Entretien E63 Madeleine

Age : 55 ans

Profession : Institutrice en classe de Moyenne Section

Diplômes : CAP d'institutrice, Licence de Sciences de l'Education, Maîtrise en cours

Madeleine : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Madeleine : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'interviewée

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant en difficulté" ?

Spontanément ? … Un enfant en difficulté… Au niveau de ma classe, une section de moyens, je dirais un enfant qui est en souffrance, qui a une très grande angoisse en lui, qu'il exprime ou qu'il n'exprime pas d'ailleurs. Deuxième point, c'est un enfant qui empêche la constitution du groupe classe. Je dirais aussiun enfant qui est toujours en retrait des autres, à la limite un enfant qui ne perturbera pas la classe mais qui ne s'exprimera pas. Je pense aussi à un enfant qui a des difficultés à se repérer dans le temps et dans l'espace. Il est bien évident que le temps et l'espace, on le construit. Mais l'enfant qui reste complètement perdu, là il y a quelque chose qui ne va pas. Et puis aussi un enfant qui refuse tout contact avec l'adulte ou même avec d'autres enfants parce que ça peut s'exprimer par de la violence alors que l'enfant en retrait peut rester toute la journée dans la classe sans rien faire, on ne s'en apercevra pas.

Je vais vous demander maintenant de retrouver le visage d'un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle et de citer les émotions qui vous animaient face à lui...

Ça va être difficile...

Il faut en choisir un, le premier qui vient...

Je vais parler du cas d'un petit garçon parce que c'est tout récent. Cet enfant que j'avais vu en début d'année et en qui j'avais mis plein d'espoir en me disant, cet enfant-là est vraiment au-dessus du lot, parce qu'il me paraissait très mûr, avec un langage très élaboré, même à la limite pas du tout... disons pas le langage d'un enfant de son âge... On avait l'espoir d'une création et j'avais même envisagé de le faire passer dans une classe de plus grand et puis au fil des mois... j'ai dit "cet enfant me déçoit". Me déçoit parce que son travail scolaire ne coïncidait pas du tout avec son langage et puis après j'ai perçu une angoisse terrible parce qu'il n'arrivait pas à se repérer. L'après-midi, il allait faire la sieste quelquefois parce que ses parents l'avaient demandé et il ne savait jamais si c'était le matin, le soir, si on viendrait le chercher, si on le laisserait à l'école… Pour moi, il y avait un syndrome d'abandon. Un jour par semaine il ne mangeait pas à la cantine, il ne savait jamais si c'était le jour, si ce n'était pas le jour, si… Et puis dernièrement, après les vacances de Noël, il est arrivé et j'ai vu le visage de ce petit garçon complètement métamorphosé parce qu'il avait des yeux excessivement cernés. La maman a parlé d'un problème qui s'était passé pendant les vacances : l'enfant ne voulait plus aller à la selle. En classe ça s'est traduit par des hurlements de bête plaintive chaque fois qu'il fallait aller aux toilettes, à chaque fois qu'il fallait manger… Il refusait de voir - d'ailleurs il l'a bien exprimé, puisqu'il me l'a dit - il refusait de voir ce qui sortait de son corps, il était effrayé. A la limite il ne veut plus ni remplir son corps, ni voir ce qui sort de son corps.

Y a-t-il eu la mise en place d'une action particulière pour tenter de remédier à cette situation ?

Non, parce que c'est tout à fait récent. J'en ai parlé tout de suite à la psychologue qui passait justement dans le couloir au moment où il avait fait pipi dans sa culotte – chose qu'il ne faisait pas -, qui l'a entendu pleurer… C'était vraiment des pleurs qui angoissent. On se dit : "Cet enfant souffre, il faut faire quelque chose". Elle a fait un mot aux parents que j'ai donné le soir. J'ai simplement expliqué au papa "votre enfant est en ce moment très angoissé". Apparemment le père en est conscient. Quand j'en ai parlé à la maman, je lui ai dit : "Vous transmettez votre angoisse à votre enfant". Elle m'a répondu : "Oui, je sais, mais je n'y peux rien". On va voir ce qui va être fait… C'est différent d'un enfant qui arrive en début d'année. Là, on sait, on les a connus dans les autres classes… Là c'est un problème nouveau à traiter tout de suite…

Nous allons changer de thème maintenant. Je vais vous demander les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED en dehors de la signification stricte des lettres ?

