Entretien E58 Anne-Marie

Age : 52 ans

Profession : Psychologue scolaire

Diplômes : CAP d'instituteur, Maîtrise de psychologie, DEPS

Anne-Marie : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Anne-Marie : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Chez l'interviewée

Durée : 1 heure 30 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Souffrance, retard, malaise, remédiation, aide.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Souffrance, je pense que l'enfant qui est en difficulté est dans une certaine souffrance parce qu'il se rend compte qu'il n'est pas au même niveau que les autres, qu'il est en retard. Le malaise touche aussi l'enseignant, la famille. J'ai pensé à malaise pour ce qu'il y a autour de l'enfant, l'enfant lui-même c'était plutôt la souffrance. Remédiation et aide, c'est pour ce qu'il faudrait mettre en place pour l'aider, ce qu'on pourrait lui apporter.

Pourriez-vous définir ce que vous entendez par le mot aide ?

Quand j'ai dit le mot aide, je pensais aux aides scolaires, ou aux aides effectuées dans le cadre des collègues maîtres E, maîtres G, ou des aides psychologiques. Alors qu'est-ce que c'est aider qu'un enfant avec des aides proposées à l'école ? Un enfant qui n'a pas trop le désir d'apprendre, le maître G va pouvoir travailler avec lui, essayer de lui faire émerger un petit désir de quelque chose. Par contre un enfant en difficulté scolaire, l'aide apportée par le maître E va être plutôt pointue, disciplinaire.

Je vais vous demander de chercher un enfant en difficulté scolaire, un seul, que vous avez eu l'occasion de rencontrer. Pouvez-vous préciser ce qui se passait et ce qui était fait pour lui ?

Celui qui me vient à l'esprit ? C'est un peu compliqué… Tant pis ? Robert est un enfant actuellement scolarisé à mi-temps en CP et à mi-temps à l'hôpital. C'est un enfant que je connais depuis trois ans qui a été repéré dès la petite section parce qu'il est arrivé sans langage. Cette année-là, je n'étais pas encore sur le secteur, l'institutrice et la rééducatrice ont mobilisé les parents pour qu'ils fassent une démarche auprès du CMP parce qu'elles avaient repéré des choses bien difficiles. Cette famille est allée au CMP et ça c'est, très, très mal passé suite à quoi la directrice les a orientés vers un psychologue privé pour un travail plutôt familial. Parallèlement avait été mise en place une aide réseau avec le maître G qui a dû, je crois, travailler deux ans avec cet enfant. Moi je l'ai connu en moyenne section. La rééducatrice a arrêté de travailler avec lui parce qu'elle voyait bien que ça relevait d'autre chose et donc on a fait tout un travail avec la famille grâce à la mise en place d'un PEI pour les amener à prendre conscience que le réel problème de l'enfant n'était pas un petit problème de troubles de comportement, ce qui les a amenés à refaire une démarche en fin de grande section – ça a été un travail d'assez longue haleine à travers le PEI, des bilans où on voyait que les choses n'avançaient pas bien. En fin de grande section, on a monté un dossier pour qu'il puisse être pris à l'hôpital de jour. Depuis il a refait une grande section mi-temps grande section et hôpital de jour et cette année un mi-temps CP et hôpital de jour.

Comment s'est décidée la mise en place du PEI ?

Je dis souvent que je suis une inconditionnelle du PEI, donc je crois que j'en suis passablement à l'initiative pour cet enfant qui ne relevait plus des objectifs de l'école. Il était en moyenne section mais il n'avait même pas des acquisitions de petite section, c'était vraiment un enfant qui était à part. Donc on a proposé ça aux parents qui ont relativement adhéré. Il y avait beaucoup de monde au début. Parallèlement, il était suivi en orthophonie, je me souviens de PEI où l'orthophoniste, la thérapeute systémique, l'école, les parents, tout le monde venait et s'est bien mobilisé, mais il a bien fallu un an pour que les parents fassent une démarche à l'hôpital – quand on a posé clairement la question de la possibilité de garder cet enfant à l'école. La collègue de grande section a eu l'honnêteté de dire que cet enfant la dépassait complètement, ça a été un élément très important. Je crois qu'elle a eu le courage de dire qu'elle était complètement désarmée, qu'elle ne savait plus quoi faire, qu'elle ne comprenait pas. Et ça a vraiment permis de poser que cet enfant avait vraiment besoin d'autre chose que de l'école et que ce n'était pas ça qui suffirait.

