Entretien E78 Jean-Noël

Age : 50 ans

Profession : Directeur d'école élémentaire, classe de CM2 (17 élèves, ZEP)

Diplômes : DEUG d'histoire /géographie, CAP d'instituteur

Jean-Noël : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)
Jean-Noël : cursus professionnel (cf. légende profils de carrière A1 pp. 43-44)

Lieu : bureau du directeur

Durée : 1 heure 10 minutes

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfant difficulté" ?

Ça m'évoque le mot écoute, attention, le mot aide, travail personnel et puis... et j'allais dire difficultés pédagogiques.

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par chaque mot ou expression ?

Ecoute, j'entends que ce sont des enfants qui ont besoin qu'on s'attache à eux plus attentivement, qu'on fasse attention à leurs problèmes, qu'on soit beaucoup plus près d'eux que des enfants... normaux, parce qu'ils ont besoin d'abord de sentir qu'ils sont reconnus, qu'ils sont dans une situation favorisée pour pouvoir s'exprimer davantage que les autres.

Vous avez dit aussi aide...

C'est la même chose. Ça dépend aussi des difficultés, des enfants. Mais enfin, ce sont des enfants qui attendent beaucoup plus des enseignants que des enfants normaux parce que souvent, il faut remplacer un petit peu... la famille... même si on n'entre pas dans la famille, directement... mais ils attendent de nous un rôle qui dépasse largement celui de l'enseignant. Ils attendent qu'on écoute leurs problèmes, qu'on soit un peu plus affectueux, qu'on remplace les partenaires déficients... c'est vrai qu'ils ont beaucoup plus besoin d'aides que les autres et ont surtout besoin qu'on soit attentif à leurs problèmes et à leurs difficultés.

Vous avez dit aussi travail personnel...

Oui, je pense que souvent ces enfants ont un retard scolaire important et ont besoin contrairement à ce que souvent on croit, ils ont besoin de travailler beaucoup plus que les autres. Il faut les mettre justement dans des situations de travail. Il faut leur proposer des possibilités de travailler pour récupérer leur retard. Souvent ces enfants sont traités comme des enfants qui n'arriveront pas à réussir et on a tendance souvent à leur proposer des activités plus faciles, plus ludiques, plus intéressantes. Je crois que ce type d'enfants souvent, il leur faut au contraire un travail extrêmement répétitif, extrêmement structuré pour arriver à progresser.

Vous avez dit aussi difficultés pédagogiques...

Oui, d'autant plus qu'on a dans des écoles comme celle-ci où il y a un nombre d'enfants en difficulté tout à fait impressionnant et avec des difficultés variées, au niveau pédagogique. C'est un gros, gros problème parce que ça demande un investissement qui est très important et ce n'est pas très valorisant non plus. On fait un gros travail, on s'investit énormément, et on a des résultats qui sont pédagogiquement très, très insuffisants. C'est assez dévalorisant finalement, parce que, même au niveau personnel, quand on est inspecté par exemple on n'a pas à présenter un travail valorisant et on a l'impression que finalement on est pénalisé par nos résultats alors qu'on a beaucoup plus d'investissement qu'à d'autres endroits. On a des récompenses bien inférieures (rires). Je le remarque d'autant plus que je ne suis pas concerné par la chose vu que je viens d'un autre endroit. Mais je remarque que mes collègues ont des notes pédagogiques qui sont inférieures à ce qu'ils auraient ailleurs par rapport à leurs investissements, leurs capacités. Je trouve qu'il y a un problème pédagogique à ce niveau-là. On entend dire partout qu'on veut attirer dans les ZEP et les endroits dévalorisés des gens qui sont compétents et qui veulent s'investir... on a l'impression qu'on fait tout pour les rebuter.

Pouvez-vous choisir un enfant en difficulté scolaire avec qui vous avez l'occasion de travailler dans votre classe ? Pouvez-vous décrire la situation et dire ce qui était fait pour lui ?

Oui, ce n'est pas difficile de trouver un enfant difficulté parce que là, ils sont grandement en difficulté...

Je vais vous demander d'en choisir un seul...

