Entretien E73 Yannick

Age : 37 ans

Profession : Directeur d'école, classe de CE2 / CM1 (26 élèves)

Diplômes : CAP d'instituteur

Yannick : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Yannick : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : Bureau du directeur

Durée : 1 heure

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Echec, peur… insatisfaction, ennui, intérêt.

Pouvez-vous préciser le choix de chaque terme ?

Pour moi, l'échec, c'est un enfant qui va avoir du mal à s'insérer dans la société telle qu'on la vit et telle qu'on peut la voir se profiler dans les années à venir. C'est quelqu'un qui ne part pas dans la vie avec tous les atouts pour réussir. Mais c'est aussi un échec pour l'enseignant. C'est quelque chose que je vis très mal, parce que j'ai des enfants en échec. Peur, c'est pareil. L'enfant a peur de l'apprentissage et moi, j'ai peur des enfants en difficulté parce que je sais que je n'ai pas toujours les réponses qu'il faut, peut-être les méthodes qu'il faut… Insatisfaction, c'est pareil. A chaque fois, ça se joue sur les deux tableaux. Au niveau de l'enfant, je crois que c'est très difficile pour lui d'être heureux, d'être content, d'être fier de lui et puis au niveau de l'enseignant, elle coule de source. On est là pour faire réussir les enfants et donc dès qu'il y en a un en échec ou en difficulté, c'est de l'insatisfaction pour nous. Ennui, là c'est du côté de l'enfant. Un enfant qui est en échec, s'ennuie au bout d'un certain temps, ça c'est clair. Et l'intérêt, c'est plus du côté de l'enseignant. Je pense que si on n'avait que des enfants en réussite notre métier ne serait pas si passionnant…

Je vais vous demander maintenant de retrouver un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Pouvez-vous présenter la situation, dire vos émotions et analyser ce qui était fait pour lui ?

J'ai un enfant en difficulté scolaire cette année, Christophe. Il est en CE2. Il sait lire sans toujours avoir accès au sens et surtout fait preuve d'une incroyable passivité. Il semble absent, rien ne l'intéresse, même pas des projets extrêmement concrets décidés en conseil de classe. Je crois que les émotions qu'il provoque sont assez fortes pour aller dans l'extrascolaire. On y pense au-delà des quatre murs de l'école parce qu'on voit notre échec à nous à travers l'échec de l'enfant, on voit très bien notre échec dans notre façon d'enseigner. On est soucieux pour lui et pour nous aussi. On sent bien que ça évolue - ça fait maintenant 17 ans que j'enseigne - je ne suis pas certain que l'échec d'il y a 17 ans soit le même que maintenant. Je pense qu'il y a eu une évolution à travers les familles explosées, à travers l'avancée du monde audiovisuel, à travers plein de paramètres qui ont changé. On est soucieux parce qu'on se dit : "que va-t-il se passer pour cet enfant-là ?".

Pouvez-vous citer ce qui a été tenté pour cet enfant ?

Ce qui a été tenté, c'est d'abord une action envers les parents pour recadrer le triangle parents/ enseignant/ enfant. Mais là, il y a des limites… avec les enfants en grosse difficulté. Ensuite l'intervention du RASED, mais qui dans la façon de fonctionner actuelle a aussi ses limites. Il y a eu une observation de l'enfant en classe par une rééducatrice, un bilan par le psychologue scolaire qui a conduit à une démarche des parents auprès d'un orthophoniste et auprès d'un psychologue privé.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

Observation, aide, écoute, soutien, professionnalisme

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

L'observation, c'est une idée très précise, pour moi le réseau, ce sont des gens qui au départ n'ont pas le nez dans le guidon, comme nous on peut l'avoir tout le temps, et qui peuvent venir dans une classe faire une observation très pointue d'un enfant face à l'apprentissage. L'aide est à deux niveaux, au niveau de l'enfant par un apport différent de ce qui se passe dans la classe et puis l'aide au niveau de l'enseignant, je pense qui devrait être très importante normalement. Ecoute, par le fait que les enseignants du RASED travaillent très individuellement, je pense qu'ils ont une écoute différente de la nôtre vis à vis de ces enfants. Soutien, là aussi c'est à deux niveaux : soutien au niveau de l'enseignant qui en a souvent besoin au niveau des cas difficiles et soutien au niveau de l'élève, même moralement, pas seulement au niveau de la didactique pure et simple. Et puis professionnalisme parce que ce sont des gens qui ont fait des études, qui ont des diplômes, qui ont une assise professionnelle en ce qui concerne ce sujet-là qui est à mon avis plus pointue, plus pertinente que la nôtre.

