Entretien E62 Coralie

Age : 54 ans

Profession : Directrice d'école maternelle, classe de PS/MS (25 élèves)

Diplômes : Propédeutique, Licence de Sciences, CAPE

Coralie : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Coralie : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : bureau de la directrice

Durée : 35 minutes

Note : Mme E. me dit qu'elle a très peu de temps (rendez-vous déjà déplacé) et qu'elle souhaite ne pas m'accorder plus d'une demi-heure.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Maturité, relation, confiance en soi, milieu social et puis capacités "intellectuelles", entre guillemets.

Pouvez-vous développer plus précisément ces expressions ?

Maturité, on pense quelque fois que des enfants sont ou vont être en difficulté mais il suffit parfois d'attendre un an ou deux et les difficultés s'aplanissent. Relation, c'est sa place vis à vis des autres et vis à vis des adultes, sa place dans l'école et dans la société - moi, je parle pour la maternelle -. Quand il arrive en maternelle c'est le premier contact qu'il a avec un groupe social et il faut qu'il sache établir des relations et qu'il trouve sa place, lui, par rapport aux autres. Confiance en soi, il faut qu'il prenne conscience qu'il ne sait pas tout, qu'il y a des choses qu'on apprend, et que c'est tout à fait normal de se tromper, qu'on peut se tromper et qu'on est là pour apprendre dans une école. Il y a des enfants qui n'osent pas commencer un travail parce qu'ils veulent réussir tout de suite. Milieu social, c'est les enfants qui ont un discours différent à l'école et à la maison par rapport à l'école et ça pose des problèmes à ces enfants. Milieu social, c'est soit des parents qui ne connaissent pas l'école et qui ne viennent jamais, soit des parents qui ne font pas confiance à l'école et à la maison ont un discours différent. Je vous donne un exemple le repos chez les petits, toutes les années on a des parents qui estiment qu'ils sont trop grands pour dormir et ça gêne énormément les enfants. Nous à l'école, on n'a pas de problèmes avec eux, on a des problèmes quand les parents les amènent... parce qu'ils ne font pas assez confiance. Et le dernier, capacités intellectuelles c'est au niveau de la compréhension des consignes, de tout ce qu'on veut leur faire acquérir à un petit niveau parce qu'il y a des acquisitions.

Pouvez-vous prendre un exemple d'enfant en difficulté au cours de votre carrière professionnelle et puis raconter ce qui se passait avec lui ?...

C'est compliqué... (...) il y en a beaucoup. Je peux choisir Valentin. Au départ c'est un enfant qui a des problèmes de motricité, d'orientation dans l'espace et dans le temps. Il a des problèmes de langage, il a des problèmes dans son milieu familial puisque les parents sont séparés, que ça se passe mal et qu'il est un peu ballotté entre les deux. Que faut-il que je raconte ?

Qu'avez-vous mis en place ? Comment avez-vous fait ? Qu'est-ce que ça vous faisait? etc...

C'est un enfant qui est extrêmement gentil et qui veut y arriver. Ses problèmes moteurs, il n'a absolument aucun équilibre. Quand on a des séances au gymnase par exemple, il est incapable de rebondir deux fois parce qu'il tombe. Donc en début d'année je l'ai orienté vers des séances de psychomotricité. Là il y va et ça commence à aller mieux, il a plus confiance en lui, il n'avait absolument pas conscience de ses difficultés à lui. Par exemple, je faisais courir les gamins tout autour de la salle, du temps qu'il arrive à se mettre dans le flot et qu'il s'équilibre, c'était déjà fini. C'était amusant d'ailleurs... Maintenant ça va mieux d'un point de vue moteur mais il y a encore beaucoup de choses à faire. La psychologue va le voir et on va examiner si on le maintient en section de moyens. Au niveau langage, c'est très, très... on le comprend difficilement alors qu'il aime beaucoup parler, il va depuis un mois chez un orthophoniste donc ça devrait s'améliorer aussi. Au niveau graphisme, alors c'est très, très difficile. Il en est au gribouillis. Je crois qu'il comprend – en section de moyen on commence à faire écrire le prénom aux enfants en faisant des formes de lettres donc il faut qu'il maîtrise la main – il commence à y arriver depuis quelques jours, il comprend la succession des lettres, donc c'est un gamin qui n'est pas bête du tout mais il a un tel cumul de problèmes qu'il faut qu'il ait des aides.

