Entretien E65 Aurore

Age : 48 ans

Profession : Institutrice en classe de MS/GS (28 élèves)

Diplômes : CAP d'instituteur, CAEI option Déficients Intellectuels (77) et option RPM (81)

Aurore : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Aurore : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : chez l'interviewée

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Instabilité, immaturité, comportement, difficultés scolaires, échec.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Instabilité, l'enfant très excité, instable quoi. Immaturité, les enfants qui ne comprennent pas le pourquoi du travail, pourquoi il faut apprendre. Comportement, c'est l'enfant agressif ou timide ou inhibé.

Vous avez dit aussi difficultés…

Oui, difficultés scolaires, souvent en lecture ou en maths. Echec, c'est les cas plus lourds. Difficulté, c'est pour moi un enfant, qui avec des structures va s'en sortir, alors que l'échec on garde espoir mais… (rires). L'échec c'est un enfant qui risque de ne pas trouver sa voie dans notre système actuel. L'échec pour moi c'est très dur.

Je vais vous demander maintenant de choisir d'un enfant en difficulté scolaire avec qui vous avez eu l'occasion de travailler. Pouvez-vous présenter la situation et dire comment ça se passait à l'école pour lui ?

Qu'il ait eu de l'aide ou pas d'aide ?

Vous choisissez… S'il y a eu une aide vous dites en quoi ça a consisté, s'il n'y en a pas eu vous dites pourquoi, si ça a manqué etc…

Par exemple Alain un enfant au comportement très agressif qui avait un frère jumeau en grande section, Valentin. Il avait sûrement des problèmes d'identité par rapport à son frère au point de nous dire qu'il s'appelait du prénom de l'autre. Il était très agressif, disant toujours non. Il ne pouvait pas entrer en classe le matin par exemple sans avoir dit non. Systématiquement il fallait qu'il dise non dès le départ : il ne voulait pas dire bonjour, il ne voulait pas… vous voyez ? Si vous proposiez un exercice en sachant que dans les ateliers on tourne, il ne voulait pas faire lecture, il voulait faire maths etc… Et en maths, un échec – là, j'aurais aimé avoir de l'aide – il ne pouvait pas compter au-delà de trois. Il avait une incapacité à compter. C'était un enfant très agressif la première année, un peu moins la deuxième année mais qui vraiment perturbait le groupe. Il fichait en l'air la classe… très opposant, très fort de caractère et pourtant très intelligent. Je ne vois pas un enfant vide comme certains qui ont le regard un peu vide. Lui, c'était délibéré sauf en maths où on n'a jamais compris. Là, le rôle de la famille est primordial, c'est-à-dire qu'ici la famille n'était pas prête à faire la démarche… Il y avait une hyper… une grande fusion avec la maman, le papa refusant pas mal ce qui pouvait être extérieur. Les parents étaient persuadés de pouvoir résoudre les problèmes eux-mêmes. Aujourd'hui cet enfant est au CP. Il est en échec, il n'y a pas eu de mieux. La prise en charge orthophonique va démarrer. Là, c'est le genre de gamin qui interpelle. On se dit : "Quel devenir pour ce genre d'enfant ?" tout en étant persuadé que, pour ce genre d'enfant, une aide – notamment du réseau d'aides – était indispensable. C'est un enfant qu'on aurait peut-être pu faire évoluer. Dans le cas contraire, le réseau aurait été l'intermédiaire entre la famille qui était sur la défensive et les spécialistes qui sont plus difficiles d'accès.

Vous pensiez à une indication CMPE par exemple ?

Par exemple. Le réseau aurait déjà pu travailler avec l'enfant, lancer une aide au sein de l'école et puis voir si elle était limitée, il y aurait pu y avoir besoin d'autre chose… Mais rien, c'est dément.

Et en classe ou au niveau de l'équipe, avez-vous essayé de faire quelque chose pour faire évoluer ce comportement ?

