Entretien E60 Clémence

Age : 49 ans

Profession : Psychologue scolaire

Diplômes : CAEI option D, DEA et DESS de Psychologie, DEPS

Clémence : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Clémence : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de réseau

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Echec scolaire, mauvaise image de soi, rapports sociaux difficiles, relation à l'autre difficile et je vais dire mal-être.

Pouvez-vous préciser chaque idée ?

Echec scolaire parce que de ma place de psychologue en milieu scolaire, c'est la première chose qui m'arrive pour le signalement. C'est pour ça qu'il y a enfant en difficulté. Ça m'arrive par l'enseignant, la famille ou mon réseau. Mauvaise image de soi, c'est par rapport à l'enfant, c'est l'enfant qui se sent mal et la demande vient parfois des enfants qui m'interpellent en me disant : "Prends-moi, j'ai envie de parler, ça ne va pas". Je mets en place le dispositif pour pouvoir les prendre et quand l'entretien suit, la première des choses que j'entends c'est : "Je suis nul". "Je suis nul, ce n'est pas le maître…" Ensuite rapports sociaux difficiles, c'est soit l'inhibition soit la violence mais c'est difficile avec les autres dans la cour, dans la classe, dans tout groupe où il y a d'autres enfants.

Pouvez-vous préciser cette relation difficile…

Oui, relation à l'adulte, relation à lui-même et relation à l'autre enfant difficiles. Ça se rejoint un peu mais ce n'est pas tout à fait pareil.

Et mal-être ?

C'est l'enfant qui arrive à être mal dans la famille dans la classe, pour lui, partout.

Je vais vous demander maintenant de retrouver un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer. Pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui était fait pour lui ?

Avec des critères ?

Non, un enfant, un seul, celui qui vous vient à l'idée…

C'est une enfant qui est signalée en CP, relation difficile à la maîtresse, échec scolaire massif, n'écrivant pas, ne parlant pas mais bougeant en classe, sous la chaise, pas de production écrite, grand désir d'y arriver mais impossibilité de mettre quelque chose en place, mère difficile par rapport au contexte de l'école parce qu'une mère avec peu de moyens intellectuels et en même temps une mère souffrante et voulant s'occuper de l'éducation de sa fille ayant peu de moyens et ayant vécu une histoire douloureuse de divorce avec la justice, des enfants enlevés, mais voulant faire le maximum pour cette enfant. Voilà le contexte à peu près brossé. Cette enfant arrive signalée par l'enseignante, faisant "mousser l'école" c'est-à-dire qui crée un réel problème dans l'école, donc prise en compte de son signalement, alors là déploiement des moyens techniques du réseau, bilan rééducatif, bilan pédagogique par la maîtresse d'adaptation, bilan psychologique par le psychologue – qui est moi. A partir de là entretien avec la mère et décision d'un suivi en aide rééducative. Un bon accrochage entre la rééducatrice et l'enfant qui réussit en petit groupe en relation duelle, toujours en échec dans la classe. L'enseignante ne supporte pas cette réussite d'un côté et l'échec massif de l'autre donc elle fait tout ce qu'elle peut pour que cette enfant soit orientée en établissement spécialisé. Or elle n'en relève pas. Dossier pour en référer au supérieur hiérarchique en CCPE. Changement de classe à l'intérieur même de l'école, l'aide rééducative se poursuivant de manière intense. Mise en place d'un soin psychologique à l'extérieur donc aide multipliée, une maîtresse ayant intégré qu'il fallait changer l'image de l'enfant donc prise en compte de l'enfant, essai de l'école d'imaginer un changement d'image… Tout se passe bien. A la rentrée suivante, changement de classe, on repart à zéro sur l'image dans l'école et par rapport au scolaire malgré les aides multipliées, les rencontres avec la mère qui prend énormément en compte l'éducatif et les conseils d'éducation qu'on lui donne – enfant mis au centre social, ayant des activités, soins psychologiques multipliés en individuel et en groupe – Cette enfant échoue et cette année au bout de trois ans de prise en charge va être orientée en établissement spécialisé.

Comment pouvez-vous analyser l'échec de l'équipe enseignante par rapport à cette enfant-là ?

Cette enfant pose problème parce que son fonctionnement psychologique est pour l'institution entière une alerte, une demande d'aide qui ne peut pas être entendue parce que l'image de cette enfant est trop mauvaise, en tout cas n'est pas ce qu'on attendrait d'elle et il y a un dysfonctionnement dans les prises en charges.

