Entretien E64 Dorothée

Age : 49 ans

Profession : Professeur des écoles en classe de MS/GS (18 élèves)

Diplômes : CAPE, Maîtrise de Sciences de l'Education, DEA en cours

Dorothée : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Dorothée : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'interviewée

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

En cinq mots, ce n'est pas évident... Je dirai exclusion et je m'arrêterai là.Pour le moment, un enfant en difficulté c'est essentiellement un enfant exclu du groupe des autres enfants, de l'école, de son environnement scolaire. Tout enfant en difficulté est quelque part exclu. Evidemment, il y a aurait une kyrielle de trucs à rajouter mais je pense que tout se résume là dedans. Il peut être exclu par rapport à son comportement, par rapport à ce qu'on lui demande de savoir mais de toute façon il est rejeté à la fois par ses pairs et par le maître, enfin bon il ne devrait pas être rejeté mais on sait qu'il l'est quand même quelque part et par le milieu scolaire tout entier, bien qu'il y ait tout un réseau d'aide pour lui. Je suis persuadée – en tant que chercheur - qu'il est quand même exclu. C'est peut-être un peu fort... (...) Si je me mets uniquement dans la peau de l'enseignante, mais non, les enfants en difficulté scolaire ne sont pas exclus, au contraire, on les accueille encore plus, on s'en occupe encore plus... mais le fait de s'en occuper encore plus, le fait de tisser un réseau autour d'eux contribue à les exclure encore plus. (...) Balancé comme ça, le mot d'exclu est fort et on peut dire, celle-là elle est malade, l'école fait tout pour ne pas l'exclure mais je pense qu'on aboutit à l'effet inverse. Tout enfant en difficulté scolaire est exclu de quelque chose et du même coup de tout. Entendons-nous bien, ce n'est pas un enfant qui a une petite difficulté passagère de quelques mois à la rentrée... Je parle de l'enfant en difficulté scolaire reconnue... Par exemple les enfants qu'on a, nous – moi j'ai la section des grands – déjà la section d'avant on a déjà repéré qui était en difficulté scolaire et déjà on les montre en quelque sorte du doigt, donc ils sont déjà sortis du groupe, donc exclus. Pour tous ceux-là, malgré tout ce qu'on fait, ce n'est pas gagné... (...) Ce sont des enfants en perte de repères. Ou bien ils cumulent tout, les problèmes de langue, de culture, de parents qui ne s'occupent pas d'eux comme ils voudraient, pourraient, devraient ou auraient envie de s'en occuper... de ce fait le gamin il arrive à l'école et il est à côté du problème. Et parfois, il ne sait même pas qu'il est à côté du problème... Et parfois personne ne se rend compte jusqu'où il est à côté du problème. Par exemple apprendre à lire ça nécessite d'avoir au moins un référentiel commun au moins dans la classe. Si on se trouve devant le mot poireau à lire il faut quand même que pour l'enfant ça véhicule une idée, une image, une représentation... Pour des mots tout simples, beaucoup d'enfants sont en difficulté, ils n'ont pas ces représentations dans leur tête, ça ne veut rien dire, donc ils passent à côté de tout. Le maître croit souvent en toute bonne foi qu'il sait de quoi on parle, qu'il a compris, qu'il est intéressé et puis on avance et puis petit à petit l'enfant est en marge sans qu'on s'en soit bien rendu compte au bon moment. (...) ça fait très longtemps que je suis dans ce groupe scolaire, ça fait très longtemps que je m'attache aux enfants en difficulté, plus qu'aux autres et ça fait très longtemps que je vois qu'on a beau faire tout, il n'y a pas grand chose qui change, si ce n'est au point de vue affectif parce qu'un enfant en difficulté scolaire de cinq six ans, s'il sent qu'on s'occupe de lui davantage, même s'il progresse peu, même s'il est tout aussi noyé il va quand même être un peu plus content de venir à l'école, il va avoir un petit intérêt affectif qu'il n'aura pas autrement. (...) Chez les grands on commence déjà à regarder les résultats. Est-ce qu'il sait ça, ça ou ça, la numération par exemple, est-ce qu'il arrive à dix ? Celui-là même deux il n'y arrive pas. Je crois qu'à cet âge on regarde déjà presque plus les résultats scolaires que le comportement...