Qu'est-ce que vous entendez par difficulté scolaire ? Parce que là on a un échantillonnage de tout ce qui peut exister ici... (rires) il y a vraiment de tout ici, des enfants qui sont en difficulté au niveau de la compréhension, avec des QI très petits, il y a des enfants qui ont des comportements qui sont très violents et c'est ceux-là qui posent le plus de problèmes.

Pourriez-vous parler d'un enfant au comportement difficile ?

Nous avons ici un enfant qui un comportement extrêmement difficile. Il s'appelle Ali. Il est d'une famille dont les parents sont eux-mêmes des gens à gros problèmes puisque le papa a été en prison pour viol d'enfant et autres... les parents sont très agressifs avec les enseignants et l'enfant et ses frères et sœurs ont des comportements extrêmement violents. Ils sont grossiers, ils ne sont pas élevés quoi... ils sont très violents verbalement, mais aussi physiquement. On a de grosses difficultés à les faire se comporter de façon, je ne dis pas correcte, ce serait trop demander, mais de façon supportable.

Comment réagissiez-vous, vous, face à cette situation ?

Ça été très difficile au départ. Au départ surtout, il faut prendre connaissance du problème. Le problème, c'est que quand on arrive, on ne connaît pas les gens, on ne connaît pas les antécédents et qu'on n'a pas toujours le comportement qu'il faudrait... ce genre d'enfant, il ne faut pas leur opposer la violence. Quand on leur oppose une forme de violence, ils sont justifiés dans leur comportement et ils n'attendent que ça. Ils essaient de susciter chez l'adulte, en particulier chez l'enseignant, le même comportement que celui auquel ils sont confrontés habituellement. Ils essaient de vous pousser à les frapper, à les insulter... pour pouvoir eux-mêmes agir de la même façon. C'est très difficile surtout quand on vient d'un quartier différent, on a tendance à trouver ce genre de comportement complètement insupportable et à essayer de faire acte d'autorité tout de suite. Or ce sont des comportements qui sont suicidaires avec ce type d'enfants parce que justement c'est ce qu'ils cherchent. Une fois après avoir compris ça, une fois que j'ai à peu près cerné la difficulté, j'ai pu savoir à peu près comment il fallait réagir avec lui. Il fallait immédiatement intervenir quand il dépassait les bornes mais ne pas entrer en discussion immédiatement avec lui, ne pas agir immédiatement en règlement de problème. Si ça se passait en classe, il fallait immédiatement le sortir dans le couloir, attendre quelques minutes que la situation se calme avant de pouvoir... parce que c'est un garçon qui est très soupe au lait. Il est très violent sur le coup, mais il se calme aussi très vite, c'est un primaire... (rires) tout à fait symbolique... il faut attendre qu'il soit calmé. Quand il est calmé, à ce moment-là, on peut parler, on peut discuter, on peut argumenter. Il est capable de comprendre qu'il a dépassé les bornes, mais c'est quelqu'un avec lequel on ne peut pas raisonner sous le coup de la colère. Quand il est en période d'agressivité, il ne faut pas essayer de le raisonner, il faut couper carrément. Une fois qu'on a compris à peu près, il y a une forme de respect qui s'installe, un peu comme dans ces cités, où il y a des rapports de force et puis quand les gens ont établi des rapports, après il y a sinon un respect, du moins une certaine tolérance... ils n'essayent plus de chercher des histoires mais ils ont besoin non pas de sentir une certaine forme d'autorité mais ils ont besoin que les choses se mettent en place. Une fois qu'on est intégré à leur monde, ça va. Mais c'est très difficile de débuter avec eux. Chaque fois qu'il y a un remplaçant ou un quart de décharge, quelqu'un de nouveau qui rentre dans la classe, il y a toujours des problèmes. C'est souvent des problèmes graves. Là, encore, c'est une demoiselle. C'est plus facile de gérer étant donné que c'est un garçon d'origine arabe, il ne recherche pas le rapport de forces avec les femmes. Avec les hommes, c'était un homme avant qui faisait le quart de décharge, là c'était tout de suite le rapport de force. Dès qu'on essayait de lui imposer quelque chose, c'était terrible.

Est-il aussi en difficulté scolaire ?