C'est-à-dire ?

Un dysfonctionnement venant de l'institution parce qu'à l'intérieur de l'institution on ne peut pas changer une image comme ça, aussi "moussante" je ne veux pas prononcer un autre mot et il y aurait dû avoir changer d'école de manière à changer l'image et c'est ce qu'on va faire par l'orientation. J'affirme encore une fois que cette enfant ne relève pas d'établissement spécialisé. Et le soin mis en place par ailleurs doit aussi à mon avis dysfonctionner à un moment donné, tout simplement par une absence non remplacée, qui fait que le soin n'est pas aussi intense qu'il devrait l'être.

A l'extérieur, le soin a été suspendu ?

Pas entièrement, mais il est plus difficile je vais dire. Donc plusieurs contextes, mais surtout institutionnellement, il faut que l'enfant soit orienté vers un établissement, ce qui me paraît être la meilleure chose pour l'instant, pour casser l'image de l'enfant.

Si j'ai bien compris, au niveau des enseignants, avec deux ça n'a pas fonctionné du tout et avec un, dans l'intermédiaire, ça a bien fonctionné ?

Oui, tout à fait... parce que le regard de l'enseignant arrive à être en accord avec tout ce qui se passe autour pour l'aide et accepte certains débordements tout en cadrant là où il faut, accepte de regarder autrement et accepte y compris de se faire exclure par l'équipe pour garder une image positive de cette enfant. Il est très facile de véhiculer une mauvaise image de l'enfant au cours des récréations. Il est beaucoup plus difficile de se positionner en disant : "c'est moi qui l'ai, c'est moi qui en suis responsable, on la laisse tranquille, on n'en parle pas". Il y a des paroles qui circulent, qu'on n'arrête pas et qui devraient être dans d'autres lieux. En ça, je dis qu'il y a dysfonctionnement de l'école, de l'institution.

Est-ce qu'on pourrait imaginer quelque chose pour briser des événements de cet ordre-là ?

(rires)… Beaucoup de paroles… Je crois qu'on pourrait briser des choses comme ça, parce ça c'est un cas mais il y en a "x" comme ça, dans le même système, on pourrait casser ça peut-être en mettant de la formation à la communication entre adultes dans les équipes des écoles, en tout cas où c'est difficile - j'en mettrais volontiers partout mais je commencerais dans les écoles difficiles - et un lieu de parole avec un extérieur à l'institution de l'école, un lieu de parole pour déculpabiliser les enseignants lorsque l'enfant en difficulté n'y arrive pas… parce que je pense que beaucoup d'enseignants fonctionnent sur le mode de la culpabilité lorsqu'un enfant ne réussit pas. L'enfant qui ne réussit pas culpabilise l'enseignant. Si l'enfant progresse avec les aides à la rigueur ça va mais si l'enfant ne progresse pas – il n'a plus le droit de ne pas progresser l'enfant qui est pris en charge – et à plus forte mesure s'il progresse en cachette de l'enseignant, l'enseignant – je le dis avec mes mots du midi – l'enseignant monte au créneau. Là, il riposte à ce qu'il perçoit comme une attaque et alors on ne peut plus, on a beaucoup de mal à casser l'image. Donc beaucoup de communication dans l'équipe et un lieu de parole pour les réelles difficultés de relation, parce qu'il y a réelle difficulté de relation avec cette enfant, là on est clair. Je ne dis pas qu'elle est facile, elle pose beaucoup de questions.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED, en dehors de la signification stricte des lettres ?

Aide aux enfants en difficulté, après je vais être plus incisive, planqués de l'Education Nationale, ce ne sont pas forcément des mots auxquels j'adhère, relation avec les familles, dépannage et urgence.

Pouvez-vous développer ?

Aide aux enfants en difficulté parce que je pense que lorsque le réseau est bien ciblé dans l'école, dans certaines écoles, le RASED véhicule l'image de la possibilité d'aide pour les enfants en difficulté dans la classe. C'est une image qui est passée. Je ne dis pas que tout le monde s'emploie à s'en servir mais certains pensent à venir nous voir pour des demandes d'aide.

Pourriez-vous définir le terme d'aide justement ? Qu'est-ce que ça veut dire aider ?

