Entretien E69 Marina

Age : 38 ans

Profession : Institutrice en classe de cours préparatoire (25 élèves)

Diplômes : DEUG d'Anglais, CAP d'instituteur

Marina : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Marina : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de classe

Durée : 40 minutes

Note : Mme M. avait oublié le rendez-vous (pris 3 semaines auparavant) et semble catastrophée. Elle ne veut pas répondre à mes questions, se sent "trop débordée avec trop de réunions et jamais le temps de souffler, à peine le temps de manger". Je lui propose de revenir à 16h 30 ou de prévoir une autre date. Elle refuse. Je m'apprête à partir quand finalement elle se ravise et accepte l'entretien à condition que ça aille "le plus vite possible".

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant en difficulté" ?

Je peux dire cinq prénoms dans la classe mais ça ne vous dira rien (rires)... problèmes de langage, pas présent, parasitage... par plein de choses... il peut y avoir... colère et pas normal(...) un enfant en difficulté, pour moi, c'est un enfant qui n'est pas là, qui n'est pas présent, qui est parasité par autre chose. Quoi ? On n'en sait rien. Il peut avoir des problèmes d'audition, des problèmes psychologiques.(...) Un enfant en difficulté c'est ça. Mais s'il y a une difficulté qui n'est pas de notre ressort, alors à ce moment-là, il doit être orienté. Un enfant handicapé, ça peut être ça aussi un enfant difficulté. Mais ce n'est pas de notre ressort. Mais, on en voit de plus en plus de notre ressort, il paraît... Alors là, je suis en colère. Je veux dire qu'on a de plus en plus d'enfants qui auraient, qui devraient avoir une rééducation bien spécifique, qui sont dans des classes normales, comme ça et ça, ce n'est pas normal. On est institutrice, on n'est pas spécialisé. RAS le bol...

Vous avez parlé de cinq prénoms dans la classe. Pouvez-vous en choisir un et puis présenter la situation ?

La situation... gros problèmes de concentration. Il ne peut pas se concentrer très longtemps, il a un problème de comportement, il est très bougeon. Apparemment, il y voit mal mais il est corrigé. Il n'entend pas très bien. Et puis derrière, il y a une famille en difficulté, c'est sûr... au niveau scolaire, je vois qu'il est en difficulté. C'est un gamin qui n'apprend pas à lire. Il écrit très, très mal... ça ne roule pas, quoi.

Et vous réagissez comment par rapport à cet enfant-là ?

Je suis... les enfants en difficulté dans ma classe, ils sont devant. Je me promène avec ma chaise... les autres, ils se débrouillent. Je m'occupe surtout d'eux... C'est un enfant très attachant. Mais, des fois, ça déborde... parce que je ne peux pas m'en sortir avec vingt-cinq élèves, dont cet enfant. Je sais que je ne pourrais pas lui apprendre à lire cette année. Des fois, j'y crois. Je me dis : « ça y est, ça se décoince... ». En plus, c'est un enfant qui devait être maintenu en grande section. Je soulève aussi le problème, il devait être maintenu en grande section de maternelle, les parents ont refusé, donc il est passé au C.P. et du coup, le réseau ne le prend pas en soutien, ne l'aide pas. Donc c'est vraiment à moi de m'en occuper de A à Z. Moi, je ne suis pas soutenue (rires), je ne suis pas aidée. Là, il y a un problème. Je comprends la position du réseau qui est de dire : « si les parents ont refusé, on ne cautionne pas ça ». Je comprends, mais ça ne règle pas le problème pour l'enfant. C'est un enfant qui risque de refaire un C.P., c'est sûr. En même temps, je comprends l'attitude des parents aussi parce qu'il a pris pas mal de choses au C.P. cette année, plus de choses que s'il était resté en grande section de maternelle. Pour le développement de l'enfant, est-ce que c'est mieux ? Je n'en sais rien. On reste dans un cadre scolaire. C'est discutable.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Ough ! (Rires)...

Oui, en dehors de la signification exacte des lettres... par association d'idée...

