Entretien E66 Pauline

Age : 46 ans

Profession : Institutrice en MS/GS (28 élèves dont un en intégration)

Diplômes : CAP d'instituteur

Pauline : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Pauline : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de cours à l'université

Durée : 1 heure

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression enfant en difficulté ?

Souffrance d'abord... intégration... lien, équipe... adaptation.

Pouvez-vous préciser chaque mot ou expression ?

Souffrance, c'est la souffrance de l'enfant, celle des parents... la souffrance quelquefois de l'enseignant. On se sent un peu démuni face à ces enfants. Alors souffrance, c'est peut-être un terme un peu fort... Intégration, parce qu'il est nécessaire d'intégrer ces enfants dans une classe ordinaire. Pour l'enfant trisomique que j'ai en ce moment, ça ne va peut-être pas pouvoir aller très loin mais pour d'autres... c'est impératif pour moi de les laisser dans un cadre ordinaire, de ne pas les mettre à l'écart.

Lien ?

Lien, parce qu'il faut un lien entre toutes les personnes qui vont intervenir sur cet enfant. Si on est chacun dans notre coin, d'abord on est vite découragé et en plus on n'aide pas assez l'enfant. Équipe, parce qu'au sein de l'école il faut une équipe pour pouvoir supporter, enfin supporter entre guillemets, un enfant comme ça c'est-à-dire qu'il faut avoir un regard différent sur l'enfant. Les personnes étant différentes, le regard est différent ce qui fait que la vision qu'on a sur l'enfant peut être moins sclérosante, plus optimiste et aussi plus objective.

Vous avez dit aussi adaptation ?

Adaptation, parce que c'est à l'enseignant de s'adapter à l'enfant, malgré le fait que c'est très difficile et que ça pose... ça demande une réflexion sur la pratique que l'on a en classe avec cet enfant. Ça interroge aussi nos pratiques face à d'autres enfants qui ne sont peut-être pas trop en grande difficulté mais qui peuvent être en difficulté momentanée.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté scolaire, un seul, avec qui vous avez eu l'occasion de travailler ? Pouvez-vous présenter le cas de cet enfant-là et ce qui était fait pour lui ?

Est-ce qu'il faut que ce soit un enfant pour lequel on n'a pas fait tout ce qui fallait ?

C'est vous qui choisissez...

J'avais un enfant en difficulté et là au niveau de l'aide, je n'ai pas du tout été aidée. C'est un enfant qui était d'un milieu social défavorisé. La maman avait un langage... passons. C'était une famille en grande difficulté à la fois pécuniaire et intellectuelle. C'est un enfant qui a fait d'énormes progrès en petite section. Quand la maîtresse des petits me l'a passé, elle m'a dit : « tu vas voir, il a fait des progrès, il a des capacités ». (...) Par contre, quand il est arrivé dans ma classe, il a commencé à avoir des difficultés. Je le prenais à part. Avec cet enfant, j'ai vraiment fait des pratiques différenciées, tous les exercices, je les adaptais à ses compétences entre guillemets. Il était plutôt visuel et je trouvais qu'il faisait des progrès, mais en dents de scie... je n'étais pas aidée. J'ai fait appel à la psychologue, en début d'année, au mois d'octobre. Elle est venue au mois de décembre, elle l'a vu, ça m'a fait deux mois où j'étais encore toute seule. Elle est revenue lui faire passer des tests en janvier. J'ai eu le résultat des tests en juin. Se posait le problème pour moi, j'avais une section de grands, est-ce que je le faisais passer au CP ? C'est un enfant, à mon avis, qu'il ne fallait pas laisser en grande section. Il aurait énormément souffert de cette mise à l'écart parce qu'il avait fait d'énormes progrès mais c'est un enfant pour qui il fallait être vraiment derrière. La maman faisait tout ce qu'elle pouvait... elle était pleine de bonne volonté mais n'avait peut-être pas les capacités intellectuelles vraiment et la réflexion sur l'enfant qu'on aurait aimé avoir... mais elle était partie prenante. La psychologue a amené les résultats des tests au mois de juin, je l'appelais déjà depuis un bon moment parce que j'étais déboussolée. Elle est revenue au mois de juin, c'est vrai que dans la politique actuelle ce n'est pas bon de faire redoubler un enfant surtout que vraiment, ce n'était pas la peine... pour moi, il fallait qu'il passe. Je n'ai pas eu l'aide de la psychologue que j'attendais en fait. Je l'ai eue trop tard. Quand j'ai passé Henri à la maîtresse de CP, je lui ai dit : « s'il a besoin de revenir dans ma classe pour certaines notions... ». La maîtresse de CP n'est pas rentrée dans ce jeu-là. Elle a eu tout de suite des difficultés avec Henri, comme moi j'en avais eu, ça ne venait pas d'elle... La psychologue est revenue très tardivement, ça a encore traîné, il a redoublé son CP et puis, je l'ai rencontré il n'y a pas longtemps et je me suis dit : « on n'a pas fait tout ce qu'il fallait pour cet enfant... ». Il va aller dans un centre spécialisé... Je trouve qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait pour cet enfant. Moi, je n'ai pas été assez aidée, peut-être que je n'ai pas assez demandé... C'est peut-être ma faute, je veux bien me remettre en cause... En plus, je n'avais pas cette analyse non plus sur ma pratique. Si j'avais eu... je n'ai pas été assez aidée c'est vrai mais je n'ai rien demandé. La psychologue, quand même, est arrivée trop tardivement et à la limite, on aurait pu faire un autre travail avec cet enfant. Si on avait pu travailler avec l'autre collègue, je crois qu'on aurait pu sauver quelque chose. Mais là, l'enfant est en très grande difficulté. Il va aller dans une institution. J'ai vu la maman qui est très contente. Je n'ai pas pu lui dire que ce n'était pas la panacée... ça me fait quelque chose de ne pas avoir pu sauver entre guillemets cet enfant.

