Entretien E77 Martin

Age : 54 ans

Profession : Directeur d'école en classe de CM2 (28 élèves)

Diplômes : CAP d'instituteur

Martin : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Martin : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : salle de classe

Durée : 40 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?

Celui qui est toujours en retard, retard scolaire et retard par rapport au travail, distancé par rapport aux autres, celui qui a souvent un visage inexpressif, "inexpression", qui a du mal à discerner ce qu'il ne comprend pas, c'est vaste le problème, ce n'est toujours le même type d'enfant… Nous, on n'a pas assez de temps à lui consacrer non plus, c'est ça, on ne s'occupe pas assez de lui, je pense, on ne personnalise pas assez son travail.

Pouvez-vous développer chaque idée ?

Retard, c'est l'enfant qui semble arrivé à un niveau et qui semble ne pas pouvoir aller plus loin, souvent au cycle 3, on les traîne à l'ancienneté mais on n'arrive pas à les… on dit : "il ira à la SEGPA" ou des choses comme ça… On n'a aucun moyen pour le récupérer et le mettre sur une bonne voie. "Inexpression", c'est l'enfant qui ne semble être intéressé ni par les maths, ni par la gym, il est parce qu'il faut être là mais il n'éprouve pas forcément de l'intérêt pour tout ce qui est scolaire. On n'arrive pas toujours à voir à quel moment il lâche pied, et puis, je ne sais pas… J'ai eu un cas l'année dernière dans une autre école, un gars qu'on mettait sur les ordinateurs et à ce moment-là il arrivait très bien à écrire sans faute sur l'ordinateur alors que dans un texte, il y avait des fautes à tous les mots. Il était capable de faire son exercice sur informatique. C'est ça le problème, c'est qu'on n'arrive pas assez à individualiser par moment l'enseignement pour ces élèves-là.

Je vais vous demander maintenant de retrouver un enfant en difficulté scolaire que vous avez eu l'occasion de rencontrer dans votre vie professionnelle. Pouvez-vous présenter la situation et dire ce qui était fait pour lui ?

Je reprends ce cas-là, c'était un gars qui avait deux ans de retard et pour tout ce qui était scolaire français, maths, il avait un niveau CE1 à peu près et il avait l'âge du CM2 et même plus. Ce qu'on avait fait, c'est que le matin, on le mettait dans une classe de CE1 pour travailler avec les autres et l'après-midi, il faisait tout l'éveil et l'EPS avec les grandes classes. Il avait les ateliers informatiques et c'est là qu'on avait vu qu'il pouvait faire beaucoup plus grâce à l'informatique.

Et comment réagissiez-vous personnellement face à cet enfant ?

Disons qu'on avait tout mis pour essayer qu'il réussisse cet enfant, on est arrivé à discerner – ce qu'il y a c'est qu'il venait d'une classe de perfectionnement, donc on savait ce qui nous attendait -, à partir de là on a pu l'orienter plus facilement. On avait eu des rencontres avec les parents pour expliquer tout ce qu'on faisait pour lui. Grâce à ce moyen-là, l'enfant qui aurait peut-être été agressif, il a été très calme, il n'a jamais posé problème. S'il avait été toute la journée avec des CM, ça aurait peut-être été une catastrophe… Il se serait senti distancé, il aurait pensé à faire l'imbécile alors que là, on était arrivé à bien le cerner.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED ?

C'est aide aux enfants, aide aux enseignants, aide aux familles, remise à niveau scolaire… amener l'enfant à être plus socialisé.

Pouvez-vous développer les idées liées à ces mots ?

L'aide aux enfants, ça les rassure, ça permet de les voir d'une autre façon que nous en classe, ils se sentent bien en général parce qu'ils ont discuté avec un adulte, ils se sentent reconnus, donc ça peut leur donner confiance. Aux enseignants, nous on est seul face aux enfants et ça nous rassure aussi. J'estime aussi… Ce que j'aimais bien au départ quand on avait les GAPP, c'est qu'on avait un écrit quand ils étaient vus. C'est sûr qu'il ne faut pas qu'ils soient dévoilés mais c'est quand même bien quand on a un problème qu'on puisse se reporter à quelque chose qui a été vu, alors que maintenant on ne sait pas. C'est le reproche que je fais, un enfant peut avoir été vu en maternelle et puis après on va se dire, il y a un problème au CM, il va falloir tout regarder alors qu'on ne sait pas qu'il a déjà été suivi et donc qu'il a déjà été vu. Donc ça nous rassure. Les familles, parce que je crois qu'elles attendent de plus en plus tout de l'école, donc une intervention du réseau ça peut conforter l'instit, ça peut aider ces familles qui sont désemparées devant leur enfant et qui voudraient pourtant qu'il réussisse.