Pour établir un PEI, me semble-t-il, il est nécessaire que le diagnostic de handicap soit posé. Comment dans ce cas précis cela s'est-il passé ?

Notre inspecteur n'exige pas qu'il y ait reconnaissance du handicap, d'autant plus que dans ce cas-là par exemple, dans le cas d'un enfant psychotique personne n'avait posé le diagnostic de psychose, qui ne se pose pas comme ça. Le PEI s'est mis en place parce qu'effectivement, en CCPE on peut dire que ça relève de quelque chose qui est une pathologie lourde et l'inspecteur accepte tout à fait.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

(…) Collègues, temps, collaboration, équipe et synthèses. C'est tout ce qui nous a manqué cette année…

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

Collègues parce que cette idée s'oppose celle du psychologue qui est tout seul, RASED, c'est une équipe et je pense tout de suite à mes collègues. Temps, parce qu'on a manqué de temps pour travailler ensemble, dans les circonstances particulières de mon travail, c'était difficile de se rencontrer régulièrement. Collaboration, je pense qu'on a cheminé en trois ans. Il me semble pour que le travail du RASED, pour que ce soit un véritable travail, il faut qu'il y ait vraiment collaboration entre les trois collègues, je dis trois en pensant aux fonctions, on peut être cinq personnes… On l'a touché du doigt cette fin d'année, il faut que le cas d'un enfant soit vraiment étudié par le réseau et après que ce soit le réseau qui décide de qui doit faire quoi. Sur le secteur dans lequel je travaille, il y a une pratique d'enseignants – qui peut-être étaient habitués au GAPP – qui disent en début d'année : "ça c'est pour Damien, ça c'est pour Isabelle". On le regrette beaucoup en cette fin d'année, ça ce n'est pas un travail de collaboration.

Si j'ai bien compris les indications sont imposées par les enseignants et non pas par l'équipe de réseau…

Voilà. Et c'est quelque chose à laquelle on doit être très vigilant. Il y a effectivement un gamin dont on vient de parler, le maître E dit, et maintenant il s'en rend bien compte, il dit "ce gamin-là n'est pas pour moi", mais l'enseignante n'en a jamais parlé au maître G. En cours d'année, le maître E s'est retrouvé avec ce gamin, ça n'a pas été analysé correctement entre nous et puis voilà… J'ai dit aussi synthèse parce qu'on n'en a pas suffisamment, je crois qu'il y a des endroits où il y en a une par semaine mais nous on est bien loin de ça, si on en a une par mois, c'est bien, on est content.

Et c'est pour quelle raison ?

Je veux bien en prendre beaucoup sur moi, j'ai un secteur très étendu et je ne travaille en réseau que sur une toute petite partie. (…) J'ai un emploi du temps très décousu… Et puis, je crois aussi que le maître E était extrêmement réticent aux synthèses. Mais depuis cette année, il y vient volontiers - moins que ce qu'il aurait fallu – mais il y vient avec des choses à dire au lieu d'y venir sur ces gardes. Il y a quelque chose de positif.

Ces heures sont reconnues sur son temps de service ou non ?

Non, c'est en plus. Mais ce n'était pas pour ça qu'il était réticent. Ce n'est pas trop un gars à compter ses heures. Il avait l'impression que c'était du temps de perdu, que ça ne servait à rien de raconter les histoires des enfants. C'est vrai qu'on a tendance à parler des familles et lui disait, "ça ne m'intéresse pas, moi je fais du scolaire – vous voyez, il était très instituteur – et l'histoire des familles ça ne m'intéresse pas". Alors que c'est lui la dernière fois qui nous a fait remarquer que ça n'allait pas parce que si on avait étudié le cas de cet enfant dont je vous parlais tout à l'heure, ce n'est pas lui qui l'aurait pris, c'est la collègue Isabelle. Que ce soit lui qui le dise, je trouve que c'est un sacré chemin, tout en n'ayant eu que peu de synthèses, au maxi, une fois par mois…

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

C'est beaucoup cinq mots ! Allez, français, maths, lien avec l'école et l'enseignant, aide scolaire.