Alors, on a essayé de rencontrer plusieurs fois les parents. J'avais eu une année le premier et la deuxième année le deuxième et la collègue inversement. Ça a été très dur. Les parents acceptaient difficilement. Donc ça s'est limité à des entretiens de parents. Si, il a quand même été vu par le psychologue parce qu'il a fallu… mais bon ça s'est soldé par des résultats de test … (avec un ton dépité)… il n'y a pas eu beaucoup de suite.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Aide, communication, soutien, reconnaissance, synthèses.

Je vais vous demander d'expliquer maintenant…

Aide, parce que ça me paraît essentiel pour l'aide d'enfants en difficulté. C'est le maillon de l'Education Nationale qui est le mieux placé, le plus proche des collègues, le plus proche de l'école et de l'enfant pour aider. Ensuite, communication parce que je crois que les enfants qu'on envoie au réseau d'aides, il y a un problème de communication. C'est vrai qu'on arrive à rebrancher, à remettre la communication en route. Ensuite, soutien parce que les premières demandes que font les enseignants, c'est d'abord une demande de soutien scolaire, ce n'est pas forcément ça mais le mot soutien revient souvent dans les discussions de demandes des enseignants par rapport au réseau. Ensuite reconnaissance, c'est plutôt la rééducation parce qu'on aide souvent à reconnaître l'enfant là où il en est dans sa problématique personnelle. Il me semble que les enfants sont au moins reconnus là où ils en sont. Et puis synthèses, pour avoir travaillé en réseau d'aides, la synthèse c'est vraiment essentiel, c'est le lieu de rencontre de tous les membres du réseau, c'est essentiel pour faire avancer les dossiers, enfin… le devenir des enfants. Si on n'a pas de psychologue, le rééducateur ne peut pas faire grand chose, le maître de soutien ne va pas dire grand chose…

Vous voulez dire que c'est important au niveau d'un échange entre eux ?

Voilà, c'est un travail d'équipe.

Je vais vous demander la même chose pour maître E, cinq mots ou expressions…

Soutien, difficultés scolaires, pédagogie, relation de petit groupe, petit groupe… adaptation.

Pouvez-vous préciser ?

Soutien parce que c'est toujours la même demande. Le maître E est là pour soutenir les enfants dans leur travail scolaire, vraiment soutien scolaire. Difficultés scolaires parce que les difficultés - si ça relève de soutien scolaire ou de rééducation - touchent, elles, beaucoup plus le personnel. Pédagogie parce que le maître E s'arrête à la pédagogie, pédagogie différenciée, adaptée mais c'est très pédagogique par rapport au rééducateur qui est plus dans le domaine personnel, psychologique ce qui ne veut pas dire que le maître E ne doit pas faire de psychologie. C'est lié mais c'est beaucoup plus dirigé sur les difficultés scolaires et pédagogiques. Ensuite petit groupe parce que je le vois mieux comme ça. La rééducation, c'est pour moi individuel et le maître E c'est le groupe, petit, moyen, plus grand… A mon avis, c'est par petit groupe qu'on résout mieux les problèmes pédagogiques, à cause de ce qui se passe entre les élèves.

Et puis adaptation…

Là, dans les deux sens. Ça s'appelait classe d'adaptation mais je pense aussi que ce maître a à faire un gros travail d'adaptation. Il est à la charnière entre le spécialisé - le réseau d'aide - et les enseignants. Lui, c'est vraiment… un maître d'adapt, pour moi, ça doit être des capacités d'adaptation importantes. Je trouve que les maîtres E sont très importants au niveau de la relation entre les enseignants et le réseau d'aide. Encore plus que le rééducateur…

Pouvez-vous préciser leur rôle dans cette relation "enseignants / réseau d'aide" ?