Alors là… Répondre à la difficulté que rencontre l'enseignant avec un enfant ou une famille. Il pense qu'il y a un lieu pour les aider. Il vient vers nous. Après les différentes aides, ça je crois qu'ils ne comprennent pas trop. Si le psychologue est ciblé, même trop ciblé, après quand on leur parle adaptation, rééducation, là ils ne savent plus et je crois que c'est à juste titre. Comme c'est fait, c'est quand même un bon mélange de tout puisque dans certaines écoles il n'y a qu'une adaptation, dans d'autres, il n'y a que la rééducatrice, dans d'autres il n'y a que le psychologue, c'est vrai qu'après ils nagent. Leur seul repère, c'est le lieu d'aide, ils savent qu'on va les écouter, les entendre et arriver à voir quelque chose par rapport à l'enfant ou la famille.

Vous aviez dit aussi les planqués de l'Education nationale…

Alors les planqués de l'Education Nationale parce qu'on a une image d'exclu de tous les problèmes de la classe, parce qu'on n'a pas trente élèves dans notre local. Quand on a un enfant, ça va… "Si tu l'avais tout le temps et avec trente"… par rapport à moi, je pense que ça joue un peu moins parce qu'on attend de moi autre chose mais par rapport à mes collègues rééducatrices et d'adaptation c'est clair qu'elles ne font "rien" entre guillemets.

Vous croyez qu'il y a de la rancœur ou de l'agressivité dans ces remarques ?

Non, je ne pense pas rancœur ou agressivité, je pense simplement à la fatigue de l'enseignant devant le nombre, le programme, les difficultés réelles dans leur classe… Quand ils voient un ou deux enfants dans des groupes, ils disent : "il faudrait qu'ils prennent la classe"… Je crois que c'est plus par rapport à la fatigue de l'enseignant qui n'en peut plus… rancœur, je ne pense pas.

Vous avez dit aussi relation avec les familles…

Oui, je pense que dès qu'il y a un problème avec la famille on pense au RASED parce que quelque part la famille va être convoquée, entendue, on va en parler et il y aura aussi une mise en relation avec l'enseignant donc à ce moment là on pense bien que ça va circuler entre RASED, famille et enseignant… Et l'enseignant va pouvoir mieux travailler avec l'enfant.

Dépannage ?…

C'est quand j'arrive dans une école, s'il y a un cas qui "sklatche" "on ne sait plus que faire de tel ou tel", "viens donc". Moi j'appelle ça, dépannage, psychologue Darty…(rires) ou une famille qui ouvre la porte, quelque chose ne va pas, vite on pense "oh, elle est là" et ma présence déclenche une demande immédiate "je ne sais pas que faire, aide-moi, explique-moi". Et urgence, c'est quand il y a des problèmes majeurs de violence, des coups, quand il faut passer par la justice ou le médecin alors en général aussi on arrive au réseau.

Maintenant, si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Pédagogie différenciée, petits groupes, réussite, il y a dans la tête de certains "spécialisés" mais pour d'autres on est obligé de le rappeler, signalement.

Est-ce que vous pouvez développer davantage ? pédagogie différenciée…

Pédagogie différenciée, si la maîtresse n'arrive pas dans la classe avec un enfant en difficulté, on va le mettre en adaptation pour lui donner un coup de pouce. Donc une autre pédagogie, en petits groupes, ça marche ensemble. On n'attend pas que la maîtresse d'adaptation fasse échouer le projet mis en place. Il faut que l'enfant réussisse. Parallèlement il faut que la maîtresse d'adaptation réussisse à faire réussir l'enfant. Elle y arrive quand l'aide est bien ciblée... quand l'aide est "pansement" non.

Spécialisés ?

Après coup vient seulement l'idée que cette maîtresse E a une formation d'enseignant spécialisé, donc elle peut comprendre un enfant en difficulté. Mais ça n'arrive qu'après coup, peut-être parce qu'on le dit, moi, je le dis très fort.

Signalement ?

Signalement parce que quand un enfant est en difficulté, on ne passe pas forcément tout de suite par les papiers de signalement mis en place par le réseau mais on commence à prendre entre deux portes la maîtresse d'adaptation, plus accessible que la rééducatrice ou la psychologue qui va donner tout de suite des feuilles et qui va dire "on va attendre" (rires)...

Par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure au niveau de la pédagogie différenciée, quelles sont les différences perceptibles entre ce que fait le maître E et l'enseignant dans sa classe ?