Non, non.... Ce n'est pas un élève brillant parce qu'évidemment, son comportement fait qu'il gâche une partie de ses chances. Mais, non, on ne peut pas dire que c'est un enfant en difficulté scolaire. C'est pour ça que je vous ai dit qu'on a tous les cas de figure. Lui c'est un enfant, s'il était dans un autre milieu, s'il était élevé autrement, qui serait un bon élève, qui auraient des notes tout à fait correctes.

Pour gérer ces difficultés, comment vous y êtes-vous pris ?

J'ai discuté avec les collègues parce que les collègues le connaissaient... on m'a mis au courant de la situation, la psychologue aussi, on a discuté en équipe, c'est normal quand on arrive dans une école, on n'est pas tout seul. Là, il n'y a pas de problème de relation avec les collègues, ça se passe très, très bien. On discute beaucoup, on s'informe sur les situations... C'est vrai que ça aide beaucoup ici. Le gros problème dans ces quartiers en difficulté, c'est qu'il faut connaître les gens, les parents, les antécédents, les choses à ne pas faire... et puis après en peut commencer à agir de façon correcte. Quand on connaît bien le milieu, on évite beaucoup, beaucoup de problèmes.

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous le sigle RASED en dehors de la signification stricte des lettres ?

Je dirais peut-être informations, discussion, aide pédagogique... interventions ponctuelles... connaissances spécialisées, je ne sais pas comment dire...

Pouvez-vous préciser le sens de chaque mot ou expression ?

Informations, bien que le RASED, comme tout le monde, est tenu au secret professionnel... N'empêche que ce sont des gens qui tournent sur l'école, sur le quartier et sur les écoles voisines depuis longtemps, ce qui fait qu'ils ont une connaissance du quartier, des personnes, des problèmes, des difficultés, de longue date et ils peuvent effectivement nous apporter de façon plus précise des éléments, nous mettre en garde contre certaines attitudes éventuelles... Au niveau pédagogique, c'est intéressant d'avoir des gens qui savent... ce qui se passe, comment agir dans certaines situations, ce sont des aides précieuses pour percevoir la méthodologie - quand par exemple, il y a un enfant qui a été frappé par les parents, quand on a des problèmes d'inceste ou des choses graves qui peuvent se passer - ils savent, ils peuvent donner de bons conseils sur la méthodologie...

Vous avez dit aussi aide pédagogique, interventions ponctuelles...

Aide pédagogique, c'est effectivement eux qui interviennent en priorité quand il y a des problèmes dans les classes soit au niveau purement pédagogique -ils peuvent aider les enfants en soutien hors de la classe ou dans la classe, soit en orientation vers des structures plus spécialisées... parce qu'ils ont toute une batterie d'exercices plus structurés et puis ils ont des salles adaptées pour des exercices qui seraient plus difficiles à établir dans une classe normale avec tous les enfants... Ils ont une possibilité d'aide pédagogique beaucoup plus précise que ce qu'on peut faire nous et puis ils ont beaucoup plus de temps aussi, un seul enfant à la fois... c'est plus facile de s'investir (incompréhensible), c'est vrai qu'on travaille différemment avec un enfant et avec 20... On ne peut pas travailler de la même façon, on ne fait pas le même type de travail.

Vous avez dit aussi connaissances spécialisées…

Oui, ce sont des gens qui de par leur formation et de par leurs pratiques, parce que ce n'est pas forcément leur formation qui est très, très... qui a du poids, mais ils ont une pratique pédagogique qui est différente et ils ont des connaissances un peu différentes à ce niveau-là. Donc ils sont plus à même soit d'apporter les aides pédagogiques qu'il faut, soit plutôt d'orienter, selon le type d'enfant qu'ils vont tester, des types d'activités qu'il est possible de faire en classe.

Je vais vous demander maintenant cinq mots pour maître E…

Alors là, maître E je ne sais pas exactement ce que ça veut dire...

Ce sont ceux qui sont chargés d'aide à dominante pédagogique...

Oui, mais bon, je ne peux pas vous dire grand-chose parce que là on n'en a pas.

Avez-vous eu l'occasion de travailler avec des maîtres E. au cours de votre carrière ?