Si je dis maître E, quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Rappelez-moi la signification des lettres, je me mélange toujours.

Maître E, c'est le maître chargé d'aide à dominante pédagogique.

Ils se rapprochent énormément des cinq mots que j'ai dits pour RASED.

Ça peut être les mêmes, ça a du sens… mais il peut y avoir un décalage ou une particularité…

Je garderai professionnalisme, aide, soutien… je rajouterai individuel… et école.

Pouvez-vous préciser les deux derniers mots ?

Pour les mots qui se recoupent avec ceux du RASED, j'aurai un peu la même analyse. Donc individuel… Au départ je ne sais pas comment je vivrais ça si j'étais maître E parce que je vois ce travail, vu de l'école comme ça, comme un travail où on est un peu seul. C'est pour ça que je fais le lien avec école dans le sens où ça serait bien que le maître E fasse véritablement partie de l'équipe pédagogique d'une école. Aussi bien dans les réunions, dans certains conseils d'école et surtout dans les conseils de cycle.

A partir d'un cas d'enfant suivi dans votre classe, pouvez-vous décrire le travail du maître E ? Que fait-il, que dit-il, comment ça se passe ?

Je le vois comme une aide individualisée, ça c'est clair, puisqu'il a un, voire deux enfants avec lui. Je vois son travail comme véritablement très pédagogique. Je le ressens comme ça. Je ne suis pas véritablement arrivé à définir une suite logique dans la méthode qu'a pu amener le maître E par rapport à ces enfants-là… peut-être par un manque de dialogue bien qu'on se soit vu relativement souvent et même avec les parents. Mais je n'ai pas vu les tenants et les aboutissants de ce que cette personne-là souhaitait faire avec tel enfant. D'où je pars et où je veux arriver : "constatation, cet enfant est comme ci comme ça, je mets telle chose en place pour modifier telle chose, est-ce que j'y suis arrivé ou pas ?"… Ça, je ne l'ai pas encore bien vu.

N'y a-t-il pas un projet au départ que vous élaborez ensemble pour chaque enfant suivi ?

Non, c'est d'ailleurs bien pour ça que j'ai été présent à toutes les réunions concernant cette fameuse feuille de suivi de l'enfant en difficulté (me la montre ; je la lui fais commenter (…)…). Nous, on en avait monté une à l'école ces dernières années mais c'est vrai que ce n'était pas très construit. Il me semble que c'est quelque chose d'indispensable à mettre en place au niveau du réseau, de l'enseignant, des parents et de l'enfant. Actuellement je trouve que ça manque encore. C'est encore une faiblesse de notre part.

Et comment s'articule le travail proposé par le maître E et le vôtre dans votre classe?

Ce n'est pas moi qui l'ai véritablement vécu ce cas puisque le maître E intervient souvent en cycle 2 et que moi j'ai depuis assez longtemps des enfants du cycle 3. Mais comme je participe à toutes les réunions entre enseignants et maître E, c'est comme ça que je peux répondre, c'est peut-être aussi pour ça que je n'ai pas toutes les données. Le maître E vient deux fois par semaine, prend les enfants pendant trois quarts d'heure. Là aussi, je ne sais pas comment c'est vécu par les enfants, cette sortie de la classe pour aller travailler avec quelqu'un d'autre. Je ne sais pas trop comment ça peut être vécu, je ne suis pas certain que dans la façon d'aborder cette chose-là, on soit très pertinent. Il y a tellement d'idées qui sont ancrées dans la tête des parents et des enfants que, obligatoirement, quand on sort de la classe avec quelqu'un c'est effectivement qu'on n'est pas bon, qu'on a des difficultés. On est déjà tellement mis dans une catégorie que je me demande si on donne toutes les chances à l'enfant de vouloir s'en sortir et de pouvoir s'en sortir… parce que l'image qu'il donne lui colle de plus en plus à la peau et que peut-être il en a du bénéfice par ailleurs…

Est-ce qu'il existe des aides de type E qui sont proposées dans la classe ?