Pouvez-vous présenter un cas d'enfant qui relève du travail du maître E et dont vous avez débattu en synthèse ?

Ceux qui me viennent à l'idée, ce sont justement des gamins qui ont travaillé avec le maître E et puis après on se rend compte qu'il faudrait autre chose… Alors ce ne sont peut-être pas de bons exemples…

Si ce sont les seuls qui vous viennent à l'esprit, vous pouvez en choisir un et analyser ce qui s'est passé…

Bon, alors je vais vous parler de Matthieu. Il est actuellement en CE2 et il est suivi par le maître E. Il a de grosses difficultés, essentiellement en français, un peu de l'ordre de la dyslexie. On m'a demandé de le voir cette année parce que l'enseignant de CE2 dit qu'il n'avait rien à faire dans sa classe, qu'il ne va pas y arriver et qu'elle souhaiterait le maintenir en CE2. C'est un enfant suivi par le maître E depuis le CP et encore cette année en CE2. Il se trouve que je l'ai vu et il me semble qu'il aurait besoin d'un peu d'autre chose. Sur le plan psychologique, il y a des choses qui ne vont pas très bien et il relève plus d'un suivi psychologique que d'une aide dans le cadre de l'école. Ceci dit c'est un enfant qui a beaucoup progressé. (…) A l'avenir, je ne sais pas si le maître E va continuer mais ça pourrait être concevable.

Comment le maître E conçoit-il le projet de travail avec l'enfant, les objectifs à poursuivre, les activités à mettre en place, les réajustements etc… ? Comment s'est élaboré le travail avec Matthieu par exemple ?

Alors, le maître E, ça dépend beaucoup des enseignants avec qui il travaille. Il y a des enseignants avec qui il arrive à avoir un travail vraiment en collaboration, il n'a pas l'impression de prendre un gamin, de l'emmener à côté, de faire sa sauce et puis de revenir après. Il y en a d'autres avec qui il a l'impression que ça ne sert à rien. Entre autre, avec l'enseignante de Matthieu, c'est difficile parce qu'elle donne des élèves qui sont en grande difficulté et quand lui, il revient avec des éléments positifs de l'enfant, elle répond "c'est l'effet réseau". Et même quand quelquefois il propose des fiches en lien avec le travail qu'il fait, elles ne sont pas reprises, l'enseignante n'en tient pas compte, ils ne se mettent pas trop d'accord… Elle ne cherche pas à savoir à quel niveau il peut en être. Elle, elle continue son livre de lecture… Voilà.

A quoi tient cette difficulté à travailler ensemble ?

J'ai envie de dire que là il y a une question de personnes des deux côtés peut-être. C'est vrai que le maître E avec qui je travaille, c'est quelqu'un d'un peu carré quand même. Là je crois que l'institutrice dont je parle à la fois formule des demandes au réseau d'aides et d'un autre côté je crois qu'elle est persuadée qu'il n'y a qu'elle qui peut apporter une aide à ses élèves et c'est elle qui va les sortir de leurs difficultés. D'ailleurs, ça fait deux années de suite que cette collègue a des élèves qui arrivent en cours d'année, au dernier trimestre, et ces élèves-là, elle ne les signale pas, elle se lance comme ça une sorte de défi et elle décide que ces gamins vont apprendre à lire l'espace de deux ou trois mois mais en les gardant dans sa classe. On est bien sur un problème de personne… Mais il n'y a pas qu'avec elle que ça ne fonctionne pas bien avec le maître E. C'est vrai qu'il a un peu tendance…. C'est quelqu'un qui est très instituteur, très scolaire et les débuts d'année, il est très, très malheureux, parce que pratiquement le jour de la prérentrée, il ferait le tour des collègues pour savoir qui il va prendre. Là on essaie de le faire cheminer, de lui dire "laisse les enseignants et les enfants s'installer"… Il a tendance à partir bille en tête, à prendre des gamins, il est payé pour bosser. Je crois que la part de rencontre et de discussion avec l'enseignant, c'est pour lui rendre sa compétence et lui éviter de se décharger du gamin, c'est quelque chose de difficile mais aussi d'enthousiasmant quand c'est bien fait. C'est donc une histoire de personnes mais aussi la personne du maître E y est pour quelque chose.