Je pense que c'est un appel au secours. Quand vraiment on ne peut pas faire face à une situation, suite à un événement qui se produit comme ça. Par exemple ça m'est arrivé une fois d'avoir à faire avec un enfant qui avait des visions, il voyait le feu partout donc j'ai appelé le psychologue. Je l'ai appelé parce que je lui ai dit : "Viens parce que moi, je ne peux plus". En fait c'est vraiment quand je ne peux plus faire face que j'appelle. (…) Vous avez bien compris, le RASED, dans ce cas, c'est plutôt pour moi, quand je ne peux plus.

Oui, le Réseau c'est d'abord pour vous, pour vous soulager, vous, quand vous vous sentez dépassée. Est-ce que le sigle vous évoque encore autre chose ?

Autre chose, que je déplore, c'est qu'il n'y ait pas suffisamment d'échanges entre les gens du RASED et nous. On a l'impression qu'il y a un mystère qui plane sur ce qu'ils font. On ne sait rien. Ce n'est pas comme cela que je conçois les choses.

J'ai retenu pour l'instant appel au secours, pour l'enseignant, pas suffisamment d'échanges, mystére. Voyez-vous encore autre chose ?

Plus de présence, ils devraient être beaucoup plus présents.Je sais qu'ils ont beaucoup à faire mais c'est ce mystère… En fait au lieu d'un travail en équipe j'ai l'impression au contraire qu'il y a une scission et qu'à la limite – ça va être dur ce que je vais dire – on s'emparerait enfin d'un cas qui justifierait leur présence.

Vous pouvez expliquer davantage ?

Quand on fait appel à eux ils peuvent dire "Enfin on nous fournit du travail". C'est comme une justification de leur présence. Ça devient leur cas, séparé du travail de la classe. Et vraiment je regrette beaucoup que l'aide ne soit pas faite au sein de la classe. Quand l'enfant est pris en petit groupe, son comportement est tout à fait différent de celui qu'il peut avoir en grand groupe. Ça, je pense surtout pour les enfants qui empêchent la constitution du groupe classe. Pour ceux-là il faudrait vraiment que le travail soit fait dans la classe parce que l'emmener à part… au contraire c'est un enfant qui demande qu'on s'occupe de lui pour avoir une relation privilégiée avec quelqu'un. C'est facile de répondre à cette attente mais inefficace pour la vie dans la classe.

Je vais vous poser la même question pour le maître E. Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "maître E " ?

Alors lui il fait quoi ?

Il est chargé d'aide à dominante pédagogique, il peut intervenir soit en maternelle soit en élémentaire – mais souvent davantage en élémentaire.

Mais il fait quoi au juste par rapport à l'autre ?

Le maître E a pour mission de faire travailler les enfants sur des acquisitions scolaires. Généralement il ne prend jamais les enfants individuellement mais toujours en groupe et le plus souvent en dehors de la classe.

Ah oui… Avec lui, les enfants sont toujours sortis de la classe. Comme la maternelle est en dehors, pour y aller, il y a toujours du temps de perdu… On en avait un qui est maintenant sur un autre groupe et effectivement c'était les grandes sections qui étaient prises et il venait les chercher par petit groupe mais moi je n'ai jamais eu affaire à lui.

Qu'est-ce que je peux retenir dans tout ça ?

Manque de connaissance et même ignorance, on ne sait pas ce qui se passe, même la maîtresse de grande section ne savait pas ce qu'ils faisaient… Et puis de part et d'autre, oh non, je n'ose pas dire des choses pareilles…

Si, si, tout est permis…

Bon débarras, c'est du style ça débarrassera toujours la maîtresse un petit moment d'un groupe d'enfants qui ont des difficultés et pour lequel il faudrait que la maîtresse s'investisse énormément ce qui n'est pas toujours facile – on a quand même des classes très chargées - et puis inefficacité on suppose que ce maître-là pourrait tout à fait faire un travail de remédiation, de soutien, mais étant donné qu'on n'a pas pris la peine de demander vraiment ce qui cloche, je ne vois pas bien à quoi ça peut servir…

Pourriez-vous parler d'une situation professionnelle où vous avez été personnellement en contact avec un maître E ?

Personnellement, il venait quelquefois avec moi au gymnase.

Que faisait-il ? Avec qui ? Et comment ?

Il prenait un atelier et moi un autre. C'était comme un maître supplémentaire.

Si dans la pratique, la particularité de la fonction E est difficile à identifier, qu'en est-il pour vous sur un plan théorique ? Par exemple quelles sont les différences de formation entre un maître E et un maître généraliste ?