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous n'avez pas pu travailler avec la maîtresse de CP ?

C'est un refus, une histoire de personnes. On ne peut pas forcer... d'ailleurs on a toujours des difficultés pour travailler avec. On aimerait que la collègue, on l'aime bien, on n'a rien contre elle, mais on aimerait bien qu'elle change de classe, parce qu'on aimerait faire une liaison entre la maternelle et l'élémentaire. En grande section, on a une pédagogie très avancée... Je trouve que le collègue est bien dans la dynamique actuelle. On travaille en équipe, on a une démarche qui nous pousse à travailler avec le CP. C'est un problème de personnes, il y a un blocage. C'est dommage, on ne peut rien faire.

Je vais vous demander maintenant quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Des personnes compétentes... des difficultés de rencontre... parce qu'on n'arrive pas à les voir. Il faudrait que ce soit plus institutionnalisé, pas obligatoire mais presque... parce que nous, on se laisse prendre par la classe, nous comme les autres. On devrait avoir des moments où on se dit : « on se prend une heure par trimestre pour parler de tel et tel enfant ». (...) on fait partie de la circonscription d'Alès, donc on dépend du réseau d'Alès. Mais, à part la psychologue, je n'ai jamais vu personne d'autre. J'en suis à combien de mots ?

Deux, personnes compétentes et difficultés de rencontre...

Aide... prise en compte individuelle de l'enfant c'est-à-dire qu'ils ont l'enfant tout seul, je ne sais pas comment ils procèdent, alors que nous on l'a dans une communauté... et puis éloignement parce qu'ils paraissent tellement loin que s'ils n'existaient pas, ça ne changerait pas grand-chose pour nous.

Pouvez-vous préciser personnes compétentes ?

C'est des personnes qui ciblent plus une difficulté de l'enfant. Ce n'est pas comme nous, nous, on est là pour apprendre, alors que c'est plus une aide à l'enfant pour accéder au savoir.

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par le mot aide ?

C'est une aide pour tout le monde, c'est une aide à la fois pour l'enfant, pour la famille et pour les enseignants. Ce n'est pas encore tout à fait ça. Ils ont une vision forcément différente de nous sur l'enfant. L'aide, elle est dans les deux sens. Elle est à la fois pour nous enseignants par rapport à ce que font les personnes avec l'enfant et pour les personnes du réseau et qui pourraient être aidées par ce que nous faisons en classe. Ça devrait être plus un échange.