Non. Ici, on a une personne qui s'occupe de la CLIS, mais c'est une classe fermée. On traite des problèmes de cette classe en conseil des maîtres mais cette personne n'intervient pas dans les classes. Je crois que ces maîtres interviennent de moins en moins dans les écoles primaires parce que, soit ils sont en classe fermée, soit ils sont supprimés... (rires) il n'y en a pratiquement plus. J'ai travaillé avec des gens du réseau, autrefois ça ne s'appelait pas comme ça, il y avait un rééducateur en psychomotricité, un rééducateur en psychopédagogie mais ce sont des gens qui intervenaient de façon tout à fait ponctuelle avec un seul enfant. Là où j'étais, ils intervenaient essentiellement sur les petites classes, sur le cycle 2 et sur le cycle 3 de façon tout à fait exceptionnelle. Comme j'avais essentiellement les CM1, CM2, je n'ai pas tellement utilisé leurs services.

Je vais vous demander alors cinq mots pour maître G, qu'on appelle aussi rééducateur ...

C'est pareil que le réseau puisque le réseau, c'est les rééducateurs. Donc vous pouvez prendre les mêmes mots.

Mais, logiquement, un réseau comprend au minimum un maître E, un maître G, et un psychologue.

Oui, mais ce que nous on appelle le RASED, c'est la psychologue et deux rééducatrices. Elles fonctionnent ensemble. Disons que chaque fois qu'il y a un problème, on s'adresse à la psychologue qui teste les enfants et qui voit s'il y a besoin de les orienter vers une rééducatrice ou vers quelque chose de plus spécialisé, on envoie les parents au CMP ou vers une orthophoniste etc. Si vous voulez, le réseau pour nous c'est un ensemble, ce n'est pas des gens qui interviennent séparément. On utilise le réseau, une fois qu'on a fait intervenir la psychologue c'est elle qui décide des interventions.

Avez-vous eu un cas d'élève le suivi par un rééducateur au cours de votre carrière ?

Non, non. J'ai eu des élèves pour lesquels le psychologue est intervenu (...). Ici pour mes collègues, quand il y a un travail qui commence, il y a toujours une réunion préparatoire avec le maître de la classe pour faire le point sur la situation, envisager les possibilités d'intervention, définir les objectifs, définir un certain nombre d'actions soit au sein de la classe en surveillance par la rééducatrice pour se rendre compte de l'attitude de l'enfant dans le groupe classe et puis l'intervention hors de la classe dans la salle de la rééducatrice, où il y a des activités spécifiques. Ensuite, il y a des comptes rendus périodiques des activités entre la rééducatrice et le maître ou la maîtresse de la classe pour faire le bilan des acquisitions ou des non- acquisitions, l'intérêt de continuer ou de ne pas continuer. A la fin d'année, il y a le bilan de l'année... Au CM2, en principe, les rééducatrices n'interviennent pas. Elles interviennent de préférence sur le cycle 2, CP, CE 1, ponctuellement sur des problèmes graves en CE2, CM1 (...) On considère à juste titre à mon avis que, comme il n'y a pas assez monde pour faire ce travail là - ces gens-là sont débordés, il ne faut pas se faire d'illusions -, il faut être le plus efficace possible et pour être le plus efficace possible il faut travailler le plus tôt possible. Si on attend onze ans pour intervenir sur un enfant c'est trop tard... Et si à onze ans le travail qu'on a fait n'a pas porté ses fruits, ce n'est pas la peine de continuer. Ce n'est pas que ça ne vaut pas la peine en soi mais il faut faire des choix... On préfère travailler sur des enfants qui n'ont encore pas reçu d'aide... C'est pour ça qu'ils n'interviennent pratiquement jamais sur des CM2, même sur les CM1 c'est extrêmement rare.

Vous avez parlé de bilan présenté par le réseau. Dans quel cadre se fait-il ? Qu'en est-il exactement ?

Il y a un conseil de maîtres réservé aux élèves en difficulté. En fin d'année, comme je vous le disais, le réseau présente les actions conduites pour chaque élève et donne les résultats obtenus. Les enseignants discutent également avec eux de la poursuite de certaines actions dès la rentrée prochaine. Comme ça, à la rentrée, il y a déjà des balises de travail pour chacun.

Actuellement il existe une différenciation maître E, maître G. En quoi vous semble-t-elle pertinente ?