Je pense qu'ils doivent davantage connaître les problèmes des enfants en difficulté que le maître ordinaire, la psychologie de l'enfant. Il est vrai que ma formation de maître elle remonte à très, très longtemps… Tout ce que j'ai appris, je l'ai appris à l'université, pas à l'IUFM, hélas… De toute façon, les maîtres sont insuffisamment formés. Le maître E, il a bien sûr une spécialisation axée sur l'enfance en difficulté scolaire, sur les problèmes d'apprentissage…enfin je suppose que c'est ça mais je n'en sais pas plus.

Entre votre travail et ce que vous connaissez du leur, quelles sont à votre avis les différences fondamentales ?

Moi, je ne vois pas bien quel est le travail du maître E finalement. Je pense que c'est le maître dans sa relation de tous les jours avec le groupe entier de la classe qui est le plus à même de faire ce travail de remédiation et d'apprentissage. Pour ça bien entendu, il faut que les classes soient à un certain moment déchargées. Nous, on le pratique en maternelle parce qu'on a la chance d'avoir beaucoup de petits, donc des classes qui dorment l'après midi. Les maîtresses des petits viennent chercher les enfants. Au début, bêtement, je leur demandais de faire le travail du maître E et puis, je me suis aperçue que ça ne servait strictement à rien parce que je leur demandais quelque chose avec un objectif que j'avais cerné moi au cours du travail et puis finalement ça les embêtait plutôt qu'autre chose parce que c'est un travail qui exige une observation et une attention soutenue de la part du maître et elles, parfois elles ne percevaient pas tout ce que moi j'y aurais perçu. Donc je leur donne des enfants pour faire des activités d'art plastique ou autres - que j'aimais beaucoup faire d'ailleurs - et moi je fais tout le travail d'apprentissage et de remédiation avec les enfants qui en ont besoin. Je pense que c'est nécessaire dès la moyenne section maternelle parce que c'est une des sections les plus importantes de l'école. C'est là que tout se met en place. Or bien souvent on passe les enfants en section de grand alors que les apprentissages ne sont pas acquis chez les moyens et on saute à pieds joints sur tout un tas de connaissances qui conduiront l'enfant à l'échec. A mon avis, c'est l'instituteur qui a les enfants tout le temps qui devrait faire ça et pas un maître E. C'est différent pour le maître G.

Justement les concernant, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Pour eux, je retire tout ce qui est apprentissage scolaire. Je dirais travail relationnel, aide au comportement, aide pour réduire la souffrance qui peut exister, justement cette souffrance provient peut-être du groupe classe et l'enfant a besoin peut-être d'en être sorti par moment… pour échapper aussi au regard que le maître peut porter sur lui.

J'ai retenu travail relationnel, aide au comportement, réduction de la souffrance. Voyez-vous encore autre chose ?

Oui mais ce n'est pas par rapport à l'enfant mais par rapport au maître : trouver un appui pour pouvoir parler avec lui de problèmes concernant l'enfant, trouver une oreille attentive… On attendune réponse.

En vous appuyant sur un exemple vécu, pouvez-vous exposer une situation de travail avec un maître G et ce que vous en avez retiré ?

Là je cherche… Je dirais que j'ai beaucoup d'attentes qui n'ont pas été satisfaites… Je demande peut-être trop… Je fais surtout appel à lui quand je me sens impuissante pour résoudre le cas d'un enfant. Forcément plus mon attente est pressante, plus elle risque d'être déçue. Et c'est bien souvent le cas parce qu'il n'y a pas de retour.

Pouvez-vous parler d'un enfant et de la façon dont ça s'est passé avec lui ?

Je signale les enfants au début d'année. J'attends souvent les vacances de la Toussaint. Immédiatement une fiche est faite. Un rendez-vous est donné aux parents qui rencontrent aussi le psychologue. Il y a un planning qui est fait. Voilà on viendra chercher l'enfant.

Est-ce qu'il y a quelqu'un du réseau qui vient discuter avec vous, observer l'enfant dans la classe ?

Non, jamais.

Est-ce que vous faites le point régulièrement sur ce qui se passe en rééducation ?

Jamais.

En classe ?

Jamais.

Est-ce qu'il y a un contrat bâti ensemble avec des objectifs à poursuivre en rééducation et d'autres à poursuivre conjointement en classe par exemple ?

Jamais. J'ai l'impression que c'est plus une affaire avec les parents. Voilà on rencontre les parents, on voit avec eux et ce que le maître peut signaler à la limite on s'en moque.