C'est ma façon de le voir. Il me semble que le maître E est dans le réseau professionnellement. Il entend plein de choses de par sa place et il doit pouvoir récupérer ce qu'il est possible de transmettre à l'enseignant. Alors que le rééducateur c'est plus une relation presque individuelle avec les enfants et avec les enseignants. Lui, au sein du réseau, il fait sa synthèse pour parler de l'enfant mais ce n'est pas la même liaison. Le maître d'adaptation c'est quand même un enseignant, qui fait partie de l'équipe enseignante et il fait partie en tant que spécialisé de l'équipe réseau d'aide. C'est là toute la difficulté de savoir rester dans le réseau pour ce qui est spécifique et en même temps de comprendre la partie pédagogique, enseignante. Il fait partie de l'équipe pédagogique, ce qui multiplie à mon avis les difficultés mais qui peut être aussi très riche.

En vous appuyant sur un cas d'enfant de votre classe suivi par un maître E, pouvez-vous décrire concrètement le travail de ce maître E ?

Je n'en ai jamais eu, je n'ai jamais eu d'aide E depuis que je suis enseignante.

Et puisque vous avez travaillé en réseau à un moment donné, pouvez-vous décrire le travail d'un maître E à partir d'un cas d'enfant présenté en synthèse ? Que fait-il ? Que dit-il ? Comment procède-t-il ?

C'est assez loin. Au niveau d'une synthèse par rapport aux enfants, on faisait des bilans communs maîtres E, maîtres G. Les maîtres E intervenaient quand même dans les bilans globalement pour voir les difficultés. Ensuite en synthèse, il y avait discussion à propos des enfants qui nous paraissaient en difficulté et avec l'aide du psychologue on départageait les enfants qui relevaient plutôt d'une aide rééducative ou plutôt d'une aide pédagogique. Le maître E travaille en petit groupe. C'est vrai qu'il était souvent… Moi ça me paraissait essentiel de l'intégrer dans les synthèses régulièrement, c'est-à-dire que les rééducateurs parlent régulièrement des enfants qu'ils suivent et puis le maître E parle de ses petits groupes. Ne serait-ce que parce qu'il y a des enfants qui peuvent basculer, s'il y en a qui ont besoin de rééducation après avoir suivi une partie pédagogique. Sinon, le maître E intervient en classe pour certains enfants. La relation avec l'enseignant est très différente par contre. Elle reste plus pédagogique.

Pouvez-vous donner un exemple de différence ?

Notre principe, c'était de ne pas refaire la même chose. Le maître E ne doit pas refaire ce que l'enseignant n'a pas pu faire, là où il y a eu des difficultés. Par contre, le maître E doit savoir où en est l'enfant et où sont les difficultés et à lui… je pense qu'il faut laisser toute liberté à cette personne pour qu'elle arrive à remédier mais à sa façon – sous forme de jeux, d'activités, s'il y en a qui se sentent en théâtre ou je ne sais pas…- sans que ça empiète sur la rééducation mais qu'il y ait une autre façon de ramener les enfants au désir d'apprendre. Je pense qu'il ne faut pas que ce soit un répétiteur de l'enseignement qui a échoué. Si ça a échoué, il ne faut surtout pas recommencer de la même manière.

Quelles sont les différences perceptibles entre les méthodes du maître généraliste et celles du maître E ?