Ça me paraît pertinent... Je ne sais pas exactement ce qu'il en est dans la pratique. La plupart des activités se passent dans les bâtiments du réseau et on ne sait pas exactement... ils sont assez fermés sur les activités qu'ils font avec les enfants... ce n'est pas qu'ils n'en parlent pas, mais ils parlent des bilans, des objectifs, des résultats mais ils n'aiment pas parler de ce qu'ils font exactement, du type d'activités qu'ils font parce qu'ils considèrent que c'est leur affaire... Disons qu'avec nous ils font les constats, les projets d'amélioration et les bilans mais on n'est pas très informé de la façon dont ils procèdent en réalité. Ce que je peux dire, c'est qu'au niveau théorique, ça paraît évident qu'un certain type d'enfant présente des difficultés d'ordre pédagogique ou psychologique et que, pour les traiter, il va falloir employer un certain nombre d'actions différenciées. D'autres ont des problèmes de comportement, des problèmes moteurs et là, il y a des exercices tout à fait spécifiques pour les faire avancer... par exemple il y a le mur l'escalade, toutes sortes de choses. Mais dans la pratique, je crains que ça soit beaucoup moins tranché que ça. Dans la pratique, vu le nombre d'élèves aux difficultés complexes et vu la difficulté qu'ils ont à trouver des créneaux pour les enfants, je crois que chacun fait ce qu'il peut avec le maximum d'enfants. Mais je ne suis pas certain qu'ils restent chacun dans leur domaine de façon très précise.

Avez-vous repéré des glissements de pratique marqués ? Par exemple un rééducateur qui ferait vraiment beaucoup d'aide pédagogique ?

Non, pas vraiment. Dans la réalité, ils fonctionnent surtout en fonction du temps qu'ils ont et ils prennent tous les élèves qu'ils peuvent. Dans la pratique il ne doit pas avoir une différence aussi marquée que dans la théorie... C'est ce qu'il me semble mais il faudrait peut-être le leur demander...

On parle d'une réforme prochaine à propos des réseaux. Quelle position soutenez-vous par rapport aux perspectives qui se dessinent ?

Vous voulez parler des REP ?

Pas du tout, les REP concernent les anciennes ZEP... là, il s'agit de la réforme probable des réseaux suite aux rapports Gossot et Ferrier de l'Inspection Générale.

A titre personnel, tout ça me paraît artificiel. On a déjà fait beaucoup de modifications. J'ai l'impression que, malheureusement, le problème ce n'est pas que les gens soient incompétents, qu'ils ne soient pas motivés ni qu'ils n'aient pas envie de régler les problèmes... Mais je crois que quand on a une psychologue pour trois mille élèves, qu'on a une rééducatrice qui s'occupe de cinq ou six écoles, alors que sur une école il y a déjà de quoi faire pour tout un réseau. Le problème est ailleurs, c'est un problème de moyens. Je crois qu'on peut modifier tout ce qu'on veut, on peut mettre des sigles différents, dans la réalité si on ne crée pas des postes, on ne règlera rien du tout. (...) Ce n'est peut-être pas ce qu'il faudrait dire, mais j'ai peur que le problème ne soit pas un problème de sigles ou de compétences mais de moyens. Malheureusement...

Pouvez-vous citer les trois livres ou auteurs principaux recommandés lors de la formation E ? Sur quoi repose cette formation spécifique ?

Je ne peux rien vous citer du tout.

Même question à propos de la formation G ?

Même réponse... (rires)

Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous la réussite à l'école ?

La réussite des enfants ?

Comme vous voulez...

C'est un vaste débat.

Alors en cinq mots ? (Rires)

Tout dépend de ce qu'on espère de l'école. Peut-être déjà... la réussite personnelle, l'avancée professionnelle disons les perspectives professionnelles... le bien-être, la joie de vivre, le plaisir... le goût du travail et l'insertion sociale au sens large avec tout ce que ça représente comme capacités à respecter les règlements, à la citoyenneté, à l'intégration dans tous ces états. Je crois que c'est quelque chose de très, très important. On peut parler de réussite scolaire, quand on a obtenu des enfants qu'ils aient appris un certain nombre de choses et qu'ils aient aussi un certain nombre de comportements et une attitude constructive vis-à-vis de la vie. Si on a des enfants qui ont parfaitement intégré les programmes mais qui ont parfaitement incapables socialement de s'intégrer, je crois qu'on a raté son coup.