Est-ce que vous avez une idée de ce qui se passe en séance de rééducation ?

Aucune.

Est-ce que vous avez eu l'occasion de travailler avec plusieurs maîtres G ?

Non, j'ai toujours travaillé avec le même réseau et avec la même rééducatrice… En revanche, les psychologues ou les maîtres E, j'en ai vu passer plusieurs.

Pour vous quelles sont les différences de pratiques entre E et G ?

Pour moi, ils fonctionnent de la même façon, en sortant les enfants de la classe.

En quoi la différenciation E/G qui existe en ce moment vous semble-t-elle pertinente?

Le travail du maître E, c'est le maître qui devrait le faire, donc le maître E n'a pas lieu d'être mais le maître G si, certainement. Aucune autre personne, sauf lui, travaille sur le comportement.

Faut-il alors maintenir les deux types d'aide ?

Non, mais il faudrait décharger le maître de la classe parce que c'est lui qui vit tout le temps, il vit six heures avec l'enfant, il connaît ses problèmes, il connaît ses réactions, qui a plus de contacts avec la famille, plus qu'un rendez-vous que les parents peuvent avoir une fois tous les trimestres…

Est-ce qu'il y a une évaluation du travail du RASED ?

Non, enfin je n'en sais rien.

Vous n'y avez jamais participé ? On ne vous a jamais demandé votre avis sur ce qui est fait, sur ce que vous ressentez, sur vos attentes ?

Non jamais. Je voudrais dire… le gros truc, c'est qu'au lieu que ce soit un travail vraiment en équipe, on marche de façon parallèle. C'est un réseau parallèle (rires)…

Ils ne viennent jamais par exemple aux réunions de conseil de maîtres, conseil de cycles etc. ?

Non, jamais.

Dans l'idéal, quelles sont vos attentes par rapport au réseau ?

Je verrais une véritable équipe. Mais c'est déjà si difficile à constituer au sein d'une école… puisque les gens bien souvent ne comprennent pas qu'il y a un objectif commun, que c'est l'enfant et que ce n'est pas eux… Il y a tout ce qui se noue autour des relations entre les personnes, c'est-à-dire soit des relations de pouvoir, soit des relations fusionnelles etc.… dont certains sont exclus, ce n'est pas facile à constituer mais justement les gens du réseau, ils devraient savoir ça et ils devraient être des éléments moteurs au sein d'une école. Ils devraient favoriser le travail en équipe des enseignants.

En ce qui concerne la formation avez-vous une idée des auteurs principaux étudiés par les maîtres E ?

Je suppose Piaget, Bruner, Vygotsky…

Même question pour les maîtres G ?

Wallon, peut-être… Tous les auteurs qui décrivent davantage le comportement psychologique de l'enfant et puis tout ce qui tourne autour de la psychanalyse et de l'inconscient, Freud, Lacan... tout ce qui concerne la construction de l'imaginaire aussi…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Déjà un enfant qui a trouvé sa place à la fois à l'école, dans sa famille, avec ses petits copains - mais tout ça c'est un tout… ça ne peut être morcelé – un enfant reconnu qui sait qu'il existe, qui est heureux. Je dirais en dernier réussite scolaire parce que si un enfant est reconnu, qu'il a trouvé sa place, le reste vient.

De façon plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Y compris l'aide des ATSEM ?

Non, les aides aux apprentissages effectuées soit par l'enseignant généraliste, soit par les maîtres spécialisés, soit par les aide éducateurs…

Je ne pense pas qu'on peut parler… Je ne considère pas l'aide comme une remédiation à un échec. Je considère l'aide comme avoir un peu plus de temps pour pouvoir revenir sur quelque chose qui n'a pas été compris parce que par exemple la consigne a été mal perçue. Donc il faut avoir du temps pour pouvoir représenter l'exercice en reformulant la consigne ou en le présentant de façon différente. Mais pour ça il faut du temps. C'est une aide dans un premier temps – quand je propose un exercice, d'abord, je mets les enfants en confiance je dis "vous faites ce que vous savez faire. Si vous ne savez pas, si vous vous trompez, ce n'est pas grave, on est là pour apprendre ensemble. Pour moi à la limite un enfant qui dit "mais je n'y arrive pas" - Il y en a beaucoup qui n'ont pas confiance en eux et puis ça peut être aussi une réaction de paresse ou d'abandon – je dis "ça m'est égal si tu n'y arrives pas, je veux que tu essaies". "Un petit garçon ou une petite fille qui réussit du premier coup, ça ne m'intéresse pas… parce qu'on apprend quand on fait des efforts. Vous devez faire des efforts, c'est la règle du jeu. Mais quand on est fatigué, je m'en aperçois et on peut reprendre demain". L'aide c'est vraiment une aide et c'est surtout donner du temps. Le temps à l'école est toujours morcelé : "dépêche toi et fais-ci et fais ça" donc c'est un accroissement du stress. En fait quand l'enfant a le temps de faire quelque chose, il est bien moins stressé et les choses vont toutes seules.