Maintenant si je dis RASED, quels sont les cinq mots que ce sigle vous évoque – en dehors de la stricte signification des lettres ?

Réseau d'aides spécialisées, attendez... Réseau d'aides...

Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté. En dehors de ces lettres exclusives que voudriez-vous retenir ?

Aide, Réseau c'est-à-dire un ensemble de personnes qui sont censées... – je ne voulais pas dire ça, c'est un lapsus – qui sont censées aider l'enfant.

En voyez-vous d'autres pour aller jusqu'à cinq ?

Cinq... (rires) Je pourrais rajouter psychologue, c'est vrai que le psychologue fait partie du réseau et qu'il a une importance... Evidemment le maître de la classe qui joue un rôle dans cette équipe.

Oui, alors aide, réseau, psychologue, maître de la classe et pour le cinquième terme?

... Le Réseau ne peut s'entendre que comme plusieurs personnes mises en relation.

Relation alors ?

Mise en relation.

Pouvez-vous maintenant préciser chacun de vos choix. Pouvez-vous définir ce que c'est qu'aider ?

Ce n'est pas forcément sur le plan scolaire. Je mettrais ça en relation avec écoute, être attentif à l'enfant pour qu'il soit mieux, pas forcément pour qu'il progresse comme on peut le concevoir mais pour que l'enfant se sente mieux, lui, en classe.

Vous avez aussi insisté sur l'ensemble des personnes qui devraient être en relation. Pouvez-vous préciser davantage ?

Je pense que pour que ce réseau soit efficace, il faut que les gens s'entendent bien. C'est sûr qu'au départ, ils ne se sont pas choisis mais ça devrait être une équipe... Chacun doit faire l'effort d'écouter l'autre, de partager une réflexion commune pour qu'il y ait une action concertée en direction de l'enfant.

Et comment cela se passe-t-il dans votre école au quotidien ?

Ça se passe… surtout entre la maîtresse d'adaptation et moi. La psychologue, on la voit peu. Il faut vraiment l'appeler à corps et à cris pour qu'elle vienne… Je ne mets pas en cause sa bonne volonté mais je suppose qu'elle n'a pas assez de temps pour privilégier la maternelle. Je pense qu'elle a assez à faire avec les CP, les CE etc… et c'est un peu à notre détriment. La psychologue, quand elle vient dans ma classe, c'est pour voir des enfants qui ont été signalés avant. Par exemple, en début d'année elle vient, elle me dit cet enfant, je l'ai déjà vu deux fois etc… Tu me diras dans deux mois ce que tu en penses et après elle va revenir une autre fois. Mais si moi je demande à la voir, elle va se faire tirer l'oreille. C'est un peu elle qui tire les ficelles… C'est ce que je lui reproche. L'année dernière d'ailleurs, je lui avais demandé indirectement un conseil et elle m'a fait dire que je m'inquiétais trop… Enfin bon…

Savez-vous comment le personnel du réseau travaille-t-il à l'intérieur du RASED, entre eux ?

Je sais qu'ils ont des réunions auxquelles on n'assiste pas, ça c'est sûr. Je sais qu'elles font des projets, qu'elles transmettent ces projets, qu'on ne connaît pas, à l'inspecteur et puis à part ça, je ne sais pas. Par contre, je travaille en étroite collaboration avec la maîtresse d'adaptation et c'est d'ailleurs un peu surprenant parce que c'est une nouvelle maîtresse qui vient de Paris et qui s'est super bien intégrée à l'école. Avant il y en avait une autre qui est restée trois ans, et ça marchait bien aussi. Mais peut-être parce que je tire plus la ficelle, que je parle plus et comme elle vient travailler deux jours par semaine dans notre école, dans nos locaux, c'est plus facile aussi de se voir – parce que, aussi, notre maternelle est loin du primaire donc il faut venir chez nous pour discuter. Vous me direz, on pourrait aller aussi chez elles… mais on ne fait pas forcément la démarche. Comme la maîtresse d'adaptation est sur place, c'est vrai qu'on discute plus…

Maintenant si je dis maître E, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Maître E, c'est le maître qui fait le soutien aux enfants en difficulté dans les classes d'adaptation… Cinq mots… On ne va pas revenir sur aide, oh si quand même on peut le dire… Il y a le mot formation, parce que c'est quelqu'un qui est formé pour ça, écoute, projet et adaptation.