Vous avez parlé aussi de goût du travail. Pouvez-vous préciser ?

Je pense que c'est important, de susciter à notre époque quelque chose qui a été bien abandonné par l'enseignement, c'est le goût du travail, le goût de ce qui est difficile, le goût de ce qui est bien fait, la capacité à se fatiguer, à rechercher, à obtenir quelque chose qui ne vient pas tout rôti, quelque chose qui est tout à fait en contradiction avec les idées actuelles. On prétend qu'il faut tout faire de façon ludique et que tout tombe naturellement si on suscite la joie de vivre. Effectivement, il y a à susciter chez les enfants le plaisir d'apprendre mais il y a aussi à susciter le goût du travail et la nécessité de se fatiguer pour faire quelque chose, que ça ne vient pas tout seul... Il y a rien important qui n'ait pas nécessité des efforts. C'est quelque chose de très, très important qui est un peu trop abandonné malheureusement dans l'enseignement actuellement.

On dit que l'enseignant est le premier acteur de la mise en place de l'aide en direction des enfants en difficulté. Comment vivez-vous cette affirmation dans votre classe ?

Il y a de multiples aides... (...) L'enseignant ne peut pas agir en solitaire dans sa classe. Il faut qu'il y ait un constat d'ensemble qui soit fait. Ce qui est très dangereux, c'est de partir dans tous les sens. (...) Ce qui est important, c'est qu'au niveau de l'école il y ait d'abord une appréciation de la situation d'ensemble soit par les médecins soit par les psychologues... c'est à ce moment-là qu'on oriente les aides dans différentes directions. (...) Si les parents vont d'eux-mêmes avoir une orthophoniste... elle a besoin de gagner sa vie l'orthophoniste, elle ne va pas dire : « vous n'avez pas besoin de travailler ». Si on va chez une orthophoniste, il ne faut pas y aller de son propre chef... il faut que l'école garde le monopole de la direction des actions à entreprendre.

Vous personnellement, comment organisez-vous l'aide dans votre classe ?

Vous voulez parler de quelle aide ?

L'aide qui résulte de différents dispositifs pédagogiques, par exemple des ateliers spécifiques, les études dirigées, ça peut être aussi la place de l'aide éducateur...

En ce qui concerne les aides éducateurs, ils ont un rôle extrêmement limité. Ils n'ont pas une formation pédagogique, ils ne peuvent intervenir qu'en complément, ils peuvent aider un maître à faire une activité ou ils peuvent intervenir avec un petit groupe d'enfants sur une activité très précise qui aura été préparée ou une activité ludique. Mais au niveau pédagogique ils ne sont pas d'un grand secours. Ils ne peuvent pas aider par exemple un groupe d'enfants en difficulté... il faut des gens spécialisés pour ça... (...) Déjà pour des gens spécialisés c'est difficile, ce n'est pas un travail qu'on peut confier à des gens sans formation. Ou alors c'est de la rigolade, c'est simplement sortir les enfants de la classe pour que le maître puisse avoir la paix et souffler un peu... avec moins d'enfants. Ce n'est pas une réponse, mais c'est un danger. Il y a une volonté du pouvoir de trouver des réponses à bon marché... c'est tout à fait visible que ça coûte moins cher de payer les gens cinq mille francs que les payer 15.000... je ne dis pas qu'ils sont inutiles, on les utilise bien. Ils nous rendent service mais ils ne sont pas utiles pédagogiquement avec des enfants en difficulté... (...) On a de gros problèmes avec des aides éducateurs parce que les gens choisis ne sont pas forcément intéressés par l'éducation, tout simplement, ils n'ont pas de boulot, ils se mettent là-dedans pour gagner leur vie quelque temps et souvent... ils n'ont pas envie de s'investir. Ils en font le moins possible.

Et en ce qui concerne les études dirigées... inclure dans le temps scolaire un temps spécifique de travail méthodologique...