Le maître généraliste, c'est-à-dire l'enseignant ? Lui, il a son programme, il a ses groupes de soutien au sein de la classe qui sont obligatoires… les différences de niveau, différences de rythme etc… c'est son problème. Je pense que le maître E a tout à inventer d'après sa connaissance des difficultés de l'enfant, c'est-à-dire qu'il a la gestion du groupe et il faut qu'il invente les façons de prendre les enfants pour pouvoir les faire progresser. Ça peut être un travail d'écoute, il faut qu'il reste avec des repères. Si c'est un enfant qui a des difficultés en lecture, il ne va pas agir de la même façon si c'est math ou lecture peut-être mais je pense qu'il faut qu'il soit très libre d'organiser sa pédagogie comme il se sent et comme il est. Si c'est l'écoute des sons, je ne sais pas… qui peut se recouper avec celui du généraliste parce qu'on peut trouver des enseignants qui travaillent beaucoup les sons. Mais dans ce cas, si le maître E reprend dans ce domaine c'est bien mais s'il ne le fait pas, l'essentiel c'est qu'ils soient tous les deux tournés sur les mêmes difficultés. Je pense aussi qu'il faut qu'il se limite aux priorités. Un enfant qui a de multiples difficultés, faire un contrat, dire : "Pendant un trimestre, on travaille tel ou tel domaine"… Je pense qu'il faut qu'il soit libre, ce n'est pas aux enseignants – je crois que c'est une chose qui leur a été reprochée longtemps – de dire au maître E ce qu'il a à faire. L'enseignant donne les difficultés de l'enfant. Il les a perçues, évaluées et tout ça… C'est à l'enseignant de les évaluer et après c'est au maître E et au réseau d'aide de dire si la prise en charge a des chances de marcher et ensuite chacun doit être complètement libre de façon à permettre une bonne communication. Il me semble que l'enseignant n'a pas à donner, il peut proposer, il peut partager ce qu'il fait dans sa classe et le maître E peut partager les essais qu'il fait, les manières qu'il a avec un enfant mais ça me paraît être très différent. Je pense que l'enfant doit trouver deux mondes très différents parce que sinon, pour sa structure, il faut que ce soit bien particulier. Il faut qu'il sache qu'il est en petit groupe pour qu'on l'aide à progresser mais il faut que ce soit d'abord agréable et puis… des trucs nouveaux. Je crois que le maître E a beaucoup de travail, de recherche à faire pour être original. Pas dans le sens de se démarquer forcément… mais qu'il trouve des moyens d'attirer ces enfants qui sont en difficulté scolaire. L'univers de la classe c'est trop dur, il faut créer des groupes attentifs et leur donner envie.

Maintenant si je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Rééducation, jeux, rôles, relation, difficultés.

Pouvez-vous préciser ?

Rééducation parce que le maître G c'est le rééducateur donc son rôle c'est de prendre en charge individuellement des enfants. Jeux parce que pour moi en tant que rééducatrice, je ne conçois pas la rééducation sinon par le jeu au-delà de toutes les définitions qu'on peut donner à l'enfant, ça reste un jeu – jeu symbolique, jeu éducatif, toutes sortes de jeux. On joue quelque chose… Les rôles ça me semble important de les définir. L'enfant doit savoir dans quel cadre on le met. Les rôles doivent être clairs. Et la relation il y a deux sens : relation avec l'enfant, essentielle, privilégiée… fragilité aussi, difficulté à la réussir … par contre il y a aussi les difficultés de relation aux enseignants. Ces deux mots relation et difficulté font penser à la fois à la relation et aux difficultés de l'enfant et à la fois aux relations et aux difficultés avec les maîtres.

Pouvez-vous parler de ces difficultés avec les maîtres ?