Pouvez-vous caractériser leur travail à partir d'un cas concret ?

En début d'année, elle vient. Elle me dit : "A priori est-ce que tu penses que tu auras des enfants en difficulté ?" Je lui dis que oui c'est sûr par rapport aux enfants qui ont été signalés dans la classe d'avant. Après, elle revient au bout d'un mois. Moi, j'ai fait des petites fiches sur les enfants en difficulté. Alors je lui dis : "voilà untel, untel pour telle et telle raison, je lui montre les cahiers et puis elle reste dans ma classe une demi-journée ou le temps qu'elle veut, elle observe les enfants – aussi bien celle qui est là cette année, que celle qui était là avant. Après elle me dit : "Compte tenu de mon planning, de ceux qui ont été signalés dans d'autres classes, je pourrais t'en prendre mettons quatre ou cinq". On ne garde alors que les cas lourds ou alors parfois un enfant qui a juste une petite difficulté justement d'adaptation pour qu'au bout de trois, quatre mois le problème soit réglé et que cet enfant soit épanoui, progresse… et au détriment peut-être d'un cas très lourd, qu'on prendra un peu après parce que j'estime que celui-ci ce n'est pas déjà perdu mais enfin presque, donc il vaut mieux en récupérer un tout de suite plutôt que de le laisser s'enfoncer. A ce moment-là elle va faire un projet (me le montre).

Je m'excuse mais je n'arrive pas bien à lire l'énoncé du projet...

"Faire profiter à l'enfant d'un cadre groupe restreint pour se mettre en phase ne serait-ce qu'un temps court avec les autres. Retravailler les acquisitions de base et être valorisé dans le groupe". Là, c'était un enfant qui avait de très, très gros problèmes et fort heureusement pour nous il est parti. Donc elle écrit son projet en tenant compte de ce que je lui ai dit, parce que je lui ai fait passer une fiche. Je lui ai rempli très précisément à l'aide de mes notes. Et moi après je fais mon projet personnel.

Ces deux projets, vous les construisez ensemble ou séparément ?

Non, séparément, mais on en discute. A partir de notre discussion, de ce qu'elle m'apporte, je construis mon projet et elle le sien et après on se montre ce qu'on a pensé faire et ensuite régulièrement, tous les quinze jours on se voit un moment plus long – soit à une récréation où je ne suis pas de service, soit le soir, soit à midi on mange ensemble et on discute des enfants, de comment ça se passe – s'ils ont progressé, s'ils n'ont pas progressé, pourquoi, qu'est-ce qui nous paraît bien, pas bien. Elle me montre le cahier de l'enfant, je lui montre les miens. Il y a vraiment un échange très poussé. Je trouve que ça c'est bien parce que c'est vrai que ça fait progresser l'enfant... Mais au départ, j'étais très pessimiste et je le reste, parce qu'il progresse mais il reste exclu. Je persiste dans mon idée d'exclusion, c'est-à-dire que bien qu'on fasse tout ça, ça ne suffit pas...

Est-ce que cette maîtresse rencontre les parents ?

Oui, oui, j'ai oublié de vous le dire. Une fois qu'on a décidé qu'on prendrait tel ou tel enfant, j'en parle verbalement aux parents, après on leur fait une petite feuille : "On a remarqué que votre enfant était en difficulté". Ils signent la feuille comme quoi ils sont d'accord pour que l'enfant soit suivi et ensuite elle rencontre les parents mais pas tout de suite pour faire le point. Et les projets sont réactualisés régulièrement.

Et qu'est-ce que ce travail vous apporte au niveau de la classe ?