Non.

Est-ce que ce serait souhaitable ? A quelles conditions ?

Oui, ce serait souhaitable mais pas facile à mettre en place… parce que ça demande à mon avis une très grande disponibilité d'esprit de la part de l'enseignant. Il faut accepter d'avoir quelqu'un dans sa classe parce que je me rends compte – même s'il y a beaucoup de progrès qui sont faits – on est encore très cloisonné dans nos classes, on se surprotège nous-mêmes, on a toujours peur de la personne qui vient dans notre classe, ça pourrait être un obstacle parce qu'il me semble il faudrait que l'enseignant le vive bien pour que l'enfant le vive bien. C'est vrai que si c'était fait dans les règles de l'art, ce serait plus intéressant que cette sortie de la classe. Je le pense.

Comment caractériseriez-vous les différences entre votre travail de maître généraliste et le travail du maître E ?

… La différence, elle se situe déjà au niveau de l'écoute. C'est vrai que quand on a une classe comme j'ai cette année de 30 enfants avec des cours doubles etc., même si on fait tous les efforts inimaginables, on n'aura jamais le même temps d'écoute que le maître E qui va avoir l'enfant pendant trois quarts d'heure /une heure et qui va faire autre chose que tout le temps de la pédagogie. C'est vrai que le maître E, c'est à dominante pédagogique, c'est clair mais bon, on sait très bien – on en parle en ce moment avec la charte de l'école du XXIème siècle – l'enseignant n'est plus uniquement celui qui amène la connaissance. On ne peut plus dissocier l'aspect relationnel du reste. On sait très bien qu'il y a une part d'affectif qui joue énormément dans les apprentissages et il me semble que cet affectif pour un maître E, c'est déterminant. S'il n'y a pas cet affectif qui passe, c'est difficile. Là il y a un moment privilégié pour faire un peu de méthodologie aussi. Le maître E, c'est : "Comment as-tu fait pour faire ça ?", même en partant de l'erreur… par exemple arriver à savoir pourquoi cet enfant a fait cette erreur-là en lui posant des questions, en essayant de connaître sa démarche, quitte ensuite à expliquer cette démarche au maître généraliste et ensuite le maître généraliste peut reprendre cette démarche-là et a des données pour continuer… chose qu'on devrait pouvoir faire, nous, dans notre classe. Mais nous, avec l'effectif de l'école, on le fait à petit niveau, ce n'est pas suffisant.

Quelles ont les ressemblances entre ces deux métiers, maître généraliste et maître E?

Oui… j'ai vraiment l'impression qu'on devrait pouvoir se croiser, au niveau des chemins… on parle beaucoup de travail individualisé, de méthodes individualisées – si on nous donne bien entendu les moyens de le faire, on le fait… mais je pense que c'est complémentaire parce que nous, on a un ensemble d'élèves et on ne pourra jamais s'occuper d'un enfant en difficulté tel qu'un maître E pourrait le faire.

Si je vous dis "maître G", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Rappelez-moi la signification de la lettre…

Les maîtres G ou rééducateurs sont chargés d'aide à dominante rééducative.

Là, j'ai eu très peu l'occasion de travailler avec des maîtres G, très, très peu. Je dirais diagnostic, orientation, rassurer, peur, psychologie.

Est-ce que vous pouvez développer davantage ?

Diagnostic, c'est aller plus loin que le simple diagnostic purement scolaire, c'est-à-dire observer et pouvoir dire avec des mots simples que tel enfant a des problèmes parce qu'il y a d'autres circonstances que l'école elle-même qui fait peur, qui pose problème. Orientation, pouvoir dire à certains moments que l'école – maternelle et élémentaire - telle qu'elle existe actuellement, pour tel enfant qui a telle difficulté, l'école n'a pas les compétences pour pouvoir résoudre ces problèmes-là et que peut-être il y a d'autres établissements plus à mêmes d'apporter une aide à l'enfant. Rassurer, c'est plus au niveau de l'enseignant. C'est vrai que de temps en temps, on se heurte à des murs, à des problèmes et je pense qu'il peut y avoir un diagnostic : "ne te fais de souci, tu pourras développer tous les trésors d'ingéniosité que tu veux, le problème n'est pas là". Je crois que de temps en temps, c'est vrai, ça existe, le problème ne vient pas de nous et que nous, on a beau faire tous les efforts possibles et imaginables, on n'y arrive pas. Peur, c'est aussi bien au niveau des parents – c'est vrai qu'on a toujours peur de s'entendre dire que son enfant a tel ou tel problème, comme le psychologue scolaire, c'est encore des gens, dès qu'on touche à ce qu'il y a dans la tête ça fait peur…

Et psychologie ?