Moi, c'est le grand regret que j'avais quand j'ai quitté le réseau d'aide, c'est d'avoir eu le sentiment d'avoir réussi beaucoup de choses – enfin "réussi"… Je voyais beaucoup de positif dans toute la partie avec les enfants, ça restera toujours positif – et ce qui m'a paru toujours moins facile, pour ne pas dire négatif, c'est la relation avec les enseignants. Alors une incompréhension, je pense, des rôles de chacun. Je crois que les enseignants – pas du tout pour les culpabiliser – par un manque d'information, aussi bien de la part des réseaux d'aide eux-mêmes que des instances supérieures, dans les IUFM etc… - un manque d'information sur le rôle des personnes. Donc l'enseignant attend trop… il n'y a pas assez de différences dans sa tête, les rôles ne sont pas assez définis entre le maître E et le maître G, les enseignants avaient la même demande pratiquement. C'est regrettable, parce que ce n'est pas du tout ça. Quand on est enseignant, on a des enfants en difficulté mais il y a deux sortes de difficultés. Première chose et puis peut-être de l'autre côté une incompréhension ou un non souvenir – parce que les rééducateurs ont été enseignants et il y a parfois du non souvenir d'avoir été enseignant. Parfois les rééducateurs ne se rappellent plus non plus ce que c'est que d'avoir vingt-huit élèves en difficulté… Je pense que c'est légitime – maintenant que je suis redevenue enseignante – je pense que c'est légitime de comprendre certaines choses. Ce n'est pas facile d'être vingt-huit, d'avoir un groupe de cinq six enfants en difficulté, c'est vrai que les gros cas, on a tendance à vouloir se sentir aidé parce qu'on a l'impression que c'est moins lourd… Ce qui est faux parce qu'en fait quand les cas sont très lourds, si ça relève de structure beaucoup plus spécialisée… Le nœud reste là, dans la relation entre les enseignants et le rééducateur, beaucoup plus que le maître d'adaptation. Le rééducateur dérange parce que c'est une relation individuelle beaucoup plus secrète, si on peut dire… Il y a moins de choses qui transparaissent… Tandis que le maître E, il peut parler plus librement de ce qu'il a fait même s'il garde un côté secret professionnel, il y a toute une partie beaucoup plus pédagogique qu'il peut exposer à l'enseignant. Il y a plus de concret. J'ai l'impression aussi que les enseignants s'imaginent que cette relation leur échappe. Il y en a qui le vivent très bien, il y en a qui le vivent moins bien… A mon avis, il y a quelque chose de l'ordre de la jalousie… parce que c'est vrai que la rééducation c'est très personnel et en plus c'est très lent. Le problème de l'évolution très lente… les enseignants pensent encore aux résultats très rapides, ce qui n'est pas du tout évident, même pour les maîtres E. Pourquoi un enfant souffre, pourquoi il est en échec, pourquoi il est en difficulté ? C'est plus compliqué… C'est vrai aussi que les enseignants… il y a toute la partie de ceux qui sont ouverts, qui sont capables d'entendre des choses comme ça, qui sont déjà préparés. Je pense quand même que le gros problème c'est qu'on ne prépare pas les gens – ne fut-ce qu'en formation – à recevoir de l'aide. Les gens réclament le réseau, réclament des aides. Mais si vous n'êtes pas préparés, si vous ne savez pas ce qui s'y passe, ce n'est pas facile…

Vous avez évoqué l'incompréhension des enseignants qui font les mêmes demandes aux E et aux G. Pouvez-vous expliquer les différences d'indication entre E t G ?

Dans le profil ou dans l'action ?