Déjà, je me sens moins seule face au problème. J'ai moins l'impression de passer à côté de choses importantes parce que je peux lui parler indépendamment de tous les projets qu'on fait quand il y a quelque chose qui me semble un peu lourd, je peux lui en parler tout de suite parce que je la vois souvent et ce sont des enfants qu'elle connaît bien puisqu'elle les prend quand même par deux, deux fois trois quart d'heure par semaine, et moi ça m'évite de me décourager par rapport à eux parce que comme ça chaque fois on relance la machine... Il me semble que ça m'apporte plus à moi au sein de la classe avec tout le groupe d'enfant qu'à elle, le fait que je lui dise : "j'ai remarqué telle ou telle chose". Elle, elle a plus un regard différent, éloigné du mien. C'est normal, moi je vois l'enfant avec ses difficultés dans le groupe. Elle forcément, comme elle le prend seul ou avec un autre... les difficultés apparaissent autrement.

Y a-t-il des liens entre le travail qu'elle fait avec ces enfants et le travail qui se fait dans la classe ?

Disons que les supports d'activité sont indépendants, les exercices sont différents mais il y a quand même le lien sur le fond. Je lui dis par exemple : "J'ai commencé la numération. Mais untel, vraiment, il n'arrive pas à voir plus loin que le deux, ce serait bien que tu vois ça tout de suite". Alors, elle va le faire davantage, sous d'autres formes que moi. Ou si c'est des problèmes de langue, je vais dire "Untel, vraiment, il ne comprend rien, des mots tout simples il ne sait pas ce que ça veut dire, il est perdu, il n'a pas de repères". Elle, elle va travailler plus avec un imagier, elle va travailler des mots pour voir si c'est un problème de langue ou si c'est autre chose...

Est-ce qu'il existe une transformation des prises en charge : de E en G ou vice versa?

Maître G, c'est le psychologue ?

Non, c'est le maître chargé d'aide à dominante rééducative, qu'on appelle aussi parfois rééducateur...

Ah oui, eh bien, celle qui est censée être G, nous on ne la voit pas.

Le G ne travaille pas avec le maître E ?

Pas chez nous. Enfin pas en maternelle. Il y en a une sur le groupe mais elle reste en primaire. Moi, je ne l'ai jamais vue. Mais c'est pareil, on travaille avec le réseau depuis peu de temps - quatre, cinq ans. Avant, on n'en avait pas parce qu'il n'y avait pas assez de moyens pour qu'on nous mette quelqu'un. Les deux derniers inspecteurs ont fait pression pour qu'on ait quand même une aide parce que normalement on devrait être classé ZEP et on ne l'est pas, on est la seule école sur le secteur suite à une erreur très ancienne, donc on ne bénéficie pas de l'aide ZEP et comme le quartier est de plus en plus en difficulté il faut au moins qu'on ait cette aide d'adaptation.

Pouvez-vous expliciter les différences entre votre travail et celui de cette maîtresse ?

Mon travail est quand même essayer d'intégrer l'enfant en difficulté dans un groupe. Le sien, c'est plus une aide personnelle, il n'y a plus le problème du groupe puisqu'il est seul en face d'elle, ou alors ils sont deux. Mais dans ce cas, ça fait presque comme s'il était seul. Elle se met à la bibliothèque et s'il y a deux enfants qui ont un peu les mêmes problèmes, moi je n'appelle pas ça un groupe, c'est de l'ordre de l'aide individuelle. Son travail, c'est d'apporter une aide individuelle sur des points précis pour permettre à chaque enfant de s'intégrer après au niveau du groupe. Mais moi, dans la classe mon travail c'est plus au niveau du groupe : par exemple qu'il accepte de faire telle chose devant les autres, donc lui redonner confiance par des petites recettes, des petits trucs pour qu'il ait confiance...ça, ça fait partie de mon travail. Ce qui est important ce n'est pas qu'il réussisse ou qu'il ne réussisse pas, c'est plus l'intégrer au groupe pour qu'après il n'ait plus peur. Souvent ces enfants en difficulté, finalement, ont peur du regard des autres aussi bien celui des copains que de la maîtresse. Qu'est-ce qu'ils font alors ? Soit les imbéciles pour être valorisés, soit ils restent dans leur coin, ils ne parlent plus, ils n'osent plus intervenir et à ce moment-là il y a une barrière. Je pense qu'en premier, il faut qu'ils s'intègrent au groupe, qu'ils soient reconnus en tant que personne influente dans le groupe, c'est-à-dire qu'on a besoin de cette personne pour faire avancer notre projet en classe. Donc il faut que l'enfant ressente qu'on a besoin de lui. Même si ce n'est pas toujours vrai et pas toujours facile. Mais sinon, il ne pourra jamais apprendre. Pour pouvoir apprendre, il faut être reconnu en tant que personne et c'est indispensable de s'intégrer au groupe classe.