Avez-vous déjà vécu ce type d'échange ?

Oui, je l'ai vécu avec le CAMPS mais pas avec le réseau. J'ai déjà été convoquée par le CAMPS pour Didier qui est trisomique mais je n'étais pas obligée d'y aller. (...) Le CAMPS convoquait tous les enseignants qui avaient un enfant pris en charge dans leur classe. Et on était souvent deux. Il faut dire que pour un enseignant, on n'a pas que cet enfant-là... et puis on n'est pas toujours disponible... ça demande un mercredi matin. C'est très intéressant pour soi, moi ça m'a beaucoup aidé mais ce n'est pas tout le monde qui peut le faire.

Vous avez dit aussi prise en charge individuelle de l'enfant ?

Comme je le disais, on est au sein d'une école, il faut adapter notre enseignement à cet enfant. Il fallait que je les prenne un moment. C'est toujours difficile quand vous avez une classe. Maintenant, ça va mieux pour Didier parce qu'on travaille en équipe et que je peux dire à une collègue qui n'a pas d'enfant à un moment : « Tu peux peut-être essayer de travailler là-dessus, toute seule avec lui en classe... » ça peut être aussi moi qui le prends toute seule et mon collègue qui prend toute la classe... par exemple une lecture d'images avec la télévision... une activité où ça n'a pas d'importance qu'elle en ait plus. On peut avoir des activités décloisonnées qui font que je peux prendre Didier tout seul. À l'époque d'Henri, on ne le faisait pas. C'est vrai que la différence est importante. Je ne dis pas qu'il faut toujours être tout seul avec lui parce que ce n'est pas notre rôle. Il doit vivre avec tout l'ensemble de la classe, même s'il est en difficulté. Il faut quand même qu'il soit dans la classe. (...)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression maître E ? Qu'on appelle aussi maître adaptation ?

Spécialiste, enfant en difficulté, structure spéciale... en fait, je ne sais rien du tout dessus, ignorance totale. Je trouve que c'est quelque chose qui est dommage.

Vous avez changé d'école et de niveau à plusieurs reprises... comment se fait-il que vous ignoriez tout des maîtres E ?

Je n'en ai jamais rencontré, à aucun moment. (...)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression maître G ?

C'est pareil... ça ne me dit rien du tout. Vous pouvez reprendre les mêmes mots. Je sais juste qu'il faut passer des examens mais je suis complètement ignare. (...)

Pourriez-vous parler du cas de Didier que vous avez évoqué tout à l'heure, du travail avec le CAMPS et ce qui vous avez apporté ?

(...) Au CAMPS, on parlait du cas de Didier au niveau de leurs pratiques à eux et de mes pratiques à moi. Ça m'éclairait beaucoup. Ça me déculpabilisait. Quelquefois je me disais : « c'est toi qui n'y arrives pas ». J'étais démunie et je me rendais compte que la difficulté n'était pas inhérente à ma personne, c'était des difficultés que les autres personnes rencontraient aussi auprès de Didier. Ce n'était pas moi qui provoquais ces réactions chez Didier... ça nous interpelle toujours... ça dépend peut-être des personnes, mais moi, je me remets toujours un peu en cause. L'intérêt aussi, c'est qu'on rencontrait d'autres enseignants qui avaient d'autres enfants trisomiques ou autres, handicapés moteurs ou mentaux etc.. J'ai beaucoup échangé sur mes pratiques avec une enseignante qui avait, elle aussi, un enfant trisomique dans sa classe. On a vu qu'on ne pouvait pas du tout fonctionner de la même façon bien qu'ils soient trisomiques tous les deux. Didier ne parle pas trop mais essaie de communiquer alors que l'autre ne parlait pas du tout, ne communiquait pas du tout. Donc, c'est surtout... ça fait faire un travail psychologique au niveau de l'enseignant. C'est ce que j'ai ressenti. Vu que les enfants ne sont pas pareils, qu'il faut adapter nos pratiques, ce n'est pas tellement une aide au niveau pratique, c'est surtout une aide au niveau connaissances et attitudes. On a un peu plus confiance en soi. Et on voit qu'il y en a d'autres qui ont encore plus de difficultés que nous... C'est un peu bête ce que je dis mais c'est ça. Ce n'est pas facile d'en parler mais ça rassure entre guillemets. Les personnes qui sont en face de vous, ce sont des personnes spécialisées auprès de l'enfant. Elles nous disent un petit peu ce qu'elles font... par exemple la psychomotricienne... on avait les mêmes appréciations des progrès de Didier. (...) elle me disait par exemple qu'il arrivait à faire telle chose avec elle et moi je disais : « non, avec moi il refuse » et ça me permettait de le pousser plus loin en classe alors que je n'osais pas. Ça permet d'avoir une autre vision et de revoir les objectifs... on peut exiger plus quand on sait...