Pédagogie différenciée, c'est-à-dire que quand on met l'aide du maître E en place, ce n'est forcément dans la même classe, mais elle concerne la même difficulté d'apprentissage. Pour les difficultés d'apprentissage, il y a donc une pédagogie spéciale pour telle difficulté alors qu'en classe, je le vois plus – sur le terrain, pas dans la théorie – c'est plus de la pédagogie un peu individualisée. Si un enfant est lent, on va lui raccourcir le texte. Je vois plus ça sur le terrain que de la vraie pédagogie différenciée.

Je vais vous demander maintenant cinq mots pour maître G…

Planqué, aide au changement d'image de l'enfant, relation avec les familles, aide individuelle bien sûr, réseau.

Je vais vous demander de préciser. Planqué ?

Planqué, ça c'est l'image que l'école colporte sur la rééducatrice. Elle est planquée, elle n'en a qu'un… C'est très dur d'entendre ça surtout quand on connaît l'envers du décor. Après j'ai dit aide au changement d'image de l'enfant, planqué, c'est la première réaction après quand on voit changer un enfant en réelle difficulté, là on pense que le rééducateur a bien travaillé… changement d'image par rapport à l'école, quand l'enfant commence à se réintégrer dans un processus de scolarité ou un processus d'apprentissage, quand l'enfant arrive à se sortir de cette nullité qu'il a en lui, pour dire "je peux réussir autrement et ailleurs et peut-être là". Alors souvent c'est associé avec le travail avec les familles et avec l'enseignant.

Aide individuelle ?

Aide individuelle parce que souvent la difficulté est telle que ça nécessite le travail avec un seul enfant à la fois. C'est un travail sur l'enfant et sur la relation à l'enfant, sur les rapports avec l'école, la famille.

Et réseau ?

Derrière le rééducateur, je pense que les gens ont conscience qu'il y a un réel travail de groupe parce que d'abord, dans la décision d'intervenir, il y a des synthèses de réseau, il y a le réseau, les enseignants sont souvent présents aux réunions de synthèses donc ils les voient ailleurs qu'avec un enfant dans leur salle.

Pouvez-vous préciser la façon dont vous travaillez ensemble ?

Je suis réseau, réseau jusqu'au bout des ongles, quand je l'ai, parce qu'il y a aussi des écoles où je suis seule. Dès que je l'ai, on ne peut plus… m'accéder, j'allais dire, autrement que par les documents que l'on a mis en place ensemble dans le réseau, c'est-à-dire la fiche de signalement, avec les renseignements sur l'enfant, la famille… ce qu'on attend du réseau, qu'on précise les choses et on a même mis une feuille d'autorisation commune pour voir l'enfant. On s'est mis donc les trois pôles – rééducateur, psychologue et maître E - et les parents signent pour les trois pôles possibles d'intervention du réseau. Moi, j'ai une réaction réseau tout de suite à partir de ce signalement qui peut nous arriver par n'importe quel moyen… Même entre deux portes, du moment qu'il y a un écrit, peu importe par qui ça arrive. Là après, on a des réunions de synthèse en réseau avec les trois pôles, on met en commun les informations et on dispatche les choses selon ce que l'on sent, ce que l'on sait… A ce moment-là, on voit ce qui est le plus judicieux pour continuer un bilan, parfois c'est la rééducatrice qui fait son bilan, ou l'adaptation, ou le psychologue, après c'est à l'intérieur du réseau que s'effectue le ciblage et le suivi d'aide. Donc, bilan, rencontre avec la famille et aide… ça nous arrive très souvent de rencontrer la famille à deux, psycho et maîtresse d'adapt ou rééducatrice dans un premier contact, ce qui est très agréable pour tout le monde, j'ai l'impression. Après chacun se positionne avec son travail. Il m'arrive de rencontrer des familles, seule, pendant que le rééducateur travaille avec l'enfant parce que la famille est trop… difficile, donc je suis la famille, laissant travailler le rééducateur avec l'enfant, je suis garante du travail avec la famille, il y a des choses qui se mettent en place…

Comment et avec qui le projet de travail avec un enfant est-il conçu ?