Dans le profil…

Disons que depuis que je suis revenue en classe, j'ai travaillé depuis quatre ans dans un milieu à besoins. (…) J'ai la chance de travailler cette année dans un milieu très favorisé. Je m'aperçois que dans les deux écoles contrairement à ce qu'on pourrait penser, il y aurait des besoins d'aide. Le système étant ce qu'il est, actuellement on va favoriser les milieux défavorisés – chose pour laquelle je suis pourtant tout à fait d'accord. Ce que je veux dire par-là, c'est que j'ai vingt-huit enfants de milieu très favorisé, je n'ai aucun gros cas dans ma classe, tous les enfants réussissent à peu près, ce qui ne m'empêche pas ayant été rééducatrice de dire que j'ai quatre ou cinq enfants qui pourraient bénéficier d'une aide psychomotrice ou rééducative. Vraiment il y aurait du travail. Qu'est-ce que c'est que ces enfants ? L'un d'entre eux, c'est un enfant qui est très bon, limite pour un passage anticipé mais qui est très bébé, qui n'est pas capable de tenir en place, qui est instable, qui a besoin de prendre la place de la maîtresse. Il a une relation fusionnelle avec sa maman etc… Du coup, cet enfant va chez une psychomotricienne dans le privé. C'est bien dire qu'il y avait l'utilité à l'école peut-être de lui permettre de mettre des mots sur sa souffrance, sur son instabilité etc… Je dis que ça c'est le rôle du rééducateur. Ici dans mon quartier, j'aurais besoin d'un maître G si les moyens étaient là, si on avait de quoi nous les donner. Dans l'école où j'étais avant, j'avais vraiment besoin des deux. J'avais quelques enfants qui avaient besoin du rééducateur, des enfants inhibés, tristes, instables mais qui sont corrects sur le plan pédagogique et puis un petit groupe d'enfants pour lesquels j'aurais bien vu l'intervention d'un maître E parce que c'était des enfants qui auraient juste eu besoin qu'on leur reprenne certaines notions pédagogiques autour de la lecture etc… dans un cadre plus restreint, petit groupe… Le soutien E ce n'est pas non plus : "Ils ont un échec en lecture donc ils ont besoin d'un maître E". Je pense qu'il y a aussi un problème de relation derrière. C'est aussi des enfants qui sont timides, inhibés, instables mais pas au point de nécessiter une prise en charge individuelle. Je trouve que la liaison est… Souvent ces enfants sont souvent mal quelque part au niveau de leur personne. Ceux-là je les mettrais bien avec un maître E avec bascule si besoin sur une rééducation. On a eu fait ça, des cursus multiples, des enfants suivis par le maître E, ensuite rééducation ou l'inverse. Je vois ça… souple.

Pourriez-vous prendre un cas d'enfant suivi par un maître G – ce peut être vous le maître G – et puis dire comment ça se passait ?

C'est loin déjà…

Aviez-vous un projet commun avec l'enseignant ?

Parliez-vous du contenu des séances à l'enseignant ?

Oui, c'est arrivé. C'est arrivé que des enfants jouaient les mêmes souffrances par exemple le besoin de dominer… J'arrivais sans donner les détails pour garder toute l'intimité de la séance par rapport à l'enfant, le préserver, j'arrivais à faire comprendre à l'enseignant que c'était… que la rééducation avait permis de mettre en évidence un problème : par exemple dominer ou un enfant qui était anormalement dominé par ses parents ou qui avait peur… des choses comme ça. Avec des enseignants ouverts, qui étaient partie prenante de la rééducation, c'était tout à fait possible de mettre le doigt sur certaines peurs. Quelquefois, l'enseignant comprenant mieux cette difficulté, il y avait des retombées plus scolaires parce qu'il en tenait compte. Ça pouvait jouer, notamment dans les problèmes de comportement. Il y avait des enfants qui arrivaient à être plus stables parce que l'enseignant ne les voyait plus de la même façon, ils avaient compris certaines choses.

Inversement, est-ce que vous vous renseignez sur ce qui était étudié en classe et la façon dont se passaient les apprentissages ?

Oui beaucoup. Mais, ça dépendait des enseignants quand même. Les enseignants avec qui ça passait bien, on se voyait régulièrement pour en parler. Parfois spontanément… Je disais comment ça c'était passé aujourd'hui parce qu'il s'était passé des choses très fortes dans la séance et l'enseignant me disait : "tiens, moi aussi, je sens qu'il se passe des choses, il est différent ou des choses comme ça. Avec des enseignants plus craintifs, c'est sûr que c'était beaucoup plus institutionnel, des réunions précises… C'est toujours pareil, c'est la relation.

On parle d'une réforme prochaine. Quelle position soutenez-vous par rapport aux perspectives qui se dessinent ?

Je ne sais pas… dans quel sens ?

Il y a eu récemment deux rapports de l'Inspection Générale qui donnent des indications. Ce sont seulement des indications bien sûr… qui laissent penser que E et G pourraient être réunis en une seule fonction, tout au moins être beaucoup plus proches des enseignants et aller dans les classes par exemple, même pour les G. Il risque d'y avoir un remodelage des fonctions. Qu'en pensez-vous ?