Maintenant, si je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Là c'est encore pire... parce que... Maître G, c'est le maître censé, je suppose, être le maître qui fait plutôt une rééducation de type psychomoteur ? Donc rééducation, psychomoteur, individuel et après c'est tout... je ne les connais pas assez. C'est bizarre, cette maîtresse ne vient jamais dans notre école mais par exemple quand on fait les réunions de cycle 2 (GS, CP, CE1) parfois il y a un maître E, parfois le psychologue mais jamais le maître G. Je ne sais pas pour quelle raison... C'est un peu méchant ce que je vais dire mais ça ne me manque pas. Je n'ai jamais ressenti le besoin... ça ne me manque pas. Marquez aussi ne manque pas.

Quel est le travail de ces maîtres-là ? Pouvez-vous le définir ?

... Je pense que le maître E, c'est plus en relation avec la classe d'une part. D'autre part, c'est plus entre guillemets "intellectuel" bien qu'en maternelle il y ait quand même... ça passe par le jeu mais c'est toujours à dominante intellectuelle alors que l'autre je suppose, c'est plus comme son nom l'indique, un travail sur la motricité fine, sur l'équilibre. Je suppose qu'elle doit en salle de jeu faire des jeux, des exercices sur la poutre, des choses comme ça... Et puis pour la motricité fine de la pâte à modeler, je pense...

Pouvez-vous caractériser les élèves qui iraient voir plutôt le maître E ou plutôt le maître G ?

Peut-être que ceux qui auraient plutôt un problème de comportement iraient plutôt voir le maître G. Et puis celui qui aurait plus un problème scolaire, au niveau de l'intégration scolaire proprement dite, irait voir le maître E pour l'aider justement mieux dans la classe par rapport au projet de la classe, du groupe et puis ceux qui sont instables iraient voir le maître G.

Et dans votre école que se passe-t-il puisqu'il n'y a pas de maître G ?

Nous, on globalise, c'est-à-dire un enfant qui a des problèmes de comportement mais qui par ailleurs réussit pas trop mal, je vais le mettre sur ma feuille et puis par exemple à la maîtresse : "essaie de le recadrer, peut-être par des jeux d'observations, des choses comme ça…" pour qu'il fasse plus attention etc… Il m'est arrivé de signaler des enfants qui avaient uniquement des problèmes de comportement et si elle n'a pas trop d'enfants à prendre, elle va me les prendre un peu pour me faire plaisir, pour me faciliter la vie… Je me souviens, il y a deux ans, il y avait un enfant qui avait de gros problèmes de comportement, il n'écoutait rien, il était instable… mais il réussissait bien. Et elle le prenait comme ça par petite tranche d'un quart d'heure ou vingt minutes, elle allait en salle de jeux si c'était libre, elle lui faisait faire de petits exercices… elle jouait sans doute le rôle d'un maître G.

La différenciation actuelle vous semble-t-elle pertinente ?

Vous voulez dire celle qui existe ?