Vous aviez dit aussi remise à niveau scolaire et amener l'enfant à être plus socialisé.

Oui, parce que ces enfants sont un ou deux par classe… Ils s'aperçoivent bien qu'ils ne sont pas au niveau des autres, ils sont à la traîne, ils sont plus agressifs dans la cour, ils essayeront une autre façon de se mettre en valeur… de s'imposer par la force ou la vulgarité.

Si je vous dis "maître E", quels sont les cinq mots qui vous viennent à l'esprit ?

Mais, je ne sais pas exactement son rôle… je ne sais pas bien ce qu'ils font. Je pense qu'ils prennent plusieurs enfants à la fois. C'est une aide pour la scolarité, au départ. Maintenant leur action… comment ils font… Je pense que ça permet de récupérer les enfants qui ont eu une maladie, une absence, une fréquentation perturbée dans la petite enfance.

Est-ce qu'à partir d'un cas d'élève qui a été suivi dans votre classe par un maître E, vous pouvez présenter le travail qui a été fait ?

De toute ma carrière, je n'ai jamais eu d'élève qui a été suivi, jamais.

Et en tant que directeur d'école, avez-vous participé à des synthèses de réseau ou à des conseils de cycle où il intervenait ?

Non, jamais. Le réseau travaille de son côté, nous du nôtre. Ou alors les rencontres sont organisées directement avec l'enseignant concerné. C'est totalement inefficace de mobiliser trop de monde trop souvent. L'essentiel peut être réglé en petit comité.

Comment imaginez-vous la différence entre votre travail et celui d'un maître chargé d'aide à dominante pédagogique ?

Disons que le maître E est un spécialiste, un métier un peu médical pour moi, c'est quelque chose que je mets au même niveau que l'orthophoniste, des choses comme ça, tout le RASED, c'est un complément mais je trouve que c'est différent de l'enseignement normal, par l'individualité des enfants… Je pense que vous n'êtes pas placé dans le même contexte que nous quand on est en classe. Ce n'est pas pareil.

Pouvez-vous préciser ce qui n'est pas pareil ?

Quand on est face à un groupe de vingt-cinq, ce n'est pas de l'individualité, l'enfant est noyé dans le groupe, on va lui consacrer quelques minutes dans la journée, alors qu'un enfant qui reste une demi-heure avec un maître spécialisé, ça lui apporte beaucoup plus, c'est un contact direct à 100 %.

Maintenant quand je dis maître G, quels sont les cinq mots qui vous viennent spontanément ?

Maître G, c'est pareil, je n'ai jamais eu l'occasion d'avoir affaire avec eux. Je ne les connais pas bien. Ça m'évoque rattrapage des enfants, scolariser les enfants dans de bonnes conditions… soigner les lacunes qu'ils ont à la naissance, surtout les lacunes familiales.

Comment percevez-vous la différence de fonction entre maître E et maître G ?

Je pense que le maître E est plus scolaire, le maître G est plus pour la petite enfance, langage, rapport affectueux avec l'enfant alors que le maître E est plus scolaire. Mais je ne vois pas bien la différence.

Et quels sont alors les points de ressemblance ?

Ils s'adressent toujours à un public restreint, pour remettre sur les rails les enfants, les aider.

Quels avantages voyez-vous à la différenciation E /G ?

Les avantages, non, je ne vois pas bien l'utilité d'avoir cette différence-là.

Est-ce qu'il y a une fonction qui joue un plus grand rôle à votre avis ?

Non, disons qu'au point de vue de l'école élémentaire, je pense qu'un maître E c'est bien. Mais au point de vue maternelle, je pense que le maître G est bien aussi… Je verrais mieux… le maître G, une relation plus affective que le maître E, lui plus scolaire. Je verrais très bien un maître unique qui pourrait faire les deux.

Quels seraient les avantages de cette perspective ?

Ce serait un lien pour toute la scolarité primaire… on partirait de la maternelle jusqu'au cycle 3. Le maître spécialisé pourrait reprendre aussi un enfant en cours de route lorsqu'il chute… Il y aurait peut-être un meilleur suivi de l'enfant, une plus grande disponibilité…

Verriez-vous aussi des risques à instituer une fonction unique ?

Le risque, c'est celui de l'instituteur qui se retrouve tout seul dans sa classe. Il peut mal juger un enfant, se faire des idées… pour sûr, il n'est pas infaillible, c'est pour ça qu'il y a toujours un risque…

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

… Etre bien en classe, venir avec le sourire, participer, rechercher la réussite, persévérer.