Vous m'avez parlé des ateliers philosophiques mis en place dans votre classe. Les considérez-vous comme un travail ordinaire ?

Non, je vais dire comme une aide parce que justement ça a permis à des enfants… Bien sûr au départ on respecte le protocole. C'est quelque chose qui a été lancé l'an dernier. Il y a des sujets qui ont été choisis en groupe et qui devaient être proposés à tous les niveaux pour voir ce qui allait en ressortir. Donc j'ai fait comme tout le monde. Et je me suis rendu compte que des enfants qui ne parlaient pas ont réussi à s'exprimer parce que c'était justement sur des problèmes qui les concernaient. Ils se sentaient concernés. Si on fait un exercice de langage en maternelle sur un truc technique ou autre, il y en a… qui ne prendront jamais la parole… sans qu'on y prenne garde. Mais là chaque enfant a quelque chose à dire qui est important et ils apprennent aussi à s'écouter et voir que ce que dit l'autre peut être un écho à ce qu'ils pensent mais qu'ils n'osent pas formuler. Le fait que ce soit le copain qui ait formulé quelque chose d'important peut leur permettre de voir qu'ils sont comme tout le monde.

Quels ont été les thèmes abordés jusqu'à présent par exemple ?

Oui, le premier thème abordé en classe c'était sur le rêve. Les enfants ont été tout de suite intéressés. Au début ils se contentaient de décrire des rêves. Et j'ai reposé le sujet en fin d'année. Là, leur pensée avait énormément progressé parce qu'il n'y avait plus de description de rêve mais c'était plus par rapport à des images qu'on n'arrivait pas à attraper et la différence avec le sommeil et la conscience éveillée. C'était intéressant. Je me suis rendue compte qu'une petite fille qui n'avait pas parlé en décembre est repassée par le même stade que les autres. Là, elle se contentait de décrire des rêves. Je pense qu'il y a un cheminement… C'est à vérifier.

Au niveau pratique – temps, fréquence, etc. - comment ça se passe ?

C'est une fois par semaine, pendant dix minutes. Il faut une régularité parce que les enfants sont en attente de ce moment. La classe est séparée en deux, pas plus d'une douzaine d'enfants. Les enfants se présentent. Le maître pose la question et n'intervient plus après sauf quand il y a trop de dérive pour dire je vous rappelle la question. Les thèmes abordés, ça a été : "qu'est-ce c'est qu'être heureux ?" Les enfants ont à ce sujet des idées très précises parce qu'ils sont très concernés par ce problème-là. Aussi sur la différence sexuelle : est-ce qu'un garçon et une fille c'est la même chose ? Qu'est-ce qui les différencie ? Et puis alors j'ai conduit en fin d'année deux séries d'entretiens qui ont largement dépassé les dix minutes parce que là les enfants avaient vraiment trop de choses à dire, c'était sur la mort. Un autre thème sur le mensonge aussi. Tous les débats sont enregistrés, les entretiens sont retranscrits et on retravaille dessus. (…) Ce que j'en retiens, c'est que chaque fois qu'il y a un problème important, - comme le cas du petit garçon que j'évoquais - on en parle ensemble. L'enfant se rend compte que les réponses qu'il va avoir, vont être des réponses qui vont s'adresser à lui mais qui ne viennent pas d'un adulte… C'est sûr ce petit a été aidé par ses petits copains. (…)

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je pense que de toute façon il y a une différence parce qu'il y a l'AIS qui les forme maintenant.

Mais la formation du personnel spécialisé existe depuis toujours.

Ah bon. Je marche à reculons…

J'évoque l'avenir des réseaux suite aux rapports Gossot et Ferrier.

Je ne suis pas du tout au courant. Ce qui vous montre de quelle façon on est au courant de ce qui se passe dans les réseaux.

Ce sont des rapports qui tendent à indiquer l'évolution possible des actions professionnelles réservées aux réseaux.

Est-ce que vous êtes en concurrence avec les psychologues, les psychiatres, les pédopsychiatres ?