De toute façon le projet est toujours fait avec l'enseignant. Chaque personne qui prend l'aide en charge construit le projet avec l'enseignant. L'enseignant est toujours là… la famille, l'enseignant, l'enfant, et le réseau, on est toujours quatre. Donc au maximum on essaie d'être présents, les trois pôles, pour le projet. Je dis au maximum, parce que dans la réalité sur le terrain, après on court partout et il manque souvent un pôle, mais il y a au moins un de nous qui est garant de ce projet-là et qui est là. Après on en rediscute en synthèse. On a un suivi de dossiers en synthèse. Mais il nous arrive parfois d'en sauter, c'est clair. Et on a aussi des synthèses avec l'extérieur, ce qui nous permet de récolter des éléments qui affinent le projet ou l'objectivent.

Existe-il habituellement des liens entre ce qui se fait à l'intérieur des aides spécialisées et ce qui se passe dans la classe ?

Ça dépend des enfants et des aides. Mais en général, on essaie au maximum de faire des liens, plus d'ailleurs en adaptation qu'en rééducation, parce que c'est plus compliqué. Mais au maximum quand elles le peuvent, elles le font.

Pouvez-vous en donner un exemple précis dont vous avez débattu en synthèse ?

Par exemple, comme je sors d'une synthèse avec la maîtresse d'adaptation, c'est tout frais… Donc appelons l'enfant Killian, Killian n'arrive pas dans la salle d'adaptation tranquillement. J'ai expliqué le pôle psychologique du fonctionnement de l'enfant en disant : "je comprends que ce soit difficile pour lui actuellement, il est sur un versant dépressif, qu'est-ce qu'on pourrait mettre en place pour que ce soit favorable ?" Et la maîtresse a dit que le moment de l'aide n'était peut-être pas judicieux parce que quand la maîtresse d'adaptation venait chercher l'enfant, qui est une grande section, pendant un moment d'accueil propice aux jeux. Donc là déjà, ce n'est pas judicieux de sortir l'enfant du jeu. Sur ce point, la maîtresse a dit "je peux m'arranger" et la maîtresse d'adaptation a mis un projet en place où elle ramène – en fait, elle passe par la manipulation - ce qu'il fallait pour l'enfant – elle passe par des fiches de cuisine où il va ramener le goûter de la classe, donc là, lien direct école /maître E. Depuis trois fois, il fait des crèmes, en même temps, il lit, enfin il décode, et en même temps le petit groupe d'adaptation ramène la crème faite. La maîtresse et la maîtresse E ont adapté le lien de travail et on reparlera de ce passage-là à la prochaine synthèse.

En quoi la différenciation E/ G vous semble-t-elle pertinente ? Quel est l'intérêt d'avoir découpé ces aides de cette façon-là ?

Si dans le réseau, il y a les deux pôles E et G, le découpage est judicieux parce que certains enfants ont réellement besoin d'un travail individuel pour travailler dans leur propre relation à eux ou à l'école ou à l'image de l'échec qu'il se traîne ou par rapport à sa famille, donc là c'est vraiment l'aide rééducative qui va marcher, enfin qui est à mettre en place, qui va répondre à la difficulté par laquelle l'enfant nous alerte. Si c'est réellement une méthode d'organisation méthodologique d'apprentissage, d'ordre cognitif strict, il vaut mieux le maître E. S'il y a les deux, on peut faire la différence et en général, pour ma part, il me semble lorsque l'enfant "bouge", je ne parlerai pas de progrès, très rapidement quand l'aide est mise en place, c'est que l'aide est judicieuse. S'il ne bouge pas, je reprends généralement les demandes, pour voir ce quelque chose qu'on n'a pas vu ou entendu. Pour moi, le bon critère c'est quand ça bouge. Mais parfois ce n'est pas apprécié, quand par exemple un enfant inhibé se met à faire le sot en classe, je dis "c'est très bien, il progresse", la maîtresse râle mais on explique que c'est un bon signe… et c'est entendu. Il ne bouge pas comme la maîtresse voudrait mais ça c'est autre chose. Ceci dit, il est rare que dans les écoles, on ait les deux aides sur le lieu de l'école... ça nous arrive pour nous dans une école où on l'a mis en place volontairement et on s'aperçoit que là c'est judicieux. Par contre, dans les écoles où il n'y a que l'adaptation ou que la rééducation, ça ne devient plus du tout justifié parce qu'on s'aperçoit sue le terrain que c'est très difficile de ne pas répondre. Si on est très strict, on n'aide personne ou très peu, si on n'est plus strict, le rééducateur va faire quelques aides du maître E et je ne vois pas comment il pourrait passer autrement et le maître e va faire aussi quelque chose de l'ordre de la rééducation. Je ne vois pas comment on peut faire autrement. Je ne vois pas comment l'enfant peut être élève "rad", élève rééducateur, élève psy, élève /enfant, élève /école, ce n'est pas possible.