Maintenant si je vous dis "maître G", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Rééducation, petit groupe, plaisir, envie, présence

Je vais vous demander d'expliquer davantage…

Rééducation, parce qu'il fait un travail rééducatif c'est-à-dire de reprise d'une éducation inadéquate ou insatisfaisante. Petit groupe, le maître G même s'il ne prend pas toujours des enfants en individuel, c'est toujours des petits groupes, il n'a jamais le nombre d'enfants que le maître E peut prendre. Le collègue peut en prendre cinq, six. La collègue maître G avec qui je travaille prend au maximum trois enfants. Après justement parce qu'on travaille sur ces choses… plaisir, désir. Le maître G, c'est celui qui va aider l'enfant à être bien à l'école. Je le vois plus travailler sur ce registre-là. C'est pour ça aussi que j'ai dit présence parce qu'il me semble qu'il y a un gros travail – la collègue avec qui je travaille le fait beaucoup – un gros travail de présence auprès des enseignants, pour pouvoir écouter ce que les enseignants ont à dire de leurs propres difficultés avec l'enfant. Il me semble que les maîtres G étant beaucoup plus présents dans les écoles que les psychologues scolaires - en tout cas que moi je ne le suis – je crois que la présence du maître G est très importante.

Est-ce que vous pourriez caractériser les différences entre les fonctions E et G ?

Je crois que je l'ai déjà dit, le maître E est vraiment l'instituteur – c'est vrai que sur la plaquette on avait mis le mot soutien et ils n'avaient pas été contents – mais pour moi son axe est scolaire, il est dans le scolaire, les deux collègues avec qui je travaille sont très, très différents par rapport à ça. Le maître E, ça lui arrive de rencontrer les familles mais c'est loin d'être systématique alors que la collègue maître G ne travaille jamais avec un enfant sans avoir rencontré la famille. Le maître E est très scolaire, il fait du français et des maths, il travaille sur l'élève alors que la collègue maître G va plus travailler sur l'enfant.

Existe-t-il des glissements de pratiques sur le secteur ?

Non, leurs fonctions sont bien définies et je crois que si les enseignants se trompent de temps en temps d'adresse, c'est vraiment parce qu'ils se trompent. La collègue maître G, ça lui arrive de temps en temps de parler d'un niveau de lecture mais c'est vraiment à travers autre chose qu'une leçon de lecture qu'elle a pu percevoir le niveau de lecture. Je crois qu'il n'y a pas possibilité dans leur travail de faire de confusion.

Quelles sont les différences que vous percevez sur votre secteur entre le travail du maître E et le travail du maître dans sa classe ?

J'en vois, et même si je ne rencontre pas souvent le maître E, je l'ai souvent vu travailler. Le maître E avec qui je travaille fait du scolaire, ça c'est évident, mais il le fait à partir de choses… Il les amène dans un espèce de petit laboratoire où ils font de la cuisine, donc ils font de la lecture à partir de la cuisine, il leur fait faire de petites réalisations en travail manuel mais il faut qu'ils le lisent… Son travail scolaire est beaucoup plus… il prend le temps de faire ça à travers des choses plus distrayantes que le pur travail de la classe. Mais c'est vraiment du scolaire. Quand ils font leurs petits découpages, il faut vraiment qu'ils lisent leur fiche. Il y a un autre petit attrait qui peut amener l'enfant à trouver un intérêt à lire ou à compter. Parfois dans la classe, je me demande s'ils comprennent bien l'intérêt que ça peut avoir… Lire pour pouvoir réaliser ce qu'on a envie de réaliser, je crois qu'ils le perçoivent tout de suite l'intérêt…

On parle d'une réforme prochaine à propos du réseau, quel est votre avis là-dessus ?

Je ne sais pas ce qui se prépare ! Dans le dernier BO ils parlent des réseaux d'aide…mais je ne l'ai pas lu. J'ai l'impression que les gens avec qui je travaille doivent correspondre à ce que peut-être ils ont envie de mettre en place. Sauf que les liens entre les aides du réseau et le travail en classe laissent parfois à désirer… Et sauf qu'ils n'interviennent pas du tout dans la classe… J'ai deux collègues qui ne vont jamais travailler en classe ! Le maître E a des problèmes d'oreille et l'autre refuse par principe.

