Entretien E61 Gérard

Age : 47 ans

Profession : Instituteur sur un poste de Brigade

Diplômes : CAP d'instituteur

Gérard : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Gérard : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de classe

Durée : 35 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

... Lecture, écriture, comportement, tristesse, incompréhension.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Je veux dire par-là que ces enfants auront des difficultés pour apprendre à lire et à écrire, ce qui entraîne pour eux un comportement qui exprime une tristesse, un mal-être, un mal de vivre, dus au fait qu'ils ne maîtrisent pas bien la lecture et l'écriture.

Vous avez dit aussi incompréhension...

Incompréhension, ça c'est par rapport à nous les adultes parce qu'on aimerait bien savoir ce qui ne va pas mais on ne le sait pas. Alors on a du mal à comprendre l'enfant, à communiquer avec lui... enfin l'enfant communique difficilement sa gêne ou ses tracas à l'adulte qui n'y comprend rien et ne sait pas quoi faire.

Je vais vous demander maintenant de retrouver un enfant en difficulté scolaire, un seul, que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Pouvez-vous présenter la situation et citer les actions conduites pour cet enfant ?

Un enfant que j'ai connu ?

Oui, un enfant avec qui vous avez eu l'occasion de travailler au cours de vos remplacements...

Oui, ça y est. C'était l'an dernier en CM1. Il avait un an de retard. Il savait lire, il savait écrire mais il opposait un refus... Je vais donner un exemple. Un jour, je donne un exercice de maths à faire, facile, mais il n'avait pas de règle. Alors, il n'attaquait même pas le travail : marquer la date, tout ça... "Non, je n'ai pas de règle". Il se butait sur des points précis pour des raisons apparemment futiles. Pour lui, dans sa tête, même si nous – je dis nous parce que j'en ai discuté avec d'autres collègues – même si nous on lui disait qu'il ait une règle ou pas, peu nous importait, il fallait qu'il commence le travail, il était bloqué là-dessus. C'était un gosse qui refusait parfois de travailler, qui s'empêchait lui-même de travailler.

Et comment réagissiez-vous dans ces moments-là ?

Comme il était un petit peu grand, ça me faisait de la peine et puis par la suite j'avoue que ça m'agaçait sérieusement. On avait des fois envie (rires ) de le secouer et de lui dire "on s'en fiche que tu aies une règle ou pas". Cette année, ce gamin je l'ai revu. Le collègue ne comprenait pas non plus, donc on envisageait pour ce gosse une entrée en SEGPA parce qu'il refusait le travail.

Avez-vous tenté une action particulière pour essayer de lever cette difficulté ?

Nous, en tant qu'instituteurs, on n'a pas trouvé. Mais il avait été vu par le psychologue.

Et que vous en avait-il dit à cette époque ?

Le psychologue ne nous communique pas les résultats.

Rien du tout ?

Rien.

Vous n'avez aucun point de repère suite à l'examen psychologique ?

Non. Lui ou un autre c'est pareil. Ce n'est pas une critique, c'est une constatation.

Et avez-vous pu vous adresser à quelqu'un d'autre du RASED ?

Non. Il n'y avait que le psychologue qui intervenait dans cette école.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ? Si on ne s'attache pas à la signification particulière de chaque lettre qu'est-ce que vous retenez ?

Spécialisation, enfants en difficulté, réseau, aide... concertations.

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

Concertations, c'est par rapport à vous parce que j'ai l'impression que vous êtes obligés de vous concerter souvent. Le réseau est un ensemble de personnes qui se consultent, qui se réunissent et qui sont là pour aider les enfants en difficulté lorsque ces enfants leur ont été parfois signalés par des instituteurs dans leur classe. Spécialisation c'est à cause de leur formation. C'est des collègues qui ont une formation spéciale par rapport à nous et qui savent expliquer ce qui ne va pas. Ils ont un plus qui fait qu'ils s'y prennent autrement et nous ça nous rassure.

Qu'est-ce que vous entendez par aide ? Qu'est-ce que c'est qu'aider selon vous ?

Aider, c'est redonner confiance. Le plus important c'est ça, essayer de retrouver du positif.