Ils garderaient le nom de E et de G ?

Personne ne sait…

Je pense très simplement que l'Education Nationale ne se donne pas les moyens par rapport aux difficultés scolaires de les traiter dignement. J'ai déjà connu la fusion entre le RPP et le RPM. Quand j'étais en stage en 1980, c'était très spécifique. Les RPP c'était vraiment la rééducation du langage, c'était les orthophonistes de l'Education nationale et nous, nous étions les psychomotriciennes. Maintenant les G, c'est fusionnel, on a tout fusionné, ce n'est peut-être pas un mal parce que la rééducation a évolué. C'est vrai qu'avant les rééducateurs RPP avait une formation théorique, c'était l'articulation, la phonologie, des choses très précises alors que maintenant ça a beaucoup évolué du côté relationnel. Je pense que c'est un bien, ce qui ne veut pas dire qu'un RPP ne pourrait pas faire aussi quelques petites rééducations sans que ça aille chez l'orthophoniste. L'orthophoniste serait réservée à des difficultés beaucoup plus importantes. Que les E se rapprochent de G ou que les G se rapprochent des E c'est bien dans le texte… C'est ce que je disais tout à l'heure. Le maître E n'est pas là uniquement pour le pédagogique. Il y a tout le côté relationnel qui est très important. C'est normal qu'il se rapproche du maître G. A l'inverse le maître G peut aussi proposer quelques activités pédagogiques sous forme de jeux éducatifs etc… si ça rentre dans un… Le rapprochement des personnes ne me gêne pas du tout au contraire par contre dans les actes j'ai l'impression que c'est la formation au rabais. Sans parler de la formation pour les classes de CLIS qui me révolte parce que vraiment quand je vois une collègue qui va trois semaines en formation, elle garde sa classe et il faut qu'elle fasse des cours par le CNED… là, ce sont des revendications… Je suis très pessimiste par rapport au devenir de l'éducation spéciale, alors que je pense que le réseau avait sa raison d'être et qu'il aurait toujours sa raison d'être même si je reste persuadée que le problème est ailleurs. Il faudrait peut-être attaquer les problèmes de fond…

Quand vous dites que le problème est ailleurs, pour vous où est-il réellement ?

Le problème… c'est-à-dire qu'il faudrait revoir la manière dont on enseigne aujourd'hui la manière dont on gère les classes etc… Je ne pense pas que de diminuer les effectifs, ce soit une règle merveilleuse mais c'est quand même évident qu'à 28 par classe aujourd'hui en maternelle, on ne peut pas parler à tous les enfants, on ne peut pas les approcher, ce qui est aussi le rôle du maître généraliste. La relation, elle fait aussi partie du travail du maître généraliste, il n'y a pas que les rééducateurs et les gens de l'éducation spéciale qui sont aptes et qui sont amenés à avoir une relation avec les élèves… Je pense que c'est plus global, l'enseignement aujourd'hui pose des problèmes. Ce que je trouve aberrant, c'est de nous former et de nous faire travailler au rabais. Les enfants qui relevaient de classes spécialisées il y a quelques temps sont à gérer dans les classes normales mais sans formation ou sans aide particulière… Il y a quelque chose qui ne va pas…

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Tristement. J'ai l'impression qu'ils vont disparaître. Mais j'aurais aimé qu'ils disparaissent au profit de quelque chose de beaucoup plus positif. Or j'ai l'impression que les collègues vont garder leurs classes chargées, qu'ils vont se passer des services des gens spécialisés sans donner de moyens supplémentaires à nos collègues généralistes. C'est le plus grand scandale (incompréhensible)…

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ?

Même chose pour la formation G ?