Oui…

Non… parce qu'un enfant qui a des problèmes de comportement, de toute façon même s'il réussit très bien ce qu'on lui demande en classe, il sera toujours exclu. Donc on en revient à ce que j'ai dit au départ et à ce moment-là ce n'est peut-être pas utile… Il y aurait un maître comme le maître E qui s'occuperait de lui pour l'aider en dehors de la classe et par petites périodes, ce maître-là pourrait tout aussi bien faire la rééducation qu'il pense utile soit au niveau moteur soit au niveau intellectuel si tant est que la différence est là. Je trouve que ce n'est pas utile de multiplier les personnes avec des statuts différents. Psychologue, c'est différent. Il y a une formation spécifique… de psychologue. Mais autrement… Je trouve qu'un seul, que ce soit G ou E, enfin bon…

On parle beaucoup d'une réforme au niveau des aides spécialisées. En avez-vous entendu parler ?

J'en ai vaguement entendu parler. Il était même question de faire une grève, on nous avait fait passer un papier… Il s'est trouvé comme toujours qu'on nous a informés trois jours avant… Alors pff… De toute façon on ne fait pas de grève parce que ça ne se décide pas comme ça de but en blanc, sans informer personne, et puis comme nous à l'école… C'est vrai que j'attache beaucoup d'importance au réseau. Ma collègue, qui a les grands, pas du tout. Si vous l'interrogiez, elle ne vous dirait pas le quart de ce que je dis. Les projets, elle ne les remplit pas. Pour elle c'est bien pratique, il y a quelqu'un qui vient, qui lui enlève deux ou trois enfants pénibles de temps en temps et puis voilà ça fait ouf et c'est tout… Je veux dire, ces gens-là ne vont pas faire des grèves pour les problèmes du réseau. Il faut se sentir responsabilisé… Sinon, pourvu qu'il y ait un réseau qui prenne les enfants en difficulté… "ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent, ça ne m'intéresse pas"… C'est sûr que si on en est là on ne fait pas grève. C'est malheureux mais il y en a qui en sont là et en primaire aussi, je peux vous le dire… En primaire par exemple, il y a des maîtres qui ne demandent même pas ce qu'ils ont fait. Quand un enfant de ma classe par exemple est pris et qu'il revient… on ne s'arrête pas à la minute où il revient, mais on prend un temps tous ensemble pour voir ce qu'il a fait : "Tu es allé avec Alexandra et qu'as-tu fait aujourd'hui avec elle ?" Et j'essaie de faire en sorte que les autres écoutent. Parce que ce n'est pas un pion qu'on prend et qu'on emmène hors de la classe… Ce n'est pas évident pour lui aussi. Imaginez… Et nous, on lui dit : "Voilà pendant ce temps ce qu'on a fait". Et un enfant essaie de faire un petit compte rendu de ce qui a été fait. Il s'en passe des choses en maternelle en trois quarts d'heure…Voyez, c'est essayer de tisser des liens autour de l'enfant pour qu'il se sente considéré et de ce fait un petit peu moins exclu.

Pouvez-vous préciser votre position par rapport aux perspectives et aux modifications qui s'annoncent ?

Je ne connais pas les modifications qui s'annoncent… (rires)

Avez-vous déjà entendu parler des rapports Gossot et Ferrier ?

Non, non…

Ces deux rapports vont dans le sens d'une réunification des E et des G (me coupe)

Alors j'ai déjà répondu tout à l'heure quand je disais que moi personnellement je n'éprouvais pas le besoin de compartimenter les aides. Je suis pour une réunification parce que, dans mon cadre de travail, je n'ai pas de lien avec le maître G. Il est inexistant. Et je ne vois pas ce qu'il peut faire, puisque par rapport à mes enfants qui ont des problèmes, le maître E fait très bien l'affaire. Mais peut-être que le maître E dirait : "Justement ce maître est inexistant parce qu'il a trop de travail et il faudrait peut-être plus compartimenter pour que chacun ait moins de travail". Ce serait peut-être son point de vue et qui pourrait être intéressant mais pour l'instant je maintiens ma position.

Dans votre position, quelle est l'importance de la personnalité du maître chargé d'aide par rapport à celle de sa spécialité ?

Primordiale. Je pense que c'est la personnalité de l'enseignant, plus que la lettre qui fait, bon… Je veux dire que cet enseignant a une formation particulière. S'il est E ou G, je pense que la formation est différente mais c'est une affaire de personne quand même…

Vous parlez de formation spécifique. Connaissez-vous les référents théoriques des E et des G ?