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

La même chose, aide, enfants en difficulté, lecture... je ne vois pas plus.

N'y a-t-il pas des choses qui les caractérisent plus particulièrement, par exemple la façon de travailler, la façon d'être dans une école ?

Si, mais pour trouver un mot, je ne vois pas.

A partir d'un cas d'enfant qui a été suivi par un maître E dans une classe où vous étiez remplaçant, pouvez-vous décrire le travail de ce maître ? Que faisait-il avec cet enfant ? Que vous en disait-il ?

Ça ne m'est jamais arrivé... ça fait sept ans que je fais des remplacements et je n'ai jamais vu personne et avant à Balbigny, j'avais des grands et c'était l'époque des RPP et des RPM. Avant j'étais à Neaux, à la campagne et on ne les voyait pas. Je ne savais même pas que ça existait.

Que savez-vous du travail du maître E, à partir de ce que vous avez entendu à leur sujet ?

Un maître E, ce que je perçois de lui, c'est une personne qui va essayer de redonner confiance surtout sur le plan lecture, surtout à un enfant jeune, grande section maternelle, CP, CE1, un enfant qui n'est pas en échec scolaire mais qui a des difficultés et qui a envie d'apprendre et à qui il faut donner un petit coup de pouce.

Pouvez-vous caractériser les différences entre un maître E et un maître généraliste, par exemple un maître de CP.

Oui, le maître E va procéder d'une façon différente de celle du maître, ce que fait le maître ne passe pas, donc lui, il a à rechercher une autre approche de la lecture pour le gosse en question parce que s'il refaisait la même chose, ça servirait en gros à pas grand-chose (rires)...

Est-ce qu'il y a des ressemblances ?

Oui, je crois que oui. Même si le maître E doit chercher une autre pédagogie, je pense qu'on doit retomber sur les mêmes techniques.

Est-ce qu'un maître chevronné de CP pourrait être maître E ?

Non.

Pour quelle raison ?

Un maître chevronné aurait dans l'idée que sa méthode, que sa pédagogie est bonne et il ne lui viendrait pas forcément à l'idée qu'il doit en changer tandis que le maître E sait que la pédagogie pratiquée traditionnellement ne correspond pas à l'enfant et que c'est à lui de trouver une autre solution pour permettre à cet enfant d'évoluer. Par exemple, moi, je ne ferais pas un bon maître E parce que j'aime bien pratiquer une pédagogie frontale, ancienne. J'aime bien le groupe, j'aime bien m'adresser au groupe, j'aime bien sentir que le groupe réagit et donc travailler individuellement avec un enfant, chercher une chose adaptée pour chaque enfant ne me correspond pas bien. C'est pour ça que je n'essaie pas de le devenir... (rires)

Quand je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Je ne suis pas bien savant... je pencherai plus pour enfant seul, moins scolaire et plus psycho.

A partir d'un cas d'enfant qui a été suivi par un maître G dans une classe où vous étiez remplaçant, pouvez-vous décrire le travail de ce maître ?

Non.

Ça ne vous est jamais arrivé de travailler avec un maître G ?

Honnêtement non.

Pour quelle raison ?

Ça ne s'est jamais trouvé.

Savez-vous comment il travaille ?

Il travaille seul avec l'enfant. Je pense qu'il parle beaucoup avec l'enfant et qu'il ne s'occupe pas trop d'école.

Savez-vous comment s'articule le travail du maître G avec celui de la classe ?

Non.

Savez-vous comment s'articule le travail du maître G avec celui de ses collègues spécialisés ?

Vous faites des réunions de synthèses avec le psychologue scolaire aussi dans lesquelles vous discutez des enfants que vous suivez les uns ou les autres.

Avez-vous été invité une fois à une synthèse à propos d'un enfant ?

Non.

Savez-vous comment se font les indications, comment les E et les G se répartissent les enfants ?

Non, je ne sais pas grand-chose finalement...

C'est justement ce qui est intéressant pour mon travail... cerner la méconnaissance supposée qui entoure le travail du réseau... Quelle est la différence fondamentale de pratique entre maître E et maître G ?