Psychologie parce que ce sont des gens qui ont un travail qui demande une psychologie toute particulière parce que ce n'est pas facile de trouver les mots, de trouver la façon de dire par rapport à tous ces problèmes…

En vous appuyant sur un cas d'enfant suivi par le maître G, dans votre classe ou non, pouvez-vous décrire le travail du maître G ?

Difficilement. J'ai connu des maîtres G… pour moi c'est essentiellement un travail d'approche que je ne connais pas du tout, un travail d'approche au niveau d'un enfant qui a des troubles du comportement aussi bien que des difficultés scolaires. C'est une entrevue avec cet enfant, un travail d'observation, quant à la remédiation, franchement là je ne sais pas bien…

Pouvez-vous néanmoins brosser à grands traits la différence entre les pratiques E et G ?

Oui, je crois que le maître E fait au départ un travail pédagogique. Au niveau du maître G, je le vois plus comme étant d'essayer de démonter un mécanisme qui a amené l'enfant à en être là au niveau de son attitude, de sa façon de faire, de sa façon d'être. Le maître E prend l'enfant avec ses difficultés scolaires, il va essayer avec lui différentes pratiques méthodologiques, de retour sur lui-même. Un maître G va travailler avec l'enfant sur : "qu'est-ce qui fait que tu agis comme ça ?" aussi bien à propos de violence, de racket, de vol, de délinquance ou même de repli sur lui-même, d'inhibition, de tout ce qu'on veut. Je ne l'ai pas vu parler beaucoup de pédagogie avec l'enfant. En tout cas, c'est la représentation que j'en ai.

Est-ce qu'il y a un âge préférentiel pour un type d'aide plutôt qu'un autre ?

Je dirais que j'ai plus vu intervenir le maître E avec des enfants du cycle 2. A contrario, le maître G, je le verrai plus intervenir avec un enfant du cycle 3. Un enfant de cet âge-là devrait être plus à même d'expliquer certaines choses, alors qu'un petit enfant n'a pas le recul nécessaire pour dire ce qui lui arrive. (…)

Est-ce que vous avez été témoin de glissements de pratiques des G qui travailleraient comme des E et vice versa ?

Non, j'ai connu des collègues qui étaient maîtres G et qui travaillaient comme je l'ai dit. Je n'ai jamais vu de glissements.

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle ?

Non, aucune, c'est très complémentaire.

On parle d'une réforme prochaine. Quelle position soutenez-vous par rapport aux perspectives qui s'annoncent ?

Il faut me préciser de quoi il s'agit pace que je n'en ai pas entendu parler.

Il y a eu dernièrement deux rapports d'inspecteurs généraux, celui de Gossot et celui de Ferrier. Ils sont favorables à un rapprochement E et G, dans la perspective d'une fonction unique. Quels avantages et quels inconvénients y voyez-vous ?Qu'en pensez-vous ?

C'est très délicat. L'inconvénient premier que je vois dans ce rapprochement, c'est que de temps en temps des enfants ont besoin de rencontrer des personnes qui ne leur parleront absolument pas de l'école, de la pédagogie, de ce qu'on apprend à l'école, qui vont avoir une discussion complètement autre. Il me semble que certains enfants peuvent se bloquer irrémédiablement parce qu'ils savent qu'en face d'eux ils vont avoir un autre maître, un autre enseignant. Des avantages, par hasard si on arrive à débloquer une situation psychologique avec un enfant, le seul avantage que je vois, c'est qu'on peut en profiter pour amener quelques notions pédagogiques en relation avec le travail qu'on vient de faire avec l'enfant… Mais ça me paraît difficile parce que les cas sont souvent tellement différents les uns des autres qu'on ne sait pas trop… ça me paraît dangereux de prendre une telle décision de façon générale. Je pense que dans certains cas particuliers il peut y avoir des avantages mais on ne peut pas en faire une généralité.