Parfois un gros décalage, je pense que ça dépend énormément des personnes avec qui on travaille et si on arrive à discuter, à se concerter, à communiquer. Mais ce n'est pas évident, ce n'est pas toujours évident. Une espèce de décalage, on ne bosse pas vraiment... enfin on a du mal à bosser sur le même terrain. Ils les prennent en petit groupe, ils ne font surtout pas de soutien... ils sont spécialisés. Je veux dire, ils sont les spécialistes et nous les manards. Parfois, c'est un peu difficile à supporter... mais ce n'est pas toutes les personnes. Là, cette année, je trouve que ça se passe bien. Ça demande aussi beaucoup de concertations. Enfin ça devrait demander beaucoup de concertations... enfin pour que ça fonctionne, il faut beaucoup de concertations. Il en faut... avec tout le monde. Alors à un moment, ça explose... on n'a même plus le temps de manger. C'est affreux. Qu'est-ce que ça m'évoque encore ? Je pense qu'ils font un travail de toute façon très difficile dans la mesure où ils ont trop d'élèves. Le boulot du réseau serait efficace s'il n'était que sur une école. Sur plusieurs écoles, c'est de la folie. C'est comme les psychologues scolaires, ça ne veut rien dire. C'est des moyens du coup qu'on néglige ou qu'on critique parce qu'ils ne sont pas efficaces du fait... c'est leur fonction qui veut ça. Le fait d'être trop dispatché, ça fait qu'il y a un désinvestissement inévitable et puis ce n'est pas toujours... Ce serait efficace sur une école.

Vous avez dit tout à l'heure « on a du mal à bosser sur le même terrain ». Qu'entendez-vous par-là ?

C'est-à-dire qu'un enfant, quand il va avec une personne du réseau, il est retiré de la classe. Il ne fait pas ce qui se passe dans la classe pendant ce temps là. Moi, j'aimerais qu'il y ait plus de... que ça se rejoigne plus, avec le travail qui est fait en classe. En même temps, je comprends bien qu'il faut aider l'enfant sur ses difficultés, que de toute façon il ne pourra pas avancer plus en place si on ne règle pas ces difficultés la, que ça se fasse plus en lien avec ce qui se passe dans la classe, soit par exemple en lecture, qu'elle se raccroche au texte de lecture, que ça ne soit pas totalement extérieur. Évidemment, il y a des exercices... s'ils font un travail en phonologie... mais qu'ensuite, ça soit ramené au travail de la classe, que le gamin ne soit pas sorti complètement puis pof ! ramené... que je lui dise par exemple : « Voilà, en ce moment on travaille sur tel texte » et que le gamin vienne avec son texte, c'est ce soit pas totalement détaché du contenu abordé en classe.

Vous n'avez pas votre mot à dire sur le travail qui est proposé par le réseau ?

On a notre mot à dire, sans l'avoir. C'est-à-dire elle nous dit : « nous, on fait ça ». Bon, et bien OK, vous faites ça.

Le contenu du travail n'est pas débattu ?

Non, non. A partir du moment où elles font... il y a eu une histoire à propos du mot soutien, justement. Les personnes du réseau ne font pas de soutien. A la limite, c'est presque les insulter que de dire qu'ils font du soutien. C'est l'aide ou je ne sais pas quoi... on joue sur les mots. Je pense que ce serait plus une aide pour l'enfant si c'était plus relié... déjà, c'est des gamins qui sont complètement éclatés, qui ne savent plus où ils en sont... que les choses se regroupent, se recentrent sur la même chose alors que tout est morcelé. Mais en même temps, je vois bien que ça les aide, ce boulot, les gamins qui y vont. Ça les aide vraiment. Elle fait surtout du travail en phonologie, essentiellement. Mais ça serait pas mal...

Si je vous dis maître E, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Oh là, là ! ... aide méthodologique, c'est-à-dire plus liés au travail qui peut se faire en classe avec l'enfant, par rapport à son travail scolaire. C'est tout. Je ne sais pas ce qu'elles font, ça c'est sûr.

Y a-t-il dans votre classe des enfants qui sont suivis par un maître E cette année ?

Oui.