Le maître E travaille avec un petit groupe, le maître G travaille avec un enfant seul. J'ai l'impression, mais je peux me tromper, que le travail du maître E est plus scolaire que celui du maître G.

Est-ce que cette différenciation E et G vous semble pertinente ?

Oui, parce que les enfants suivis par le maître E ne sont pas vraiment en échec scolaire, ils n'ont peut-être besoin que d'un tout petit coup de pouce... donc en petit groupe ils peuvent... ça peut être assez intéressant pour eux, ils n'ont pas besoin d'être pris individuellement.

Savez-vous s'il existe des glissements de pratique sur votre secteur ?

D'après ce que j'ai pu entendre, ça peut arriver mais ce n'est pas souhaitable. Il serait mieux que chacun garde sa partie.

Vous voyez des avantages à ça ?

Que chacun garde sa partie ? Je ne connais pas suffisamment...

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle ? Les G sont-ils plus appréciés que les E ou le contraire ?

Non, je ne pense pas, je pense que chacun est apprécié.

On parle d'une réforme prochaine concernant les réseaux. Quelle position soutenez-vous par rapport à ça ?

Il faudrait me rappeler la réforme...

Avez-vous entendu parler des rapports Gossot et Ferrier ?

Oui, oui, j'en ai entendu parler...

Une tendance possible serait de réunir les deux aides dans une seule fonction. Comment vous positionnez-vous par rapport à ça ? Etes-vous indifférent ? Prenez-vous parti ?

Ça ne m'est pas indifférent, je ne prends pas non plus un parti engagé mais je ne vois pas pourquoi on supprimerait un système qui fonctionne, qui a ses raisons et qui a certainement été étudié. Il y a certainement parfois des situations où c'est bien qu'un maître E intervienne avec trois quatre enfants et d'autres fois où il est bien qu'il y ait une personne seule qui s'occupe d'un enfant. Pour résumer, le maître G interviendrait quand c'est plus des troubles, donc c'est bien qu'il soit seul avec le gamin.

Savez-vous quelles sont les tâches effectuées par un réseau au cours de l'année ?

Je pense qu'on doit déjà procéder à des évaluations, donc après se répartir les tâches, contacter les parents, avoir des rapports avec les parents.

Les maîtres E que vous connaissez rencontrent eux aussi les parents ?

Oui... et puis discuter, faire des réunions de synthèse pour se tenir au courant de ce qui se passe.

Que savez-vous de la place du réseau dans les équipes, conseil d'école, conseils de maîtres, conseils de cycle ?

Je n'ai pas l'impression qu'ils soient bien intégrés dans les équipes, ils ont une place à côté, si les réseaux sont plus présents maintenant dans les conseils de cycle... mais on ne les voit quand même pas beaucoup.

Savez-vous quels sont les trois livres ou auteurs principaux étudiés lors de la formation E ?

Des cours de psychologie, de législation... A dire vrai, je ne sais pas bien...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Des réponses franches ?... Diplômes, métier, c'est trop dur cinq mots...

Une question un peu plus générale, comment considérez–vous la place et le rôle des aides à l'école ?

L'importance que je lui donne ?

L'importance, les constats sur le terrain, comment voyez-vous fonctionner les aides concrètement ?...

Oui, ça a de l'importance, je pense que toute aide qui peut être apportée à un gamin est bonne. Pour les études dirigées, très honnêtement ça ne change pas beaucoup ce qui se faisait avant, surtout si c'est nous qui les faisons. Maintenant pour ce qui est des réseaux d'aide, je suis favorable à ça. Tout ce qui peut aider un gamin est bon à prendre.

Croyez-vous en l'efficacité des réseaux ?

Oui, les réseaux, c'est efficace pour les petits, jusqu'au CE1. Après je doute. C'est vrai, ça peut aider les enfants chancelants au départ. Après je crains que vous ayez du mal à intervenir.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Je ne sais pas du tout. Aucune idée.

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Non.

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de remplaçant en brigade est importante pour vous ?

Oui, je vais répondre. Je fais ça par rapport aux indemnités, donc c'est dans un but lucratif. Si l'Etat me payait mieux, je ne ferais pas ça.