Pouvez-vous définir brièvement les tâches d'un réseau ?

Déjà l'aide au niveau des enfants en difficulté, le recensement de ces enfants, au niveau du psychologue scolaire pouvoir venir faire un diagnostic, le dépistage d'enfants en difficulté, ensuite les interventions qui se déroulent dans les écoles dont les rencontres avec les familles, la naissance de projets pédagogiques au niveau d'enfants en difficulté… Recensement, diagnostic, intervention et projet, ce sont à mon avis, les quatre grands pôles menés par un réseau d'aide.

Savez-vous comment ils travaillent entre eux ?

Non, pas très bien. C'est pour ça que j'ai toujours été partisan… il me semble qu'il est indispensable d'améliorer leur fonctionnement avec l'école, c'est pour ça que depuis que j'ai la direction, je me suis intéressé au réseau. C'est un lieu que je ne connaissais pas, que j'apprends à connaître depuis trois ans. Ils ont des réunions de synthèse entre eux pour harmoniser les différentes missions que chacun a à accomplir, qui me semblent complémentaires - à un moment, il faut bien regrouper les idées et faire une projection sur certains cas : Qui doit intervenir ? Comment ? autrement dit, échanger des idées sur tel ou tel enfant.

Vous dites qu'il faudrait améliorer leur fonctionnement avec les écoles. Comment cela se passe-t-il avec votre école ?

Je vois encore le réseau comme une pièce rapportée de l'Education Nationale. Au départ pour des raisons pratiques puisque ce sont des gens qui arrivent et qui s'en vont dans des laps de temps très rapides et qui se confrontent à des enseignants qui ont leurs problèmes, leur stress et qui n'ont pas la présence d'esprit d'avoir un rapport construit… si on ne fait pas de réunions institutionnalisées, très claires, on n'avance pas. Au niveau des écoles, il y a encore des choses à faire…

Si on aborde le point formation, pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux à étudier lors de la formation E ?

Non.

Même question pour la formation G ?

Non. Vraiment, c'est un petit aparté par rapport à ça, je me déclare néophyte dans ce milieu-là peut-être parce que je n'ai pas eu de formation du tout, je le rappelle quand même, mais j'ai très envie d'en savoir plus. J'ai beaucoup de lacunes dans ce domaine-là mais je réponds toujours présent quand on m'invite ou quand je sens le besoin d'inviter les gens du réseau.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

Travail, fierté, reconnaissance, joie, intérêt.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Travail, c'est à double sens. Il y a le travail fourni par l'élève qui est souvent de bonne qualité et puis il y a la perspective du travail dans le marché du Travail. Quoiqu'on en dise la réussite, c'est ça, c'est dans le monde de demain pouvoir trouver du travail, ça veut dire pouvoir vivre. Ça reste l'essentiel et le mot de l'école, c'est-à-dire qu'on prépare les enfants à avoir un travail demain et donc à pouvoir vivre correctement, humblement et à être bien. Fierté parce que je crois qu'on ne peut qu'être fier quand on réussit scolairement. C'est une fierté quand on réussit ses études, des examens, des concours… reconnaissance parce que dans le monde actuel – on le voit bien avec tous les gens qui meurent de froid, de faim, tous les SDF, tous les chômeurs – beaucoup souffrent en priorité de manque de reconnaissance d'eux-mêmes et de manque de reconnaissance de la société et c'est terrible. Joie avec un grand J parce que l'enfant qui réussit est heureux et puis c'est la perspective de demain, ça veut dire qu'on aura du travail, on pourra avoir de l'argent, on pourra se payer des loisirs, on pourra avoir des enfants, une famille… Et puis intérêt. A mon avis quand on réussit, on éprouve de l'intérêt dans la recherche de connaissances, pour aller plus loin.

Une question un peu plus générale, comment considérez –vous la place et le rôle des aides à l'école ?

Actuellement ?