Et émotionnellement, qu'est-ce que ça vous fait ?

Je ne réagis pas... Je pense qu'il peut s'en sortir et il faut qu'on y arrive. En plus il a ces problèmes familiaux... Je rencontre le père qui ne s'entend pas avec la mère et qui vient me voir pour connaître le travail de Valentin, ça doit le gêner aussi le petit. Il y a des jours où il est un peu tout fou, fou... Là je crois qu'il y a un peu tout, il y a les problèmes familiaux, intellectuels je n'en sais rien encore, il y a des fiches qu'il réussit - quand il s'agit de colorier, des choses comme ça - mais il est très fantaisiste. Il apparaît fantaisiste peut-être parce qu'il ne peut pas faire autrement...

Quand j'évoque maintenant le sigle RASED, quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit ?

Collègues, aide, enfants en difficulté, et puis... je n'en vois pas d'autres...

Pouvez-vous préciser davantage ?

Collègues, des enseignants comme nous avec qui on doit avoir des relations suffisamment fréquentes et de confiance pour pouvoir travailler avec les enfants. Ces personnels ont une compétence que je n'ai pas donc ils doivent m'aider (rires)...

L'aide est donc en priorité pour vous ?

Pour moi et pour les enfants aussi, pour les enfants aussi bien sûr. En plus ils interviennent plus individuellement et il y a des enfants qui en ont besoin.

Maintenant je vais vous poser la même question pour maître E...

Maître E, c'est lesquels ? C'est quelle option ? C'est les généralistes ?

Ce sont ceux qui sont chargés d'aide à dominante pédagogique.

C'est plus une aide pour les apprentissages fondamentaux toujours liés au comportement.

Aide, apprentissages fondamentaux, comportement. Autre chose ?

Non. Vous vous débrouillerez avec ça, c'est votre travail (rires)...

Pouvez-vous présenter un cas d'enfant suivi par un maître E au cours de votre carrière professionnelle et exposer le travail qui a été fait avec lui ?

Mais dans cette école on n'a pas d'intervention de maître E par manque de personnel des RASED.

Et autrefois ?

Oui j'en ai eu dans d'autres écoles... Qu'est-ce que vous voulez savoir là ?

Présenter un cas d'enfant particulier et présenter le travail qui a été fait par le maître E avec cet enfant ...

Mais je ne me souviens pas bien...

C'est trop loin ?

Non, ce n'est pas trop loin... Le dernier c'est quand j'étais directrice à Mâtel... Alors qu'est-ce qu'elle me faisait Michelle ?... Elle les prenait en individuel. On avait des relations de temps en temps pour faire le point. Elle les sortait de l'école. Elle les emmenait parce que son local n'était pas loin... Elle en prenait deux ou trois. Dans le lot il y avait un enfant qui était en difficulté familiale parce qu'il y avait un problème de maltraitance, elle s'en est beaucoup occupée de ce petit. Je peux prendre ce cas-là. Et un problème d'inceste qui faisait que cet enfant n'était absolument pas disponible pour aucun des apprentissages. Donc elle l'aidait un peu.

Et saviez-vous ce que faisait-elle précisément ?

Non.

Vous en parliez ?

Non. Assez peu. Assez peu.

Et travaillait-elle en lien avec ce que vous faisiez en classe ?

Un peu mais elle faisait plutôt des choses différentes. Oui je crois que ça c'est les méthodes de travail des personnes... Avec des RPP qu'est-ce que j'ai eu fait ? Avec Aline, elle participait à des activités, on avait un projet sur le langage psychomoteur et elle participait à des ateliers décloisonnés, là on a beaucoup travaillé avec elle, elle voyait les enfants dans le cadre d'autres activités, elle les voyait tous et ceux en particulier qu'elle connaissait et c'était quelque chose d'intéressant.