Que pensez-vous de la perspective d'un travail dans les classes ?

Ça me paraît intéressant cette idée… parce qu'on éviterait la mise à l'écart de l'enfant en difficulté qui est quand même le gamin qu'on vient chercher, qu'on enlève de la classe et qu'on ramène dans la classe sans prendre en compte ce qui a été fait pendant le temps passé à l'extérieur de la classe… et en passant sous silence, la plupart du temps, ce qui a été vécu par la classe pendant son absence. Donc, ça me paraît intéressant pour l'enfant. D'un autre côté, il me semble que c'est une position quasi impossible, pour avoir travaillé cette question avec des psychologues scolaires. Ayant de plus en plus de demandes d'intervention dans les classes, on avait fait un travail de formation continue. On avait essayé de monter un protocole d'intervention dans les classes. Au bout d'un an, si on devait monter un protocole, ce serait un protocole de non-intervention… parce que très vite on se sent en symétrie avec l'enseignant et celui-ci se trouve dépossédé de sa compétence d'enseignant. Je pense que la présence d'un enseignant spécialisé dans la classe ne serait pas sans poser problème. Du point de vue du gamin, ça pourrait être intéressant mais du point de vue de la concurrence avec l'enseignant, ça ne me paraît pas gagné d'avance. Comment un enseignant spécialisé peut-il intervenir dans une classe en collaboration avec un enseignant sans être là pour faire le manœuvre, c'est-à-dire mettre en place l'atelier que l'autre a décidé ou alors sans prendre la place de l'enseignant ? ça me paraît de la haute voltige que de réussir ça. Si le gamin ne sort pas ça doit être bien, sûrement… Je ne sais pas si vous avez assisté à l'intervention de Mme Durand lors de nos journées. Elle disait que c'était important que les enfants soient repérés très tôt, que les rééducations soient mises en place très, très tôt, quitte à ce que ce soit pour rien, je lui avais dit "quand même un enfant qu'on pointe avec une difficulté, ce n'est pas neutre pour lui". Elle n'était pas trop d'accord… Mais ça me fait penser à ça, ces enfants qui sont pointés, même si les petits copains disent : "Et moi, quand est-ce que tu me prends ?", ils savent très bien que ceux qui sont sortis de la classe pour aller avec Damien ou Isabelle, ce sont ceux qui ont des difficultés et pas les autres. C'est inévitable. C'est comme avec nous les psychologues. Quand on va chercher un élève, ils savent très bien que ce n'est pas le meilleur de la classe qui sort…

Quel est le rôle de l'IEN dans votre réseau ?

Pour moi, le réseau, c'est le grand réseau. Le patron, c'est l'IEN qui nous réunit plusieurs fois dans l'année au niveau de toute sa circonscription. On est entre douze et quinze… On a travaillé par exemple sur les évaluations de grande section, on a essayé de faire un travail en commun. On a travaillé sur la feuille de la secrétaire de CCPE envoyée dans les écoles pour préciser qui on signale au réseau, qui on signale à la CCPE. On a réfléchi ensemble pour essayer de monter des choses à peu près claires… En principe on travaille en sous-groupe, maîtres E, maîtres G et psychologues ensemble pour avoir quelque chose de représentatif. (…) Je ne sais pas s'il nous aide et s'il nous guide, en tous cas, on le sent comme celui qui dirige, qui mène le réseau, c'est son affaire. (…) Il nous demande chaque année une petite évaluation, l'année dernière il a demandé aux collègues combien d'enfants ils avaient suivi, il nous a demandés aussi de faire une petite analyse de l'âge des enfants qu'on avait vu, si c'était plus des garçons que des filles, plus des enfants de fin ou début d'année, voilà ça se limite à des choses comme ça. Je vais être inspectée alors là il me demande un rapport d'activité mais sinon, il ne me le demande pas tous les ans. Je trouve qu'effectivement il ne demande pas grand-chose en évaluation… Parce que je crois qu'il nous évalue très bien en CCPE. Pour les maîtres E et les maîtres G, il demande à voir tous les projets d'aide faits avec l'enseignant et il les signe. Ça, c'est aussi une forme d'évaluation…

Si on aborde le point formation, pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux à étudier lors de la formation E ?

Aucune idée.