Non, pas du tout. On ne fait pas le même travail.

Les orthophonistes ?

Là davantage parce que leurs tâches professionnelles sont floues. Ils peuvent jusqu'à faire du "soutien scolaire" et ils sont remboursés par la sécurité sociale.

Je pose la question parce que nous, on nous dit "dès qu'un enfant est suivi à l'extérieur, on ne peut pas le prendre". J'ai le cas d'un enfant caractériel dans ma classe, il a complètement empêché la constitution du groupe classe, c'était affreux, affreux. Il m'a plus embêté que la gamine pour laquelle il y avait un contrat d'intégration. Ils m'ont dit : "on ne peut pas le prendre parce qu'il est suivi par ailleurs". J'ai dit "moi, je m'en fous. Je veux que vous veniez voir dans la classe comment ça se passe et faire quelque chose dans la classe". Eh bien ça il n'y a pas moyen… (…)

Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Le psychologue scolaire, je trouve qu'on ne le voit pas souvent…Une seule fois j'ai fait appel à lui. Le gamin qui s'est mis à avoir des visions, je ne savais plus quoi faire… Et à la limite je ne l'aurais pas appelé, ça se serait aussi bien passé…Quand on lui demande de tester un gamin, on n'a jamais de retour. Moi, je trouve que si on fait appel à un professionnel, c'est qu'on aimerait avoir des éclaircissements pour nous aider à mieux conduire notre travail. Sinon, je préfère m'en sortir toute seule.

(…) Quelques remarques à propos des résultats. Dans le meilleur des cas, il y a un changement. Mais quelquefois les enfants reviennent plus déboussolés qu'avant de les envoyer. Autre remarque quand l'emploi du temps est très chargé, l'enfant est pris une fois tous les quinze jours et ce n'est absolument pas suffisant parce qu'il ne peut y avoir de relation valable qui s'établisse. Quelquefois ce sont les cas faciles qui sont pris et les cas difficiles on les laisse tomber. Et ce sont justement eux qui devraient être aidés. Les cas faciles, je peux m'en sortir… C'est vrai que j'ai une grande connaissance des enfants de cet âge et que les études universitaires m'ont beaucoup appris… Tous les enseignants devraient être passés par les Sciences de l'Education avant de rentrer à l'IUFM…

(…) Les contrats que je passe pour des cas un peu difficiles. J'en ai conduit deux l'an dernier et deux cette année, avec deux petites filles qui refusaient de grandir, qui étaient très attachées à leur famille, et deux autres avec deux petits garçons particulièrement difficiles et perturbés. Pour les petites filles ça a bien marché. J'en parle avec elle et avec la maman, c'est un petit contrat du style : "Est-ce que tu veux grandir ?" C'est toujours "Oui". Alors je dis : "je vais t'aider et ta maman aussi". Je propose une image qu'elle choisit et puis je signe l'image et l'enfant aussi. La seule chose que je demande, c'est que l'enfant ramène tous les jours l'image à l'école, qu'il l'ait sur lui. Le soir ensemble - ce n'est pas moi qui juge, c'est ensemble – est-ce que tu vas avoir ta petite croix ou pas ? Et quand ton image sera pleine, j'ai promis un petit cadeau. Et l'année dernière par exemple Loren n'a plus ramené l'image quand elle a été pleine, mais elle n'a pas réclamé le cadeau. J'en ai parlé à la maman, je lui ai dit que je n'avais pas oublié et que je le ferais à la sortie. Et la petite fille a ramené l'image. J'en avais les larmes aux yeux. Cette image était vraiment usée, elle était réduite à une peau fripée. Et la petite fille était rayonnante, elle avait pris l'aspect que l'image pouvait avoir en début d'année… Je lui ai offert un bonbon en pâte de verre et je lui ai marqué un petit mot : "un bonbon unique pour une petite fille unique, celle que tu es devenue par tes efforts. C'est un bonbon qui ne se mange pas et qui ne se laisse pas consommer". Avant elle était à la merci de tout le monde et là elle était enfin devenue Loren. Je lui ai dit aussi "tu demanderas à ta maman de t'expliquer ce que ça veut dire quand tu seras grande". Et sa maman m'a dit : "On a gardé le petit mot et le bonbon est sur sa table de nuit et quand il y a un problème, elle va prendre son bonbon et elle le touche…". Je fais la même chose avec une autre petite fille et ça marche… (…) Il faut absolument qu'il y ait non seulement une relation particulière maîtresse/ enfant mais encore que la famille marche dans le même sens…(…)