Je sais très vaguement… Je connais quelqu'un qui l'année dernière a eu une formation dans le cadre de l'IUFM. Elle a eu une formation assez pointue dans le domaine psychologique, cognitif sûrement. A l'issue de cette année-là, elle a passé un examen. (…)

Pouvez-vous citer trois auteurs ou trois livres qui feraient référence ? Pour les E pour commencer…

Sur lesquels il faudrait s'appuyer en somme ? Pff… De toute façon, ça me gêne de citer des livres, parce que je trouve que dans ce genre de travail, ce n'est pas tellement avec des livres qu'on va progresser, c'est plus en discutant qu'on peut le faire – comme par exemple je peux le faire avec cette maîtresse – qu'on peut avancer. Quand je dis "on", je me mets dans le lot aussi parce qu'en fait, on chemine ensemble. Alors lire tel livre ou tel livre, je ne trouve pas que ça avance beaucoup. Ce n'est pas un livre qui change les choses… C'est plus la discussion, l'observation, le temps passé avec l'enfant qui change…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Un enfant qui réussit c'est un enfant qui est à l'aise, reconnu aussi bien par ses pairs que par le maître que par l'institution etc… J'avais envie de dire bien dans sa peau parce que ça n'a rien à voir avec savoir faire forcément ce que le maître demande, c'est être épanoui, c'est être content de venir à l'école. Un enfant qui va savoir faire ce que le maître demande, certains vont dire "il réussit, il sait faire". Mais à mon avis ce n'est pas forcément le cas. Celui qui réussit, il vient avec le sourire, il va faire sans problème ce qui est demandé ou se heurter à une difficulté et puis la surpasser.

De façon plus générale, comment considérez-vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Les aides ?

Toutes les aides…

La première chose c'est qu'elles doivent s'inscrire dans une équipe. Ce n'est pas chacun fait son petit truc dans son coin. Donc, il faut se parler. Aussi bien pour les aides bénévoles, comme les emplois jeunes etc… Il faut faire équipe, même si ce n'est pas une vraie équipe en ce sens qu'il y en a qui se sentent un peu rapportés parce qu'ils n'ont pas le même statut… Par exemple les aide éducateurs, c'est vrai qu'ils n'ont pas le même statut que nous, ils n'ont pas de formation et peut-être se sentent-ils à l'écart. Mais c'est à nous de les intégrer et de leur montrer, enfin de les mettre dans notre équipe. A ce moment-là ce n'est pas eux qui vont avoir les idées pédagogiques mais ce sont des personnes à part entière qui vont avoir leur place et leur rôle dans l'épanouissement de l'enfant.

Et ça se passe bien dans votre école ?

Eh bien, on a quelqu'un seulement depuis la rentrée de janvier ! Je trouve que c'est une fille très bien. Elle a fait une licence de sociologie. On a bien accroché toutes les deux et on a organisé l'école comme on a voulu. Dans l'école il y a cinq classes. Elle travaille avec les petits et tout petits le matin et l'après-midi, il reste trois classes et on se la partage. Le lundi après-midi, elle vient chez moi, le mardi chez une autre, le jeudi chez une troisième et le vendredi elle se met à la bibliothèque pour accueillir nos enfants à la BCD. Pour l'instant, moi je lui confie les moyens de ma classe – 9 moyens -, je lui prépare tout et je lui explique à l'avance. Elle fait un exercice systématique de graphisme avec les gommettes etc… Ensuite elle va à la bibliothèque avec les moyens et ensuite elle fait un jeu – en ce moment, jeu de mémory - et ensuite elle leur raconte une petite histoire. Et tout ça, ça mène à la récréation à 15h30 (…) Je trouve que c'est super d'avoir quelqu'un comme ça pour aider parce que nous ça nous fait du bien, on a un peu moins d'enfants, mais ça permet aussi aux moyens que j'ai tendance à sacrifier par rapport aux grands. Je ne fais pas trop de choses avec eux surtout qu'ils ne sont pas nombreux et donc au niveau de la classe ce n'est pas évident… Là, au moins, je me dis qu'ils ont quelqu'un pour eux tout seul, qui va leur raconter par exemple une histoire à leur niveau, qui va être derrière eux, ils vont pouvoir lui raconter leurs petits trucs et c'est sympa pour ça… De ce côté-là je pense qu'elle a vraiment un rôle éducateur, pas pédagogique mais éducateur… D'ailleurs les enfants l'adorent… (…).