Je dirais Winnicott, Piaget… c'est les vieux mais dans les récents…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

(Interruption momentanée de l'entretien pour une chasse au frelon… ) Bons résultats, bien dans sa tête, bien dans son corps, autonomie… sociabilité.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

La réussite scolaire c'est quand même d'avoir de bons résultats parce que c'est le moyen de les évaluer. Bien dans sa tête, bien dans sa peau parce qu'un bon élève c'est celui qui a la chance d'avoir de bons résultats mais en étant bien dans sa peau. Autonome, c'est-à-dire qui se prend en charge, qui s'assume bien et puis sociabilité, c'est aussi un enfant qui est bien dans son groupe classe, qui apprécie les autres et qui se fait apprécier. C'est vraiment l'idéal…

On dit que l'enseignant est le premier acteur de la mise en place d'une aide en direction de l'enfant en difficulté. Comment vivez-vous cette affirmation ?

C'est-à-dire ?

Quelle place accordez-vous à l'aide dans votre classe, que faites-vous dans ce domaine ?

Déjà l'aide du maître, ça me paraît évident. Lui-même ne peut faire appel que si lui-même a essayé des choses qui ont échoué. Il y a déjà un soutien scolaire spontané dans la classe, c'est-à-dire qu'on fait très vite des groupes et puis qu'on reprend les enfants qui ont montré des difficultés. A partir de là il y a les problèmes qu'on arrive à résoudre nous-mêmes et puis les problèmes qu'on ne peut pas résoudre. Quand on ne peut pas les résoudre, il faut voir à quel degré, si c'est comportemental, si c'est scolaire… Comportement pas trop dramatique, ça peut être le réseau d'aide, ça peut être des prises en charge privées, le psychologue s'il y a besoin d'avoir un avis et ensuite les structures plus lourdes pour les enfants à gros handicap et éventuellement un PEI avec mesure d'intégration… que ce ne soit surtout pas d'intégration sauvage… Donc beaucoup de vigilance. Mais je crois que le maître généraliste ne peut pas faire appel à des structures… si on n'a pas essayé des choses… Il a le droit de se tromper, de demander des aides qui ne seront pas satisfaites par les membres spécialisés mais il faut qu'il essaie des choses dans sa classe… Je ne suis pas pour la structure lourde trop vite. (…)

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Il y a un point qui m'interpelle depuis plusieurs années, la tendance des parents à vouloir faire systématiquement un passage anticipé. Je pense que c'est un danger… quand c'est les familles qui demandent… (…) Et là c'est important d'avoir des gens pour réguler, pour éviter les conflits.

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction d'enseignante est importante pour vous ?

Elle est importante parce qu'elle me remet en contact avec un groupe d'enfants. Par rapport au vécu de RASED où les satisfactions étaient très fortes mais ça restait quand même difficile parce que c'était des relations individuelles avec des enfants en souffrance plus ou moins importantes. On n'était qu'au milieu de problèmes. Dans une classe, ça m'a fait du bien de retrouver des enfants pour qui, ça va, qui n'ont pas de difficulté majeure. D'être stimulée par un groupe dans une classe, c'est important aussi… et puis on a plein de choses à transmettre aux gamins et les gamins ont plein de choses à nous apporter… Je suis tout à fait bien dans la classe.

(…) L'an prochain, je demande un poste en réseau. Je suis claire, je suis prête à finir en réseau. Je me suis dit : "Tu as donné les trois quarts de ta carrière en éducation spéciale, pourquoi ta retraite serait indexée sur ta paie d'instit ?"… Ça me fait plaisir d'y retourner mais plus en G, c'est un poste E que je demanderais. A un moment donné, les problèmes conflictuels devenaient pénibles… Le fait d'être tout le temps plus ou moins mal perçue… pfff… je connais ça depuis que je suis en GAPP… ça amuse cinq minutes d'entendre ça et puis… surtout, surtout quand on vous renvoie que les gens ne font rien, sont payés à ne rien faire, c'est dur quand même (…)