Même question pour la formation G ?

Aucune idée.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Pourquoi est-ce que je trouve ça compliqué d'associer cinq mots ?… Oui, plaisir, bonheur, avenir, passage, grandir…

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

On peut penser que l'enfant qui réussit à l'école il peut en tirer un certain plaisir, une certaine joie, une certaine satisfaction. En plus je pense que c'est en lien avec celle de la famille. Avenir, passage et grandir, je pense qu'un enfant qui réussit bien, c'est peut-être un enfant qui grandit bien, qui va avoir un avenir et qui va faire ses passages, au sens de la sixième avec tout le rituel qui peut y avoir derrière… vous savez, ces enfants qui ne réussissent pas, qu'on maintient, ça pose de sacrés problèmes, ils deviennent grands en taille… Un enfant qui réussit à l'école, ça se fait tout seul…

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Je suis assez optimiste, j'entends souvent qu'on va disparaître, je n'y crois pas trop, je crois qu'il y a un véritable travail à faire dans l'école mais que les membres des réseaux d'aide ne se font pas suffisamment connaître dans leurs compétences. Je prendrais comme exemple le formidable coup médiatique que nous fait Monsieur Zorman pour l'enfant en difficulté. J'en discutais avec une collègue rééducatrice à qui on leur a présenté ce travail. Elle disait : "c'est fou, c'est tout ce qu'on fait depuis des années, et ils ont l'impression de l'avoir découvert". Sauf qu'eux, ils ont su se donner les moyens de le faire connaître là où il fallait le faire connaître pour que ça se sache et qu'on s'imagine que grâce à eux on va sauver l'humanité analphabète ou illettrée. Je pense qu'il y a un vrai boulot qui se fait au niveau des réseaux d'aide dans des tas d'endroits même si probablement il y a des brebis galeuses comme partout mais on ne sait pas se faire connaître, on ne sait pas faire savoir ce qu'on est capable de faire. Il me semble que le problème des réseaux d'aide c'est qu'on n'est pas représenté parce que ceux qui nous représentent ce sont nos inspecteurs. Je crois qu'ils sont chargés de représenter quelque chose qu'ils ne connaissent pas parce qu'en fait, ils ne connaissent pas comment on travaille vraiment à la base. Je me rends compte que la Santé scolaire a un conseiller technique auprès de l'Inspecteur d'Académie. Nous, on n'a pas ça. Ceux qui nous représentent ce sont nos inspecteurs qui représentent à la fois les enseignants classiques, généralistes comme vous les appelez et puis les réseaux d'aide. Je crois qu'on est une toute petite quantité de personnel et que du coup notre travail n'est pas connu. Je suis persuadée que notre Inspecteur d'Académie ne sait pas ce qu'un réseau d'aide peut faire. Au niveau du ministère, n'en parlons pas, je ne sais même pas s'ils savent qu'on existe. Mais apparemment, on commence à parler de nous…

Au-delà de la création d'un poste de conseiller technique, quelles voies imaginez-vous pour qu'on ait une place davantage connue et reconnue ?

Je vous parle de mon expérience de psychologue. Je trouve que chez les psychologues on est très parano. On entend souvent : "ils ne nous ont pas donnés de place"… Mais je crois qu'on ne sait pas prendre notre place. Dans notre institution, il y a du travail à faire mais il faut qu'on soit capable de se faire reconnaître, il ne faut pas attendre qu'on vienne nous chercher, qu'on vienne nous demander. Je pense aux PEI par exemple. Quand j'ai entendu au début : "Oui, on n'est même pas marqué sur la feuille, on n'a pas besoin d'y être"… Je crois en fait que c'est parce qu'on y va que les gens se rendent compte que notre place n'est pas inutile, qu'on a une écoute particulière, on y apporte des choses qui sont particulières et du coup, on se fait reconnaître. Du coup, je vois très souvent chez mes collègues psycho qu'ils commencent à dire "on n'a pas notre place" mais ils attendent qu'on vienne les chercher pour leur donner la place. Je pense aux PEI, on ne nous a pas mis dedans mais il y a personne qui nous a empêchés d'y aller. En y allant, du coup, il y a une place qui nous est reconnue. Je vois les collègues maître E, maître G avec qui je travaille, s'ils interviennent auprès d'un enfant pour lequel il y a un PEI, ils sont toujours présents au PEI, moi je les fais tous. Et je pense que ce soit les gens du CMP, de l'hôpital de jour ou les collègues enseignants, il n'y a personne qui pense aujourd'hui qu'il n'y a pas besoin du psychologue ou des collègues du réseau au PEI. Tout le monde est persuadé que notre place est importante mais on n'est pas au ministère. Au ministère, il y a des associations qui nous représentent là-haut… On a l'impression de ne pas être beaucoup entendu quand même…