Donc il existe des glissements de pratiques qui sont dues au manque de personnel ?

Tout à fait. Par manque de personnel. Parce quand on arrive à le mettre en place sur une école, on s'aperçoit que c'est drôlement judicieux. Parfois, il existe des glissements possibles d'une aide à l'autre parce que tel enfant va mieux par rapport à lui-même, par rapport à sa relation et on peut passer en adaptation et on peut jouer sur cette possibilité-là. Ça arrive. La rééducatrice dit : "stop, maintenant, je le verrais bien en adapt". Et ça se passe et je trouve que c'est bien. Quand je dis, c'est bien ce n'est pas un jugement, c'est… performant. Sinon, c'est obligé qu'il y ait des glissements…

On parle d'une réforme prochaine des réseaux. Quelle position soutenez-vous par rapports à aux perspectives qui se dessinent ?

La réforme prochaine étant ?

Sans doute que les réseaux vont être modifiés. Suite aux rapports Gossot et Ferrier, il y a des bruits qui courent…

Je vais vous dire ma position très personnelle. S'il n'y a plus de rééducateurs, il faut qu'ils s'en prennent à eux-mêmes car ils ont fait leur propre mort. On ne confond pas rééducateurs et psychologues. Je crois qu'à un moment donné, je ne parle que de ma région que je connais bien, la formation du psychologue était complètement à côté de la plaque et la même année, la formation de rééducateurs était une formation psychologique. Il est certain qu'en confondant les formations, on va contribuer aux mélanges sur le terrain. Moi, je suis pour que chacun ait sa place avec un rôle précis. Je pense que les rééducateurs ont bien poussé et ils sont arrivés à leur propre mort. Ce que je viens de dire pour les rééducateurs, je vais le redire pour les psychologues actuellement. Il y a des mouvements qui se font au sein des psychologues, montés ou non en association – c'est encore autre chose - mais on court aussi à notre propre mort si on tombe dans certains panneaux. On est psychologue, mas il ne faut jamais oublier qu'on exerce en milieu scolaire. En d'autres mots, si on est frustré d'être rééducateur et de n'être pas devenu psychologue, il vaut mieux ne pas être rééducateur, sinon, on va risquer de pervertir le système et si on est psychologue de l'Education Nationale… j'allais dire raté ou en tout déçu de ne pas avoir ouvert un cabinet en libéral, il vaut mieux ne pas être psychologue dans l'Education Nationale. Si on n'a pas en tête notre propre rôle, le lieu où on est, le cadre où on travaille, on n'a rien à faire là où on est. Ça m'étonnerait dans quelques temps que les psychologues scolaires soient crédibles autant que des extérieurs ou des CMP parce que la Santé scolaire pousse et pas forcément judicieusement. Là, je crois qu'il y a des mélanges de la part de tout le monde. Je crois qu'on n'est pas assez strict. Le maître E est moins en cause pour la bonne raison qu'il répond davantage aux normes institutionnelles qui sont demandées : plus d'élèves en même temps… c'est clair qu'eux ne peuvent pas faire les maîtres dans la classe. L'adaptation est en train de monter, mais elle ne répondra pas à toutes les difficultés des enfants sur le terrain. Par ailleurs, je trouve dommage que les rééducateurs n'aient pas tenu leurs rôles et soient en train de mourir… Là je sais de quoi je parle parce qu'on a un poste fermé par un départ en retraite donc une perte sèche d'AIS, parce que là il n'est même pas transformé en poste d'adaptation. D'un côté je râle parce qu'on ne pourra pas travailler et d'un autre côté je dis que les rééducateurs, via la FNAREN ont couru à leur propre mort. Et je pense que les psychologues scolaires, avec ce qui est train de se mettre en place, vont connaître le même sort… Je ne sais pas ce que vont devenir les RASED. Je pense que ceux qui restent auront à être très créatifs pour inventer des méthodes nouvelles. Pour les psychologues, je pense que pour les plus grands, on pourrait imaginer des lieux de parole, ça veut dire moins d'entretiens individuels, je creuse aussi l'idée d'un groupe de communication entre enseignants et enfants. On appelait ça avec Freinet les conseils d'enfants… mais pourquoi le psycho ne pourrait-il pas être là pour maintenir la communication possible, pour apprendre et aux enfants à s'exprimer autrement que ce qu'on entend sur les trottoirs ou dans la cour et aux adultes enseignants de pouvoir entendre ce que l'enfant a à dire, donc là un rôle de facilitant de la parole. Je crois beaucoup à la communication qui n'a jamais été mise en place dans les équipes. A mon avis, s'il y a un créneau de possibilités d'aide, il est dans… je n'oserais pas dire formation mais dans une remise en cause de la communication dans les équipes elles-mêmes, enseignants /enfants et bien sûr enseignants /familles mais ça c'est plus dans le projet ZEP, y compris dans ce que font les sociologues sur le terrain. Je penche plus vers de nouvelles façons d'être, comme ça.