Oui…

Actuellement, je les considère comme une pièce rapportée c'est-à-dire que ce n'est encore pas très construit ce qu'on fait au niveau des aides. C'est encore de petites touches par-ci par-là et je ne les vois pas très suivies, avec un projet très clairement défini, une observation, un diagnostic du gamin… A partir de ce diagnostic, on se donne tel temps, on se revoit, on a une évaluation… On en est loin de tout ça… Je le vois comme une aide sporadique pas inutile mais dont l'efficacité me paraît bien réduite.

Quelle place accordez-vous aux études dirigées par exemple ?

Les études dirigées, nous, on a insisté énormément là-dessus. Pour nous, c'est dans la méthodologie : "Comment l'enfant fait pour appendre ?" ou revenir sur le travail qui a été fait : "Quels ont été mes critères de réussite ou mes critères d'erreur ?" Pourquoi ai-je échoué dans tel ou tel contrôle, dans tel ou tel leçon ou exercice ? Je dois avouer que les études dirigées, je ne les ai pas institutionnalisées, j'en fais tout le temps. Elles sont permanentes même si je sais que je n'en fais pas assez. Faire démonter des mécanismes pédagogiques aux enfants, à mon avis, c'est là qu'on peut arriver à découvrir en tant qu'enseignant pas mal de choses.

Avez-vous des aides éducateurs dans l'école ?

Non.

Pour quelle raison ?

Il faudrait aller demander à Monsieur l'Inspecteur d'Académie. J'en ai fait la demande et j'ai été en colère de sa réponse négative parce que je sais qu'à pas mal d'endroits, ils en ont eu et je n'ai pas compris pourquoi on n'en a pas eu. Je sais soi-disant qu'on n'a pas de problème parce qu'on est en milieu rural… Mais on a notre lot d'enfants en difficulté… (…)

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Plus qu'une remarque, ce serait plutôt un souhait. Je crois qu'il serait grand temps de structurer tout ça, notamment au niveau de : "Quelles relations met-on entre le réseau d'aides et une école ? Quelle est la place d'un réseau d'aides au sein d'un conseil des maîtres, d'un conseil de cycles ? Il serait grand temps de le faire parce que tout le monde serait gagnant.

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Justement, je crois que ça va découler de ce que je viens de dire. Si, à mon avis, il n'y a pas une remise en cause – au niveau du réseau mais aussi bien sûr au niveau des écoles – si on ne structure pas comme il faut le réseau d'aide, si on ne le rapproche pas de l'école, je vois l'avenir assez sombre. Le réseau d'aide ne peut pas continuer à être un appendice de l'Education Nationale qui arrive comme ça… Il n'a plus cette place là. Il faut qu'il fasse partie intégrante des équipes pédagogiques. Seulement un travail en équipe ça demande un investissement et donc du temps de la part de tous, en particulier du directeur d'école. Encore faut-il leur donner le temps d'avoir cette liaison avec le réseau d'aide. Je crois que s'il n'y a pas un rapprochement entre les écoles et le réseau, c'est ça un rapprochement, un travail en commun sur des projets à conduire ensemble, chacun à sa place, je ne vois pas un avenir très rassurant.

Une dernière question "facultative" : en quoi votre fonction de directeur est-elle importante pour vous ?

Je vais y répondre avec grand plaisir parce que c'est vraiment quelque chose qui me tient à cœur. Je crois que dans tout groupe de gens qui entament une action, il faut un médiateur. Il faut quelqu'un qui soit là pour analyser, pour recenser, pour regrouper les idées, pour insuffler un nouveau dynamisme quand il y a des baisses de régime, quand il y a des choses qui vont moins bien, pour concrétiser de temps en temps les idées de ces gens-là. Pour moi, la fonction de direction, elle est là. Le directeur, c'est quelqu'un qui va être là pour apporter le souffle au niveau d'un conseil des maîtres, d'un conseil de cycle et qui va permettre à toutes les bonnes volontés - et Dieu sait qu'il y en a dans une école - de pouvoir concrétiser les idées qui émergent. Je ne crois pas et peut-être par expérience en une direction polyvalente où tout le monde est responsable, où tout le monde se répartit les tâches. Je crois que c'est éphémère et que c'est un phénomène de société, on est tous comme ça… Ce n'est ni un rôle hiérarchique, ni un rôle de pouvoir, c'est plus un rôle pédagogique… J'y passe un temps phénoménal mais l'intérêt est là, ça va… (…)