J'en ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

On est en train de faire les frais, nous les gens des réseaux d'aide, probablement de dérives parce qu'il y a dû y en avoir et… je ne sais pas trop pourquoi ce sont des gens qui ont été touchés par ça à qui on a demandé de faire ces fameux rapports… Mais il faut être clair. Un psychologue scolaire, ce n'est pas fait pour faire de la thérapie, un maître G non plus. Un maître E, ce n'est pas fait pour faire le boulot d'un maître G, je crois qu'il faut qu'on soit bien clair, chacun à notre place pour pouvoir être reconnu. Lors de la dernière rencontre qu'on a eu avec Monsieur Descours, Inspecteur AIS du département, pour travailler la question des troubles de comportement et d'une réponse à apporter, on s'est dit : "qu'est-ce qu'il cherche, qu'est-ce qu'il veut, par derrière, pourquoi il provoque ça ?" On ne sait pas trop, on a l'impression de toujours être soupçonné, de ne pas faire ce qu'on doit faire, c'est curieux cette position… Ce qui s'explique aussi. On est quand même des personnels très libres dans l'Education Nationale. Un enseignant est dans sa classe, il est coincé par ses élèves. Nous, on est à droite, on est à gauche, on ne sait pas trop où on est, on doit être un personnel un peu mouvant, plus difficile à contrôler, probablement que du coup c'est aussi plus facile qu'il y ait eu des dérives mais globalement j'ai toujours entendu parler de gens très consciencieux. C'est vrai qu'on a parlé à midi d'un type qui ne foutait rien mais c'est l'exception. Je suis assez optimiste par rapport aux réseaux d'aide. Ce que je verrais bien, c'est que la Santé scolaire ne soit complètement à part du réseau d'aide (…) Je trouve que c'est dommage que dans les réunions de circonscription du réseau d'aide, la Santé scolaire ne soit pas présente. Il me semble que le travail devrait se faire aussi en collaboration avec la Santé scolaire. Je trouve qu'il y a des choses qui ne vont pas. Ils passent derrière tout un boulot qui est fait depuis longtemps, elles disent : "il faut aller chez l'orthophoniste alors que nous, on rame depuis un an pour que surtout ils n'aillent pas vers un orthophoniste privé mais au CMP parce qu'on se rend bien compte qu'il y a autre chose que de l'orthophonie…Et eux ils cassent tout en un quart d'heure de rencontre, c'est dramatique. On ferait du meilleur boulot si la Santé scolaire travaillait avec nous.

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de psychologue est-elle importante pour vous ?

Ça occupe toute ma vie. (…) parce que c'est en relation avec l'humain. Je ne le vois pas comme une profession. Ça fait partie de ma vie. Je ne me sens pas du tout – c'est idiot ce que je dis parce que je suis salariée - je n'ai pas l'impression d'être quelqu'un qui va travailler… C'est quelque chose qui est intégré à ma vie. Je travaille comme un travailleur indépendant. J'accomplis un travail, tant qu'il n'est pas fait j'estime qu'il faut que je donne pour le faire… Voyez, je ne vis pas mon boulot dans un esprit de salarié, je travaille de telle heure à telle heure, je fais tant d'heures, je ne conçois pas les choses comme ça. Je me sens ayant une tâche à accomplir, donc quand il faut y être, j'y suis. Les tâches administratives, je ne les fais pas sur mon lieu de travail, je les fais à mon domicile. Je suis incapable de rester à mon bureau pour faire de la présence, souvent j'ai besoin d'y être parce que j'ai des gamins à prendre mais j'ai toujours dit à mon inspecteur (…) "je suis incapable de faire de la présence à mon bureau, mais par contre à d'autres moments, s'il faut y être un peu plus j'y suis".