Comment concevez-vous l'évaluation des réseaux ?

Le rapport Gossot est passé par-là (rires)… Bien difficile. D'ailleurs, nous on a planché l'an dernier pendant des séances… Quantitatif, ça c'est facile, n'importe comment on est avec des demandes au dessus de la tête surtout les psychologues – j'ai pour donner une idée un secteur de presque trois mille élèves -. Donc c'est vite fait : par catégories socioprofessionnelles, par catégories de signalement, par école etc… Ce qui est comptage, ça va. Quand on passe au qualitatif, les indicateurs à mon avis ne sont pas valables tout simplement parce qu'on ne les place pas dans le temps. Je crois simplement qu'on ne peut pas mesurer le travail du rééducateur ou du psychologue, on ne peut pas mesurer le poids d'une parole - même celui du maître E parce qu'il parle aussi – on ne peut pas évaluer l'impact d'une parole sur l'avenir de l'enfant. Prendre la réussite de l'enfant lorsqu'il a été aidé, ce n'est pas que ça. L'indicateur est trop petit. Un enfant qui réussit, on va dire : "tant d'enfants signalés, tant d'enfants qui réussissent". Pour moi, ça ne suffit pas. Ça va au-delà. Un enfant peut ne pas réussir tout de suite et se rappeler que… en tous cas avoir fait l'expérimentation à un moment donné, autrement dit la graine va lever mais dans x temps. Dans le temps, dans l'avenir des enfants, on n'a pas la possibilité de faire des statistiques… J'aimerais qu'il puisse y avoir des statistiques à long terme. Les indicateurs que l'on a sont très subjectifs et là, on n'est pas crédible. Ça donne des gens qui font dire n'importe quoi à des termes subjectifs. (…) Le rapport Gossot n'a pas d'indicateurs plus pertinents que les nôtres qui lui permettent de dire ce qu'il a énoncé. Je n'y crois pas. En plus le nombre d'entrées en SEGPA ne correspond pas aux nombres d'enfants qui ont été aidés. En plus on ne prend pas en compte les refus de parents pour des enfants signalés, ceux par exemple qui échouent en sixième qui vont retomber en SEGPA. Les enfants qui sont en échec et pour lesquels les parents refusent toute aide, ce n'est pas l'échec du réseau, c'est un échec de l'ensemble famille /école /réseau /enfant mais la notion d'ensemble n'est pas ciblée dans les indicateurs. Moi, je souhaiterais une évaluation de l'ensemble, puisque la gestion des problèmes passe forcément par l'implication de chacun famille /école /réseau /enfant.

Quel est le rôle de l'IEN dans votre réseau ?