Pouvez-vous prendre un exemple et puis dire comment s'est faite l'indication, quel a été le projet, comment ça se passe etc. ?

C'est nous qui avons listé les enfants en difficulté dans nos classes. C'est moi, dans ma classe, qui ait rempli une fiche en spécifiant ses difficultés. Ensuite elles ont fait le point maître E, maître G, pour savoir si l'enfant relevait, selon ses difficultés, du maître E ou du maître G, et puis après, ce sont elles qui ont décidé.

Êtes-vous invitée aux réunions de synthèse ? Quelle y est votre place ?

Oui, il y a une réunion, un bilan à chaque fois... je ne sais pas s'il y avait eu une réunion ? Si, on avait été réuni pour savoir, pour faire le point sur les enfants qu'on avait signalés et pourquoi elles pensaient qu'ils relevaient du maître E ou du maître G et puis expliquer le projet qu'il y avait pour les aider, le travail avec la valise, je ne sais pas quoi.

Que vous apportent ces échanges ?

Pas grand-chose, vraiment. C'est de la vitrine, c'est obligatoire et ça leur donne bonne conscience.

Pouvez-vous partir d'un cas précis d'enfant et puis dire à ce qui a été décidé pour lui?

Non, moi je sais qu'elle travaille essentiellement en phonologie avec tous les enfants qu'elle prend. Je n'ai que des enfants qui sont pris par le maître E, aucun par le maître G et elle fait du travail de phonologie avec eux.

Et vous n'en savez pas plus ?

Dans l'année, elle a pris aussi tous les enfants de la classe pour faire un bilan, des tests, deux fois dans l'année, une fois en début et une autre fois. Et là on doit avoir une réunion demain à la même heure, c'est pour ça que ça fait lourd... (rires). On doit faire la synthèse de tous les enfants et plus spécifiquement des enfants pris par le réseau.

Est-ce que vous voyez régulièrement pour faire le point comme ça ?

Régulièrement, mais pas très souvent. Sinon on se voit entre deux portes, comme ça. Disons que ça communique mais les réunions de synthèse, il y en a... ça doit être la troisième ou la quatrième.

Savez-vous comment se passent les synthèses au sein du réseau ?

Pas du tout. Je ne sais pas comment elles travaillent entre elles.

Comment voyez-vous les différences entre votre travail et celui du maître E ?

C'est le nombre d'élèves ! (Rires) c'est le nombre d'élèves ! Ça se résume à ça. C'est le nombre d'élèves qui fait toute la différence. Moi je n'ai pas de formation spécialisée, d'accord, mais la première différence c'est le nombre d'élèves.

Je vais vous demander encore cinq mots pour maître G, pour ce que vous évoque cette fonction là.

Plus quand l'enfant a des problèmes au niveau du comportement, des problèmes dans le schéma corporel, des problèmes plus corporel.

Encore autre chose ?

Non.

Avez-vous déjà eu des enfants pris en charge par le maître G ?

Non, jamais. Parce qu'il y a eu un moment où on n'avait pas de réseau. Et quand j'étais à Anatole France, il n'y avait pas de réseau. Non, je n'ai pas eu d'enfants pris par le maître G.

A travers ce que vous pouvez en entendre, quelles différences voyez-vous entre le travail du maître E et celui du maître G ?

J'ai vu leur salle déjà, dans la salle du maître E, c'est plus scolaire entre guillemets. Dans la salle du maître G, il y a des jeux, des poupées... je sens que cette personne fait bouger l'enfant, l'observe au niveau de son comportement. Autrefois ça s'appelait un rééducateur en psychomotricité. Voilà. Je ne sais pas pourquoi on l'appelle maître G maintenant. Je trouve que c'est plus clair de dire rééducateur en psychomotricité. Et l'autre rééducateur en psychopédagogie... franchement ! (Rires)... c'était plus clair.

Existe-t-il des glissements de pratique, c'est-à-dire des maîtres E qui fonctionnent comme des maîtres G et vice-versa ?

Je n'en sais rien.

Est-ce que la différenciation en aide à dominante pédagogique ou à dominante rééducative vous semble pertinente, vous semble efficace pour résoudre les difficultés?

