ce qui a été fait ou de ce qui n'a pas été fait, on a l'impression qu'on a fonctionné dans quelque chose qui était peut-être très idéalisé et puis subitement ça ne vaut plus rien... Ce n'est pas vrai, il y a toujours quelque chose à prendre... Je n'ai pas l'impression que, lorsque l'on refait une institution dans l'institution, ça soit sur la base de la précédente. Partant de là, l'avenir des réseaux, c'est l'avenir des caprices de nos supérieurs...

J'en ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous des remarques supplémentaires à formuler ?

Non, je crois qu'on a fait le tour de la question... Je crois que les aides seront toujours nécessaires parce que je n'imagine pas une seule personne qui puisse gérer tout ça... Je crois qu'il faut qu'elles s'organisent dans une sorte d'échange, que chacun puisse aussi être dans ce besoin, cette demande d'être aidé.