Chaque année, elle nous rencontre, ceci dit, elle a entière confiance dans le réseau et donc ça se passe bien. Lorsqu'on lui pose une question ou un problème qui arrive sur le terrain, on lui demande un rendez-vous. Elle est toujours disponible pour nous rencontrer, soit un, soit deux, soit tous. Elle n'a pas peur de se mouiller avec nous, ça on apprécie beaucoup et elle met des réponses dans la possibilité de ses moyens, soit elle dit non parce que ça ne lui va pas mais en général on trouve des choses possibles… On se plaignait justement que l'image du réseau n'était pas valorisée, ça c'était l'an dernier, donc on a lui a dit. Elle a répondu : "très bien, alors réunion pédagogique obligatoire". Ce n'était pas forcément une bonne réponse, en attendant tous les enseignants de la circonscription ont eu des réunions d'information obligatoires, organisées par nous, réseau. Au moins, c'est nous qui étions en face de nos directeurs et enseignants, on avait associé la CCPE, la CDES… ça, c'est vraiment une réponse typique de l'IEN que nous avons, qui prend en compte nos problèmes et qui essaie d'y répondre. Là, elle nous a dégagés du temps, du coup maintenant les enseignants ne peuvent pas dire qu'ils ne sont pas informés. Ils ont tous entendu la même chose au même moment. En ce moment, sur une école, il y a un problème d'effectifs d'enfants très en difficulté, on est en train d'imaginer une nouvelle façon de fonctionner, de créer une classe passerelle. Le réseau a posé les problèmes, elle nous a reçus. On a eu un temps de travail commun pour essayer de mettre les choses en place et après les directeurs sont venus pour travailler cette idée qui pourrait naître… On essaie de trouver des possibilités de travail avec ces enfants en difficulté. Donc bonne écoute, bonne entente et bonne prise en compte…

Si on aborde le point formation des maîtres spécialisés, pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux à étudier lors de la formation E ?

Vous allez me piéger là…aucune idée. Si je sais, non…

Et lors de la formation G ?

La formation G est très secrète..

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Un élève bien dans sa peau, un enfant qui parle, enfin qui communique, qui a de bonnes relations, c'est-à-dire avec lui-même et avec les autres, un enfant qui a le désir d'apprendre, curieux quoi, et un enfant qui sait s'affirmer.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Un enfant qui réussit à l'école, c'est un enfant qui est heureux de vivre avec de temps en temps des accès de colère, de tristesse, un enfant qui joue, c'est tout ça.

Une question un peu plus générale, comment considérez–vous la place et le rôle des aides à l'école, en dehors des aides spécialisées proprement dites ?

Les aides de la part de l'enseignant à l'école ?

Oui…

Pour moi, c'est la première aide de toute façon. Je ne conçois pas d'aider un enfant qui n'est pas déjà aidé par son maître, déjà pris en compte par son maître dans sa classe. C'est le premier cœur de l'action, remettre l'enseignant à sa place, c'est un de mes objectifs prioritaires de psychologue de réseau. Donc, première aide : dans sa classe avec son groupe. L'enseignant doit être responsable de ce qu'il met en place comme pédagogie dans sa classe, y compris lorsque des aides extérieures se proposent. Je dis : "c'est vous l'enseignant de la classe, premier référent de l'enfant".

J'ai épuisé mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Ou vos questions ou mes réponses n'ont pas assez ciblé l'aspect médiatisé de la question. Je trouve que les familles, les municipalités, ceux qui sont un peu plus loin de l'école ne savent pas assez les aides mises en place dans l'école, première aide dans la classe, après les réseaux etc… je crois que ce n'est pas assez médiatisé sur l'extérieur. Je pense que c'est la première chose que je voudrais voir se développer. (…) Je suis au groupe de pilotage ZEP, eh bien quand je suis arrivée, on ne connaissait pas le réseau ! Pourtant l'ancienne psychologue y allait… (…) En comité de pilotage le dispositif réseau n'est pas connu, à la mairie, c'est tout juste, les intervenants sociaux ne nous connaissent pas, les images médiatisées sont inexistantes… quand on se regarde dans la vision des autres, on est toujours en train de couiner parce qu'on n'est pas à notre place, quand même l'image des aides médiatiques qui sont déjà fournies à l'école devrait être plus solide...

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de psychologue est-elle importante pour vous ?

Facultative ?

Oui, parce que le temps passe et que je ne veux pas abuser…

J'allais dire que je suis une psychologue dans l'âme, donc je n'envisagerais pas un autre métier. Je n'ai choisi l'école que parce que ça m'assure un salaire mais je trouve que je suis tellement mal payée que dès que je pourrais, je m'en sortirai. Passagèrement je suis à l'Education Nationale et j'y reste par sécurité. Psychologue, c'est une question que je ne me pose pas parce que je sais que je suis bien là où je suis. C'est un métier qui est pour moi passionnant. Si je bouquine, c'est un livre de psycho, si je rencontre des gens… je suis beaucoup dans la psycho et aussi dans la psychanalyse. J'ai grandi dans un milieu comme ça, je suis bien à ma place, j'aurais du mal à en sortir…