...

Par rapport aux enfants que vous avez ?

Je pense qu'il pourrait être intéressant de regrouper les deux parce qu'on ne peut pas cloisonner un enfant comme ça. Je vois les enfants que j'ai, qui vont la voir, je pense qu'un boulot corporel, ça leur ferait énormément de bien. Je pense que c'est lié. Ce n'est pas vraiment utile ce cloisonnement.

Parfois il y a des maîtres E ou même des maîtres G qui travaillent en classe. Avez-vous eu l'occasion d'en rencontrer ?

Oui.

Est-ce que ces pratiques vous semblent intéressantes ?

Oui, ça me semble intéressant.

Pouvez-vous relater un exemple de ce qui a été fait ?

Elle venait dans la classe et elle prenait à part, ce qu'on devrait faire, nous, dans notre classe, prendre des enfants difficultés à part dans un petit coin de la classe. Moi je suis désolée, je n'y arrive pas. Moi, ils sont devant et ils ne bougent pas de place, parce que sinon... et donc elle faisait à peu près le même travail que moi mais en les aidant plus particulièrement. Elle faisait du soutien. Voilà.

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux qui sont recommandés lors de la formation E ?

Non.

Pour la formation G ?

Non.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Un enfant qui a envie de venir à l'école, un enfant souriant qui ... s'exprime librement, qui a de bonnes relations avec ses camarades et le maître et puis... le reste ça suit. Et qui aime, qui a le goût de l'effort, qui a le goût du travail.

Pouvez-vous développer cet aspect ?

Mais le plus important c'est l'enfant qui a envie de venir à l'école et qui en voit l'intérêt, qui a une soif d'apprendre, qui apporte des choses. (...)

Quelle importance accordez-vous à l'aide en général dans le cadre de votre classe ?

Essentielle. J'ai besoin d'aide. Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles actuellement. Vingt-cinq C.P., c'est vraiment le maximum, sinon on fait un boulot... Ce n'est pas possible. Je n'ai pas l'impression de mal faire mon boulot mais... quand j'ai de l'aide, j'apprécie.

Est-ce que l'équipe enseignante a un rôle à ce niveau-là ?

Oui, on s'aide, on travaille déjà en spécialisation... on communique, on travaille avec les mêmes enfants, c'est bien que les enfants aient affaire à plusieurs interlocuteurs aussi. Qu'est-ce qu'il y a comme aide ? Il y a le réseau, il y a les contrats emploi-solidarité, les aides éducateurs... C'est important toutes ces aides, ça permet de décloisonner la classe, de faire des plus petits groupes. Il y a des parents qui interviennent dans l'école aussi. Tous les travaux en petit groupe, c'est irremplaçable.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

C'est leur problème.

Avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Il y aurait une aide essentielle, c'est tout ce qu'on réclame au niveau syndical... des effectifs plus réduits essentiellement, un maître de plus dans une école ça serait pas mal. Mais surtout des effectifs plus réduits... aussi une assistante sociale sur un secteur bien délimité (...), un groupe médical parce que là on est plus instituteur, on est éducateur bientôt... ça ne va plus.

Vous pensez que c'est à cause du quartier ?

Peut-être à cause du quartier mais je pense que c'est une tendance générale, une démission du rôle éducatif de la majeure partie des parents... il y en a qui assurent encore mais il y en a pas mal qui baissent les bras que ce soit dans n'importe quel milieu... (...)

J'ai une dernière question facultative : en quoi votre fonction d'enseignante est-elle importante pour vous ?

En C.P. et, je suis super contente parce que je suis sûre que ce que je leur apprends c'est essentiel et je n'ai pas de problèmes de conscience. Dans les plus grandes classes, je me disais : « Pourquoi on leur apprend ça ? ... » Au C.P., je leur apprends à lire, et je leur donne un pouvoir et ils sont vachement reconnaissants. (...) C'est magique, on ne sait pas comment un enfant apprend à lire. Je ne m'ennuie jamais, jamais, jamais. Je travaille sans méthode, enfin sans livre à partir des textes des gamins, chaque année c'est l'aventure... (...)