Est-ce que vous pouvez expliquer davantage ?

Etre bien en classe, c'est l'enfant qui vient là, qui ne fait pas la tête, qui apprécie, qui est toujours partant pour le travail, qui attend du travail et qui aussi recherche par lui-même qui ne se sent pas brimé en classe, qui sait où se trouvent ses limites, qui sait respecter l'adulte, ses camarades. Venir avec le sourire, c'est ça, ils arrivent le matin et ils rentrent volontiers en classe, qui sortent leurs affaires, qui sont toujours partants… qu'on n'entende pas les réflexions "encore" ou tout ça… Participer, prendre facilement la parole ou passer au tableau. C'est bien plus agréable que quand on est obligé de chercher… rechercher la réussite, trouver tous les moyens disponibles pour bien faire son travail et ne pas avoir peur de recommencer.

Dans votre travail, comment concevez-vous la place et le rôle de l'aide que vous pouvez apporter à vos élèves ?

Il y a deux choses : soit on répond aux questions, soit on leur indique l'outil qui peut les aider. On les invite sans arrêt à se reporter au dictionnaire ou se reporter à la leçon du livre, la conjugaison, les choses comme ça, aller chercher dans leur livre plutôt que de leur donner une réponse toute faite. L'aide est très importante à tout moment. Dès que les élèves ont un problème en français, en lecture - c'est ça surtout la principale difficulté - je pense que ça peut être l'occasion d'un moment privilégié où l'enfant fait de la compréhension de textes ou de problèmes, c'est surtout la compréhension… donc qu'ils arrivent à lire et à comprendre. C'est ça l'important à l'école primaire, que l'enfant arrive à déchiffrer et à comprendre ce qu'il faut faire. Quand c'est fait, on a accompli les trois quarts du boulot.

Quelle est la place des aides éducateurs ?

Elle vient nous aider en informatique et puis c'est tout, six heures par semaine. Elle anime un atelier informatique avec une moitié de classe, sur le traitement de texte, elle leur fait connaître l'outil informatique. Mais là on n'est pas équipé pour faire de bonnes choses.

Et comment se passe l'heure d'études dirigées ?

Justement, quand elle les prend en informatique – on a fait par exemple pendant une semaine un thème en maths et la semaine d'après je leur redonne des maths pour voir s'ils ont bien gardé ce qu'ils ont appris… ça peut être en français, des fois je leur donne un texte. J'en fais une heure et la collègue (qui assure la décharge de direction) en a aussi, on essaie d'en faire une heure et demie par semaine, mais ce n'est pas évident. Je profite de ce temps d'informatique où je n'ai plus qu'un demi groupe, c'est plus facile.

Peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées à l'école ?

Non, mais j'aimerais bien que ça aille jusqu'à la fin du cycle 3… Là apparemment il n'y a pas de gros problèmes mais ça peut nous amener à un meilleur suivi. Comme je le disais tout à l'heure une petite trace écrite serait bienvenue !…

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux d'aide ?

Je ne suis plus, je commence à lever le pied… et je ne sais pas ce qu'ils prévoient. Je verrais bien une petite classe à effectif réduit et qu'à chaque moment, il y ait deux élèves qui reviennent dans leur classe de niveau, que ça tourne pendant un certain temps comme ça, que les élèves soient dans une classe, plutôt que de partir vers le réseau, qu'ils soient dans une classe spécialisée et qu'ils reviennent pendant des heures précises avec les autres élèves.

Comme le système des classes de perfectionnement qui permettaient des intégrations partielles ?

Oui, c'est ça, c'est ce que je sentirais le mieux… Mais j'ai l'impression qu'on est en train de supprimer des postes… On tue le réseau… c'est sûr que si on fait encore des économies d'instituteurs, on va encore aller plus loin dans la débâcle… C'est aussi les instit qui doivent gérer les intervenants, les aides éducateurs et qui doivent encore faire du soutien pendant ces heures-là… Je ne sais pas. Je suis bien content de bientôt partir parce que je ne sais pas comment on pourra faire plus que ce qu'on fait déjà… Oui, je verrais bien une classe avec des enfants dispatchés mais si on doit "être notre propre recours", si on doit se débrouiller tout seul, qu'ils donnent plus qu'on a, des effectifs réduits ou un instit de plus pour cinq classes – comme on disait quand j'ai débuté - ou des choses comme ça pour réaliser du travail sérieux… Je me sens mal de me sentir responsable du prof de gym au gymnase, de l'aide éducateur là-bas et moi avec mes deux là en train de faire du soutien dans un coin…