Quelles sont les différences entre l'aide apportée par l'aide éducatrice et celle apportée par le maître E ?

Ça n'a rien à voir. C'est un problème de formation d'abord. Le maître E est formé pour un travail précis. D'autre part, elle connaît l'enfant. L'aide éducatrice n'a aucune formation pour ce genre de travail. C'est plus quelqu'un qui a envie de faire un travail avec les enfants mais elle n'est pas formée. C'est un petit peu comme pour moi la première année quand j'étais suppléante éventuelle, que j'ai débarqué à l'école, je n'avais aucune formation, je venais de la fac, sauf que moi, j'avais toute une classe et je devais tout faire alors qu'elle on lui dit : "Voilà je t'ai préparé ça, tu feras ça…" Mais l'aide apportée par l'aide éducatrice et l'aide E ça n'a aucune mesure… La première est une aide "matérielle" presque…

Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Je trouve que le temps… Il faudrait davantage de maîtres E parce que le temps qu'elle peut nous accorder est trop faible pour qu'il y ait un résultat important. Il y a quelques petits résultats, c'est-à-dire que l'enfant se sent un petit peu mieux à l'école, il est content parce qu'il réussit telle ou telle chose mais ça ne suffit pas et il reste exclu.. parce que la classe avance pendant ce temps et ils n'ont pas assez d'aide… Il faudrait par exemple quelqu'un rien que pour notre maternelle. Les enfants, il faudrait les prendre tous les jours trois quart d'heure pour qu'il y ait vraiment une avancée. Là c'est une peu la goutte d'eau qu'on met et puis on se sent bonne conscience… Mais pour commencer tous ceux qui ont des problèmes ne peuvent pas être suivis et puis avec toute la bonne volonté du monde, il n'y a pas assez de temps. L'année est courte. Encore, on a obtenu cette année qu'elle commence en septembre, avant on ne l'avait qu'à partir de janvier. Pour certains enfants, quand il y a de très légères difficultés, on arrive à avoir une très nette amélioration en février mars mais comme, la plupart du temps, ce sont des cas lourds… Il faudrait déjà pouvoir les prendre chez les moyens en fait… Sur les neufs moyens que j'ai cette année, j'en ai déjà deux, je ne veux pas dire qu'ils sont perdus d'avance mais je sais que l'année prochaine je les signalerai dès le début de l'année, à moins d'un miracle…

Existe-t-il des actions de prévention organisées par le réseau ?

Chez nous, non. La psychologue s'occupe des moyens quand vraiment on les signale à plusieurs reprises et qu'il s'avère que ce sont des cas lourds, quand la directrice dit "Oui, oui, il y a des problèmes avec la famille". Là par exemple elle s'est déplacée pour voir deux moyens et elle a dit effectivement que c'était des cas lourds mais autrement rien… Et elle les a vus et c'est tout.

Est-ce que je peux avoir une idée du nombre d'enfants pris en charge sur l'école maternelle ?

Oui, moi j'en ai six dans ma classe sur dix-huit et ma collègue en a signalé quatre je crois.

Pendant toute l'année ?

Non. Par exemple, les projets sont revus en décembre. Pour un qui manquait énormément, on a pensé que ça ne servait à rien de faire du saupoudrage et puis l'autre on l'a laissé parce que c'était un cas lourd et qu'il vaudrait mieux laisser la place à un autre qui aurait des chances de s'en sortir. Du coup, j'ai laissé deux places et ma collègue les a prises.

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez vous d'autres remarques à formuler ?

Non, j'espère avoir répondu…