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

… Acquisition de savoir-faire, se connaître soi-même, acquisition de savoir, éducation à la citoyenneté... savoir s'adapter.

Pouvez-vous préciser éducation à la citoyenneté ?

A l'école maternelle, c'est tout ce qui est respect de l'autre, rapport avec l'autre... on travaille énormément sur les interdits, pourquoi c'est interdit... (...) On travaille sur la tolérance, l'acceptation de la différence. Didier est très important à ce titre... intégrer un enfant comme ça, ça pose des questions aux enfants, c'est un apprentissage à la citoyenneté, à la vie sociale aussi.

Et savoir s'adapter ?

C'est comme quand on apprend aux CM2 que le langage n'est pas le même selon qu'on s'adresse à un professeur ou à son copain... C'est savoir s'adapter aux situations, savoir réagir sans que ce soit la panique, savoir réagir face à l'erreur aussi. Une erreur ce n'est pas une catastrophe. (...) Il faut dédramatiser les situations d'échec.

On dit que l'enseignant et le premier acteur des aides apportées aux enfants difficulté. Comment vivez-vous cette affirmation dans votre classe ?

Les enfants sont d'abord face à un adulte. C'est une attitude qui n'est pas toujours évidente parce qu'on doit avoir un comportement nous-mêmes d'abord de citoyen, de respect de l'enfant, c'est un truc qui est vraiment primordial... on est sur leurs yeux pendant six heures, on est malgré tout un modèle entre guillemets. On leur montre par notre attitude... c'est très prégnant pour un enfant d'être avec un adulte pendant six heures. Il faut que cet adulte soit à la hauteur de ce qu'il faut montrer... Ce n'est pas une question de bien et de mal, l'enfant a un regard sur nous et il faut qu'on soit... je ne sais pas comment dire, ce n'est pas irréprochable mais justement quand on fait une erreur, ou quand on se trompe, il faut qu'on ait cette attitude-là et c'est très apprenant pour les enfants... c'est idiot, par exemple, la politesse. Si vous ne montrez pas à l'enfant qu'il faut être poli, ce n'est vraiment pas la peine de lui demander d'être poli. On a un rôle pas seulement d'instruction mais d'éducation. (...) C'est l'image qu'on renvoie sur l'enfant. (...) Ce qui est important aussi, c'est le sens qu'on donne aux choses. Parfois, quand ils n'ont pas réussi, je me dis que c'est de ma faute... ça m'arrive encore, il n'y a pas de sens, ils ne voient pas l'intérêt... les enfants, surtout les petits, y sont très sensibles. (...) avec Didier, l'autre jour, ils faisaient vraiment du tutorat sans que je leur demande. Ils avaient conscience des difficultés de Didier et puis ils étaient vraiment contents de l'aider... (...)

Une dernière question facultative : en quoi votre métier d'enseignante est-il important pour vous ?

(...) Je crois que les enfants nous apprennent énormément. C'est surtout ça qui fait que ça me motive. C'est en travaillant avec les enfants que l'on peut progresser soi-même. Ils nous font vraiment réfléchir sur la manière d'enseigner et sur la manière d'être. (...)

(reprise de la discussion après la fin de l'enregistrement)(...) Les personnes du réseau ne sont pas assez nombreuses non plus, je crois vraiment il n'y a pas assez de monde. (...) Les réseaux d'aide ont tellement de travail dans certains secteurs... Quand notre réseau entend parler de nous, il pense qu'on peut se débrouiller sans eux, en équipe...