Qu'est-ce que ça vous apportait précisément ?

Déjà une aide matérielle mais ça ne devrait pas se dire, ça faisait une personne de plus pour le décloisonnement mais on avait aussi d'autres gens, on avait des psychomotriciens privés et puis ça apportait une relation, ça me permettait d'échanger sur d'autres enfants qui n'étaient pas forcément signalés au RASED et puis à elle certainement de voir les enfants qu'elle prenait dans un autre cadre.

Quelles sont les différences qui vous apparaissent entre votre travail et le travail du maître E ?

C'est un travail plus individuel. Il me semble qu'il ne faut pas forcément reprendre ce que fait la maîtresse en classe parce que s'il y a un blocage justement au niveau de ces activités-là et de la façon dont on les fait, il vaut mieux quelque chose de complètement différent. C'est permettre à ces enfants de reprendre confiance, de s'épanouir et puis après les apprentissages viennent après.

Maintenant si je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

C'est la même chose qu'avant. Les mots d'avant, c'était ?

Aide, apprentissages fondamentaux, comportement.

Oui, là c'est la même chose, c'est l'individualité, la technicité aussi qui relève de leur professionnalisme, le fait qu'elles travaillent plus en individuel. Pour moi c'est la même chose, qu'on s'adresse à la tête ou aux pieds, c'est la même chose. On peut être intelligent avec la tête et avec les mains...

A partir d'un cas d'enfant suivi par un maître G ou RPP ou RPM, pouvez-vous présenter le travail qui a été fait dans le cadre d'une aide rééducative ?

Je ne m'en souviens pas précisément. C'est quand même plus difficile à appréhender les interventions en psychomotricité. (...) Désolée. Ce que je retiens, c'est l'importance d'un adulte comme un personnage de recours, comme un personnage auquel on confie des choses par l'intermédiaire de jeux psychomoteurs. Les enfants bloqués à l'école se débloquent plus facilement s'ils trouvent une sorte de WC extérieur à la situation scolaire ordinaire. Ils ont besoin de trouver quelqu'un qui… un lieu pour décharger les énergies négatives et quelqu'un qui les aide à se canaliser autrement pour pouvoir être enfin disponible à ce qui se passe en classe.

On parle d'une réforme prochaine concernant les réseaux... Quelle position soutenez-vous ?

Rappelez-moi de quoi il s'agit.

Suite aux rapports Gossot et Ferrier, il serait question de redéfinir les rôles des E et des G. Une des tendances pourrait être de les fusionner. Pour vous quels sont les avantages et les inconvénients d'une telle perspective ?

Je ne connais pas trop mais il me semble que ce serait mieux. On ne peut pas partager un enfant entre la tête et les jambes. Il serait mieux qu'il y ait des compétences des deux côtés parce que souvent l'un influe sur l'autre... ça saucissonne les enfants et ça multiplie les intervenants parce qu'il y en a qui ont besoin des deux.

Est-ce que vous pouvez citer les trois livres ou auteurs principaux qui sont recommandés lors de la formation E ?

Pas du tout, je n'ai aucune mémoire...

Même question pour la formation G ?

Pas mieux.

En avez-vous une idée ?

Oui, un peu... pour chacun d'eux la psycho, le développement de l'enfant et puis des techniques aussi, une partie pratique, parce qu'il y a quand même des chercheurs en France, des chercheurs en éducation et... on ne peut pas tout réinventer chaque fois parce qu'il y a des choses qui marchent et qui sont prouvées... et il faut les adapter. Justement on n'a pas suffisamment dans les écoles de retour de toutes ces études-là. On est en bas. Si on est militant, on se renseigne, on écoute, on participe à certaines choses mais celui qui ne veut rien faire, qui ne se pose pas de question...

Vous souffrez de manque de formation ?