(me coupe) Ça pourrait être une réponse. Mais là aussi c'est une question de moyens. Si on emploie un jeune étudiant 90 francs de l'heure et qu'on lui donne un groupe d'enfants à s'occuper le soir, il va faire comme l'aide éducatrice, il va s'occuper d'enfants pendant une heure et va permettre aux parents d'être privés de leurs enfants pendant une heure. Pédagogiquement c'est pareil, il n'y a pas de réponse. Si on veut une réponse efficace, il faut avoir des études spécialisées faites par des gens compétents. (...) Vous avez des études devoirs qui ont assurées par des gens qui n'ont jamais fait de pédagogie et qui se rappellent seulement de ce qu'ils faisaient eux-mêmes quand ils étaient à l'école primaire...(...)

Comment voyez-vous l'avenir des réseaux ?

Je ne pense pas qu'il y ait de la part de l'administration la volonté que ces réseaux soient développés et même maintenus. Tout me laisse à penser qu'on attend le moindre prétexte pour se débarrasser de ces gens. J'en ai la meilleure preuve ici puisque l'année prochaine il y a six personnes dans le département qui partent à la retraite et on en a profité pour fermer les 6 postes. Seulement ici, nous sommes en ZEP. Ce constat fait qu'il est difficile d'imaginer qu'il y ait une volonté d'améliorer les situations. J'ai déjà un réseau totalement incapable d'assumer sa fonction parce qu'il a cinq fois le boulot qu'il pourrait assurer et on supprime encore un poste... Je ne pense pas qu'il y ait une volonté à ce niveau-là sérieuse... En dehors de toutes les bravades qui sont lancées à la télévision ou à la radio, je pense tout simplement que ces gens sont trop chers et on va s'en débarrasser petit à petit... (rires) comme on s'est débarrassé des classes de perfectionnement, c'est plus pratique de mettre tout le monde dans les mêmes classes, comme ça les instituteurs gèrent tous les problèmes... Et puis ma foi, ils se débrouillent...

J'ai terminé avec mes questions mais peut-être avez-vous d'autres remarques à formuler sur les aides spécialisées et autres à l'école...

Non, hors du fait que ce sont des gens qui font tout ce qu'ils peuvent, qu'ils sont certainement très compétents dans leur travail. Mais je crois qu'ils travaillent dans des conditions qui sont tout à fait épouvantables, qu'ils n'ont pas à la possibilité de faire un travail efficace dans les conditions qui sont proposées (...).

J'ai une dernière question, facultative. En quoi votre fonction de directeur est-elle importante pour vous ?

(...) c'est un rôle important. Si on n'accueille pas les parents, tous les gens qui se présentent, c'est difficile à très de faire des actions quelles qu'elles soient. Mais à titre personnel ça n'apporte pas grand-chose. C'est une multitude de difficultés pour une satisfaction limitée et une perturbation du rôle pédagogique. Quand vous n'êtes pas dans votre classe, il y a quelqu'un d'autre qui est dans votre classe, et ça ne fait pas un suivi. C'est encore pire quand vous avez des demi-décharges... (...) Dans une école c'est l'inspecteur qui est le patron, le directeur n'a aucune fonction d'autorité. On ne peut pas renvoyer trois jours un enfant gens en référer au supérieur. Il n'y a aucun moyen d'avoir une politique quelconque. On est entièrement dépendant. (...) Et vis-à-vis des parents on est responsable. Quand un remplaçant fait mal son boulot, les parents viennent vous engueuler parce qu'ils pensent que c'est vous qui l'avez embauché. Surtout dans ces cités, où les parents sont un peu frustres (...), c'est assez dévalorisant comme rôle.

(...)

Je pense que les enseignants seraient prêts à s'investir mais pas dans un système où on n'a pas confiance en eux. On les traite comme des sous fifres juste bons à écouter des ordres parce qu'ils sont trop bêtes pour penser la pédagogie par eux-mêmes. On a vraiment ce sentiment. On nous envoie une multitude d'instructions, sans arrêt, parce que nous sommes trop bêtes... les gens finissent par réagir en disant : « Puisque nous sommes trop bêtes, ce n'est pas la peine d'en faire plus ». Chez les enseignants, il y a un ras-le-bol : « à quoi ça sert ? ». (...)