Bien sûr... Tous les chercheurs je les ai entendus hors Education Nationale, dans des congrès, des choses comme ça. C'est réservé aux inspecteurs, c'est peut-être réservé aux spécialisés mais pour les faire redescendre en bas...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

...(rires) A l'école maternelle c'est être bien avec soi-même et avec les autres. Si on a réussi ça, les apprentissages passent les doigts dans le nez... Cinq choses ? Acquisitions, compétences, il y a des compétences à acquérir et puis le dernier préparer son avenir. C'est surtout valable pour les plus grands. Il faut qu'ils comprennent qu'ils sont à l'école pour quelque chose.

De façon plus générale, comment considérez-vous l'importance des aides proposées dans votre école et en particulier celle apportée par l'enseignant lui-même ?

Les aides ça permet d'avoir plus de renseignements sur un enfant, on peut parler des enfants en difficulté mais même les autres. Il est important qu'on comprenne certaines choses même s'il y a des choses qu'on n'est pas obligé de savoir. Quand on arrive à percevoir certaines choses, c'est important qu'on en discute avec les personnes concernées. Je pense aux médecins, aux assistantes sociales quand il y a des problèmes dans les familles sans faire un ghetto autour de cet enfant-là, il faut qu'il y ait une communication, sinon...

Au niveau de votre classe elle-même, comment concevez-vous l'aide à apporter aux enfants ?

Ce n'est pas au niveau de la pratique du métier. C'est plus au niveau de la réflexion, sur comment il faut que j'aborde moi les problèmes. En aide matérielle, si, pour des PEI, des choses comme ça, vous avez besoin d'aide précise parce que vous ne pouvez pas prendre en charge un gamin qui a de grosses difficultés. Sinon, c'est plus pour ma pratique à moi. La responsabilité des enfants de la classe c'est l'enseignant.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Il faut qu'ils continuent comme ils ont commencé. Les réseaux, c'est important. On a vraiment, vraiment besoin d'aide, ne serait-ce que... Le psychologue, il faudrait qu'on puisse les joindre dès qu'on a un problème avec un enfant pour pouvoir lui expliquer notre problème et lui demander son avis, sans lui demander quelque chose de catégorique, il faut qu'on puisse en discuter avec des gens compétents. Peut-être avec les rééducateurs aussi. Mais eux c'est différent, ils peuvent peut-être plus nous conseiller sur comment faire, alors que les psy, ils nous aideraient pour analyser la situation, voir notre attitude nous vis à vis des enfants parce que ce n'est pas évident. Des fois on ne sait pas absolument pas quoi faire. Un exemple c'est la maltraitance et puis c'est aussi les capacités d'un enfant. Quand vraiment on n'arrive pas à le faire progresser ni dans un sens ni dans l'autre et qu'il n'y a rien de vraiment flagrant, on aurait besoin de discuter. Et de les joindre bien plus facilement. Elles ont bien trop de travail, elles gèrent beaucoup trop de choses. Il faudrait deux sortes de psychologues : les psychologues pour tout ce qui est commissions, rapports, choses formelles et puis des psychologues à la disposition des enseignants ou d'autres personnels mais qui ont ces capacités-là.

J'ai épuisé mes questions, mais peut-être avez-vous d'autres remarques à ajouter ?

Non, pas du tout... Mais je crois qu'il faut que vous vous battiez parce que je crois qu'on a besoin d'aides extérieures et de gens de l'éducation nationale. C'est trop difficile de faire intervenir d'autres gens extérieurs et je ne suis pas sûre que ce soit la bonne solution.

Une dernière question facultative, en quoi votre fonction de directrice est-elle importante pour vous ?

(...) Elle est importante pour les relations avec les parents et avec tous les partenaires. Autrement la conduite pédagogique d'une école je veux bien, d'abord on n'a pas de formation, c'est plutôt un travail avec nos collègues dans le cadre du projet d'école, du suivi dans la pédagogie d'une école. Le directeur n'a pas un rôle plus important que les collègues... Mais pour les relations avec l'extérieur, le directeur reste le directeur... C'est de plus en plus difficile... Il ne faut heurter personne tout en restant ferme... (...)